Le Monde dans les Livres

Jeudi 20 janvier 2011 à 23:54

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lhorizon.jpgL’Horizon, Modiano
L’horizon reste toujours un peu le même chez Modiano. Les lignes de fuite se recoupent souvent, très souvent, voire trop souvent. Qui connaît cet auteur ne sera pas surpris de retrouver les grandes problématiques, récurrentes : la quête d’identité, l’oubli, le passé revisité, les zones d’ombres, la femme mystérieuse,…Il y a tout cela dans ce nouveau livre, tout ça qui est pareil, dans un roman qui est tout de même nouveau.
Dès le début, le souvenir entre dans la danse ; Bosmans se remémore des bribes de son passé perdu, qui lui apparaissent comme des paillettes d’or au milieu de trous noir ; la "matière sombre", comme il l’appelle. De noms en noms, de lieux en lieux, il finit par se rappeler le plus important : Margaret Le Coz. Le Coz, ça sonne breton, et pourtant, elle est allemande cette jeune femme mystérieuse, un peu enfant, toujours fragile. Avec elle il entame une relation dont on ne saura rien, ou si peu ; un verre par-ci par-là, une attente à la sortie du travail, des sorties au parc, des visites chez des employeurs,… Une relation peut-être davantage fraternelle qu’amoureuse en tout cas.
Pour eux la vie n’est pas aisée. Elle, elle se sent tout le temps poursuivie. Un type qui s’appelle Boyaval (toujours des noms d’hommes commençant par B. d’ailleurs…), dont on ne sait pas grand-chose, mis à part sa prédilection pour le poker et la prise de risque. Lui, Bosmans, il essaie d’écrire. On ne sait trop quoi, on ne sait trop quand. En tout cas, ce qu’on nous raconte, c’est sa jeunesse, alors qu’il s’est lancé dans son premier livre. En attendant, il tient la librairie d’une maison d’édition. Des bouquins sur les sciences occultes.
Bosmans, parfois narrateur, toujours personnage, nous embarque dans ses souvenirs, à Paris, dans sa jeunesse ; vingt et un an. Il nous embarque avec lui, avec tout ce que cela implique de zones d’ombres et de points obscurs. C’est difficile de le suivre parfois, il faut jouer au détective. Cette fois il n’y en a pas dans l’économie des personnages, pas comme dans le Café de la jeunesse perdue. Il faut être attentif à chaque nom, à chaque épisode, presque à chaque mot. Des lignes de fuite, des indices sur une carte, qui mènent toutes au même horizon. Un horizon qui s’ouvre à la fin, mais un horizon de la boucle, l’horizon de Modiano. Ça se répète, mais ça n’est jamais pareil.
Bon, une chose est sure, j’ai bien aimé ce roman, parce que j’aime l’atmosphère que créé le style de cet auteur. Toutefois, elle n’était pas aussi opaque et aussi envoutante que les autres fois. Question d’habitude ? Comme un parfum capiteux et plaisant dont on perd les saveurs à force de l’humer ? Peut-être… Il m’a semblé que ce roman était plus « réaliste », davantage de l’ordre du réel que de celui du rêve. On y croit à son histoire, au point que le charme se romprait presque. Il se rattrape cependant, juste avant la chute, et la machine est relancée. C’est bien construit, mais au bord du précipice. Un funambule qui risquerait de manquer son coup… S’il continue ainsi, j’ai peur qu’un pas de trop et…
Néanmoins peut-être que c’est bien ainsi. Peut-être que cette chute imminente vers le réel, cette avancée vers l’horizon, loin de l’obscurité habituelle, montre que l’auteur, grâce à l’autofiction, s’approche de la lumière… ?
Enfin on verra bien. En tout cas ce nouveau roman n’apporte rien de bien neuf dans la galaxie Modiano. Juste un pas de plus. Un pas, ou un regard, mais vers l’horizon. N’est-ce pas l’espoir ?
 

Dimanche 23 janvier 2011 à 1:09

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/extensiondudomainedelalutte.jpgExtension du domaine de la lutte, Michel Houellebecq
   Vous aussi, vous vous êtes intéressé au monde. C’était il y a longtemps ; je vous demande de vous en souvenir. Le domaine de la règle ne vous suffisait plus ; vous ne pouviez vivre plus longtemps dans le domaine de la règle ; aussi, vous avez dû entrer dans le domaine de la lutte. Je vous demande de vous reporter à ce moment précis. C’était il y a longtemps, n’est-ce pas ? Souvenez-vous : l’eau était froide.
   Maintenant vous êtes loin du bord : oh oui ! comme vous êtes loin du bord ! Vous avez longtemps cru à l’existence d’une autre rive ; tel n’est plus le cas. Vous continuez à nager pourtant, et chaque mouvement vous fait vous rapprocher de la noyade. Vous suffoquez, vos poumons vous brûlent. L’eau vous paraît de plus en plus froide, et surtout, de plus en plus amère. Vous n’êtes plus tout jeune. Vous allez mourir, maintenant. Ce n’est rien, je suis là. Je ne vous laisserai pas tomber. Continuez votre lecture.
   Souvenez vous, encore une fois, de votre entrée dans le domaine de la lutte.
 
Parce que c’est un livre qu’on a sous les yeux, et puis parce qu’on lit, chez soi, protégé, on peut penser qu’on ne craint rien ; que l’auteur, les pages et les signes nous retiennent. Pourtant, c’est dans un bain glacial qu’on plonge peu à peu en lisant ce roman. Un roman fait d’anecdotes de la vie de l’auteur. Une autobiographie qui n’en est pas vraiment une.
L’écriture ne soulage guère. Elle retrace, elle délimite. Elle introduit un soupçon de cohérence, l’idée d’un réalisme.
Autobiographique ou pas, quoi qu’il en soit, Houellebecq, ou son personnage, vont mal. Représentant de logiciels informatiques dans une entreprise, le narrateur se voit confiée la mission d’aller présenter un nouveau logiciel agricole dans des firmes perdues quelque part en France, la France de Jean-Pierre Pernaud. Et c’est là que le rideau se lève : l’entreprise. On voit ce qu’on ne voit jamais si on n’y est pas. On voit les réunions, les secrétaires, leurs minijupes et ce qu’elles provoquent ailleurs, la machine à café, les discussions de budget, de projet. On se croirait chez Balzac. C’est décrit à la loupe. La pension Vauquet est certes devenue une salle de réunion empestant le café froid, mais c’est de la bravoure. Le monde moderne, ses désirs, ses affres, ses perversions. Rien n’est épargné, tout grince, mais toutes les portes s’ouvrent. Celles de l’esprit du personnage déjà, dont on connaît tout –ou presque- de la vie pendant quelques jours. Celle d’une boîte de nuit, des toilettes, de l’hôpital. On suit un homme, un homme moderne et déprimé. On a distendu son être, on lui a enfoncé la tête sous l’eau. Le domaine de la lutte est en extension. La dépression est en marche. Et la libération sexuelle en expansion.
Pourtant il y en a à qui elle ne profite pas, cette libération. Ce sont eux qui subissent les attaques de l’auteur, et peut-être un certain soutien du personnage. C’est assez horrible parfois ; non pas que le texte transpire le sexe, non ; pas comme dans Les Particules Elémentaires (bien que dans ce roman les scènes érotiques touchaient à la poésie et à la métaphysique). Horrible de cynisme. Le grincement en devient par moments presque insoutenable. La loi du libéralisme qui s’étendrait au sexe : il y en a qui auraient de la chance, d’autres pas. Dans cette lutte pour la vie, c’est du chacun pour soi. L’homme est seul et voué à rien ; le domaine de la lutte s’étend sans cesse, inexorablement.
Cet effacement progressif des relations humaines n’est pas sans poser problème au roman. Comment en effet entreprendrait-on la narration de ces passions fougueuses, s’étalant sur plusieurs années, faisant parfois ressentir leurs effets sur plusieurs générations ? […] La forme romanesque n’est pas faite pour peindre l’indifférence, ni le néant ; il faudrait inventer une articulation plus plate, plus concise et plus morne.
On le voit, Houellebecq est bel et bien attaché à la forme du roman. Si son livre est ultra pessimiste, spleenétique jusqu’aux vomissures, il est tout de même ultra lucide, sur le monde et sur son écriture. Il dit ne pas avoir de style, faire coïncider tout avec n’importe quoi, laisser son esprit vagabonder et la plume transformer les soubresauts de son être en style. Je suis encore une fois épatée de voir à quel point Houellebecq est presque le peintre de notre vie moderne. Sauf qu’il peint à l’acide, et que ça fait très mal…
C’est brutal mais tellement vrai… Effrayant. Effrayant aussi de penser et d’être convaincue, de plus en plus, que cet auteur sera d’anthologie.
Imaginez en 2040 : Une classe de 30 élèves, tous en face d’un écran. Petit ou grand, je ne sais pas. Un enseignant leur fait face, ou presque, puisqu’il (elle) a aussi un écran sous les yeux. Mais enfin, tout de même, elle parle : « Allez au sommaire du manuel et cliquez sur Houellebecq, Michel. Auteur de la fin du XXème siècle, début du XXIème. » Cela ça n’a pas changé. Un prof ça donne des ordres. Ce qui a changé, c’est le monde que les livres décrivent. Imaginez un texte de Houellebecq enseigné à l’école…
 

Dimanche 30 janvier 2011 à 23:55

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/QuiatuePalominoMolero.jpgQui a tué Palomino Molero ? Mario Vargas Liosa
Qui a tué Palomino Molero ? C’est la question que tout le monde se pose ; surtout Lituma, personnage central sinon principal, à travers des yeux duquel on voit, à travers les paroles rapportées duquel on comprend, imperceptiblement, dans un glissement entre l’omniscience et le point de vue interne, (maestria espagnole du prix nobel !), ce qui se passe…
- Bordel de merde de vérole de cul ! balbutia Lituma en sentant qu’il allait vomir. Dans quel état ils t’ont mis, petit.
Le gars était à la fois pendu et embroché sur le vieux caroubier, dans une position si absurde qu’il ressemblait davantage à un épouvantail ou à un pantin de carnaval démantibulé qu’à un cadavre. Avant ou après l’avoir tué on l’avait réduit en charpie, avec un acharnement sans bornes : il avait le nez et la bouche tailladés, des caillots de sang séché, des ecchymoses et des plaies, des brûlures de cigarette sur tout le corps et, comme si ça n’était pas assez, Lituma comprit aussi qu’on avait aussi tenté de le châtrer, parce que ses testicules pendaient jusqu’à mi-jambe.
 
Une entrée in medias res, théâtrale presque, sur une scène digne du boulevard du crime, granguignolesque. Hypotypose sanglante d’un corps dévasté. Le jeune homme, le soldat, l’amant surtout. Puisque peu à peu on apprend que le jeune homme était amoureux. De qui ? De la fille du colonel, forcément, un gradé. Il allait lui chanter la sérénade sous ses fenêtres. Il avait une belle voix, à ce qu’il paraît. Il ne reste que sa guitare.
Qui a tué Palomino Molero, alors ? Le titre ferait presque partie intégrante de l’incipit. Et c’est la question qui obsède tout le monde, lecteur comme personnages. Mais le narrateur ne nous livre pas tout…
Lituma et son chef, le lieutenant Silva, vont donc mener l’enquête sur ce meurtre à la barbarie sans pareil. Cela va leur donner l’occasion de rencontrer un homme qui tous les soirs se saoule et  finit nu sur le comptoir, des tenancières de bars plus ou moins appétissantes, mais surtout Alicia Mindreau, la jeune fille un peu étrange dont Palomino était épris. Le Sherlock espagnol interroge toutes ces personnes avec un tac étonnant, manipulateur qu’il est, pendant que Lituma l’observe, à la Watson, avec ses questions qui lui brûlent les lèvres. Cette histoire de meurtre, ils en font presque une affaire personnelle.
Sur cette toile de fond plutôt sombre se détachent les aventures burlesques du lieutenant, si sérieux en service, mais en coulisses épris de la propriétaire du troquet, Dona Adriana, une Vénus bien en chaire, voluptueuse mais pas du tout amoureuse. Pourquoi Dona Adriana mettait-elle le lieutenant Sylva dans un tel était d’excitation ?  C’est ce que se demande Lituma. L’intrigue amoureuse et comique se joint à l’enquête policière et tragique. Un mélange des genres, des tons et des voix des plus agréable. On n’est pas dans un roman policier, ni dans une fresque à la Balzac. Peut-être dans une sottie, comme a pu en faire Gide, avec la brièveté et le mélange propres à la satire (pot-pourri en latin).
Pourquoi a-t-on tué Palomino Molero ? Plus que « qui », c’est la raison d’un tel meurtre qui interroge et qui, quand on la connaît, révulse. Le qui sadique est lié au pourquoi objet de satire. Je ne vous dirai pas qui a tué Palomino Molero. Mais en tout cas, sa mort n’est pas belle, on l’a vu ; elle n’est pas juste non plus. Parce qu’on est puissant, on-t-on le droit de tuer ?
Et puis ça n'est pas tout! Pas seulement un roman policier, pas seulement une satire du pouvoir et des puissants, pas uniquement un pot-pourri tragique et comique, mais aussi un roman sur l’amour, parce que Palomino et la jeune fille, ce sont un peu Roméo et Juliette, made in Espagne. Lisez plutôt…
- Je vais vous dire une chose, dit le gendarme en battant des paupières. Ce n’est pas cela qui m’a le plus impressionné. Mais, savez-vous quoi ? Je sais maintenant pourquoi le petit gars s’est enrôlé comme volontaire à la base de Talara. Pour être près de la jeune fille qu’il aimait. Est-ce que vous ne trouvez pas extraordinaire qu’on puisse faire une chose comme ça ? Qu’un garçon, exempté de service militaire, vienne et s’engage par amour, pour être à côté de sa petite femme chérie ?
- Et pourquoi en es-tu tellement étonné ? rit le lieutenant Silva.
- C’est hors du commun, insista le gendarme. Quelque chose qu’on ne voit pas tous les jours.
[…]
- Alors tu ne sais pas ce que c’est que l’amour, l’entendit-il se moquer. Moi je me ferais simple soldat et troufion, curé ou éboueur, tiens, je boufferais même de la merde s’il le fallait, Lituma, pour être à côté de la grassouillette.

Un roman qui donne envie de pousser plus loin la découverte du Nobel 2010!

Lundi 14 février 2011 à 22:14

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lelivredurireetdeloubli.jpgLe livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera
Je me sens bien petite alors même que je m’apprête à tenter d’écrire quelque chose à propos de ce roman, qui n’en est pas vraiment un. Comme toujours avec Kundera, le roman prend plein de formes ; un véritable Protée, qui comme le personnage mythique, change sans cesse de forme pour ne pas répondre à nos questions.
Sept parties ; sept petites histoires. Pourtant ça n’est pas un recueil de nouvelles. Kundera nous le dit, c’est un roman. Tout ce livre est un roman en forme de variations. Effectivement, tout tourne autour du rire, et de l’oubli… L’oubli de son amour, de la parole, de sa patrie. Le rire pour conjurer la mort, pour conjurer l’oubli. Kundera nous dit aussi que le récit tourne autour de Tamina, qui a perdu son mari et souhaite retrouver ses lettres pour ne pas l’oublier.
C’est un roman sur Tamina et, à l’instant où Tamina sort de la scène, c’est un roman pour Tamina. Elle est le personnage principal et le principal auditeur et toutes les autres histoires sont une variation sur sa propre histoire et se rejoignent dans sa vie comme dans un miroir.
Tamina est donc un point focal qui concentre tout. La forme des variations est la forme où la concentration est portée à son maximum ; elle permet au compositeur de ne parler que de l’essentiel, d’aller droit au cœur des choses. Pour comprendre l’ensemble, peut-être faut-il chercher à comprendre l’histoire de Tamina. Elle n’est pourtant pas compliquée (des lettres, un amour perdu, un pays quitté). Et pourtant, elle se termine un peu comme un conte, avec des anges…
Même si je le voulais vraiment, je crois que je n’y arriverai pas. Il y a trop d’histoires, trop de thèmes ; tout est mêlé et pourtant on n’étouffe pas ; pas du tout. On se sent même bien dans ce roman en forme de variations. On se laisse bercer par la musique des mots, guider par l’auteur qui nous tient par la main, nous décrivant ce qu’il fait, ce qu’il tait. Un exemple de métalepse.
Il nous raconte des histoires d’amour, de poètes, de jeunes filles qui rient ; il y a aussi beaucoup de sensualité et d’érotisme. J’ai beaucoup aimé l’histoire revisité de Madame Bovary, avec Mme Christine, femme de boucher et amante d’un espèce de poète. La figure poétique et fantasmée de la femme, c’est ça. En plus, Kundera en profite pour critiquer le lyrisme et le kitsch, comme toujours. Il nous livre aussi une réflexion sur le rire, cet ennemi des religieux, des politiques et des écrivains sentimentaux. Et un réflexion sur l’oubli, sous toutes ses formes, jusqu’à celui qui nous fait oublier l’essentiel, la complexité du monde.
Un roman complexe, en forme de variations on l’a dit, mais c’est joli de répéter. Un roman complexe, multiple, gavé mais avec grâce. L’art du raffinement dans la pléthore. Roman, essai, nouvelles, métadiscours,… Tout ça à la fois et pourtant c’est léger, léger… Même si on n’y comprend rien, ou si peu, ce livre est un des plus agréable roman qu’il m’ait été donné de lire. Et pourtant, je n’aime pas les nouvelles… Remarquez, ce n’en sont pas vraiment, puisque c’est un roman en forme de variations !
 
Un site très intéressant sur l'auteur, pour approfondir sur le Kitsch, le rire, l'oubli, l'antilyrisme,... http://yrol.free.fr/LITTERA/KUNDERA/kundera.htm

Samedi 9 avril 2011 à 22:36

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lentdehorsDjian.jpgLent dehors, Philippe Djian
Henry-John fait du piano, est prof et marié à une Edith, écrivaine. Sa vie coule tranquillement, entouré de sa femme et de ses deux filles, jusqu’au jour où il lui prend l’envie de coucher avec cette collègue qui l’insupporte. Dès lors, c’est une descente aux enfers qui s’enclenche, et l’occasion pour Djian de nous faire partager par flash back et journal intime interposés l’histoire de celui qui est maintenant un quadragénaire bedonnant et déçu par la vie. Comme cet escalier qu’il reconstruit sur la plage des Etats-Unis où il a trouvé refuge pour tenter de sauver ce qui en lui pouvait encore l’être, le narrateur reparcourt marches à marches son passé.
Toutefois, ne vous attendez pas à une reconstruction rectiligne et solide. Ça part à droite et à gauche, on nous lance des pistes, le puzzle est à construire. Des femmes, Edith, Eléonore, Eveline, Anna, Carolle et j’en passe ; quelques hommes, Oli, Finn. Une enfance au milieu des danseuses étoiles ; Edith qu’il connaît depuis ce temps ; Edith qui chaque soir écrit son journal. Un journal qui permet de comprendre comment il en est arrivé là. Là, c'est-à-dire avec elle.
Tu ne trouveras pas mieux que moi henry-John… Tu ferais mieux de me croire pour une fois…
Je ne vous en dirai pas plus, ce serait gâcher le plaisir ; ce roman est vraiment palpitant. On ne s’ennuie pas un seul instant. C’est comme un roman d’apprentissage. Il y a quelque chose de Kerouac, de Roth, enfin quelque chose d’américain. Très puissant. Une odeur de bitume, de poussière et d’embruns. Djian affirme dans ce texte toutes ses grandes aspirations : les blessures de la vie, diverses ; les femmes, multiples ; le sexe, sensuel et érotique ; et l’Amérique…
J’ai toujours senti chez Djian des consonances américaines, plus ou moins avouées. Les lieux sont souvent flous. Mais là on sait : il va en Amérique, il le dit, le décrit, le vit. Un grand roman. Construit avec brio, harmonieuse construction, un escalier plein de tours et de détours à angles droits, menant inexorablement vers ce qu’on sait depuis le début. Lent dehors, pour lente explication ? Peut-être… Il est vrai que la jeunesse d’Henry-John a été bien remplie. D’amitié, de découvertes, de livres et de femmes. Beaucoup de femmes. Il y a un peu de Djian derrière lui. Un héros dépassé par la vie, qui se laisse bouffer par elle( et les femmes(, qui accepte les choses comme elles viennent, quitte souvent à renoncer à l’Idéal. Un ami, un père et un mari aimant et indispensable pourtant…
Et pas trop glauque pour une fois. C’est agréable d’un bout à l’autre. Certes il y a deux ou trois situations vraiment dures à encaisser. Mais ça reste du Djian après tout…
Tout cela pour vous dire que c’est un des meilleurs romans de cet auteur que j’ai lus ; peut-être le meilleur. Et sans aucun doute mon coup de cœur de ce début d’année. Une belle surprise, alors que je croyais être fatiguée de Djian.
 

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