Le Monde dans les Livres

Lundi 31 mai 2010 à 12:07

Incidences, Philippe Djianhttp://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/incidences.jpg
   Je n’avais jamais lu de roman de cet auteur ; j’ai entendu parler de cette sortie via la Grande Librairie, que je regarde de temps en temps le dimanche matin. L’évocation d’un prof de littérature et d’écriture qui couche avec une de ses élèves m’a tout de suite rappelé les romans américains que j’affectionne tant. Et quand le présentateur a annoncé qu’au bout des trois premières pages il retrouvait la jeune femme morte dans son lit, j’ai été conquise. Je m’emballe rarement pour les romans contemporains, surtout français ; je pense que c’est lié au fait que je n’apprécie guère l’univers de nos sociétés modernes. Excepté quand il s’agit de l’univers universitaire. 

   Et il est étonnant de voir à quel point ce roman français déroute. Bien que l’action se situe dans le sud de la France, on ne peut s’empêcher de s’imaginer dans une petite ville américaine à la David Lodge. Le héros, Marc, un fumeur sans vergogne, qui fume tout le temps, vraiment tout le temps, est un professeur qui tente d’apprendre à écrire à des jeunes qui n’ont pas la grâce ; par conséquent il ne peut rien pour eux, il le sait. Il compense d’ailleurs sa propre médiocrité d’écrivain en couchant avec les jeunes filles de son cours, tout en prenant garde à ce que sa sœur, avec laquelle il vit encore, à 56 ans, ne les surprenne pas. Cette sœur a une place centrale dans la vie de Marc, jusqu’au jour où il rencontre Myriam, la belle-mère de cette fille retrouvée morte dans ses draps, au petit matin.
   Ce roman est constitué de multiples failles, de blancs, d’ellipses et de flash back, qui ponctuent ce récit qui s’avère fragmenté à l’image de son héros. Quatre morts dans ce roman, des blancs, des failles et des incendies, tout l’appareil pour donner froid dans le dos. Toutefois on est loin du roman policier. Djian s’essaie ici à une véritable analyse psychologique en donnant la parole à Marc, et laisse l’interprétation aux soins du lecteur. Terrible, ce héros n’en reste pas moins attachant. Fragilisé par des blessures d’enfance, il n’y a que dans les failles qu’il parvient à se reconstruire  une identité.
   Mon avis : J’ai maintenant envie de me lancer dans de nouvelles lectures de cet auteur, comme 37,2° le matin. Toutefois, peut-être est-ce surtout l’univers américain qu’il m’a semblé retrouver dans ce roman qui m’a captivée. Il n’empêche que le style de Djian est efficace, incisif et percutant. On ne s’ennuie pas !
   Circonstances de lecture : Lisez ce roman quand il sortira en livre de poche, ou bien en bibliothèque (car pour le moment il n'est pas donné!). Personnellement, c’est par une heureuse coïncidence que j’ai pu le lire. Il est le produit d’un des plus géniaux trocs de ma vie : je l’ai échangé contre Ask the Dust de John Fante. Je ne regrette pas mon choix, surtout que cela a permis à une personne de mon entourage de le lire, et de partager ensuite nos impressions. Je l'ai lu d'une traite, presque sans m'arrêter, dans mon lit puis dans le train.
   Ce troc a également permis à une nouvelle passion de voir la jour, en éclairant la nuit d'une amie. Je parlerai d'Arturo Bandini et de sa poussière plus tard...!

   L'ultime faille : Comme souvent dans les romans de Djian, il y a des blancs, des mystères, des failles - et d'autant plus ici. Certaines choses sont donc laissées à notre libre interprétation. J’attends les commentaires de futurs lecteurs pour lancer le débat, mais je pose tout de même dès à présent la question centrale :
pour vous, Marc est-il fou ?

Mardi 1er juin 2010 à 15:45

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/372livre.jpg37,2° le matin, Philippe Djian

   Le héros de ce roman est anonyme, non-caractérisé, ses origines nous sont inconnues et pourtant, au fil de la lecture, il semble qu’on le connaisse. On s’attache à ce personnage en quête d’identité, qui exerce de multiples métiers, dont la véritable vocation est l’écriture et son meilleur job, l’amour. Le roman est bien ici une tranche de vie, celle de ce héros qui dit « je » avec celle qu’il aime plus que tout, Betty. Leur vie commune va durer un peu plus d’un an, période de galères, de changement de lieux, de métiers, le tout dans l’attente fébrile d’un évènement qui n’arrive pas, ou trop tard.
Pour une fois, je voulais bien reconnaître que Betty avait raison. Ça faisait du bien de changer un peu d’endroit. Sauf que pour ma part, je voyais plutôt le bon côté de la chose dans le fait qu’on laissait derrière nous un petit paquet d’amertume, même si c’était seulement pour un jour ou deux…
   Lui ferait n’importe quoi pour elle, qui court après quelque chose qui n’existe pas. Lui se contente du monde qui l’entoure, et s’il cherche à améliorer son existence, à se fixer des buts dans la vie, c’est uniquement pour elle.  Avec elle, pour elle, il irait décrocher la lune.
On a remonté la rue silencieusement. Il arrive un moment où le silence, entre deux personnes, peut avoir la pureté d’un diamant et c’était le cas. […] C’était le genre de balades qui pouvait remplir une vie, qui réduisait n’importe laquelle de vos ambitions à néant. Une balade électrique, je dirais, et capable de pousser un homme à avouer qu’il aime sa vie. Mais moi, j’avais pas besoin qu’on me pousse. Je marchais le nez en avant, je tenais la grande forme. J’ai même aperçu une étoile filante mais j’ai été incapable de faire un vœu, ou alors si, bon sang, oh si Seigneur, faites que le paradis soit à la hauteur et que ça ressemble un peu à ça.
   Cela ne l’empêche pas de porter de temps en temps un regard acéré sur le monde et la société, et l’on retrouve la lucidité de l’écrivain dans ce personnage qui peut parfois sembler bien terre à terre.
J’ai baissé les yeux et je me suis concentré sur ma pêche Melba parce que dans ce monde, la folie est pratiquement générale, il se passe pas une seule journée sans que la misère de l’humanité s’étale sous vos yeux et il ne faut pas forcément grand-chose, il suffit d’un détail ou qu’un type croise ton regard chez l’épicier du coin ou que tu prennes ta voiture ou que tu prennes un journal ou que tu fermes les yeux un après-midi en écoutant les bruits de la rue ou que tu tombes sur un paquet de chewing-gum avec ONZE tablettes dedans, en vérité il suffit d’un rien pour que le monde t’envoie un sourire grimaçant.
   Il y a pas mal de sexe dans ce roman, dans le film aussi paraît-il (il faudra que je le regarde), mais surtout beaucoup de respect, d’amour, et une volonté de vivre aussi bien qu’on le peut dans ce monde pourri. La fin du roman est étonnante, émouvante, le personnage de Betty est complexe, étrange ; comme souvent dans les romans de Djian quelque chose nous échappe, des éléments nous sont donnés tout au long du livre, on ne sait trop que penser, puis à la fin la vérité est dévoilée mais encore une fois en filigrane ; tout est dans l’équilibre du mystère et de la demi-mesure.
  Mon avis :  J’ai réellement beaucoup aimé ce livre. Je me suis énormément attachée au héros, dont on connait la plupart des pensées. Il est écrivain mais apparaît surtout comme un homme qui tente de sublimer sa vie avec les moyens du bord, mais sans se fixer de vrais buts. Il trouve toutefois le courage de faire bouger les choses lorsqu’il rencontre Betty. Ce n’est pas un vulgaire roman d’amour, c’est plus que cela. Selon moi, c’est une leçon de vie ; ce roman montre que même lorsque l’on porte un regard désabusé sur le monde, on peut toujours trouver quelque chose qui égaye ces moments où l’orage gronde au loin.
   Le style de ce roman est assez déroutant, l’adverbe de négation « ne » est absent du texte, peut-être pour montrer que rien n’est impossible à qui veut. C’est un style très oralisé, mais auquel on s’habitue vite et qui donne une dynamique à l’ensemble. Je n’ai pas été déçue par ce roman de Philippe Djian, auteur que je découvre avec plaisir. J’apprécie l’univers qu’il crée, et les personnages d’écrivains qu’il met en scène, à la manière des auteurs américains de la postmodernité. 
  Une très bonne surprise malgré le fait que je ne sois pas une adepte des romans contemporains. J'ai été émue par ce livre comme je l'ai rarement été. On peut parfois faire de belles découvertes en dépassant ses préjugés. Je vais d'ailleurs lire d'ici peu un troisième roman de Djian que l'on m'a offert... qui l'eut cru?!

Jeudi 17 juin 2010 à 18:36

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/couvimpardonnables.jpgImpardonnables, Philippe Djian
Je viens fermer le roman, et j’ai le sentiment de rester sur ma faim. Est-ce le sentiment que Djian cherche à susciter chez le lecteur ? Probablement. Puisque dans ce roman, rien n’est jamais explicitement dit, tout n’est qu’évoqué, les évènements sont à déduire d’un mot, d’une phrase prononcée par le narrateur, Francis, un écrivain à succès auquel la vie ne sourit pas. Il a vu périr sa femme et l’ainée de ses deux filles dans un incendie, et quelques années plus tard, lorsque cette histoire commence, il doit faire face à la disparition de sa fille désormais unique, Alice. Devenue actrice, elle enchaîne les films et les excès en tous genres. Alors qu’il fait face à ce nouveau coup du sort, Francis nous livre ses pensées ; un évènement, une personne, un objet, font jaillir à sa mémoire des souvenirs, qui, on s’en rend compte, ne remontent pas à plus loin que le jour de l’accident.
Ce roman est comme un prisme, ou un réseau de bobines, dont les faces sont dévoilées sans suivre aucun ordre. Ni chronologique, ni thématique, rien, tout nous est donné comme ça, entre deux étoiles, celles qui séparent les paragraphes en autant de bribes, de lambeaux de vie. Les paragraphes s’enchaînent en suivant vaguement la ligne du temps depuis la disparition d’Alice jusqu’à la scène de fusillade…
La vie de cet écrivain qui survit grâce à des nouvelles publiées dans des magazines est un voile déchiré, en lambeaux, dont les fils pendants sont parfois déroulés pour nous révéler une bribe de l’histoire de cet homme sans cesse heurté par la vie. Un canevas complexe prend forme sous nos yeux, dont la résolution semble ne pas vraiment exister ; on ne comprend pas tout, tout est complexe, injuste, incompréhensible, à l’image de la vie. Pourquoi est-ce qu’Alice a disparu pendant deux mois sans donner de nouvelles, laissant place à tous les scénarios possibles, et est réapparue tout à coup, là où on l’attendait ? Pourquoi est-ce que Anne-Marguerite a succombé à son cancer ? Pourquoi est-ce que Judith, la seconde femme de Francis, celle grâce à laquelle il est revenu au monde, le trompe-t-elle avec Jérémie, le fils de A-M, ce gamin fou qui ne passe son temps à se battre, ne donne pas de nom à ses chiens et pleure comme un enfant à la mort du premier qu’il a adopté ? Judith qu’on ne voit jamais, qui fuit la compagnie de Francis après une dizaine d’années de vie commune, de vie manquée, ils se sont mariés trop rapidement, sur un coup de tête, ou plutôt dans un acte de survie.
Impardonnables… Tous sont impardonnables : Alice qui a disparu, Judith qui l’a trompé, Roger qui lui a menti, Jérémie, ce fils de substitution que je soupçonne d’être véritablement le fils de Francis, même A-M, Johanna et sa fille, emportées trop tôt, trop mal, trop injustement. Mais la vie c’est cela. Des coups durs, des choses inexplicables. On ne peut pardonner au destin de faire son office. Tout ce qui fait aussi mal est impardonnable… Impardonnables, ce titre au pluriel qui démultiplie les sujets de rancune, laisse présager que le pardon n’a aucune place dans ce roman. Et pourtant, avant la fin, il semble que Francis s’achemine vers le pardon, mais envers une seule personne… « Pourquoi elle ? » comme demande Alice. J’attendis qu’elle relève la tête, quelle me regarde dans les yeux, mais elle demeurait immobile. « Pour mille et une raisons, Alice », lui répondis-je.
Comment continuer à vivre quand il semble que tout soit perdu ? Seule l’écriture semble pouvoir empêcher Francis de sombrer. Lui qui n’arrivait presque plus à enchaîner deux phrases après l’accident, se sent soulevé par le désir d’écrire un roman. La littérature lui sauvera-t-elle la vie ?
N’y avais-je pas déjà un pied dans l’au-delà ? J’y pensais souvent depuis que nous nous étions séparés, Judith et moi – et l’extrême mauvaise humeur d’Alice, qui en soit n’avait guère d’importance, ajoutait encore à mon dépit. Des quatre femmes qui avaient donné un sens à mon existence, deux étaient mortes, une m’avait quitté, et la dernière refusait de m’adresser la parole.
Je remerciais le ciel de m’avoir donné la littérature. Je remerciais la littérature de m’avoir donné un travail, d’avoir subvenu aux besoins de ma famille, de m’avoir fait connaître les frissons du succès, de m’avoir châtié, de m’avoir grandi, et je ma remerciai aujourd’hui pour la main qu’elle me tendait encore, mais serait-ce suffisant désormais ? La littérature allait-elle tenir son rôle encore longtemps, pour ce qui me concernait ? Maintenant que j’étais seul, maintenant que la poussière retombait.
 
Francis est désemparé, même si dans toute cette histoire, on sent qu’il a des choses à se reprocher. Il est loin d’être parfait, il fait parfois les mauvais choix, n’agit pas toujours comme il faudrait, tout en tentant de de surmonter la douleur comme il peut. Je l’ai perçu comme un héros blessé mais s’efforçant de se relever, de parer les coups, plein d'autodérision qu'il est, mais qui ne peut empêcher son sang de couler et ses blessures de se rouvrir. Ce roman pose la question de l’amour, du deuil, de la souffrance et du pardon. Il interroge également la figure du père, de l’homme et de l’amant. Comment être père, amant et homme tout en souffrant ? Des sujets difficiles, mais que la construction hachée de Djian permet de rendre sans tomber dans le pathos ni l’édifiant.
Avec un roman pareil, le lecteur devient une sorte de détective, à l’affût de la moindre phrase pouvant être une piste, du moindre pronom ou adjectif pouvant constituer un indice dans cette quête de reconstruction, de compréhension. Encore un roman à l’image de son héros, déstructuré, déstabilisé, en équilibre précaire sans un monde où le pardon est impossible.
Ce que j’aime dans les romans de Djian, c’est ce flou qui demeure, ces questions qui planent, et qui donnent envie de relire le livre, dont le style est pourtant épuré, mais dont on semble ne jamais épuiser le sens. Chaque mot, chaque phrase compte, le lecteur est sans cesse en éveil, il ne faut pas manquer une bribe de cette œuvre qui entretient, jusqu’au bout, le mystère. 

Aujourd'hui, mon avis... : Djian, c'est comme une petite musique grésillante, aux multiples coupures. Mais comme lorsqu'on écoute un morceau qu'on aime à la radio et que ça capte mal, on a l'impression de n'entendre que le meilleur. C'est un peu ce que je ressens à la lecture de ses romans, comme si'il disait l'essentiel, sans s'embarasser. En cela il peu paraître dur, mais au moins il ne s'encombre pas du paraître et nous plonge directement dans ce qui fait la profondeur et parfois la noirceur de l'être.
J'aime vraiment ce style coupé, fissuré et pourtant poétique, où une description en quelques lignes d'un coucher de soleil ou de la lande sous la tempête, cotoie des remarques sur les courses qu'il reste à faire, le chili qui cuit dans la casserole (37,2°!) ou les dernières parties de jambes en l'air sous les draps. Une écriture charnelle, à vif, qui ne laisse pas indifférent!

Lien vers une interview très intéressante de Djian : http://www.telerama.fr/livre/philippe-djian-inventer-une-histoire-est-sans-importance-c-est-la-langue-qui-compte-et-elle-seule,29528.php

Vendredi 2 juillet 2010 à 14:11

Encore un roman de Djian au titre comportant le préfixe "in" (lire "UN" dans le titre de l'article). Après ma lecture d'Incidences, qui m'a fait découvrir cet auteur que j'admire, après Impardonnables par lequel j'ai été conquise, voici Impuretés, deuxième titre à la dimension clairement déceptive.
 
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/impueretes.jpgImpuretés, Djian
 
Impureté, n.f : 1.Etat de ce qui est impur, souillé, altéré, pollué. 2.Ce qui salit, altère quelque chose. 3. Litt.ou vieilli. Acte impur, contraire à la chasteté. 4. Religieux. Souillure attachée à certains actes ou états
... la définition que propose le Petit Larousse Illustré.
 
Toutes les sortes d’impuretés se retrouvent dans le roman de Djian. Le lac à jamais symbole de la mort de Lisa. Les stigmates de la destruction que cet ouragan a provoqué dans la famille d' Evy, chez ses amis, dans son cœur. Les souillures du sexe dans un monde où tout le monde couche avec tout le monde, à tout âge. Tous ces actes indécents, avilissants, dégradants, contraires à la chasteté. Ajoutons à cela la drogue et l’alcool. Et puis la violence. Violence verbale, parfois physique. Les souffrances qu’on inflige à autrui mais également à soi. L’absence de communication entre Evy et ses parents. Ce deuil qui tarde, et est sans cesse alourdit, entaché, comme l’image de Lisa. 

 Seul le style semble échapper à la souillure. L’écriture est pure, magistrale. Les phrases sont incisives, tranchantes, profondes, comme d’habitude. Toutefois, elles sont le reflet du monde dans lequel évoluent ces starlettes de cinéma. Du papier glacé moucheté de taches. La beauté de l’art qui côtoie les excès de la drogue, du sexe et de l’alcool. Tout cela sent le souffre, et tout le monde souffre.  Le style mime la souillure de la plus pure des façons.
Quand il n’était pas question de photos, il s’agissait d’autre chose, de n’importe quoi, de tout ce qui leur passait par la tête et de tout ce qui leur tombait sous la main. Parfois, ils versaient une pelletée de verre dans leur pantalon. Ou ils tombaient des arbres. Ou ils se jetaient d’un pont. Ou ils saccageaient des tombes. Il n’y avait aucun frein à leur imagination, aucune limite.
Les enfants sont les premières victimes des affres de leurs parents. Victimes indirectes, puisque mal aimés, mal éduqués, livrés à eux-mêmes. Les élèves de Brillantmont sont tous à fourrer dans le même sac. Sur cette colline où poussent les maisons de milliardaires, dans ce lycée pour gosses de riches, tout paraît briller, reluire, mais si l’on gratte un peu, on découvre que chacun renferme un drame déchaînant des douleurs d’une puissance inimaginable.
André se demandait comment ce garçon parvenait à garder son équilibre mental dans un environnement pareil. Le fruit ne semblait pas encore gâté, mais une espèce de tempête rugissait autour de lui, qui pouvait le frapper et l’emporter à tout moment si l’on n’y prenait pas garde.
Néanmoins, en dépit de ce marasme vers lequel il est entraîné, malgré toutes ces souillures dont son corps et son esprit sont à jamais marqués, Evy va rêver d’amour. A 14 ans, il a tout vécu, tout, même ce qu’on n’imagine pas ; mais pas encore l’amour. Il rêve d'une relation pure... Mais la pureté, dans ce monde, est-elle encore envisageable?
Un roman très dur, le thème de la déchéance dans le luxe étant traité de manière percutante, poignante. Tout ce qui se passe est presque inimaginable. Du très grand Djian, même si la lecture reste difficile, puisque tout est noir, et tout va de mal en pis. On se demande quand est-ce que les souffrances prendront fin...
Bref résumé  : Evy a 14 ans ; son père et sa mère sont respectivement écrivain et actrice. Lui est un ancien junkie; elle une belle femme prête à tout. La naissance de deux enfants semble les avoir ramenés à la vie. Et puis survient la mort ; la mort de Lisa. Accident, overdose, suicide ou même le pire, meurtre ? Quoi qu’il en soit, la souffrance est là, gigantesque, titanesque et destructrice. Tout sombre à nouveau, tout se délie. La fratrie, la famille, tout s’est dissout; des impuretés dans un lac. Alors qu’ils auraient tellement besoin de cohésion, la souffrance des uns augmente celle des autres, dans une spirale sans fin…
Reprendre pied dans cette vie semblait parfois vraiment la chose la plus stupide à faire.
Du pur Djian. Un roman noir, cynique à souhait, ironique aussi (rien que la couverture...), ce qui peut prêter à rire, du moins sourire... Mais je n'ai pas souri, impossible. A chaque nouveau drame, mes yeux étaient exorbités. Des excès qui peuvent faire sourire, mais pas moi, pas aujourd'hui.
 Des suggestions, des coupures – dans tous les sens du terme-, un texte blessé qui demande la plus grande attention au lecteur, la plus grande acuité. Un narrateur inconnu, qui dit "je", mais n’est pas acteur du drame. Des thèmes chers à l’auteur : le sexe, la folie, la passion (37,2°), l’inceste (Incidences), les blessures de l’enfance. Dur… mais traités avec brio. On est ému, révolté, touché, offusqué. On ne comprend pas pourquoi le sort semble ainsi s’acharner. Très puissant. Une réalité sous les apparences qui fait froid dans le dos, mais des protagonistes dont on a du mal à se séparer. 

Et comme souvent, très souvent chez Djian (et c'est beaucoup pour ça que je l'apprécie tant), l'un des personnages est écrivain. Un écrivain dont la carrière décline et se brise en l'occurence. Pour le plaisir, un extrait d'un passage concernant l'écriture romanesque, qu'on sent autobiographique...
Il y avait tellement de choses à dire sur l’écriture, sur l’attention constante qu’il fallait porter au rythme, à la sonorité des mots, à toute cette cuisine qui se révélait un vrai travail de forçat mais constituait également la source du seul plaisir total qu’on trouvait à écrire. Il y avait tellement de trucs à raconter sur la difficulté à élaborer une simple phrase qui tienne debout et qui soit reconnaissable entre toutes et qui rende compte et qui traduise et qui accompagne et qui creuse et qui respire.

Et Djian parle d'Impuretés...
http://philippedjian.free.fr/critiques/impure/gall.htm

Lundi 2 août 2010 à 23:22

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/zoneero.jpgZone Erogène, Philippe Djian
Je lis peu en ce moment ; je capte les joies des vacances, j’ai beaucoup à faire de ce côté-là, le plaisir de partager des moments d’oisiveté entre amis…
Mais j’ai embarqué ce roman dans le train, et l’ai lu, vite, très vite.
Mon article, je crois, sera lui aussi très rapide. Ce roman des débuts de Djian (tout de même postérieur à 37,2° le matin) se résume en peu de mots. L’histoire est celle d’un écrivain en pleine rédaction de son prochain roman. De ce roman on ne sait rien. Ce qu’on sait, c’est ce que l’écrivain fait quand il n’écrit pas. Et la vie d’un écrivain est bigrement épique ! Bières, femmes, embrouilles. Voilà en quoi cela se résume. C’est presque une autobiographie que nous propose Djian, une tranche de vie d’écrivain. La vie cachée du créateur. Ou comment on vit quand on écrit.
Comme par hasard, cet écrivain, c’est un homme des ennuis et des plaisirs qui s’appelle Philippe Djian.  Les amours de sa vie sont son roman, et les femmes. Ces amours sont jalouses les unes des autres, mais le roman reste une rivale sans pitié. Il y a également Nina, la plus belle de toutes ; mais elle aussi claque la porte, revient, repart. C’est dur de vivre avec un créateur buveur de bière, dont le meilleur ami est homo et se fait taper dessus. Il y a des jeunes, des rencontres fortuites, des bonnes et des moins aguichantes. Il y a la vie, ces moments de joie, d’incompréhensions, ces moments magiques où on ne maîtrise plus rien, où on voit de la poésie dans un grain de sable. Le monde est sans pitié et pourtant Djian nous révèle ce qu’il y a de puissant, d’émouvant, de drôle et de presque extraordinaire dans la vie et les évènements. C’est quand tout s’emballe que c’est bon.
Du sexe, de l’alcool, des excès. Du pur Djian. Une mise en abîme de son écriture, de sa vie ; de l’humour, pas mal d’autodérision. Et puis les thèmes habituels ; on se rend compte à quel point l’œuvre de cet écrivain est quelque chose qu’il a dans les tripes. Un style toujours magique, où l’ordinaire et le grivois côtoient les envolées lyriques et les associations de mots les plus poétiquement osées.
Il ne se passe rien d’exaltant dans ce livre, qui se boit, qui passe bien. Le style, cette recherche permanente de l’écrivain, laisse tout couler doucement, vers la pente finale, quand tout s’accélère. Un roman essentiel pour comprendre la manière d’écrire si particulière de cet auteur.
D’aucuns penseront que ce livre est à la limite du pornographique (rien que le titre est subversif…). Ils n’auraient pas tout à fait tord. Mais il nous plonge dans la vraie vie, la vie moderne ; on est loin de l’image balzacienne de l’écrivain. Djian est un héritier de la Beat-Generation. Ecrire est pour lui un besoin viscéral, un besoin et un plaisir comme les autres, comme manger, dormir et faire l’amour. Un roman émouvant de vérité, un style toujours percutant, admirable (j’ai conscience de drôlement prendre position en disant cela, mais j’aime ce style qui ose tous les mélanges, et qui pourtant ne fait pas de fausses notes.)
Une musique endiablée, une bonne bière qui fait voir les étoiles du ciel comme des lucioles. Un bon moment, mais pas le meilleur de Djian.
Je ne le conseille en aucun cas à ceux qui ne connaissent pas cet auteur, encore moins à ceux qui ont des a priori à son sujet. Ce serait le condamner. Mais pour ceux qui l’aiment, qui apprécient cette écriture qui grince, qui émet un son de vieille radio pourtant réglée sur une station de bonne musique, je le conseille. Djian des débuts, c’est ça. Djian et l’écriture aussi.

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