Le Monde dans les Livres

Lundi 14 juin 2010 à 21:09

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lolstein.jpgLe ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras
Un fiancé ; un bal ; deux femmes. L’une est jeune, belle, innocente ; l’autre est mère. Imaginez la souffrance de la première si le fiancé en question est foudroyé à la vue de la femme mûre…
Terrifiant n’est-ce pas ? C’est pourtant ce qui arrive à Lola Stein. Dans le casino de Town Beach, personne sauf Tatiana ne se rend compte de la tragédie dont est victime la jeune fille, adossée au bar. Elle non plus d’ailleurs… Elle regarde d’un air attendri ce couple qui danse, ce couple qui n’est pas le sien. Pourtant c’est bien Michaël Richardson qui est sur la piste dans les bras de cette femme…
Cet état extatique dure jusqu’à ce que la lumière se rallume, que la réalité surgisse, et avec elle son lot de souffrances. Lol prend conscience de ce qui va devenir le malheur de sa vie, la raison de ses marches sans fin à travers la ville, la source de sa rencontre avec Jacques Hold.
Ce dernier est le narrateur de l’histoire, ou plutôt l’archéologue qui reconstitue la mosaïque de l’histoire de Lol, cette femme pleine de mystère, doucement folle, amoureuse et malheureuse. On ne sait si ce qu’il dit est vrai. Il connaît Lol depuis 15 ans lorsqu’il raconte cette histoire ; il l’aime, et la passion peut faire naître de bien belles chimères. Cependant on le suit, on le croit, et l’on découvre une Lol passionnée, en éveil dans ses champs de seigle, qui ne veut pas qu’on renonce au monde pour elle.
Avec Jacques elle va revenir sur les lieux de son drame, rejouer la scène du bal et peut-être, ainsi, exorciser son mal…
“We’ve known each other so briefly. At first we are astonished. Then we discover our current memory, our current memory, our marvelous, recent memory of this morning, we move into each other’s arms, let me hold her tight, we stay this way, not saying a word, there being nothing to say until, looking toward that section of the beach where the swimmers are and which Lol, because of the position of her head on my shoulder, cannot see, there is some commotion, a crowd gathering around something I cannot see, perhaps a dead dog.”
Ah oui, une dernière chose : pourquoi cet extrait est-il en anglais me direz-vous?! Eh bien voilà encore une des bonnes surprises que réservent les bouquinistes : j’avais entendu parler de ce roman il y a peu, et l’histoire de cette jeune fille qui perd son fiancé à la suite d’un bal – Princesse de Clèves moderne- m’avait intriguée. Je n’avais lu de Duras que l’Amant et le début d’ Un Barrage contre le Pacifique qui m’était tombé des mains je ne sais trop pourquoi –enquête à poursuivre… ! et étais étonnée qu’elle ait écrit une telle histoire. Je ne parvenais pas à le dénicher, et ayant trouvé ce jour là mes chers Mandarins, je suis montée au rayon littérature anglaise histoire d’accompagner une amie et de me faire plaisir aux yeux. Et au bout d’un moment, je suis tombée sur The Ravishing of Lol Stein, by M. Duras. Bien étonnée mais bien contente, je me suis empressée de m’en emparer, et l’ai dévoré…
Encore une bien jolie découverte, grâce au bouquiniste ! Et la lecture en anglais n’enlevait rien au charme de cette histoire ; même, cela lui en conférait un autre insoupçonné. Je pense toutefois que je lirai un autre roman de Duras (lequel me conseilleriez-vous ?) pour ne pas passer à côté de son style.
En résumé, une belle surprise, une belle lecture et un magnifiquement triste et énigmatique roman. Bref, un chef-d’œuvre de mon goût !
L'image de l'édition anglaise est d'ailleurs, selon moi, tout à fait représentative de la jeune fille énigmatiquement floue et insaisissable qu'est Lol....

Samedi 15 janvier 2011 à 22:50

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/ladouleur.jpgLa douleur, Marguerite Duras
Des feuillets dans un cahier ; un journal ; des mots, quelques dates. Elle ne sait trop d’où cela vient, quand est-ce qu’elle a pu l'écrire. Des mots au milieu de la douleur, qui sont passés inaperçus. Des mots qui sans doute, ont permis de continuer à avancer malgré le poids accablant de la douleur.
La douleur
… cette manière qu’a le titre de distinguer cet état de souffrance physique et morale est étonnante, déroutante, écrasante et presque éprouvante (j’allais dire douloureuse…). Le titre nous fait peine, peut-être même peur. On sait que ça va être dur ; qu’un auteur, qu’on suppose être Marguerite Duras, va nous parler de sa douleur. C’eut put être un essai ; ce n’en est pas un. Elle nous dit que c’est un journal ; je ne la crois pas. Pour moi, c’est une autofiction. Elle romance ce qu’elle a vécu, encore une fois. Rien que le titre, généralisant, sent le mentir-vrai, la fausse monnaie, la fiction. Pourtant il y a Robert L. Robert Antelme. Il est allé dans les camps ; il en est revenu. Il a souffert. La douleur physique et morale, là-bas ; mais aussi la douleur physique du rétablissement. Il y a Duras aussi qui a fait de la résistance. Dans ce livre elle se compromet, d’accord ; elle a résisté, c’est vrai. Elle est intervenue dans la vie publique et elle le dit ; elle écrit ce qui d’ordinaire reste de l’ordre de l’intime, du caché. Elle expose sa douleur avec impudeur.
Mais bon sang, de quelle douleur parle-t-elle alors, si ça n’est pas de celle de son mari fait prisonnier ? Elle parle de la douleur de l’attente, l’attente fébrile, l’attente auprès du téléphone, dans les bureaux, auprès des rescapés. L’attente d’une lettre, d’une voix, d’un nom prononcé. Il doit revenir mais elle ne le voit pas, n’en entend pas parler, ne comprend pas. Elle porte cette attente d’un être qu’elle voit mort, parfois, par flashs, cette attente qui l’accable, la vampirise, la laisse au bord de la folie. On se demande quand est-ce qu’elle a pu écrire ce journal. Elle aussi se le demande, dans la préface (ou bien la déclaration d’intention, qui se veut pacte de sincérité, mais l'incertitude, l’oubli hyperbolique sèment le doute, avec force…)
J’ai retrouvé ce journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.
Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit.
Je sais que je l’ai fait, que c’est moi qui l’ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l’endroit, la gare d’Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. […] Ce qui est évident, c’est que ce texte-là, il ne me semble pas pensable de l’avoir écrit pendant l’attente de Robert L.
Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m’épouvante quand je la relis. […] La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot « écrit » ne conviendrait pas. […] Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte.
 
Duras, dans ces pages, nous raconte les jours de la libération, quand les corps épuisés, vides et flottants sont ramenés dans la capitale. Cette douleur qu’elle lit sur les visages, elle la ressent aussi au fond d’elle-même. La douleur de l'attente mais aussi de la honte; la honte d'attendre un opposant politique. Peut-être qu’en décrivant sa douleur elle parle de celle des autres. En rendant compte de son histoire personnelle, sans toutefois s’appesantir –d’ailleurs, de cette douleur, elle en parle peu, très peu ; elle se laisse deviner, insidieuse, entre les mots, dans les blancs pourquoi pas, quand elle empêche d’écrire… bref en racontant l’attente, en rapportant les évènements, les menus faits, de cette écriture lapidaire qui dissèque, précise, laissant mots et phrases à vif, derrière lesquels tremblent la douleur, elle nous dit quelque chose de l’être humain. Derrière cette vérité prétendue, par la préface, par la précision des lieux et des dates, Duras veut peut-être nous faire croire à la Vérité. Cependant on sait qu’avec elle, et surtout en littérature, la vérité est impossible, surtout quand on parle de soi. Elle retrouve ici des traces laissées en elle par le passé, que le temps, sa mémoire, l’imaginaire et les mots ont transformé. Et de ces multiples éléments, véridiques ou mensongers, peu importe, émerge alors une vérité qui dépasse la description d’une histoire individuelle pour atteindre à l’universel.
Pour elle, l’histoire de nos vies, l’histoire de sa vie, n’existe pas. Le roman de sa vie, de nos vies, existe, oui, mais pas l’histoire. C’est dans la reprise des temps par l’imaginaire que le souffle est rendu à la vie.
On peut la croire quand elle dit qu’elle a retrouvé ces lignes, qu’elle n’y a pas touché, que la littérature n’y a rien ajouté; mais on peut aussi, je pense, ne pas la croire. Moi je ne la crois pas. D’autant qu’écrire, rien qu’écrire, ce comme elle le dit, a postériori et pas sur le vif, c’est transformer. Par l’imaginaire, le souvenir, le mensonge et le style. Des mots justes qui, je pense, s’approchent de la vérité sans jamais l’atteindre.
Et puis finalement, quelle importance ? Que l’histoire coïncide avec les données objectives, que l’on puisse accoler le passé historique et son fac-simile, quelle importance ? Qu’est ce qui importe vraiment, sinon les sensations, les émotions, les sentiments qui saturent le livre, qui le saturent autant que les corps qui reviennent sont vides de vie ? On s’en fiche que ce soit vrai ou pas ; ce qui compte, c’est le livre, ses mots et les images, souvent terribles, qu’il nous laisse. Terrible mais aussi follement émouvantes, flirtant avec l’espoir et l’abandon.
Un très beau témoignage, roman, épanchement, ce que vous voulez… Surtout la première partie ; celle qui raconte l’attente. La seconde lui est antérieure, chronologiquement. Encore un détour qui met la puce à l’oreille… Ou pas… De toute façon…
 J'ai oublié de dire que ce texte contient la description quasie organique du retour à la vie d'un déporté. Un témoignage(on pourrait encore discuter ce terme!) étonnant, rare et poignant.

Vendredi 20 mai 2011 à 13:57

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/moderatocantabile.jpg
 Moderato cantabile, Marguerite Duras

Modéré et chantant. Le petit garçon joue sa sonatine au piano, doucement. Il est récalcitrant mais il joue. Sa mère, Anne Debaresdes, l’écoute en souriant. La professeur n’est pas contente, elle râle, elle pousse, elle dispute l’enfant dont la mère sourit, heureuse. Cet enfant, c’est son trésor. Et tout à coup, alors qu'il ne peut répondre quand on lui demande ce que signifie moderato cantabile, un cri retentit dans la nuit.

Dans le café en bas de l’immeuble, une femme vient d’être tuée ; crime passionnel. Son mari se couche à ses côtés, geint, fini enfermé. Puis on n’entend plus rien. Anne, elle, a été émue par cet évènement insolite. Chaque jour, pendant une semaine, elle revient dans ce café où tout s’est déroulé. Sans relâche elle interroge un homme, un homme qu’elle séduit sans le vouloir, un homme qu’elle désire probablement sans le dire, autant qu’elle désire ce vin qu’elle boit, sans cesse, verre après verre, dans une gorgée presque éternelle. Son enfant chaque fois l’accompagne, il joue dehors pendant qu’elle boit dedans, mais elle n’est pas alcoolique, non, elle est simplement passionnée, passionnée de l’amour et de la passion même.

Avec l’homme du café elle aimerait connaître cet amour pour lequel on meurt, cet amour qui a conduit l’homme à tuer sa femme, on ne sait trop pourquoi. Mais tout s’arrête subitement, et on ne sait rien.

Une tranche de vie, réglée par la mort. C’est du Duras. Déroutant, pesant, mais épatant. Le style est sublime, pas un mot de trop, chaque virgule à sa place, des associations presque poétiques parfois, c’est beau et pesant comme un velours, c’est doux et brillant aussi, c’est sublime.

Un très court roman qui charme, modéré et chantant, un peu grave pourtant. L'amour est impossible alors Anne, nouvelle Emma, sorte de Léopold Blum de cette ville portuaire dans laquelle se déroule l'action, se promène ,boit du vin, reçoit et vit. Sensible et triste, heureuse et enivrée. 

 

<< ...Livres précédents | 1 | Encore d'autres livres... >>

Créer un podcast