Le Monde dans les Livres

Dimanche 6 juin 2010 à 21:34

David Lodge, ou la plume acérée                                                  
   Je viens de terminer un de ses romans, et il me semble qu’ainsi la bonne occasion se présente pour parler des œuvres de cet auteur britannique que j’apprécie particulèrement.
   Le roman dont je viens de tourner la dernière page a pour titre Jeux de Maux. A lui tout seul, il est un indice du genre de roman que peut écrire David Lodge : de l’humour, de la satire, et des jeux de mots. Il s’agit bien ici d’une étude de mœurs, dans laquelle l’auteur, comme à son habitude, observe, traque, expose, fustige et raille de façon subtile la société britannique.
   http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lodge.jpgLa première scène du roman a lieu dans une église, en 1950, autour d’un groupe de jeunes étudiants  catholiques venus gagner leur ciel en se rendant à la messe matinale quotidienne. Des garçons, des filles, tous préoccupés par deux choses : leur salut, et le sexe. Nous allons suivre le parcours de ces jeunes gens pendant 25 ans, leurs rencontres, comment ils ont perdu leur virginité, leurs mariages, leurs problèmes, leurs séparations parfois, et leurs obsessions intimes. La manière qu’ils ont d’appréhender les relations conjugales va évoluer, et avec elle la vision qu’en a l’Eglise. En plus d’une étude de mœurs, David Lodge nous dresse une intéressante fresque des rapports entre Eglise, sexe et contraception, entre 1950 et 1975.
   C’est un roman sans langue de bois, dans la pure lignée post-moderniste – l’auteur s’adresse directement au lecteur, qui a conscience d’être dans une fiction-, une gageure pour une œuvre dont le thème est justement l’un des plus grands tabous de l’Eglise. Je le recommande à ceux que ces questions intéressent, mais également à tous ceux qui veulent passer un bon moment.
   Tous les romans de David Lodge – et bien que n’en ayant lu que peu, je ne pense pas exagérer !- ont cette pointe d’humour sarcastique qui rend leur lecture si divertissante. On s’empresse de tourner les pages, et l’on ne s’ennuie pas un seul instant. Le regard qu’il porte sur la société du XXème siècle est tranchant, il incise directement, dans le vif, et l’euphémisme lui est inconnu. Il dénonce sans ambages les vices des hommes modernes, et surtout des intellectuels. En effet, un certain nombre de romans de Lodge ont pour théâtre le milieu universitaire – un de mes espaces littéraires favoris, je ne saurais le répéter ! En couplant réalisme et modernisme expérimental, cet auteur, qui est lui-même professeur de littérature, nous dresse un portrait au vitriol des milieux intellectuels et universitaires. Il s’illustre de cette manière dans un genre appelé « campus novel ».
   Ainsi, Un Tout Petit Monde est une œuvre dans laquelle se croisent et se recroisent un certain nombre de professeur(e)s, dans des colloques, des conférences et des universités. Souvent, la premier contact se fait dans l’avion (pour les chanceux), ou dans une salle de coktail (pour les studieux), lors d’un débat (pour les verbeux), et si les choses se passent bien - ce qui est souvent le cas entre représentants de la gente intellectuelle londonienne ou new-yorkaise !-  les confrères finissent amis, et les consœurs…dans leur lit ! Si j’use de l’aposiopèse, ce n’est jamais le cas de Lodge, qui ne se prive pas de tenir son lecteur au courant des divers types de relations qui se nouent entre les protagonistes. Humour, fraîcheur, aventures diverses, tout est réuni pour que nous faire passer un bon moment.
   En bref, les romans de Lodge sont un bon moyen de tromper l’ennui, de sourire, et de voir que non, décidément, ceux qui paraissent les plus sérieux et les plus respectueux de la morale ne sont pas ceux qu’on croit !
   Je vous conseille également Pensées Secrètes, l’un des romans les mieux ficelé de cet auteur intarissable, qui mêle amour, physique quantique, étude du cerveau et intimité. Prochainement je parlerai de Changement de décor, que j’ai acheté chez le bouquiniste en même temps que Jeux de Maux, un matin de fringale.

Jeudi 10 juin 2010 à 21:39

   Un blog est avant tout un lieu de partage; j'ai donc trouvé sympathique l'idée de pousser le concept jusqu'au bout, en publiant ici un article qu'une de mes amies a écrit suite à une de ses lectures, et qu'elle m'a proposé de poster. 

Comme dirai Rimbaud, "je est un autre" mais ceci n'est pas de moi!

 Cela ne fera qu'enrichir ce blog, faire découvrir des auteurs et leurs romans, tout en partageant l'espace d'expression avec d'autres amoureux des livres.
Maintenant trêve de blabla, et bonne lecture!



 Victoria et les Staveney

D. Lessing.

   Une mûre parmi des framboises, la couverture dit déjà tout de l’œuvre. Victoria est cette petite fille noire de la banlieue de Londres à qui la chance ne sourit pas : sans père, une mère gravement malade qui décède au bout de quelques années, années durant lesquelles Victoria joua l’infirmière. Lieu commun, topos de la littérature me direz-vous ? Certes, mais c’est en renouvelant ces derniers que la littérature avance. Le décès maternel ne survient pas dès le début, mais l’incipit doit son lancement à un séjour hospitalier de la mère. Victoria, petite fille noire, attend dans la cour que l’on vienne la chercher. On l’a oubliée ? Oui, mais aussi, sombre soir d’hiver, on ne l’a pas vue, seul le petit garçon qui pleurait dans la cour a été sauvé de l’abandon. Elle est « la petite fille invisible », pour paraphraser H.G. Wells. Puis Edward Staveney, tout penaud, revient la chercher. Victoria est emmenée dans une grande maison pleine de couleurs, de lumière et de chaleur, une maison qui ne se limite pas à la cuisine et qui contraste tant avec l’appartement minuscule dans lequel elle vit avec sa mère. Toute sa vie, elle gardera un souvenir ému et prégnant de cette unique nuit dans la chambre de Thomas Staveney (le petit garçon qui pleurait), du temps passé dans les bras d’Edward qui la réconfortait. Toute sa vie, elle rêvera d’avoir « une chambre à soi », chose d’autant plus difficile qu’à la mort de sa mère, Victoria doit aller vivre chez Bessie et sa famille. Plus tard, cette fille brillante et remarquablement bien faite de sa personne recroise Thomas, devient sa petite copine estivale – lui qui est attiré par les jeunes filles noires et le zouk – et tombe en ceinte de Mary. La grossesse n’est pas révélée ; ce n’est que six ans plus tard que Thomas apprend sa paternité. Enfin une petite fille, elle est ravissante, si chou ! Tout le monde l’adopte et les Staveney lui offrent la vie dont Victoria avait toujours rêvée, mais Dickson, son frère né d’un autre père et enfant terrible, est laissé pour compte. Finalement, Mary achève ce que Victoria avait commencé.

    Her advice  : Victoria et les Staveney n’est bien sûr pas LE grand roman du siècle, mais il a tout pour plaire. Bien des grands thèmes sont présents, sans pour autant qu’ils ne soient exposés en de simples stéréotypes. Les différences sociales entre familles blanches et familles noires, la difficulté de s’en sortir dans la société lorsqu’on n’a pas accès aux meilleures écoles, la désillusion au moment où l’on revoit quelques années après ce qui nous avait tant émerveillé durant notre enfance, la difficile conciliation de deux mondes si opposés et la recherche d’une identité, l’absence du père, l’enfance insouciante et l’enfance sacrifiée... Mais surtout, tout le roman tend vers la réunion de deux univers réellement inconciliables. Victoria et Mary sont deux électrons libres ballotés entre deux pôles – ce vers quoi elles aspirent et la réalité sociale –, entre une famille américaine blanche de la classe moyenne, non raciste et assez aisée pour envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles, et son symétrique : la famille noire, engluée dans son « social background » et dont toutes les chances des enfants, aussi intelligents soient-ils, sont annihilées par l’impossibilité d’accéder à une école autre que celle du quartier où la criminalité ne cesse de faire des ravages. La vision est réaliste, pessimiste même : une union de ces deux familles est impossible, seuls des ponts (incarnés par Victoria et Mary) peuvent être établis. Tout un jeu de couleurs se déploie alors au fil du roman : noire Victoria, blanche la famille Staveney, caramel Mary, mais noir chocolat Dickson (le second enfant de Victoria dont les Staveney ne veulent pas entendre parler). Blessée du rejet de Dickson, Victoria est aussi prise dans un paradoxe : elle sait que les Staveney sont la meilleure chose qui puisse arriver à Mary, mais il faut prendre garde à ne pas tomber dans l’excès inverse, prendre garde à ce qu’ils ne lui prennent pas sa fille. Une solution est trouvée à la toute fin ; à vous de lire…


Lundi 14 juin 2010 à 0:23

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/CHANGE1.jpgChangement de décor, David Lodge
Deux avions se croisent dans le ciel, avec chacun à leur bord un professeur de littérature. L’un est anglais, l’autre américain ; ils s’apprêtent à échanger leur vie l’espace d’un semestre.
Dans le premier avion, il y a Philip Swallow (l’Hirondelle, pas le moineau). Aucune publication à son actif, pas même un doctorat, mais n’a pas son pareil quand il s’agit de concocter un sujet d’examen. Il vient de Rummidge, dans les Midlands, cette université inventée par Lodge, théâtre de nombre de ses romans. Père de famille un peu désabusé, piètre amant, professeur médiocre, ce séjour aux Etats-Unis, il l’espère, va être l’occasion de renouer avec les excès et les aventures débridées de sa jeunesse…
Morris Zapp, c’est l’éminent professeur américain d’Euphoric State, spécialiste de Jane Austen, en instance de divorce et réputé pour son franc-parler. Mais dès le début du voyage, les choses basculent quand il se rend compte qu’il est à bord d’un avion rempli de femmes venues se faire avorter en Angleterre…
Il peut s’en passer des choses en un semestre, surtout lorsqu’on est nouveau dans une Université où les étudiants ont le sang chaud. Morris et Philipp en font l’expérience, sous la plume brillante d’un David Lodge qui inaugure avec ce roman sa série de chroniques de la vie universitaire, rehaussée de cette fameuse pointe d’humour ravageur.  L’on suit les aventures de nos deux protagonistes, dans un roman dans le pur style post-moderniste : le premier chapitre est une narration presque ordinaire, scintillant de clins-d’œil, la seconde une série de lettre des femmes à leur conjoint respectif – hé oui, il faut bien parler des problèmes de machine à laver défaillante et des séjours en prison… !-, la suivante est constituée d’une série d’articles de presse relatant les rebondissements des émeutes étudiantes, et la dernière, en forme de pièce de théâtre, met en scène les deux couples qui, comme par hasard, se croisent en avion et parlent de dénouement. La boucle est bouclée pourrait-on dire, et le lecteur a pleinement conscience de lire une œuvre de fiction. Ces points de vue variés et originaux permettent de dérouler les divers évènements de l’intrigue sans lasser le lecteur, et de centrer la narration sur les aventures en terre étrangère de nos deux profs.
Mon avis : Bref, un sympathique roman de Lodge, un jeu de miroir assez plaisant mais dont les derniers rebondissements sont attendus. Toutefois, le jeu avec les conventions littéraires et les focalisations ne manque pas d’intérêt et d’originalité. Un bon moment de lecture et de détente.

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