Le Monde dans les Livres

Vendredi 2 juillet 2010 à 14:11

Encore un roman de Djian au titre comportant le préfixe "in" (lire "UN" dans le titre de l'article). Après ma lecture d'Incidences, qui m'a fait découvrir cet auteur que j'admire, après Impardonnables par lequel j'ai été conquise, voici Impuretés, deuxième titre à la dimension clairement déceptive.
 
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/impueretes.jpgImpuretés, Djian
 
Impureté, n.f : 1.Etat de ce qui est impur, souillé, altéré, pollué. 2.Ce qui salit, altère quelque chose. 3. Litt.ou vieilli. Acte impur, contraire à la chasteté. 4. Religieux. Souillure attachée à certains actes ou états
... la définition que propose le Petit Larousse Illustré.
 
Toutes les sortes d’impuretés se retrouvent dans le roman de Djian. Le lac à jamais symbole de la mort de Lisa. Les stigmates de la destruction que cet ouragan a provoqué dans la famille d' Evy, chez ses amis, dans son cœur. Les souillures du sexe dans un monde où tout le monde couche avec tout le monde, à tout âge. Tous ces actes indécents, avilissants, dégradants, contraires à la chasteté. Ajoutons à cela la drogue et l’alcool. Et puis la violence. Violence verbale, parfois physique. Les souffrances qu’on inflige à autrui mais également à soi. L’absence de communication entre Evy et ses parents. Ce deuil qui tarde, et est sans cesse alourdit, entaché, comme l’image de Lisa. 

 Seul le style semble échapper à la souillure. L’écriture est pure, magistrale. Les phrases sont incisives, tranchantes, profondes, comme d’habitude. Toutefois, elles sont le reflet du monde dans lequel évoluent ces starlettes de cinéma. Du papier glacé moucheté de taches. La beauté de l’art qui côtoie les excès de la drogue, du sexe et de l’alcool. Tout cela sent le souffre, et tout le monde souffre.  Le style mime la souillure de la plus pure des façons.
Quand il n’était pas question de photos, il s’agissait d’autre chose, de n’importe quoi, de tout ce qui leur passait par la tête et de tout ce qui leur tombait sous la main. Parfois, ils versaient une pelletée de verre dans leur pantalon. Ou ils tombaient des arbres. Ou ils se jetaient d’un pont. Ou ils saccageaient des tombes. Il n’y avait aucun frein à leur imagination, aucune limite.
Les enfants sont les premières victimes des affres de leurs parents. Victimes indirectes, puisque mal aimés, mal éduqués, livrés à eux-mêmes. Les élèves de Brillantmont sont tous à fourrer dans le même sac. Sur cette colline où poussent les maisons de milliardaires, dans ce lycée pour gosses de riches, tout paraît briller, reluire, mais si l’on gratte un peu, on découvre que chacun renferme un drame déchaînant des douleurs d’une puissance inimaginable.
André se demandait comment ce garçon parvenait à garder son équilibre mental dans un environnement pareil. Le fruit ne semblait pas encore gâté, mais une espèce de tempête rugissait autour de lui, qui pouvait le frapper et l’emporter à tout moment si l’on n’y prenait pas garde.
Néanmoins, en dépit de ce marasme vers lequel il est entraîné, malgré toutes ces souillures dont son corps et son esprit sont à jamais marqués, Evy va rêver d’amour. A 14 ans, il a tout vécu, tout, même ce qu’on n’imagine pas ; mais pas encore l’amour. Il rêve d'une relation pure... Mais la pureté, dans ce monde, est-elle encore envisageable?
Un roman très dur, le thème de la déchéance dans le luxe étant traité de manière percutante, poignante. Tout ce qui se passe est presque inimaginable. Du très grand Djian, même si la lecture reste difficile, puisque tout est noir, et tout va de mal en pis. On se demande quand est-ce que les souffrances prendront fin...
Bref résumé  : Evy a 14 ans ; son père et sa mère sont respectivement écrivain et actrice. Lui est un ancien junkie; elle une belle femme prête à tout. La naissance de deux enfants semble les avoir ramenés à la vie. Et puis survient la mort ; la mort de Lisa. Accident, overdose, suicide ou même le pire, meurtre ? Quoi qu’il en soit, la souffrance est là, gigantesque, titanesque et destructrice. Tout sombre à nouveau, tout se délie. La fratrie, la famille, tout s’est dissout; des impuretés dans un lac. Alors qu’ils auraient tellement besoin de cohésion, la souffrance des uns augmente celle des autres, dans une spirale sans fin…
Reprendre pied dans cette vie semblait parfois vraiment la chose la plus stupide à faire.
Du pur Djian. Un roman noir, cynique à souhait, ironique aussi (rien que la couverture...), ce qui peut prêter à rire, du moins sourire... Mais je n'ai pas souri, impossible. A chaque nouveau drame, mes yeux étaient exorbités. Des excès qui peuvent faire sourire, mais pas moi, pas aujourd'hui.
 Des suggestions, des coupures – dans tous les sens du terme-, un texte blessé qui demande la plus grande attention au lecteur, la plus grande acuité. Un narrateur inconnu, qui dit "je", mais n’est pas acteur du drame. Des thèmes chers à l’auteur : le sexe, la folie, la passion (37,2°), l’inceste (Incidences), les blessures de l’enfance. Dur… mais traités avec brio. On est ému, révolté, touché, offusqué. On ne comprend pas pourquoi le sort semble ainsi s’acharner. Très puissant. Une réalité sous les apparences qui fait froid dans le dos, mais des protagonistes dont on a du mal à se séparer. 

Et comme souvent, très souvent chez Djian (et c'est beaucoup pour ça que je l'apprécie tant), l'un des personnages est écrivain. Un écrivain dont la carrière décline et se brise en l'occurence. Pour le plaisir, un extrait d'un passage concernant l'écriture romanesque, qu'on sent autobiographique...
Il y avait tellement de choses à dire sur l’écriture, sur l’attention constante qu’il fallait porter au rythme, à la sonorité des mots, à toute cette cuisine qui se révélait un vrai travail de forçat mais constituait également la source du seul plaisir total qu’on trouvait à écrire. Il y avait tellement de trucs à raconter sur la difficulté à élaborer une simple phrase qui tienne debout et qui soit reconnaissable entre toutes et qui rende compte et qui traduise et qui accompagne et qui creuse et qui respire.

Et Djian parle d'Impuretés...
http://philippedjian.free.fr/critiques/impure/gall.htm

Jeudi 8 juillet 2010 à 22:47

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/kundera.jpgL’insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera
Quatre personnages, deux hommes, deux femmes, des destins croisés, des rencontres, des passions, des ruptures. Tomas aime Tereza, mais aime aussi Sabina et d’autres femmes. Franz est marié mais aime Sabina. Tomas est un libertin ; Tereza est la grandeur d’âme incarnée. Sabina est une artiste qui s’efforce de dévoiler le réel qui se cache derrière l’artificialité du kitsch. Le monde n’est pas beau, et pourtant tout, dans les pays envahis par les Russes, semble agréable. Mais c’est la beauté qui dissimule la merde ; le kitsch est l’idéal esthétique de tous les hommes politiques, de tous les mouvements politiques.
Des thèmes, des diptyques : la légèreté et la pesanteur , la force et la faiblesse, l’irréel et le réel, le mensonge et la vérité, … Toutes ces notes reportées sur la partition de l’œuvre, ces multiples variations autour des mêmes thèmes, ces personnages porteurs d’une musique personnelle.
Les vies humaines sont composées comme une partition musicale. L’homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l’évènement fortuit en un motif qui va ensuite s’inscrire dans la partition de sa vie.
Les vies et leur musique se mêlent, et forment une œuvre où se côtoient romanesque et réflexion,  dans une rencontre des contraires et des hasards qui font la beauté de la vie humaine.
Pour qu’un amour soit inoubliable, il faut que les hasards s’y rejoignent dès le premier instant, comme les oiseaux sur les épaules de Saint-François d’Assise. 
La question initiale du roman, fil rouge de l’ensemble, est de savoir si la vie est cyclique ou linéaire. Si le concept de l’Eternel Retour de Nietzsche est mythe ou réalité. Si les motifs des partitions de nos vies sont leitmotive ou thèmes solitaires. Si, par conséquent, chaque instant de notre vie est un moment éphémère, ou bien chaque choix un fardeau que l’on crée pour toujours.
Le drame d’une vie peut toujours être exprimé par la métaphore de la pesanteur. On dit qu’un fardeau nous est tombé sur les épaules. On porte ce fardeau, on le supporte ou on ne le supporte pas, on lutte avec lui, on perd ou on gagne. Mais au juste, qu’était-il arrivé à Sabina ? Rien. Elle avait quitté un homme parce qu’elle voulait le quitter. L’avait-il poursuivie après cela ? Avait-il cherché à se venger ? Non. Son drame n’était pas le drame de la pesanteur, mais de la légèreté. Ce qui s’était abattu sur elle, ce n’était pas un fardeau, mais l’insoutenable légèreté de l’être.
Roman, essai, réflexion sur l’écriture ; poétique, musicale, fictionnelle, méta-discursive. Cette œuvre est tout à la fois.
Roman d’amour avant tout. Celui de Tomas, Tereza, et de leur chien Karénine. L’amour entre deux être, la beauté des sentiments.
Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. Depuis que Tomas avait fait la connaissance de Tereza, aucune femme n’avait le droit de laisser de marque, même la plus éphémère, dans cette zone de son cerveau.
Un roman sur l’écriture également.
[…] les personnages ne naissent pas d’un corps maternel comme naissent les être vivants, mais d’une situation, d’une phrase, d’une métaphore qui contient en germe une possibilité humaine fondamentale dont l’auteur s’imagine qu’elle n’a pas encore été découverte et qu’on n’en a encore rien dit d’essentiel.
Mais n’affirme-t-on pas qu’un auteur ne peut parler d’autre chose que de lui-même ?
[…]Les personnages de mes romans sont mes propres possibilités qui ne se sont pas réalisées. […] Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde. Mais il suffit. Revenons à Tomas.
 
Le tout mis en scène dans le cadre historique de l’invasion des pays de l’Est par l’armée russe.
Un roman qu’on ne peut résumer, dont on ne peut qu’apprécier la poésie, le chevauchement habile des idées et de la fiction, la beauté de la peinture des sentiments humains, qui paraissent si authentiques, et pourtant tellement uniques. Une lecture inoubliable, un livre qui m’a touchée au plus profond.
 
Une fois n’est pas coutume. J’ai trouvé le résumé de la quatrième de couverture tellement bien fait que je le recopie ici :
 
   Plus que les autres romans de Kundera, celui-ci est un roman d’amour. Terez est jalouse. Sa jalousie, domptée le jour, se réveille la nuit, déguisée en rêves qui sont en fait des poèmes sur la mort. Sur son long chemin, la jeune femme est accompagnée de son mari, Tomas, mi-dom Juan, mi-Tristan, déchiré entre son amour pour elle et ses tentations libertines insurmontables.
   Le destin de Sabina, une des maîtresses de Tomas, étend le tissu du roman au monde entier. Intelligente, asentimentale, elle quitte Franz, son grand amour genevois, et court après sa liberté, d’Europe en Amérique, pour ne trouver à la fin que l’insoutenable légèreté de l’être.
   En effet, quelle qualité – de la gravité ou de la légèreté- correspond le mieux à la condition humaine ? et où s’arrête le sérieux pour céder la place au frivole, et réciproquement ? avec son art du paradoxe, Kundera pose ces questions à travers un texte composé à partir de quelques données simples mais qui s’enrichissent constamment de nouvelles nuances, dans un jeu de variations où s’unissent récit, rêve et réflexion, prose et poésie, histoire récente et ancienne. Jmais, peut-être, chez Kundera, la gravité et la désinvolture n’ont été unies comme dans ce texte. La mort elle-même a ici un visage double : celui d’une douce tristesse onirique et celui d’une cruelle farce noire.
   Car ce roman est aussi une méditation sur la mort : celle des individus mais, en outre, celle, possible, de notre vieille Europe.
 
Remarque personnelle… : La mort du chien Karénine, préparée par ses maîtres pour qu’elle soit la plus belle, la plus douce possible, est peut-être une métaphore de la préparation du lecteur à la mort des personnages…

Vendredi 9 juillet 2010 à 15:27

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/maupassantfort.jpg Fort comme la mort, Maupassant
 
 Le jour tombait dans le vaste atelier par la baie ouverte du plafond. C’était un grand carré de lumière éclatante et bleue, un trou clair sur un infini lointain d’azur, où passaient, rapides, des vols d’oiseaux.
   Mais à peine entrée dans la haute pièce sévère et drapée, la clarté joyeuse du ciel s’atténuait, devenait douce, s’endormait sur les étoffes, allait mourir dans les portières, éclairait à peine les coins sombres où, seuls, les cadres d’or s’allumaient comme des feux. La paix et le sommeil semblaient emprisonnés là-dedans, la paix des maisons d’artistes où l’âme humaine a travaillé. En ces murs où la pensée habite, où la pensée s’agite, s’épuise en des efforts violents, il semble que tout soit las, accablé, dès qu’elle s’apaise.
 
Ainsi commence ce roman de Maupassant, plus connu pour ses nouvelles, et qui réussit avec brio à nous tenir en haleine tout au long de cette œuvre relativement courte (250 pages). Mais ce texte se distingue de la nouvelle en ce que l’auteur nous offre de nombreuses descriptions de l’âme humaine et des sentiments de ses personnages. Tout est énormément développé, mais sans trop de longueurs. L’incipit est un exemple de ces pages brillantes qui jalonnent le roman.
 
La frontière entre nouvelle et roman est selon moi sensible. L’intrigue est relativement simple : Olivier Bertin, peintre à la renommée déjà bien affirmée, s’éprend d’une femme rencontrée lors d’un dîner mondain : la comtesse de Guilleroy. Il lui propose de faire son portrait, et peu à peu ils s’éprennent l’un de l’autre. La comtesse déploie alors tous ses atouts pour continuer, pendant douze ans, à plaire à son amant. Ils filent une romance secrète sans heurts pendant quelques années, jusqu’au jour où la fille de la comtesse, Annette, revient à Paris après avoir séjourné auprès de sa grand-mère à la campagne. Annette, c’est Anne en miniature, une magnifique jeune fille en devenir, fraîche, vive et belle. On imagine sans peine ce qui se passe alors dans le cœur du peintre quinquagénaire quand il rencontre cette jeune fille, réincarnation de sa maîtresse.
 
 Elle s’appuya sur le bras d’Olivier et ils rentrèrent, marchant ainsi, lui entre elles, sous les arbres noirs. Ils ne parlaient plus. Il avançait, possédé par elles, pénétré par une sorte de fluide féminin dont leur contact l’inondait. Il ne cherchait pas à les voir, puisqu’il les avait contre lui, et même il fermait les yeux pour mieux les sentir. Elles le guidaient, le conduisaient, et il allait devant lui, épris d’elles, de celle de gauche comme de celle de droite, sans savoir laquelle était à gauche, laquelle était à droite, laquelle était la mère, laquelle était la fille.
 
Any, la comtesse, tremble alors qu’elle sent l’amour grandir dans le cœur d’Olivier. Elle ne cesse de se regarder dans le miroir pour observer le passage du temps sur son visage, alors qu’à côté d’elle, sa fille ne cesse d’embellir. Est né un amour fort comme la mort. Olivier est nerveux, jaloux, malheureux. Il ne peut s’empêcher de voir en Annette, alors qu’elle porte la toilette noire du deuil, le portrait de la comtesse réalisé dix ans plus tôt. La force de cet amour né de la confusion est sans mesure et la souffrance sans remède. Il est condamné à aimer. Seule la mort pourrait mettre un terme aux douleurs de son cœur. Mais quelle mort ? Celle de la comtesse, qui permettrait à Olivier de réaliser sa passion pour Annette ? L’être aimé surmontant en quelque sorte l’obstacle de la mort en laissant son double sur terre, et offrant ainsi à Olivier la possibilité de revivre une seconde jeunesse auprès de son seul mais double amour ? S’eût pu être une bonne histoire, un peu fantastique… Mais voyez plutôt ce que ce professionnel de la chute nous réserve…
 
Avec sa plume lucide et sensible, Maupassant nous délecte de ce drame d’amour, de ce drame des passions, mais aussi de scènes de la vie publique et artistique de l’époque. L’analyse est juste et directe. Le personnage d’Olivier est étonnant : un artiste à l’automne de sa gloire, toujours célibataire, et qui connaît tout de même les caprices de la passion. On est davantage habitué aux histoires d’idylles naissant entre deux jeunes gens, rarement entre un presque vieillard et une jeune fille de dix-huit ans. Mais Annette, de toute manière, n’aime Olivier que comme un bel-ami, qu’il n’est pas… (C’est une réflexion sur le passage du temps et le vieillissement que nous propose ici l’auteur…)
 
Un sympathique roman, dont la fin m’a cependant un peu déçue ; en outre, Maupassant prend le temps de poser son intrigue, et les cent premières pages sont un peu frustrantes. Il ne s’épanche pas sur le récit de l’idylle entre le peintre et la comtesse, et laisse le temps à la passion de Bertin pour Annette de s’installer, à mots couverts, tout doucement, sentiment né de la confusion et du refus de voir le passage du temps. C’est comme si le texte mimait cette avancée subtile de la passion lorsqu’elle s’immisce dans le cœur de l’homme. Mais aussi beau que cela soit, on attend que quelque chose se passe… Heureusement tout s’accélère à partir de la deuxième partie, et la suite se lit très rapidement. Ces lenteurs narratives et les brusques accélérations de l’intrigue font selon moi de ce roman un genre un peu hybride, entre le roman et la nouvelle.
 
Les personnages d’Olivier et de la comtesse sont très développés, le romancier nous donnant même accès à leur intériorité. Mais beaucoup d’autres personnages ne sont que des esquisses, comme le conte de Guilleroy, qui n’a rien du mari jaloux de Vaudeville, et qui semble aveugle à tout. De même, le marquis, futur mari d’Annette, est sans substance. Cette dernière ne semble par ailleurs exister dans le texte que comme ce qu’elle est, un reflet de sa mère, pâle reflet pour le lecteur, étincelant aux yeux du peintre, puisque symbole de cette jeunesse perdue pour lui.
 
En résumé, un roman agréable, simple mais si bien écrit… Du Maupassant ! Toutefois, on pourrait reprocher à certains passages d’être comme inachevés, à d’autres de ne pas être assez développés, alors que certains flirtent avec le trop… Un esquisse de pleins et de déliés, qui laisse finalement libre court à l’imaginaire du lecteur.
 
(toute petite image, mais j'essaie toujours de mettre la couverture du roman tel que je l'ai lu, et là, c'était une vieille édition...)

Samedi 10 juillet 2010 à 0:09

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/LESMOTS.jpgLes Mots, Sartre
Poulou, c’est l’enfant névrosé, le comédien, l’enfant-objet né du regard de ses parents et des préjugés de sa classe. L’enfant auquel on donne Flaubert à lire à six ans, qu’on voue à l’écriture à neuf, qu’on choie, qu’on adule, que le milieu façonne à sa guise. Sans père, avec une mère qu’il considère comme une sœur, le jeune Jean-Paul ne connaît que la compagnie de son grand-père, de sa grand-mère (ces deux là qu'on appelle Karlémamie), de sa maman, et de ses livres. Livres d’où s’échappent les compagnons de son imaginaire, les Michel Strogoff de ses velléités héroïques, le sentiment que le destin de l’écrivain est de sauver l’humanité, et le livre un moyen de survivre dans le temps.
Mais ce retour sur l’enfance en diptyque, sur le lire et l’écrire, jaillissement du verbe, est purement ironique. En effet, comment un auteur qui écrit « je ne suis pas ce que je suis », qui estime que « l’existence précède l’essence », pourrait-il prétendre tirer un quelconque enseignement de cette enfance qui fut la sienne ? Sartre, à 50 ans, traite les épisodes de sa vie avec une élégance ironique et baroque. Tout est mouvant, rien n’est ordonné, épisodes et réflexions s’enchaînent, la frontière n’étant pas toujours palpable. On entend la voix du philosophe derrière les frasques de l’enfant. La sincérité des analyses côtoie les épisodes romancés, dans lesquels le jeune Jean-Paul n’est pas sans rappeler ces personnages de films muets des débuts du cinéma.
Dérision et humilité (Sartre n'est pas seulement pour moi l'arrogant que l'on croit, mais un homme qui souffre et a souffert...), c’est finalement ce qui émane de l’autobiographie sartrienne. Son enfance fut celle d’un petit garçon malheureux, à la recherche d’une identité, d’une destination dans le train de l’existence, d’une place dans ce monde où il n’existait que par le regard des autres ; que quelqu’un se dise « C’est Jean-Paul qui manque. » Cette recherche de soi est couplée avec une réflexion sur le statut de l’écrivain, le don, la vocation, les devoirs de l’homme de Lettres. Et c’est finalement pour se sauver lui-même que Sartre a écrit. Lui qui n’avait pas de don, aucun talent, aucun génie, ce que son grand-père lui faisait bien comprendre. Mais à l’époque, pour la bourgeoisie, ça « faisait bien » d’avoir un homme de Lettres dans la famille (professeur de lettres et écrivain du dimanche, parce que, tout de même, il faut manger… !)
C’est contre cette idéologie bourgeoise que Sartre s’insurge dans ce texte, où il ne pose jamais un regard attendri sur cet enfant qu’il était. Il ne cherche pas l’origine d’une vocation, et dépouille l’écriture de cette dimension divine qu’il pouvait lui avoir accordé. En définitive, être écrivain s’avère être un métier, un statut social comme un autre.
 L’erreur, qui est à l’origine de la névrose de Poulou – dont Sartre s’est débarrassé - , est d’avoir cru que les mots sont les choses même…
[…] pour avoir découvert le monde à travers le langage, je pris longtemps le langage pour le monde. Exister, c’était posséder une appellation contrôlée, quelque part sur les Tables Infinies du Verbe ; écrire c’était y graver des êtres neufs ou – ce fut ma plus tenace illusion- prendre les choses, vivantes, au piège des phrases : si je combinais les mots ingénieusement, l’objet s’empêtrait dans les signes, je le tenais.
 
Ce texte, sous ses aspects distanciés et ironiques, est parfois drôle, pittoresque – on imagine le jeune Jean-Paul allongé dans la bibliothèque, après avoir endossé le costume de grand prêtre des Livres, un roman ouvert devant lui, à sa droite un verre de grenadine, à sa gauche une tartine de confiture ; ou encore les premiers écrits (simples plagiats !) recopiés par Maman sur du papier glacé…- ; Sartre livre une image démythifiée de l’enfant et de la vocation, le tout couplé d’une réflexion sur le rôle de la littérature. Une autobiographie étonnante, déstabilisante, qui se joue des codes et raille la Bourgeoisie, doublée d’une illustration de la philosophie sartrienne. Loin d’être l’ouvrage de complaisance d’un homme à l’automne de sa vie, cette œuvre est presque l’aboutissement de la réflexion philosophique de Sartre sur l’existence, l’engagement et la littérature.
Autant dire que cette lecture n’est pas des plus aisées, je suis loin d’avoir tout saisi, et je pense qu’une re-relecture ne serait pas superflue ! Mais il est plaisant de rencontrer ce jeune enfant, simple jouet sous la plume de Sartre, comme il le fut sous l’influence des adultes. Poulou ce n’est plus Jean-Paul ; parce que quand il dit « moi », Sartre parle de « moi écrivant ».
Toutefois, Sartre peut-il vraiment être toujours aussi dur, aussi ironique avec l’enfant qu’il a été ? Ne prend-il tout de même pas un certain plaisir à évoquer ses souvenirs d’enfance ? A faire « ça », comme le dit Nathalie Sarraute ? Puisqu’il affirme à la fin, en opposition à la geste rousseauiste, d’être Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que veut n’importe qui, il ne peut selon moi être exempt de ce plaisir que l’on a tous à faire ressurgir dans notre mémoire les moments si précieux de notre enfance… (mais ceci n’est que puérile réflexion d’une lectrice nostalgique…)

Jeudi 15 juillet 2010 à 23:52

 

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Desventscontraires.jpgDes vents contraires, Olivier Adam
Ici le temps changeait sans cesse, au sein d’une même journée on pouvait passer par tous les états possibles et rien ne s’installait jamais vraiment, on vivait sous un ciel instable et pour ma part j’avais toujours aimé cela, le monde semblait ne jamais devoir prendre de repos, tout vivait intensément, le ciel la mer avaient leurs coups de sang leurs accalmies, rien n’était jamais posé ni égal.
Paul Anderen, écrivain en stand-by, père de deux enfants, s’installe à Saint-Malo, la ville de son enfance,  pour tenter de refaire sa vie avec Clément et Manon, 9 et 5 ans. La brusque disparition de leur mère les a profondément ébranlés. Ecorchés vifs, les personnages d’Olivier Adam sont des marionnettes de la peine. A travers leurs actes, leurs silences, leur malheur se donne à lire. Pas besoin de grandes analyses psychologiques. L’errance dans les pièces vides, les endormissements impromptus, les cauchemars, les sourires volés, tout cela traduit mieux que les mots l’horreur quotidienne que vivent ces enfants privés de leur mère, que leur père tente de soutenir du mieux qu'il peut, tout en se démenant pour maintenir la tête hors de l'eau. Le sort de celui-ci, celui qui dit « je », n’est effectivement pas très rose. Il boit, vomit, travaille un peu, survit. Etrangement, il vient en aide à de nombreuses personnes, dont certaines semblent n’avoir que peu d’intérêt quant à l’intrigue générale ( la disparition de Sarah). C’est l’un des reproches que l’on peut faire à ce roman au style inimitable, dans lequel l’auteur évoque dans toute sa puissance la peine, la douleur, la solitude liée à l'absence et le malheur humain.
Paul et ses enfants sont balayés par ces vents contraires qui battent les plages de la côte. A tout moment leur vie peut basculer. Sarah reviendra-t-elle ? Qu’est-elle devenue ? Ils vivent dans une attente couverte, fébrile, une attente que l’on tait, mais qui pulse au fond du cœur de chacun, en silence. Jamais ils ne prennent de repos. Et pourtant ils tentent de vivre, de retrouver le goût de la vie, du bonheur, des plaisirs. Tels le flux et le reflux des vagues, les moments presque heureux alternent avec les bourrasques d’abattement. Le seul apaisement semble venir de la mer, de la plage, du ciel. Tableaux maritimes et moments de narration s’entrecroisent (ces derniers étant parfois un peu longs, mais on a noté l’importance de la narration des actes et des futilités du quotidien pour rendre compte de la douleur de l’absence). L’ensemble ponctué de souvenirs, de regrets d’une vie qui jamais plus ne sera comme avant…
La vie d’avant, la vie tranquille , la bonne vie, simple et modeste, petits bonheurs au jour le jour, la fatigue du boulot des enfants du temps qui passe mais c’était tout, faire des puzzles sur la tapis m’allonger près d’eux devant un dessin animé, embrasser Sarah dans le cou l’entendre prendre sa douche, une bière en été des cacahuètes sur la chaise longue près des hortensias, baiser dormir enlacés lire la tête sur son ventre, la regarder partir au matin et retrouver la maison silencieuse et calme.
On peut regretter les péripéties un peu inutiles, autant de longueurs à déplorer – la vie de tous ces personnages rencontrés dans l’habitacle d’une voiture d’auto-école n’a rien de palpitant, des noirceurs de plus pour montrer ô combien le monde est pourri, mais alors là, pourri… (too much is too much… !). Dommage parce que l’intrigue est bonne, simple, poignante, la douleur des personnages très bien rendue par les blancs laissés entre les actes, où d’autres auraient mis de la psychologie. Un style intéressant, une voix qui n’est pas sans m’évoquer les héros de Philippe Djian. Mais toutefois, certains points dans la construction d’ensemble laissent à mon goût un peu à désirer… Ce roman, qui aurait pu être un très bon roman, laisse un goût d’œuf pourri, comme cette odeur qui gâche un peu, parfois, la contemplation d’un paysage maritime.

 A lire : une très bonne critique de Télérama (non non je ne m'en suispas du tout inspirée ^^)

<< ...Livres précédents | 1 | Encore d'autres livres... >>

Créer un podcast