Le Monde dans les Livres

Samedi 29 mai 2010 à 12:10


Un amour de Swann, Marhttp://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/DuCotedechezSwann.jpgcel Proust
  Je ne pouvais commencer ce blog sans parler d'un de mes auteurs favoris, si ce n'est mon auteur favori : Proust. Cela tombe bien, car j'ai eu envie de relire un passage de son oeuvre récemment; mon article est donc tout chaud, tout droit sorti de ma lecture.

  C’est la deuxième fois que je me lance dans la lecture d’un amour de Swann de Marcel, et je dois dire que malgré mon amour pour cet auteur, j’ai été un peu déçue. Dans cette deuxième partie du Côté de chez Swann, premier tome de la Recherche du Temps Perdu, on retrouve bien sûr le style inimitable de Proust, avec ses longues phrases, ses enculages de propositions –comme l’avait si bien dit Cécile Guilbert -, sa brillante analyse de l’esprit humain, et cette précision et poésie de la langue qui rend incomparable et finalement très « réaliste » la transcription textuelle des méandres de l’âme humaine.
   Résumé : Toutefois l’histoire de Swann est plutôt étonnante et pathétique. Cet aristocrate, rouquin, riche, cultivé, épris d’art et de beauté, cumule les conquêtes amoureuses. Sa particularité est de faire moisson dans les milieux populaires ; il ne compte plus les petites cuisinières, servantes et femmes de chambre avec lesquelles il a eu quelques aventures. Invité chez les Verdurins, dont Proust illustre avec brio les soirées et les dîners « mondains », il y retrouve Odette, une femme qu’on lui avait présentée au théâtre et qu’il n’avait, somme toute, pas trouvée à son goût. Toutefois, le charme opère, lorsqu’un jour Charles (Swann) se rend compte que cette demi-mondaine sans attrait, coquette sans cervelle, ressemble à un portrait de Botticelli, la Zéphora. Pour parfaire cet amour né à travers le prisme de l’art, une petite musique sublime le cadre de leur idylle. C’est la fameuse petite phrase de la sonate de Vinteuil si chère à Swann, et qui devient pour eux l’hymne de leur amour. Dès lors, l’amour de Swann pour Odette ne va cesser de croître, et avec lui, sa jalousie. Une bonne moitié du livre (relativement petit au regard du reste de l’œuvre de Proust) est consacrée à ce défaut qui s’accentue chez le jeune homme au point d’en devenir maladif. On se croirait face à un Frédéric Moreau mondain et cultivé, mais que l’amour – ou le sentiment factice de l’amour à travers les arts- rend pathétique. Swann souffre, devient fou, cherche tous les moyens de découvrir l’infidélité d’Odette. Proust analyse avec brio cette maladie de l’amour qui est loin d’être l’apanage du XIXème siècle.
   Le titre peut revêtir de multiples significations, et le terme « amour de...» revient à plusieurs reprises dans le texte. Selon moi, Swann n’a pas un, mais plusieurs amours : l’art, ma musique, les femmes ; mais pas Odette. C’est ce qui fait toute l’originalité de petit roman d’amour.
   Pourquoi alors ai-je été déçue ? Probablement parce que ce roman à la troisième personne, dans l’œuvre de Marcel dans laquelle il dit « je », me plaît moins et est moins originale que le reste de l’œuvre, dans laquelle le jeune narrateur nous décrit ses pensées, ses rencontres, ses amours, ses chagrins, ses déceptions, et son parcours pour devenir écrivain. L’usage de la première personne par ce narrateur fictif confère une profondeur au récit que n’a pas un amour de Swann. Je me retrouve davantage dans les pensées de Marcel que dans celles Swann ; toutefois, ceci est tout à fait personnel, et est probablement lié au fait que je me sente plus proche du jeune écrivain en herbe que du jaloux.
   Dans cette deuxième partie du Côté de chez Swann, il me semble que Proust parvient à mêler tout ce qui a pu se faire avant lui en matière de roman : à la poésie se joint l’analyse précise de l’âme humaine et d’un tempérament, la jalousie, qui a quelque chose du naturalisme. Avec Proust, l’art du roman comme analyse de l’intériorité a trouvé un point d’aboutissement, via le mélange des arts et les anneaux littéraire de son style.
   Alors, Proust suranné, Proust illisible, Proust monument insurmontable ? Il ne faut pas prendre peur face à la longueur de l’œuvre, à cette cathédrale dont l’architecture est faite de longues phrases, dont la complexité des constructions rend parfois les idées évoquées complexes. Proust dit beaucoup de choses à qui veut bien s’efforcer de le lire. Lire la langue de Proust est un peu comme lire une langue étrangère – lui-même a dit que les beaux livres étaient écrits dans une sorte de langue étrangère. C’est comme lire Montaigne, ou Mrs Dalloway en anglais, voire même Joyce en français. Il faut s’adapter, épouser les contours de cette petite musique qui parle au cœur. Je comprends que beaucoup soient réticents à se lancer dans une telle lecture. Mais il faut prendre son temps, ne pas se forcer, relire deux ou trois fois les premières pages pour s’adapter au style, retrouver l’air de cette musique, comme on se réapproprie un univers, une chambre dans laquelle on n’a pas dormi depuis longtemps. La première nuit n’est pas toujours la meilleure mais ensuite, quel plaisir quand elle nous est devenue familière ! 
    A la lecture de La Recherche, il s’opère cette magie liée la perspective proustienne du style : chaque écrivain porte en lui un monde, et si le lecteur y adhère, il est surpris et émerveillé de retrouver formulé ce qu’il avait toujours pensé mais qu’il n’aurait jamais pu dire ainsi. Bien que la vie du jeune Marcel n’ait rien à voir avec la notre, les analyses proustienne de l’âme humaine ont quelque chose d’universel, qui peut parler à chacun.
   Pour moi, l’œuvre de Proust est comme une partition, dans laquelle chacun peut retrouver sa petite phrase de la sonate de Vinteuil, cette petite phrase qui émeut tant.
   C’est ce qui m’a toujours plu chez Proust : l’impression de se retrouver, de voir écrites ses pensées les plus intimes, de lire dans un style qui transcende toute pensée ce qu’on peut ressentir, bref, l’impression d’être chez soi. 

  
Extrait :
[…]le plaisir fut […]profond et devait exercer chez Swann une influence durable, qu’il trouva à ce moment-là dans la ressemblance d’Odette avec la Zéphora de ce Sandro di Mariano auquel on donne plus volontiers son surnom populaire de Botticelli […]. Il n’estima plus le visage d’Odette selon la plus ou moins bonne qualité de ses joues et d’après la douceur purement carnée qu’il supposait devoir leur trouver en les touchant avec ses lèvres si jamais il osait l’embrasser, mais comme un écheveau de lignes subtiles et belles que ses regards dévidèrent, poursuivant la courbe de leur enroulement, rejoignant la cadence de la nuque à l’effusion des cheveux et à la flexion des paupières, comme un portrait d’elle en lequel son type devenait intelligible et clair.
   Il la regardait ; un fragment de fresque apparaissait dans son visage et dans son corps, que dès lors il chercha toujours à y retrouver, soit qu’il fut près d’Odette, soit qu’il pensât seulement à elle, et bien qu’il ne tînt sans doute au chef-d’œuvre florentin que parce qu’il le retrouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui conférait à elle aussi une beauté, la rendait plus précieuse. Swann se reprocha d’avoir méconnu le prix d’un être qui eût paru adorable au grand Sandro, et il se félicita que le plaisir qu’il avait à voir Odette trouvât une justification dans sa propre culture esthétique.
 
 
Cet extrait est typiquement proustien, avec de longues phrases, de la poésie et l'expression du sentiment intérieur du personnage. Si ce court extrait vous a plu, que vous êtes parvenu à le lire, à le sentir, n'hésitez pas un instant à vous lancer dans la Recherche, du Temps Perdu mais également de votre petit musique intérieure.
 
Ajout de dernière lecture :

J'ai récemment rencontré dans une bouquinerie superbe, dans laquelle les livres étaient comme des pièces de musée, une biographie de Marcel des plus merveilleuse. L'auteur est Claude Maurois, un académicien, et son titre des plus orginal : A la recherche de Marcel Proust. J'ai véritablement adoré cette biographie très bien écrite et éclairante. De plus, pour ajouter au charme de l'ensemble, des pages n'étaient pas encore coupées...!
Bref, un livre que je conseille, mais une lecture trop intime pour que j'y consacre un article complet! (en plus qu'aurais-je pu ajouter de plus que ce que l'auteur dit déjà si bien?).
NB : Il n'y a qu'une boutade dans cet ajout.

Samedi 29 mai 2010 à 12:48


http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lesmandarins-copie-1.jpg« Je vous ai déjà dit que je ne suis pas gentil. Je suis très égoïste. Ce qu’il y a c’est que vous êtes un petit morceau de moi. » Il m’enlaça plus fort. « Vous êtes si douce à aimer. »
   Il me reste encore une vingtaine de pages des Mandarins à lire, mais je ne peux me résoudre à l’envie de rédiger cet article. Peut-être pour retarder le moment où je devrais abandonner ces personnages, ce Paris de l’après-guerre, ces hommes et ces femmes blessés à jamais qui essaient de reconstruire le monde sur les nouvelles bases qui leur sont données. J’ai de la peine à quitter Henri surtout, l’un des deux personnages desquels ont suit les pensées, les actes, mais aussi les moments d’angoisse, de lassitude, les choix, les amours. Les chapitres pairs sont centrés sur le personnage d’Anne, par un procédé d’alternance du point de vue et de la focalisation interne. Avec Simone de Beauvoir, on n’en sait jamais plus que le personnage. C’était une loi qu’ils avaient établie avec Sartre. C’est selon moi ce qui fait le grand intérêt de ce roman, et qui fait que je me suis attachée à Henri. Journaliste et écrivain mûr, celui-ci ne peut supporter toutes les animosités suscitées par la politique, et tient à ce que son journal reste indépendant. Mais il comprend vite qu’en cette période de guerre froide, de découverte des camps, et de combat pour la suprématie, il faut agir, ou se taire. Et agir signifie prendre position. Il accepte de rallier son journal au parti de son ami Durhieu, qui ne se veut ni communiste ni gaulliste. Il continue à écrire un roman puis une pièce de théâtre, qui illustre les souffrances de la guerre. Tous ces personnages d’intellectuels ont été fortement touchés par celle-ci, dont ils gardent les séquelles. Et pour tous, il y a des peines de cœur : entre Paule qui vit pour aimer Henri d’un amour inconditionnel et qui en subira les conséquences, Nadine, la fille d’Anne, qui panse les plaies d’un amour américain fauché par la guerre, et Anne qui connaît les désillusion de l’attente, les femmes dans ce roman sont toutes des femmes blessées, blessées parce qu’elles ont choisi l’amour au prix de leur liberté.
   Mais peut-on vivre sans aimer ? C’est peut-être à cette question que répond le roman. Et il semble qu’elle soit négative : chacun des personnages multiplie les liaisons, tente de trouver du réconfort dans les bras de divers hommes et diverses femmes, en pensant peut-être qu’ailleurs, c’est mieux. Mais la réalité a vite fait de rattraper le rêve. C’est ce que l’on ressent profondément en passant des chapitres qui concernent Anne à ceux centrés sur Henri. Elle voyage, aime passionnément, mais termine extrêmement déçue. Lui écrit, s’implique dans la vie intellectuelle, va jusqu’à se compromettre avant de choisir l’inaction pour un temps, et de fonder une famille. Mais le devoir l’appelle à nouveau, il ne peut rester sourd, et l’action le rattrape. La grande action du roman se situe à la fin, comme l’aboutissement de toutes les réflexions politiques de tous ces intellectuels de gauche.
   Mon avis : Je me suis étonnée moi-même en lisant ce livre : je ne pensais pas être capable de comprendre et de m’intéresser à un livre traitant de politique. Mais c’est fait avec une telle fougue, un tel réalisme du fait que tout soit rapporté par les dialogues des personnages, qu’on s’attache à suivre ces péripéties qui sont intimement liées avec leur histoire et leurs personnalités. On apprend à connaître les personnages secondaires à travers les yeux des deux héros, qui côtoient le même monde mais en ont une vision – me semble-t-il- très différente. Peut-être Henri me touche-t-il plus dans la mesure où par sa voix, j’ai réussi à percevoir quels pouvaient être les enjeux et les responsabilités d’un intellectuel. Anne, bien qu’elle soit psychanalyste, est beaucoup plus centrée sur elle-même et ses propres histoires. A travers les aventures de ce personnage, c’est un roman dans le roman que Simone de Beauvoir nous offre dans le second tome.
   Il y a bien sûr des clés dans ce roman (Simone, Sartre, Camus, Algren,…) mais ce n’est pas selon moi ce qui fait son intérêt. Je pense plutôt que c’est lié au style de l’auteur : vif, sans fioritures. C’est l’un des romans que j’ai lu le plus rapidement, et pourtant, chacun des tomes fait 500 pages. Il n’y a pas un temps mort, et les personnages évoluent au gré des évènements de la vie, de leurs rencontres, de leurs choix. On retrouve en quelque sorte la philosophie existentialiste de Sartre, et le regard que Beauvoir porte sur la femme y est acéré – surtout en ce qui concerne le personnage de Paule.
   J’ai véritablement adoré ce roman. A la fin du premier tome, je n’avais qu’une hâte : rentrer chez moi et me plonger dans le second. Il est rare qu’un livre me fasse un tel effet – sauf, dans le même genre, les romans d’Aragon. Le plus étonnant est que ce roman est daté, il s’inscrit profondément dans une époque, et moi qui ne suis pas une grande historienne, j’ai tout de même compris beaucoup de choses. C’était l’histoire vécue de l’intérieur, au quotidien, par les intellectuels parisiens (les mandarins!), intermédiaires entre le pouvoir et le peuple.
   Ce roman primé de Simone de Beauvoir m’avait longtemps narguée mais effrayée, dans la mesure où, en lisant des résumés, il semblait que ce soit un roman politique. Mais ce serait réduire la portée de cette fiction magistrale, qui reconstitue tout un univers. Je suis de plus en plus emballée par les œuvres de Beauvoir. J’avais littéralement avalé, digéré et inscrit dans ma peau les Mémoires d’une Jeune Fille rangée, ainsi que la Force de l’Age. J’avais poursuivi ma conquête de l’univers beauvoirien en lisant l’Invitée (un de mes romans préférés !) et récemment, les Belles Images. J’aime les romans de cet auteur car ils sont une dimension autobiographique reconnaissable – du moins pouvons nous retrouver un peu d’Anne ou d’autres de ses personnages en Simone- et que la relation qu’elle entretenait avec Sartre, ainsi que sa posture d’intellectuelle et de femme de tête, m’ont toujours fascinées, dès les premières lignes des Mémoires. Dans son écriture comme dans la vie elle ne lâche rien, elle avance, inexorablement. Castor de Guerre de Danièle Sallenave (dont je parlerais probablement dans un autre article), a été l’essai qui m’a fait redécouvrir Simone, et l’aimer davantage. Cette femme reste une des figures majeures de mon petit panthéon intérieur.
   Et là je pense que je vais devoir finir le second tome… et qu’il ne me reste que peu de roman du Castor à lire…
   Pourquoi ai-je lu ce livre, à ce moment là :
 
 Je venais de terminer avec émotion Castor de Guerre, j’avais déjà cherché les Mandarins, ce chef d’œuvre primé de Simone, mais je ne l’avais pas trouvé chez les bouquinistes de ma ville (ou alors uniquement le second tome : qui donc s’amuse à n’acheter que le premier ?!). J’ai donc patienté en lisant les Belles Images et quelques autres romans (dont Incidences de Djian), et j’ai enfin trouvé les deux tomes chez mon bouquiniste préféré ! O Joie !! l’édition et la couverture me plaisait en plus – les folios des années 70, avec sur l’un une image des Deux Magots (café où elle se rendait souvent) et sur l’autre une photo de New-York, ses grattes-ciel et ses bandeaux publicitaires. Couvertures crevassées, pages jaunies, tranche pliée, auteur de vieux : toutes les conditions étaient réunies pour me faire chérir ce livre. Et à la lecture… extase ! L’objet est complet
   Ce livre a une histoire, une âme, un style, des personnages inoubliables, et me laisse des images plein la tête. Tout ce que je recherche dans un roman ! Est-il encore besoin de dire : j’aime !?
    Je vais terminer cet article en vous incitant vivement à lire Simone de Beauvoir, son autobiographie mais aussi ses romans. C’est un auteur trop délaissé, à mon sens. Et c’est bien dommage. Son style est simple, efficace, et son univers pas si éloigné de nous.

Lundi 31 mai 2010 à 11:49

 http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/mrsdalloway.jpg
Mrs Dalloway,  Virginia Woolf
   C’est la vie d’une femme de la haute société britannique dont Virginia Woolf nous raconte l’histoire ; ou plutôt la journée. Une journée ensoleillée de juin 1923. Ce roman se déroule sur quelques heures, du lever de Clarissa Dalloway à la réception qu’elle donnera chez elle dans la soirée ; il est sous le signe de la continuité. Toutefois, on ne suit pas uniquement les pérégrinations dans la ville et les pensées de cette femme, qui nous offre sa perception du monde. Plusieurs points de vue se croisent dans ce roman à la troisième personne, dont celui de Peter Walsh, l’ancien amoureux de Clarissa revenu des Indes, et celui de Septimus Smith, un homme à l‘esprit à jamais ravagé par la guerre. Le monde vu par ses yeux paraît fou, déconstruit, et contraste avec limage poétique que nous en offre Mrs Dalloway. Clarissa ne fait que croiser Septimus, mais cet homme à la destiné tragique est une des faces de l’héroïne éponyme.
   Le personnage de Clarissa Dalloway est à la fois simple et complexe. Riche aristocrate vivant dans le centre de Londres, à Westminster, environné du pouvoir, du Parlement, de Buckingham Palace et des écoles des élites, Clarissa a fait le choix d’épouser Richard Dalloway ; probablement un mariage de raison comme il s’en faisait tant. Elle aurait pu rester un personnage creux et stéréotypé, une « marquise sorti[e] à cinq heure » (comme raillait Valéry)pour acheter des fleurs pour sa réception. Mais son monologue intérieur, que l’auteur nous rapporte à la troisième personne, confère de l’épaisseur à son personnage. On est surpris d’apprendre quel fut son passé, quels peuvent être ses douleurs et ses regrets. C’est une femme sensible, un brin romantique, qui aime marcher dans Londres et parcourir la ville en autobus. Tout ceci fait de ce roman une œuvre poétique, agrémentée d’une réflexion philosophique sur la vie, aux effluves romantique et néo-platoniste. Tout est connecté dans l’univers de Clarissa, qui est le point focal du roman. 
   Mon avis : J’ai pris plaisir à la lecture de ce roman fortement chargé en poésie. Toutefois, il est parfois difficile de distinguer les divers points de vue, bien que le changement de focalisation soit perceptible par la typographie, et le changement de style. La lecture en anglais ne facilitait pas la tâche, mais je parvenais toutefois à percevoir ce que le texte pouvait avoir de poétique. De nombreux termes m’étaient inconnus, mais cela ne m’a pas empêchée de goûter la fraîcheur et la beauté de cette œuvre unique en son genre (ou sui generis, pour faire genre !).
   Je recommande vivement la lecture de cette œuvre magnifique, que je m’empresserai de relire en français quand l’envie m’en prendra, et que j’aurai récupéré l’exemplaire français. Une de mes bonnes surprises de l’année!
   Un petit extrait de l’incipit, pour vous donner l’eau à la bouche !
Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself.
   For lucy had her work cut out for her. The doors would be taken off their hinges; Rumpelmayer’s men were coming. And then, thought Clarissa Dalloway, what a morning – fresh as if issued to children on a beach.
    What a lark ! What a plunge ! For so it had always seemed to her when, with a little squeak of hinges, which she could hear now, she had burst open the French windows and plunged at Bourton into the open air. How fresh, how calm, stiller than this of course, the air was in the early morning; like the flap of a wave; in the kiss of a wave; chill and sharp and yet (for a girl of eighteen as she then was) solemn, feeling as she did, standing there at the open window, that something awful was about to happen; looking at the flowers, at the trees with the smoke winding off them and the rooks rising, falling; standing, looking, until Peter Walsh said, “Musing among the vegetables? – was that it?-“ I prefer men to cauliflowers” – was that it? He must have said it at breakfast one morning when she had gone out on to the terrace – Peter Walsh.
 

Lundi 31 mai 2010 à 12:07

Incidences, Philippe Djianhttp://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/incidences.jpg
   Je n’avais jamais lu de roman de cet auteur ; j’ai entendu parler de cette sortie via la Grande Librairie, que je regarde de temps en temps le dimanche matin. L’évocation d’un prof de littérature et d’écriture qui couche avec une de ses élèves m’a tout de suite rappelé les romans américains que j’affectionne tant. Et quand le présentateur a annoncé qu’au bout des trois premières pages il retrouvait la jeune femme morte dans son lit, j’ai été conquise. Je m’emballe rarement pour les romans contemporains, surtout français ; je pense que c’est lié au fait que je n’apprécie guère l’univers de nos sociétés modernes. Excepté quand il s’agit de l’univers universitaire. 

   Et il est étonnant de voir à quel point ce roman français déroute. Bien que l’action se situe dans le sud de la France, on ne peut s’empêcher de s’imaginer dans une petite ville américaine à la David Lodge. Le héros, Marc, un fumeur sans vergogne, qui fume tout le temps, vraiment tout le temps, est un professeur qui tente d’apprendre à écrire à des jeunes qui n’ont pas la grâce ; par conséquent il ne peut rien pour eux, il le sait. Il compense d’ailleurs sa propre médiocrité d’écrivain en couchant avec les jeunes filles de son cours, tout en prenant garde à ce que sa sœur, avec laquelle il vit encore, à 56 ans, ne les surprenne pas. Cette sœur a une place centrale dans la vie de Marc, jusqu’au jour où il rencontre Myriam, la belle-mère de cette fille retrouvée morte dans ses draps, au petit matin.
   Ce roman est constitué de multiples failles, de blancs, d’ellipses et de flash back, qui ponctuent ce récit qui s’avère fragmenté à l’image de son héros. Quatre morts dans ce roman, des blancs, des failles et des incendies, tout l’appareil pour donner froid dans le dos. Toutefois on est loin du roman policier. Djian s’essaie ici à une véritable analyse psychologique en donnant la parole à Marc, et laisse l’interprétation aux soins du lecteur. Terrible, ce héros n’en reste pas moins attachant. Fragilisé par des blessures d’enfance, il n’y a que dans les failles qu’il parvient à se reconstruire  une identité.
   Mon avis : J’ai maintenant envie de me lancer dans de nouvelles lectures de cet auteur, comme 37,2° le matin. Toutefois, peut-être est-ce surtout l’univers américain qu’il m’a semblé retrouver dans ce roman qui m’a captivée. Il n’empêche que le style de Djian est efficace, incisif et percutant. On ne s’ennuie pas !
   Circonstances de lecture : Lisez ce roman quand il sortira en livre de poche, ou bien en bibliothèque (car pour le moment il n'est pas donné!). Personnellement, c’est par une heureuse coïncidence que j’ai pu le lire. Il est le produit d’un des plus géniaux trocs de ma vie : je l’ai échangé contre Ask the Dust de John Fante. Je ne regrette pas mon choix, surtout que cela a permis à une personne de mon entourage de le lire, et de partager ensuite nos impressions. Je l'ai lu d'une traite, presque sans m'arrêter, dans mon lit puis dans le train.
   Ce troc a également permis à une nouvelle passion de voir la jour, en éclairant la nuit d'une amie. Je parlerai d'Arturo Bandini et de sa poussière plus tard...!

   L'ultime faille : Comme souvent dans les romans de Djian, il y a des blancs, des mystères, des failles - et d'autant plus ici. Certaines choses sont donc laissées à notre libre interprétation. J’attends les commentaires de futurs lecteurs pour lancer le débat, mais je pose tout de même dès à présent la question centrale :
pour vous, Marc est-il fou ?

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