Le Monde dans les Livres

Lundi 27 septembre 2010 à 19:49

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/anneeeveil.jpgL'année de l'éveil, Charles Juliet

Ouahou. Je viens de terminer L’Année de L’Eveil , de Charles Juliet. Et je ne peux rien dire d’autre que wahou. Je crois que je suis ébranlée. Ebranlée par ce récit au présent, à la première personne. L’histoire d’un gamin de treize ou quatorze ans, d’un enfant de troupe, dans une caserne à Aix-en-Provence.
Une autobiographie comme on en voit peu. Rien sur la naissance, l’origine. Rien ou presque sur l’enfance. Ces biographèmes (épisodes que l'on retrouve de manière récurente dans les autobiographies) sont inexistants dans cette œuvre de Charles Juliet, qu’il publie avant Lambeaux. Mais il y en a d'autres.
 Que raconte-t-il alors ?
Cette deuxième année de caserne à Aix fut l’année de l’éveil. Eveil à l’amour, à la passion, aux grandes questions de l’existence ; mais aussi à la violence et à l’injustice. Ce passage de l’enfance à l’adolescence se fait dans la douleur. C’est cette violence et cette douleur permanentes, qui suintent entre les pages, entre les mots, qui rendent la lecture éprouvante. Ce n’est d’ailleurs en aucun cas le style. Un style épuré, simple, presque enfantin. Des mots originels, presque naïfs. Les épisodes sont narrés en synchronie, avec le personnage, celui qui dit « je ». On sait qu’il s’agit de Charles Juliet enfant. Mais les faits sont racontés de telle manière qu’on croirait à une fiction. Jamais l’auteur ne se montre ; jamais l’auteur n’analyse. Toujours il nous livre ce qui s’est passé, à ce moment là, et ce que l’enfant qu’il été a pensé.
En aucun cas ce qu’il a dit. Il y a peu de paroles rapportées dans ce livre. Ce livre est douloureux comme une bouche qui s’ouvre, non sans peine, après un long mutisme. Les lèvres scellées sont ankylosées, brûlantes, minéralisées. Chaque mot est une douleur.
Enfant, il ne parlait que peu. Quand il fait la connaissance de la femme du chef, celle qui va l’aimer, lui apprendre l’amour, il ne sait que lui dire ; et jamais il ne saura quoi lui dire. Pourtant, dans l’enthousiasme de cette rencontre, les mots lui viennent, avide qu’il est de raconter.
En revivant cette journée avec des mots, je remarque que mes émotions sont plus intenses que lorsque je les ai éprouvées pour la première fois. Je goûte maintenant une joie des plus vives, et c’est sans doute pourquoi je leur parle de la femme du chef avec un tel enthousiasme.
 Avec elle, il découvre l’amour, mais aussi les lettres ; les mots qui disent l’amour.
En fin d’étude, je les laisse tous descendre, et lorsque je me retrouve seul, je parcours en toute hâte ces lignes qui tremblent sous mes yeux. Mais je suis comme ivre, et je ne comprends rien à ce que je lis. Cependant les mots retentissent en moi, et je réalise soudain que je tiens une lettre d’amour dans mes mains. Et cette lettre, on me l’a donnée. C’est pour moi que ces mots d’amour ont été écrits.
Mais que faire de ces feuillets ? […]
Les feuillets que je tiens enfouis dans ma poche, je les porte à ma bouche. Me mets à les mâcher et les avaler. Pour n’avoir pas à me séparer de ce qui m’est venu d’elle. Pour la sentir vivre en moi. Pour faire passer ses mots dans mon sang.
Si les mots ne viennent pas de lui, ils entrent en lui.
En classe, il étudie, mais reste muet quand il s’agit de réaliser un exposé devant les autres. Face aux anciens ou à ses supérieurs, les mots lui échappent. A cause d’eux, il subit les pires punitions, les pires humiliations. Ajoutons à cela le froid, la faim, la pénibilité des contraintes. Il a peur de devenir un voyou ; il a besoin de la voir pour qu’elle lui dise qu’il n’en est pas un. Cette passion de la boxe qui l’a rapproché du chef, bientôt il la détestera autant que lui. Cette bêtise, cette révolte qui est la sienne, il va s’en débarrasser, comme il se débarrasse de la crasse qui macule sa tenue lorsqu’il est de corvée de latrines.
Mis à part tous les détails de la vie en caserne, de ses difficultés, de l’oppression et des sévices, ce livre exprime la douleur des mots, de leur mauvais usage, de leur quête dans un monde qui est l’opposé de la littérature. Les mots qui brûlent les lèvres, les mains, les pides, les jambes, tout le corps qui brûle à cause des mots, parce qu'on a été puni à cause d'eux, parce qu'on a été insolent. Ces mots douloureux, il les grave dans le bois de sa paillasse alors qu’il est au trou pour avoir trop parlé…Et ce, plusieurs dizaines d’années avant de pouvoir les coucher sur le papier.
Mais avant de s’exprimer à la face du monde, bien avant de vouloir nous parler, c’est à elle qu’il veut clamer son amour, son désir, à elle qu’il veut dire ce qu’il ressent.
Sans répit je pense à elle. Ces mots que je voudrais un jour lui murmurer, ils me viennent en abondance, et dans le noir, avec mon index, je lui écris sur le mur des lettres ardentes et désespérées.
L’écriture est mutique, la parole presque autant. Mais tout finit par s’épancher, parfois quand il ne le faut pas, sinon, quand la nécessité s’en fait sentir. Charles Juliet a mis des années avant de pouvoir écrire ; avant d’oser écrire. C’est ce qu’il m’intéresse de comprendre, et j’ai le sentiment que ce livre est l’une des clés.
 

Mercredi 10 novembre 2010 à 10:45

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/juliet.jpgLambeaux, Charles Juliet
Des morceaux de tissus en charpie ; un déchirement originel, un cri. Un lapsus : A trois mois, après mon suicide… Avec cet ouvrage, Charles Juliet plonge dans les abysses de ses origines, plonge dans la mine des mots à la conquête de ce qu’il est.
Toutefois, ce récit n’est pas authentiquement autobiographique. Certes l’auteur écrit pour se trouver ; mais ce qui motive l’écriture, c’est la reconstruction. Déchiré qu’il est, le texte, même s’il est parcellaire (esthétique du fragment!), lui aussi en lambeaux, permet de tisser quelque chose de neuf. Puisque tu ne t’aimes pas, il t’appartient de te transformer, de te recréer.
Cette reconquête de soi n’est pas sans exigences. Il s’agit pour lui de reconquérir cette part de lui-même qu’on lui a déchirée à trois mois, quand on l’a séparé de sa mère. Il est comme coupé en deux. Alors rien ne convenait mieux à cette recomposition de soi qu’un récit en deux parties : l’histoire de sa mère, ensuite la sienne.
Tout est bref, fragmentaire, silencieux et sacré. On ne sait rien de trop. Dans une économie pudique, dans une volonté de sacralité et d’exactitude du mot, Charles Juliet nous raconte, se raconte; il lui raconte ce qu’elle été,  il se raconte ce qui fait qu’il est. L’originalité de ce texte, c’est l’usage de cette deuxième personne du singulier. Etonnante, un peu oppressante au début. Il y a quelque chose d’envoûtant. Il s’adresse à sa mère, puis à lui-même, avec l’usage du vocatif. Il s’adresse aussi, beaucoup finalement, à nous. Nous lecteurs, avec qui il installe une intimité des plus grandes. Ce « tu » qu’il emploie rend cette irruption sans détours dans le passé de l’auteur et de sa mère brutale et émouvante. Elle nous atteint au plus profond de ce que nous sommes.
Même si notre vie n’a rien à voir avec la sienne, cette deuxième personne nous engage malgré nous. C’est à nous qu’il s’adresse, autant qu’à lui-même. 
Prêter à autrui les mots dont il a besoin pour avoir accès à lui-même et formuler éventuellement ce qu'il vit.
Il rend sa démarche universelle, sans pour autant avoir recours aux poncifs autobiographiques. Il y a quelque chose du « Tu ne tueras point » biblique, sans la dimension angoissante. Charles Juliet nous fait assister à ce face à face avec lui-même, sans que nous soyons concernés par ce dégoût et cette incompréhension qu’il s’inspire. Bref, une énonciation des plus particulières, qui rend le passé présent, et renforce la confiance entre l’auteur et le lecteur, dans un pacte autobiographique inexprimé.
Sa mère, cette femme qui a du renoncer aux études, qui a fondé une famille, pour finir dans un asile. A cause de lui. Le petit dernier. L’enfant de trop ; celui qui deviendra l’enfant de troupe de L’Année de l’éveil. Une femme déchirée elle aussi, à laquelle on a arraché l’amour. Cette femme qui, comme lui sur le bois, écrira sa souffrance sur les murs. Mais qui jettera ses cahiers dans l’eau ; au feu ; à la boue.
Deux faces d’une même médaille. Elle est l’ainée ; il est le petit dernier. Une boucle qui cherche son aboutissement… Lui aussi a un secret ; l’amour qu’il partage avec cette femme, la femme du colonel. Et puis ce besoin impérieux d’écrire. Toujours des questions qui tournent dans sa tête, tous ces mots qu’il rencontre et qu’elle ne pouvait voir. Pour elle, une existence aliénée. Pour lui, une liberté dont il craint de se saisir. Un mutisme s’impose à lui. Il ne sait pas comment dire les choses. Il peut rester des heures à sa table de travail, sans rien écrire. Parce qu’il a voué sa vie à l’écriture ; mais que les mots sont douloureux ! Il faut aller les chercher loin, profond. Et quand on les ramène, ils sont gris, mornes, insuffisants. De plus, pour lui qui au début ne connaissait rien, il a fallu creuser la terre, préparer les sillons, ensemencer. Grappiller les graines aussi. Il n’avait jamais rien lu, jamais rien connu de l’art et de la littérature. Le peu qu’il en avait appris à la caserne n’était pas suffisant. Il avait soif ; alors il s’abreuva…
Tu veux écrire. Tu veux écrire mais tu ignores tout ce que en quoi consiste l’écriture. De surcroît, tu n’as strictement aucune culture. Lorsque tu en prends conscience, tu es accablé et tu comprends que pendant des années, tu vas devoir faire des gammes et dévorer des centaines, peut-être des milliers de livres.
Un ton prophétique (terme imporpre il est vrai, puisqu'on parle du passé...), étrange mais efficace.  
Ce récit est aussi et surtout un tableau à l’eau forte du travail de l’écrivain. Presque une vanité. Ecrire, c’est souffrir ; rester des heures à la recherche d’un mot. La dure vie d’écrivain passée au scalpel. De ce métadiscours, de cette genèse douloureuse de l’œuvre, Charles Juliet ne nous cache rien. Après des heures de travail, parfois infructueux, son corps, son esprit sont en charpies. De ces charpies, de ces lambeaux d’être qui lui restent, il va constituer un texte ; une œuvre. Les tisser ensemble, par l’usage du mot juste, pour qu’à travers les blancs, on puisse recréer l’histoire.
Un texte dans lequel on est embarqué presque malgré soi. Un texte qui fait comprendre la douleur de vivre, la douleur d’écrire, mais finalement, plus que tout, ce que la littérature et les mots ont de salvateur.  

Pour continuer, un magnifique entretien avec Charles Juliet...
 

Mardi 16 novembre 2010 à 23:55

Rencontre(s) avec Charles Juliet

Nous avons eu la chance de rencontrer Charles Juliet en novembre. C'était une rencontre mémorable et impressionnante... autant en garder une trace, dont je vous propose un bref résumé, fort peu complet, subjectif et maladroit, mais, tout de même, une trace!

Il a de belles mains. Voilà la première chose que j’ai observée, quand j’ai pu le voir d’assez près. Je l’entendais par contre, dès que je suis entrée dans la salle. Il parle avec une voix basse, un peu faible, mais assurée. Un sage. Et il a de belles mains. Malgré la violence qu’elles ont subi, les coups, le froid, les engelures, elles sont belles et fines. Des mains qui ont écrit.
Charles Juliet a de belles mains, une belle voix, et un sourire. Un sourire qui met en confiance. Pas le genre de sourire toutes dents dehors, mais plutôt, presque, un rictus. Rictus, cela fait péjoratif en général, mais là c’est un rictus bienveillant, un rictus dont on retient la première syllabe, un rictus qui rit, rit comme irradie, ou rayonne… pas non plus un sourire qui rit en fait… Quelque chose de profond en tout cas.
Il raconte son histoire, qui est aussi celle de son œuvre. A un mois, il a été séparé de sa mère. Or une telle séparation est insurmontable pour l’enfant. Il était l’enfant de trop. Après l’avoir mis au monde, ce quatrième, ce surnuméraire, sa mère ne l’a pas supporté, et est tombée en dépression. Internée. Elle est décédée là-bas, de mal nutrition. C’est le moyen qu’ont trouvé les nazis pour exterminer ces indésirables. Charles Juliet paraît ému ; il dit qu’ils finissaient par manger des couvertures, de la terre. Pourtant il continue, il raconte. Il dit qu’il se sentait responsable de la mort de sa mère. Que plein de choses se passaient dans son inconscient. Il avait besoin d’en prendre conscience pour dissoudre ce sentiment de culpabilité, pour s’en libérer. S’en libérer comme on dépose un fardeau. Il avait besoin de l’écriture. Celle-ci s’est imposée à lui, telle quelle ; jamais il n’a eu le choix. Il lui fallait écrire.
Lambeaux, nous dit-il, a été écrit en deux temps, séparés par deux années. La première fois, l’écriture est née d’une impulsion. Ensuite, par hasard, il a rencontré un paysan qui avait connu sa mère. Alors de cette lettre qu’il voulait initialement écrire à cette mère qu’il n’avait jamais connue, est né Lambeaux. Et puis finalement, après avoir écrit sur sa mère, il a voulu parler de son autre mère, celle qui l’a élevé. Et de fil en aiguille, tout naturellement, il en est venu à parler de lui.
Quand on lui demande s’il est gêné de parler ainsi de sa vie, de son intimité, il dit que non, qu’il est habitué, qu’il a pris la distance nécessaire.
Il dit avoir toujours eu en lui cette passion de l’écriture. Il ne pouvait pas lui laisser voir le jour alors qu’il était enfant de troupe, mais elle était là. Et encore aujourd’hui, malgré l’épuisement, elle demeure.
Il nous parle de l’écriture. Pour lui, elle est un instrument qui lui permet d’intervenir sur lui-même. Il cherche à traduire ce qu’il y a en lui avec le plus de vérité et de simplicité possible. Il lui faut beaucoup de travail pour parvenir à cette simplicité. Parfois, il fait des insomnies, et alors il compose une page ainsi, dans sa tête, dans ce moment d’entre-deux où on oublie le corps et le monde, et où la pensée flotte. C’est presque comme s’il écoutait une voix intérieure, quelque chose de refoulé. Et puis il s’endort, et le lendemain, les mots sont là, intacts, dans sa tête. Ou encore il aime composer des poèmes en marchant dans la rue. Il effectue alors des ratures mentales. Pourtant, le poème, le plus souvent, se compose de lui-même sur la page, avec son rythme. Pas besoin de ponctuation. Il y a comme une pré-élaboration dans l’inconscient, et le poème surgit. Il est à l’écoute de lui-même…
Il dit avoir effectué une psychanalyse par lui-même. On lui a dit que c’était impossible ; cependant il est parvenu à renverser la position normale de l’œil, cet outil qui permet de nous voir et de nous percevoir. Il a inversé le regard intérieur, de manière à ce que cet œil, qui fait partie intégrante de ce qu’il a à explorer, puisse se mettre à distance de ce magma, de cette réalité interne, et observer ce d’où il émane. Il faut pour cela que la vision s’affranchisse de ce qui la détermine. Il est ainsi passé du « moi » au « soi ». Pour aimer, il faut sortir de soi-même ; de même que pour se connaître, il faut se mettre à distance.
Le journal l’a aidé à commencer cela. Au début, il lui a été difficile de se déployer. Les mots formaient des concrétions, il fallait enlever toutes ces pierres qui bloquaient l’accès à la source. Les années ont passé. L’Année de l’éveil, sa première autobiographie, lui a permis de creuser davantage encore. Il a également rencontré des peintres, écrits sur leur œuvre. Pendant vingt ans, il a souffert, beaucoup.
On lui demande alors ce qu’il a pensé des adaptations de ses œuvres, au théâtre, au cinéma. Il est rarement satisfait. Dans le film L’année de l’éveil, la violence n’est pas suffisamment rendue selon lui. Il dit avoir eu sur le tournage de meilleures idées que le metteur en scène. Lequel ne lui a même pas demandé son avis. Il ne se reconnaît pas dans cet enfant, qu’il appelle lui-même le « petit garçon » et qui, « je crois », monte les escaliers en se faisant frapper.
Avant de nous quitter, il nous donne des conseils. Avoir le courage de penser par soi-même, avoir le courage de ses idées, avoir une personnalité. C’est difficile aujourd’hui, on est envahi, obnubilé par toutes les choses qui se passent autour de nous. Mais il faut « prêter attention à notre voix intérieure ». Beaucoup trop de personnes sont étrangères à ce qu’elles sont, ont une trop grande méconnaissance de leur vie intérieure, occultée par la vie extérieure. Voilà ce qu’a dit Charles Juliet aux L3, et à ceux qui étaient là. L’entretien a été filmé, mais je ne sais pas où avoir accès à la vidéo.
Ensuite on le retrouve dans l’amphi, pour la « grande soirée ». Il est souriant, à l’aise. Je lui ai dit que j’étais gênée de lui poser encore des questions sur son autobiographie. Il me dit que ce n’est pas grave. On dirait un gentil grand-père…
On commence par parler du journal. Il dit qu’il avait besoin d’écrire pour cerner sa pensée, la clarifier. Mais ce travail sur soi qu’il effectue demande une grande solitude. Son journal, qu’il écrit régulièrement, est une œuvre qui a pris forme sans qu’il en ait véritablement conscience. Chez lui, tout s’impose, il ne maîtrise rien, ou si peu. Pourtant sa voix ne vient pas d’en haut, elle vient de l’intérieur. Au début il ne peut écrire que par fragments, parce qu’il n’a pas de continuité intérieure. La prose est venue plus tard ; ce qui explique qu’il en soit venu à publier de manière si tardive. Il s’agissait pour lui d’explorer cet égocentrisme et de le dépasser. La naissance à soi-même passe par une mort à soi-même. Il a du écrire l’Année de l’Eveil pour ce libérer de cet enfant qu’il était. Puis il a écrit Lambeaux, la deuxième personne étant la continuité de cette ébauche mentale de lettre qu’il avait initiée. Ce n’est donc pas un procédé littéraire sciemment choisi !
La difficulté quand on écrit, dit-il, c’est de ne dire que ce que l’on veut dire. Il cherche, toujours, le mot juste. Il faut que chaque mot paraisse inévitable. Travailler sur les mots permet de travailler sur soi-même, permet de se clarifier. Et si il continue d’écrire après Lambeaux, l’œuvre qui l’a libéré, c’est parce qu’il cherche à atteindre l’impérissable, l’éternel. Il cherche ainsi à être hors du temps.
Avec son travail sur les auteurs, par exemple sur Giaccometti, il cherche à retranscrire leur parcours, à retrouver leur démarche. Il cherche ce qui fait la vraie singularité de chacun d’eux. Peut-être se cherche-t-il lui-même à travers eux ; c’est même probable.
Pour lui, le travail est comme une ascèse mystique, et la douleur est l’absolu de la vocation artistique.
Pour lui, les mots sont comme des révélateurs, qui donnent ce que nous possédions sans le savoir. on n’invente que ce qu’on a en soi, que ce qu’on a vécu. Ainsi, il rejette l’imagination, et c’est l’autobiographie qui s’impose. Il est toujours en quête de lui-même, même si aujourd’hui ça n’est plus vraiment douloureux.
Il nous a lu un poème, un extrait de son journal, un extrait de Lambeaux. Il a ainsi « prêté à autrui les mots dont il a besoin pour accéder à lui-même et formuler éventuellement ce qu’il vit. »
Un camarade a enregistré la rencontre. Je verrai si je peux mettre un lien.
En tout cas, voilà un grand homme, un grand écrivain. Un écrivain à l’écoute de lui-même, qui est sa propre source d’inspiration. Ça n’est pas si fréquent quand on y pense, en tout cas de manière si flagrante et permanente. Lui et l’œuvre constituent un tout. C’est du Montaigne concentré, sans dilution. Un noyau dur, qui n’est que noyau dur…
J’ai essayé de transcrire tant bien que mal l’essentiel de ce que j’ai retenu. Je n’ai pas pris tant de notes que cela, parce ce qu’il disait, parfois je l’avais lu dans son œuvre, ou bien dans des entretiens disponibles sur internet. Mais quoi qu’il en soit, c’était un grand moment !

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