Il a un temps pour tout ; un temps pour le travail, un temps pour le repos, un temps pour les loisirs, un temps pour la lecture, un temps pour l’amitié, un temps pour la famille, un temps pour l’amour, un temps pour la remise en question. J’ai tout expérimenté cet été ; tout s’est enchaîné, enchevêtré, mêlé et croisé.
Il semble que je n’ai rien lu, et pourtant…
J’ai beaucoup lu cet été, lu parce que je me suis reposée, mais aussi parce que je me suis remise en question, et un peu parce que j’ai travaillé. Bref, il est temps, maintenant, de faire un petit rapport de ces lectures d’été…
Un très grand amour, Franz-Olivier Giesberg
L’amour, c’est quoi ? et surtout, un grand amour ? C’est cette expérience unique du très grand amour que nous décrit l’auteur avec beaucoup de discernement et d’autodérision, humour et recul obligent, puisque finalement, de cette expérience, il n’en reste que des miettes ; des miettes de souvenirs. Juliette, cette fille aux cheveux blonds qu’il a tant aimée, Juliette qu’il a rencontré à la fac, normal, trop ordinaire presque pour un très grand amour, Juliette qu’il va aimer, pour laquelle il abandonne sa famille, pour laquelle il aurait tout fait, parce que pour lui, elle est cet accroissement d’être que doit être l’amour et dont parle Spinoza. Mais entre eux il va il y avoir le cancer, les soins, le refus de l’ablation, parce que la virilité, c’est ce qui fait exister l’homme auprès de la femme. Alors on se sépare. Et le grand de l’amour alors ? Un très beau roman.
La solitude des nombres premiers, Paolo Giordano
Alice et Matthia sont deux jeunes un peu à part dans la société, un peu seuls, parce qu’ils le veulent mais aussi, peut-être, parce qu’ils ont quelque chose d’unique : ils s’apparentent à des nombres premiers, ces rares nombres premiers qui, plus ils augmentent, plus ils deviennent rares et éloignés les uns des autres. Il semble que le destin de ces personnages d’une insondable tristesse, qui essaient de maintenir la tête hors de l’eau mais n’y parviennent qu’avec peine, soit similaire à ces nombres, qui s’éloignent, s’éloignent, s’éloignent, pris par la vie. De l’infini dans du fini, des étoiles parcellaires dans un ciel sans limites. Un roman très sympathique, bien loin des préjugés que je pouvais avoir à son égard. Un de mes « coups de cœur », pour parler in.
La délicatesse, David Foenkinos
J’avoue, j’ai lu ce livre comme on regarde un film de fille : avec une frange de honte, mais beaucoup de plaisir. Pour se vider la tête rien de mieux ; pour rêver un peu aussi. C’est une histoire incroyable, un peu ridicule tellement elle est incroyable, un peu ridicule parce que c’est une histoire d’amour. Et que l’amour, c’est toujours un peu ridicule ; positivement ridicule. Bref, c’est l’histoire d’une veuve qui retrouve l’amour. Elle est encore jeune et belle, tristement belle ; un jour, sur un coup de tête, elle embrasse un insignifiant collègue (sic). Et là… Bref, c’est un roman de fille, mais il a tout de même reçu un certain nombre de prix littéraires malgré tout, a été traduit dans une multitude de langue, et permet de passer un bon moment. Que demander de plus en vacances ?
Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld (cf chronique sur ce blog)
L’attrape-cœurs, J. D. Salinger
Holden Caulfield s’est fait renvoyer du lycée. Ce jour et le suivant vont alors marquer un tournant dans sa vie. Ces deux journées pas comme les autres nous sont racontées par la voix même du jeune garçon, voix de la rue, voix populaire, voix d’un type qui découvre le monde, les autres, les filles, la vie. Un garçon exceptionnellement sensible sous la gouaille, dont le rêve est d’empêcher les enfants de tomber de la falaise ; autrement dit, d’empêcher les enfants de grandir. Parce que l’enfance, c’est le meilleur de la vie.
http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2009/06/05/222-l-attrape-coeurs-de-jd-salinger
Thérèse Desqueyroux, François Mauriac (à venir sur ce blog)
L’espèce fabulatrice, Nancy Huston
Toute notre vie est constituée de fictions ; l’homme a conscience de sa mort, alors il invente des histoires, pour donner un sens à cette vie qui file. Nancy Huston nous le montre, en à peine 200 pages, jouant de l’essai et de l’imagination. Au centre : la littérature. Génial.
http://culturofil.net/2008/06/07/lespece-fabulatrice-de-nancy-huston/
Dans ces bras-là, Camille Laurens
Voilà le roman de Camille Laurens qui lui a valu les honneurs ; ceux des lycéens, mais aussi de Tom (cf blogroll). Dès que je l’ai vu, dans un rayon au ras du plancher, au premier étage de l’immense librairie de Banon, j’ai pensé que ça allait être génial. Et forcément, comme toujours, déception. Certes ce livre est un hymne à l’homme, autofictif, qui parle des amis, des amants, du père, de sexe, d’amour, de rencontres. Des thèmes masculins, virils, agréables, palpables ; mais la construction, l’enchaînement des chapitres, leur répétition… au risque d’en faire crier certains, j’ai trouvé cela un peu lassant… Un souvenir mitigé… Peut-être devrais-je m’y replonger ; à rebours, j’exprime très mal mon jugement.
Vies minuscules, Pierre Michon
Un livre extraordinaire. L’écriture retenue, complexe, longue, un peu lente, méditative, presque biblique, m’a déroutée. Je n’ai pas tout compris ; j’ai eu du mal à bien entendre cette voix presque prophétique. Un prophète du temps passé. A travers le récit de plusieurs vies minuscules, vies de paysans, de grands-parents, de vieillard illettré, d’enfant mort ; à travers la vie des petits, des faibles, des oubliés de la vie ; à travers eux, l’auteur se dit. Une hétérographie difractée ; miroir brisé dont il est le point central. Avancée chronologique camouflée sous les masques des petites gens, ce livre, à sa moitié, devient une illustration de l’errance du poète, ce poète que souhaite devenir Michon, ce titre de poète que lui refuse la page blanche. Poète à la Nerval, un peu fou, amoureux fou et désespéré, mais surtout Rimbaud, jeune Rimbaud errant à la recherche de la beauté. Rimbaud, ce double poétique qui hante Michon depuis l’enfance, comme on l’apprend ici. Genèse de Rimbaud le fils ? Pourquoi pas ! Un livre au ton complexe, sérieux, mais une illustration parfaite de l’errance poétique à travers les masques des petits et des grands.
La conversation amoureuse, Alice Ferney
On dit souvent le meilleur pour la fin. Dans ce cas, c’est vrai. L’histoire semble fort banale, surtout au long des cinquante premières pages : un homme a rendez-vous avec une femme ; ils se séduisent, se cherchent, se fuient. Désir, amour, passion ; énamoration. Rien de plus banal, du déjà vu, vu et revu. Mais le style surprend. Une sorte de monologue intérieur, à deux voix, voire trois : celle de l’homme, celle de la femme, et celle de l’auteur. Les paroles sont rapportées au discours indirect libre, les dialogues s’enchaînent sur la page sans leurs signes conventionnels, les pensées et les voix se croisent et s’expliquent les unes les autres. On comprend tout (ou presque) de l’amour, que ce soit dans la tête de la femme, ou dans celle de l’homme. Bon d’accord, c’est un peu cliché, l’homme qui désire, la femme qui pense ; mais finalement, chacun pense et désire, et ça donne quelque chose de sensuellement réflexif ; une manière unique de faire voir l’amour. Et puis, en parallèle, la vie de plusieurs couples nous est contée ; la vie de plusieurs couples lors de cette même soirée où Alice et Marc (l’homme et la femme en question) sont tout à leur rencart. Finalement tout le monde se retrouve, un peu comme Mrs Dalloway se retrouve à la fête à la fin de la journée. Tout le monde se croise avec ses peines, ses joies, ses amours, son divorce, ses enfants, ses crises et ses disputes. Les désirs eux aussi se croisent, et évoluent au fil du temps, comme l’illustre la seconde moitié du roman. Au restaurant, au téléphone, au lit ; au cours du reste de la vie. Un roman unique, dans un style jamais vu. Brillant, émouvant, scotchant.