Le Monde dans les Livres

Lundi 4 octobre 2010 à 0:08

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/laChartreuse.jpg La Chartreuse de Parme, Stendhal
Je n’avais lu de Stendhal que Le Rouge et le Noir, deux fois. Une fois sans en saisir les subtilités, comme une histoire d’amour, ou des histoires d’amour, avec au milieu un passage un peu long de vie monacale… et puis une seconde fois, plus aguerrie que j’étais, capable d’en saisir certaines subtilités. J’avais également feuilleté son De l’Amour, acquis dans une brocante. Et puis j’avais acheté La Chartreuse. Des années, peut-être quatre ans, voire cinq, qu’elle (le livre, s’entend… mais le Chartreuse, je veux dire l’œuvre, est devenue une entité féminisée, le roman féminin de Stendhal, l’œuvre italienne aux puissantes épices, qui s’oppose au Rouge, le roman masculin, celui de l’ambition, de la passion… !) était dans ma bibliothèque, dans une édition commentée, pas très jolie, trop scolaire, à la couverture trop voyante. Aucun charme italien… Je l’avais commencé tout de même, parce qu’on parle si souvent de cette bataille de Waterloo, fameuse parce que Fabrice, dont on suit le regard, ne voit rien… Etrange d’établir la postérité universitaire d’une œuvre sur un épisode qui ne raconte rien, à part l’incompréhension du héros… Maintenant que je suis arrivée à la moitié du roman, au seuil du second livre, je comprends des choses ; et j’ai pitié de Fabrice. Franchement, Stendhal ne le ménage pas le pauvre, surtout au début. Et c’est là qu’on découvre que La Chartreuse, c’est drôle. Vraiment drôle. Bourré d’ironie, mais une ironie saisissable. Il ne faut juste pas prendre le texte au sérieux. Ou plutôt si, le prendre à la lettre, et voir que vraiment, c’est ironique. En dépassant l’aridité présumée du texte, en étant attentif aux détails qui finalement font tout – fi dates, lieux, considérations politiques, fi, fi ! Faisons comme Gracq, voyageons en stendhalie, avec dans l’idée qu’un roman, c’est de la fiction gratuite, sans visée didactique, sans vérité cachée- juste le plaisir de lire des aventures enrobées dans de beaux mots. (nb : il ne s'agirait tou de même pas d'occulter une lecture possible du roman comme une version de la chute de Napoléon, ou encore une satyre possible de la Cour italienne en 1820... Mais je reste dubitative, et suit Gracq!)
Et quelles aventures ! Gina d’abord, la tante du héros. Une vraie briseuse de cœurs. Et Fabrice Del Dongo alors, un jeune homme de dix-sept ans un peu niais, qui croit avoir lu dans le ciel l’appel de Napoléon – un aigle chassant une souris, probablement…- et s’est enrôlé dans l’armée. S’ensuit Waterloo – je n’y reviens pas…-, épisodes vraiment drôles, conseils tous azimuts, apprentissage sur le tas, bref, une campagne militaire comme on en a jamais vue. D’ailleurs on ne voit pas Napoléon. Normal me direz-vous, puisque Fabrice ne voit rien, et qu’on est en focalisation interne (ahah il fallait bien la placer celle-là !). Mais vraiment, cette fois, j’arrête sur le sujet, promis.
Fabrice, de retour auprès de sa mère et de sa tante devenue veuve, manque de se faire arrêter pour être sorti du pays sans passeport. Il s’exile. Pendant ce temps – Stendhal est le spécialiste des sauts dans le temps, qui déroutent un peu le lecteur, mais qui font son charme, j’y reviendrai- Gina a trouvé en la personne du conte Mosca un parfait amant (il est ministre de la police et des finances à Parme). Elle épouse un vieillard riche pour s’assurer une place à la cour de Parme (d’où son nom resté dans les annales, la Sanseverina – nom du vieillard en fait), où elle est accueillie à bras ouverts, et est rapidement considérée comme l’une de ses plus belles femmes – si ce n’est la plus belle.
Fabrice revient, repart trois ans en formation cléricale, revient à Parme, vit sa vie de jeune homme, rend jaloux Mosca, fait tressaillir le cœur de plus d’une femme, plus que jamais défaillir celui de la Sanseverina (sa tante, certes…). Il évolue, n’est plus le jeune candide du début, quoi que… Il vit de multiples aventures, celles d’un don juan le plus souvent. Pourtant, et c’est là que réside tout l’intérêt du personnage, Fabrice se croit incapable d’amour.
Mais n’est ce pas une chose bien plaisante, se disait-il quelques fois, que je ne sois pas susceptible de cette préoccupation exclusive et passionnée qu’ils appellent de l’amour ? Parmi les liaisons que le hasard m’a données à Novare ou à Naples, ai-je jamais rencontré de femme dont la présence, même dans les premiers jours, fût pour moi préférable à une promenade sur un joli cheval inconnu ? Ce qu’on appelle amour, ajoutait-il, serait-ce donc encore un mensonge ? J’aime, sans doute, comme j’ai bon appétit à six heures ! Serait-ce cette propension quelque peu vulgaire dont ces menteurs auraient fait l’amour d’Othello, l’amour de Tancrède ? ou bien faut-il croire que je suis organisé autrement que les autres hommes ? Mon âme manquerait d’une passion, pourquoi cela ? Ce serait une singulière destinée…
Je vous laisse goûter toute l’ironie que l’on sent pointer de la part du romancier, qui prête sa plume aux paroles du bellâtre. Et tous les clins d’œil qu’il jette au lecteur. On se doute bien qu’un héros qui aurait une telle destinée ne saurait survivre encore 250 pages, les 250 pages qu’il reste du roman et constituent le second livre, et que je vais m’empresser d’aller lire !
S’empresser, c’est bien le mot. Parce que dans la Chartreuse, les épisodes s’enchaînent, se succèdent, se mêlant et se démêlant aussi vite. Toutefois, rien n'est bâclé, tout ce qui était possible semble réalisé, écrit, posé.  Des péripéties, de nouveaux protagonistes, des déguisements et des identités diverses pour Fabrice, des hommes amourachés pour la Sanseverina, la jalousie galopante de Mosca… Peu de moment de pose, d’exploration de l’intériorité, de « tempête sous le crâne » (le mot est de Gracq, peut-être même de Stendhal lui-même) comme dans le Rouge et le Noir (je pense par exemple à la scène où Julien se fait un devoir de prendre la main de Madame de Rênal). Parfois des moments de contemplations, mais souvent, très souvent, de l’action. Et malgré tout, j’aime. J’aime parce que c’est puissant, un torrent bouillonnant mais plaisant. Et puis les personnages sont attachants, il tarde de savoir ce qui va leur arriver, quelle nouvelle aventure ils vont vivre. Les épisodes s’enchaînent avec une telle frénésie qu’on se demande si Stendhal n’écrirait pas au grès de ses folies.
Toute empressée que j’étais d’écrire, je n’ai pu attendre la fin. L’empressement de la plume serait contagieuse…
A bientôt pour la suite !

Dimanche 10 octobre 2010 à 23:55

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/laChartreuse-copie-1.jpgLa Chartreuse de Parme, II, Stendhal

Me voilà arrivée au terme de ce grand et épais classique (mais unique !), La Chartreuse de Parme. Je dois dire que j’ai été très agréablement surprise. Par-dessus le mythe d’œuvre épaisse, politique et pratiquement inabordable que je m’étais forgé par bribes saisies au hasard de mes études, s’est établie la véritable histoire de ces personnages dont le nom m’était familier mais que finalement, je ne connaissais pas.
Ma plus belle rencontre fut sans doute celle du Comte Mosca. Pourquoi lui me direz-vous ? Pourquoi ce personnage dont on entend parler comme étant tout au plus un instrument politique dans les mains du Prince, instrument tout court dans les mains de la Comtesse, et dont le monologue jaloux nous est rapporté dans la première partie ? Et bien j’avais beaucoup entendu parler de ce Mosca lors d’une conférence donnée par Gérard Gengembre (professeur merveilleux…), alors que je n’avais pas encore lu l’œuvre. Je m’étais alors figuré un personnage logé dans une tour, et faisant la pluie et le beau temps (confusion fâcheuse avec le général Fabio Conti, responsable de la Tour Farnèse), et cette situation aérienne avait sans doute contribué à filer la méprise d’un Mosca-moustique, celui qui pique et dérange. En définitive, rien de tout cela. Puisque finalement Mosca est indispensable. Au Prince, à la Comtesse, à Fabrice surtout. De plus il ne dérange personne, puisque ce sont les autres qui le dérangent. Lui aurait aimé partir vivre à la campagne avec la Sanseverina, loin de son rival inavoué, Fabrice. Mosca est au fond un homme profondément amoureux, de la femme la plus belle et la plus passionnée de la Cour, Gina ; mais aussi, au fond, amoureux de la politique. Il exerce son devoir avec brio, même si ses idéaux napoléoniens sont anéantis avec la chute de Bonaparte. Et à la fin, n’est-t-il pas le seul qui reste ? Mosca, ou la victoire du moustique ? Victoire en demi-teinte dirasi-je, puisque s’il parvient finalement à épouser Gina (âgé physiquement de trente ans, mais en ayant mentalement quarante, pied de nez à Balzac, pour qui trente ans est l’âge du mariage, auquel fait suite la quête du bonheur. Notons donc que c’est l’inverse chez Stendhal, puisque Gina se marie par dépit et meurt peu de temps après… Ceci est d’autant plus amusant que j’ai lu quelque part que Balzac aurait compris la Chartreuse de Parme complètement à l’envers…). Donc Mosca épouse Gina, en profite à peine puisqu’elle meurt, et se retrouve à régner en maître sur Parme, avec à ses côtés le Prince quasi fantoche, Ernest V. Bref, le grand vainqueur du roman, c’est peut-être lui…
Mais pourquoi n’en est-il pas le héros ? Et bien tout simplement parce qu’il n’est pas totalement sublime (il l’est tout de même un peu puisqu’il est prêt à renoncer à ses titres au nom de son amour pour la comtesse. Par conséquent pour lui, les privilèges de la naissance ne sont rien au regard de ce que l’on se doit à soi-même, l’honnêteté vis-à-vis de soi et des autres).  Son âme est de marbre, mais son cœur est un chamallow ; il est un amoureux transi qui ne sait s’y prendre pour conquérir le cœur de celle qu’il aime.
Fabrice lui, est véritablement sublime, étymologiquement et littérairement parlant. D’abord il est celui qui s’élève (sublimis en latin, qui va en s’élevant). Le Fabrice qui se retrouve à la tour Farnèse pour avoir provoqué en duel un histrion n’a pas grand-chose à voir avec celui qui assistait sans trop savoir que faire à la bataille qui marqua la fin des Cent Jours, et avec eux du premier Empire. Quoi que… Puisque finalement, son emprisonnement a un motif un peu ridicule. La vraie raison en est plutôt la jalousie du Prince, fou amoureux (lui aussi !) de la Sanseverina. Et puis aussi l’étourderie et les véléités courtisanesques (ou aussi jalousie…) de Mosca. Dans tous les cas, les raisons de son emprisonnement sont un peu ridicules. Donc romanesques ? Peut-être, si l’on considère comme étant romanesque ce qui arrive comme par la volonté d’un dieu, d’une puissance supérieure (celle de l’auteur ?). Le vieux prêtre de son enfance, astrologue, ne lui avait-il pas promis un long séjour en prison ? Quoi qu’il en soit, Fabrice s’est élevé, il a appris, les femmes, les dangers, la ruse… et enfin l’amour ! C’est là que réside selon moi le grand bonheur de la lecture de ce roman : la cristallisation de l’amour ayant pour cadre une prison, et pour objet la fille du gouverneur de la forteresse, Clélia Conti elle-même ! Quittant un paradoxe (son incapacité à l’amour) Fabrice en endosse un autre : celui de se plaire à vivre en prison. Mélancoliques tous deux, entourés d’oiseaux, Clélia et Fabrice vont échanger des regards, des lettres écrites avec du charbon ou du chocolat (… !), des sonnets, des larmes, et enfin des baisers (plus encore à la fin, mais Stendhal revisite pour cela le mythe de Psychée, puisque Clélia, devenue Marquise pour plaire à son père, accablé de la honte d’avoir laissé échapper Fabrice de la Tour, a promis devant la sainte Vierge de ne pas voir Fabrice… A la fin elle meurt, punie pour son hybris de l’avoir entrevu à la lumière de la lampe qui lui permettait de soigner son fils malade ?...). Fabrice s’élève également vers les choses divines (ou presque, puisque l’objet de la quête qui le mènerait au bonheur n’est autre que Clélia…) en devenant un prédicateur hors-pair. Et à la fin, il monde, il monte encore, puisqu’il trouve, pour un an, refuge où ça ? A nul autre endroit que la Chartreuse de Parme !
Voilà donc l’explication de ce titre en apparence trompeur ! Ah là là quel farceur ce Stendhal ! Il a le don de bluffer. Dans le Rouge et le Noir, n’a-t-il pas dit que ce titre tenait à ce que si Julien était né plus tôt, il aurait endossé l’habit rouge du soldat, mais de par son âge, il n’avait endossé que la noire soutane ? Avec des énigmes pareilles, pas étonnant que ses romans soient réservés aux Happy Few !
L’élévation de Fabrice, en somme, est peut-être un peu burlesque. Je ne saurais me prononcer davantage à ce propos, puisque je ne prétends pas m’y connaître suffisamment pour proposer des arguments pertinents. Je laisse donc la parole à un très éclairant article sur le sublime dans La Chartreuse de Parme. Après lecture rapide de celui-ci, je peux dire que ce qui fait de Fabrice un personnage sublime vient du fait qu’il cherche sans cesse à s’élever non pas pour obtenir les honneurs (à la fin il montre à quel point il déteste tenir salon ou jouer au whist) mais pour coïncider avec lui-même, dans la simplicité. De même Clélia a une âme noble et sublime, incarnation même du naturel et de la simplicité, définition même du sublime stendhalien.
A noter enfin que le personnage qui atteint le paroxysme du sublime est peut-être Ferrante Palla, cet homme qui s’est trouvé (donc qui a achevé cette quête de soi, condition de la montée asymptotique vers le sublime (je synthétise ma lecture de l’article…)) dans l’art et la nature, qui a développé une passion (amour pour la Sanseverina), et a un objectif politique, renverser le tyran (il a en cela quelque chose du Lorenzzo de Musset).
Une multitude de personnages, un foisonnement de références (historico-politiques que je n’ai pas cernées, romantiques (le Lac, le sublime des paysages, les réflexions face aux paysages), picarestes et italiennes (of course !), l’amour, la haine, le désir, la jalousie, la religion honnie, les symboles,…)
Un roman complet, extraordinaire, dont une bonne partie de la profondeur a du m’échapper du fait de ma mauvaise maîtrise de l’Histoire et des références historiques. Une très belle et longue lecture, une impression de retrouvailles transfigurées, peut-être même plutôt la découverte d’un joyau que je ne voulais, alors qu’il se trouvait sous mon nez… Je n’ai pas sauté de pages, j’ai saisi l’essentiel (les intrigues de cour me laissent un souvenir plus que confus, mais qu’importe) et vraiment, cette lecture est abordable, et même palpitante. Je la conseille à tous, peut-être même plus aux jeunes garçons, tourmentés par l’amour… Un roman pour les jeunes d’aujourd’hui, un roman qui donne sens.

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