Le Monde dans les Livres

Vendredi 18 juin 2010 à 23:10

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/AntigoneAnouilh.gifAntigone(s), Anouilh, Sophocle


Depuis deux jours, je me suis lancée dans la lecture d’Antigone.

Je ne parlerais ici non pas d’une, mais  de deux pièces : celle d’Anouilh (que j’ai relue avec délectation), et celle de Sophocle, pour tenter, en bonne étudiante sérieuse, une comparaison des deux. Mais je me suis rapidement arrêtée, car ce travail me semblait enlever tout son charme à la pièce d’Anouilh, à la lecture de laquelle j’ai été le plus sensible. Je ne veux pas dire que celle de Sophocle m’ait déplu ; je l’ai lu après celle d’Anouilh, et j’ai pu ainsi établir ce qui avait pu constituer pour lui le point de départ de son œuvre. Juste un petit résumé avant de poursuivre, histoire de situer les choses, et de ne pas trop transiger à la règle de ce bloc : donner envie de lire, en connaissance de cause (et que je m’efforce de respecter, même si parfois le résumé se noie un peu parmi mes commentaires…) :

Résumé (parce qu'il faut que ceux qui ne l'ont pas lue lisent cette pièce merveilleuse!) : Antigone, c’est la tragédie du conflit qui oppose la conscience humaine au devoir d’Etat. Polynice, fils d’Oedipe, prince de Thèbes déchu, a tué son frère Etéocle lors d’un combat au cours duquel il a lui aussi trouvé la mort. Alors que le premier a été enterré comme il se doit, bénéficiant des rites funéraires d’usage, le corps de Polynice a été condamné à rester sans sépulture, en proie aux chiens et aux aigles, et son âme à errer dans le royaume des Morts. Antigone, sa sœur, ne peut tolérer une telle injustice de la part de son oncle Créon. Bravant l’interdit qui condamne quiconque s’opposant à la loi à être lapidé, la jeune fille s’empresse d’aller rendre les derniers hommages au corps du défunt. Elle est surprise, lors d’une récidive, par les gardes chargés de la surveillance du corps, puis condamnée à mort par Créon.

Cependant, chez Anouilh, Antigone c’est plus que ça. C’est comme s’il avait pris la tragédie et lui avait donné une nouvelle dimension. C’est, en quelque sorte, pour moi, l’univers de Sophocle en 3D. Je m’explique : avec Sophocle, tout est dans l’économie, tout est fait pour que le spectateur soit informé des rouages de l’intrigue (les monologues, le Chœur, le Coryphée et le Messager) pour que la tragédie poursuive son avancée inéluctable. Ainsi Créon expose au peuple Thébain, dans une longue tirade, sa décision concernant Polynice. De même, le Chœur et le Coryphée présentent longuement au spectateur la situation, et tirent des leçons des réactions des personnages avec lesquels le Coryphée dialogue parfois. Tout ceci a quelque chose de très solennel, de très sérieux, de très tragique (il faut imaginer que certaines paroles étaient chantées, et constituaient le « mélodrame », le drame chanté… Bref, rien de bien gai là-dedans…). Et que fait Antigone pendant que tout ceci se passe sur scène ? Où est-elle, que fait-elle quand elle ne joue pas son rôle ? C’est justement cela qu’Anouilh nous montre ou nous suggère : Antigone, jeune fille sombre et frêle, amoureuse de la nature, amoureuse tout court, l’âme rêveuse et poétique. Antigone alors qu’elle est partie recouvrir de terre le corps de son frère avec une petite pelle, aux premières lueurs de l’aube ; Antigone qui a même perdu son appétit d’oiseau quand sa Nounou lui beurre des tartines ; Antigone qui ne veut pas que l’on gronde sa chienne Douce ; Antigone qui souffre de ne pas être belle comme sa sœur Ismène, mais qu’Hémon a choisie, quand même. C’est cette dimension qu’Anouilh offre à notre regard, ce caractère humain caché derrière la force tragique de l’héroïne. Cette puissance de volonté, il la met également en scène, dans ce long dialogue avec Créon, au terme duquel, finalement, rien n’a évolué, tout est resté pareil, le pire, annoncé par le Prologue, n’attendant que le bon moment pour se produire. Car le Destin continue sa marche inéluctable. Même si le choix de ne pas enterrer Polynice est arbitraire, même si ce frère soulard qu’elle n’aimait pas méritait de finir ainsi, Antigone suit la voie toute tracée de son destin ; elle sait qu’elle va mourir. C’est là qu’elle est « elle-même », Antigone. Avant, avec sa Nounou, avec Ismène, avec Hémon, elle était  la petite maigre assise dans un coin, qui ne dit rien, et qui pense.

Elle est puissante Antigone, elle ne dit pas oui, elle ose dire non ; elle ne veut pas comprendre, elle en a assez de comprendre, elle veut suivre sa voie. Elle se comporte comme une folle, mais refuse de se taire. Son destin la pousse, inéluctablement. Elle sait qu’elle mourra, qu’elle ne sera jamais heureuse, mais elle aurait aimé vivre. Alors elle crie : elle crie qu’elle ne se taira pas, qu’on n’a qu’à lui dire comme s’y prendre pour être heureuse, heureuse alors qu’elle a laissé le corps de son frère pourrir comme une charogne, son âme errer parmi les Morts, alors qu’elle n’a pas accompli son devoir… Elle veut continuer à dire non, obstinée, enragée. Le petit corps frêle, la tignasse mal peignée, la jeune fille sombre et maigre devient furieuse. Mais c’est avec des fils multicolores qu’elle se donne la mort ; avec du rouge aux lèvres qu’elle accueille Hémon pour la dernière fois. Elle aime voir le monde de l’aube, ce monde sans couleurs ; mais elle aurait aimé vivre, elle aurait aimé continuer à voir les lueurs du jour. C’est parce qu’elle est Antigone qu’elle est condamnée à voir tout en noir, tout de la couleur du tragique. Elle doit tenir son rôle, elle doit regarder droit devant elle et s’acheminer, gravement, vers son destin.

Tout est réglé, tous sont, dès le début, condamnés. Mais en lisant Anouilh, je n’ai pu m’empêcher de penser que, derrière l’héroïne, il y avait une enfant, et qu’elle aussi, elle aurait aimé vivre.

Je viens de lire un article dans le Magazine Littéraire, sur Antigone, justement. Et l'auteur a raison, d'une manière éclatante, évidente : ce qui distingu l'Antigone antique de celle de 1942, c'est l'affirmation de sa totale liberté. Elle n'est ni prisonnière de la loi, encore moins de la religion; toutefois il ets vrai qu'elle semble prisonnière de son destin d'héroïne. Mais c'est parce qu'on sait que c'est une réécriture. Si on lit la pièce comme une oeuvre neuve et profondément présente, on réalise qu'Antigone, c'est la liberté toute nue.

Mercredi 20 octobre 2010 à 18:38

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/machineinfernale.jpgLa machine infernale, Jean Cocteau

Regarde spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel.
Cocteau, dès l’ouverture, nous prévient. Ça va aller très vite, toujours dans le même sens. Une machine infernale est en route, et elle ne s’arrêtera pas. Même si le ressort semble se dérouler avec lenteur, la vie est brève et le destin implacable. La pièce aussi est brève : quatre actes qui sont comme quatre pièces, qui sont chacune un palier, une gare d’arrêt dans cette ascension vers la fin. On pourrait presque les lire indépendamment les uns des autres ces actes en formes de micro-pièces, mais ce serait démonter la machine, et une machine démontée, ça n’avance plus… Or le plus plaisant est de savoir qu’on s’achemine vers une destination, l’ultime destination.
Une destination qui pourtant n'est pas la mort... Angoissant aussi n’est-ce pas ? Mais n’est-ce pas le ressort de toute tragédie ?
Cette voix qui clame la fatalité, dès l’ouverture de la pièce, (réminiscence du chœur antique ?) commence par poser cette sentence implacable : « Il tuera son père. Il épousera sa mère ». L’oracle a parlé. On sait que rien ne pourra y faire. Et surtout, on sait que ce qui va nous être montré, sur la scène (parce que oui, c’est du théâtre tout de même, il ne faudrait pas l’oublier !), c’est l’histoire d’Oedipe. Oedipe, celui à qui sa mère, ayant entendu cette parole fatale de la bouche de Tirésias, Oracle de Thèbes, avait troué les pieds (l’étymologie d’Œdipe est en effet « pieds enflés », en grec) avant de l’abandonner dans la montagne, au milieu des chèvres. Ces pieds qui à l’acte trois le trahissent ; presque… Parce que Jocaste n’en dit rien. Pendant la nuit de noces, morceau de paralittérature (ce passage essentiel de l’oracle ne nous est pas conté par les Antiques), Jocaste et Œdipe tombent de sommeil, cauchemardent, mais ne perçoivent pas leur parenté – que Cocteau, lui s’amuse à leur laisser sous-entendre. Toujours du visible et de l’invisible dans cette pièce, où se côtoient le crédule et l’incrédule, celui qui sait et celui qui ne sait pas. Ceux qui savent tout, qui conduisent la machine, ce sont les dieux. Mais au théâtre, le spectateur n’est-il pas lui aussi une sorte de dieu omniscient ? Surtout quand il s’agit de réactualiser un mythe… Le spectateur voit le fantôme du début, sur les remparts, alors que Jocaste n’entend même pas cette voix implorante avec laquelle son défunt mari Laïus l’appelle. Le spectateur connaît la réponse à l’énigme du Sphinx. Ce spectateur qui sait bien qu’à la fin, Œdipe, le bel Œdipe, finira les yeux crevés…
Fin tragique de ce héros, qui ne voit plus rien, qui ne peut plus rien, qui donc est comme mort...
La cité est sauvée, la peste est dissipée, mais le pharmakôn (le bouc émissaire si vous voulez) lui, a été immolé...
Réécriture d’un mythe… Oui, oui effectivement, Cocteau s’inspire largement de Sophocle. Mais il y a aussi du Shakespeare dans cette pièce. Et presque du Marivaux (le Sphinx tomberait volontiers dans les beaux bras musclés du jeune homme, comme Jocaste dans ceux du jeune soldat. Et les paroles à double sens, hein, le pouvoir des mots et du langage ! On pourrait croire à du marivaudage !) Et presque du Anouilh (oui, lui aussi réactualise les mythes antiques). Il réactualise, sans pour autant faire d’anachronismes. Les paroles sont simples, déniaisées, modernisées, parfois humoristiques. Elles mettent en place une atmosphère universelle, qui participe à cette philosophie de l’humain dont pourrait découler, quelque pessimiste qu’elle soit, la portée symbolique de la pièce : qui que nous soyons, nous sommes pris dans une machine infernale, qui nous rend aveugle à tout, nous abandonnant entre des mains invisibles qui font de nous des pantins. On n’est maître de rien, pas même de son destin. Et même pas besoin de se crever les yeux pour être aveugle et ingénu…
Dédramatiser la tragédie... Pas de grandes envolées lyriques, de grands monologues tragiques, mais des termes du quotidien, que cotoient parfois des consiédrations métaphysiques, politiques (le pouvoir est un grand thème de l'oeuvre!), ou encore de brefs récits... Il y a d'ailleurs l'histoire d'une matrone. Cela vous ferait-il penser à quelque chose? Le Satiricon pardi! Pétrone n'aurait-il pas également mis ici son grain de sel? Ou plutôt de raisin, banquet roman oblige...!
Attention attention cependant, pas de dédramatisation complète, parce qu'on est tout de même en plein drama, autrement dit en pleine action, et en plus, en plein drame familial. On rencontre d'ailleurs Antigone à la fin...
En résumé une machine infernale, avec un style d’enfer, poétique et accessible, des atmosphères variées, du mouvement, des pieds de nez, des doubles sens, du réel et de l’irréel, un monde aux multiples dimensions, bref, une grande œuvre… !
 
 

Mercredi 5 janvier 2011 à 23:58

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Hernani.jpgHernani, Victor Hugo
Drame en cinq actes…
Cinq actes mais plusieurs mois, c’est le temps qu’il faut pour qu’Hernani aime, se batte, se tourmente, change d’avis moult fois, respecte sa parole, son honneur, et meure…
Hernani c’est l’homme dans toutes ses dimensions : le bandit de grand chemin, vivant dans les forêts, puis le duc dévoilé, (Jean d’Aragon de son vrai nom) aux titres aussi nombreux qu’Hernani a de lettres. Je vous dévoile beaucoup d’éléments déjà ; ne m’en veuillez pas… Je ne peux vous parler autrement de ce drame romantique, plus connu pour la bataille qu’il a suscitée que pour les batailles qui se déroulent entre ses pages.
Alors, pourquoi se bat-t-on dans Hernani ? D’abord parce qu’on est passionné, comme toujours. Passionné d’amour. Dona Sol est aimée de trois hommes : Hernani (qui l’eut cru !) le Roi don Carlos, et le Barbon (vous avez dit Molière ?), don Ruy Gomez. Donc forcément, quand on est trois à aimer la même femme, ça passe par l’épée (ou l'enlèvement... rusé?!). Heureusement, personne ne passe, ni ne trépasse…En tout cas pas comme ça. Et sinon, en plus de la passion amoureuse, il y a l’honneur, la gloire, la vengeance, ce qu’on se doit à soi-même et à son nom. L’honneur, toujours. Venger son père d’un affront ancien, voilà ce qui guide le bras d’Hernani, cette « force qui va ». Finalement, ce n’est pas le manquement à cet honneur filial qui le perdra ; mais là, je ne vous dévoilerai rien !
On se bat aussi pour la gloire, et pour ses titres. On se bat contre les autres mais aussi contre soi-même. Don Carlos vous le dira : si l'on est empereur, il faut être magnanime.
Il y a beaucoup de passions dans Hernani, des passions diverses qui s’enchaînent et s’entrecroisent, se frayant un chemin au milieu des coups de théâtre et de la pelote de nœuds. Les valses hésitantes, « aimez moi, venez avec moi », « oh non ne venez pas, ma vie est trop dure pour vous »… alternent avec les mots d’amour pétrarquisés ou bien connus Vous êtes mon lion superbe et généreux, Je vous aime… (III, 4)
Bref, c’est textuellement et dramatiquement grand Hernani. Et à cause de cette grandeur, de ce pilier de cathédrale (Hugo voulait faire de ce drame le point d’ancrage d’un édifice immense), on se bat. La question est alors : pourquoi se bat-t-on pour Hernani ?
Parce qu’Hernani c’est romantique, et que la liberté que revendique les romantiques, ça ne plaît pas aux classiques. Eux ils aiment les règles, les bienséances, la vraisemblance et la métrique. Rien de tout ça dans Hernani. Dès le deuxième vers, les escaliers se dérobent, le vers se casse la figure dans un superbe rejet :
 
Serait-ce déjà lui ? C’est bien à l’escalier
Dérobé.
 
Ahah quelle gageure ! Bafouer ainsi la règle de la métrique, le support incassable de l’édifice tragique ! Déjà les sourcils se froncent, on s’indigne, on hue. Et ça continue. On voit défiler des tableaux plus que des actes (ceux-ci portent des titres, a-t-on jamais vu du théâtre qui puisse être lu ?!), jamais dans les mêmes lieux, séparés par des mois… et les trois unités dans tout ça ?
Une femme aimante et courageuse, qui exprime ses sentiments (Je vous aime ! de Dona Sol !), c’est contraire à la bienséance ! Et les coups de théâtre et autres retournements de situation qui cascadent, ça ne va pas du tout, on ne respecte rien ! Un scandale !
 
Non, non, ça n’est pas un scandale, c’est juste romantique… un drame romantique… le papier souffre tout, comme dit Hugo ; il lui faut maintenant trouver un public. Un public qui accepte que la devise de la poésie soit la même que celle de la politique : TOLERANCE et LIBERTE. Hernani, c’est un drame, un poème tragique désarticulé, bariolé, et ça fait le même effet qu’un coup de pistolet au milieu d’un concert.
La poésie, support de la politique ? Outrage ! Et pourtant…
 
Finis les nobles vers, fini les actes où tout s’enchaîne, glissant vers une fin irrémédiable. A de nombreuses reprises on se dit que c’est fini, Hernani. Et pourtant ça n’est que l’acte III, que l’acte IV… Il reste encore des pages, il reste encore des mots. Il nous tient en haleine, le bon Victor Hugo !
 
Il nous tient en haleine, mais nous balise la route. On reconnaît des pièces, des auteurs. Il y a le Cid, il y a Cinna ; l’amour ou l’honneur, la clémence d’empereur. Il y a Molière, il y a Hugo ; le vieillard amoureux et l’Espagne, les tableaux ; la galerie de portraits, le héros, bandit vil puis duc sublime… presque le ver de terre amoureux d’une étoile… mais ça c’est dans Ruy Blas…
Bref, j’en passe, et des meilleurs (ça c’est dans Hernani )
Et à la fin on parle en vers, aussi... ^^
 
Une belle surprise. Je ne pensais pas apprécier autant un drame romantique, et en plus, de Victor Hugo (a priori stupides que j’ai sur cet auteur… mais ils tombent, ils tombent, peu à peu ! Conseillez moi d’ailleurs !)
Je m’en vais de ce pas lire Ruy Blas. Après la force qui va, voyons ce qu’Hugo nous réserve…

Vendredi 7 janvier 2011 à 21:54

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/RuyBlas.jpgRuy Blas, Victor Hugo
Après la rencontre d’Hernani, voilà que j’ai retrouvé Ruy Blas… Un vallet se faisant manipuler par son maître don Salluste, un banni qui veut se venger de la Reine d’Espagne, vil et lâche personnage (il a eu un enfant avec une des suivantes de la Reine…) ! Puisque Don César de Bazan, comte de Garofa, dit aussi Zafari quand il court les chemins, cousin de mauvaise vie (il peut parler lui aussi !) ne veut pas le venger, d’après vous, qui va être dupé ? Le malheureux valet !
Ce pauvre Ruy Blas, amoureux fou de qui ? je vous le donne en mille ! de la Reine d’Espagne elle-même. Enfin bref Ruy Blas, dont don Salluste a entendu les confidences à Zafari, est pris au piège de ce maître fourbe et industrieux. Il ne se doute de rien, écrit sous la dictée des lettres compromettantes, obéit sans ciller, puis viennent les mots fatals :
Et que m’ordonnez-vous, seigneur, présentement ?
 
De plaire à cette femme et d’être son amant.
 
Bonheur immense, mais peine terrible… un verre de terre peut-il être amoureux d’une étoile sans la compromette ? Toutefois il va la rencontrer, l’aimer, et même, se faire aimer. Dès qu’elle le voit, la Reine tombe sous le charme de… don César, conte de Garofa, sous les traits de Ruy Blas. Un véritable coup de foudre. Pendant six mois c’est la passion, silencieuse et dissimulée. Il devient son ministre, défend le peuple (« Bon appétit Messieurs ! »), et aime. Il est plus que le Roi, puisque la Reine l’aime. Mais forcément, un tel état des choses ne peut durer longtemps, et s’enchainent alors les coups de théâtre (on est chez Hugo tout de même, dans son Espagne !). Don Salluste survient, machiavélique et effrayant, bien décidé à se venger de cette femme qui l’a banni. Il menace Ruy Blas, fou d’amour pour sa Reine, de dévoiler à tous sa véritable identité. Un laquais… Si le Roi le savait, de Reine il n’y aurait plu…
Ruy Blas, allarmé, tente d’empêcher la Reine de le retrouver. Mais le fatal billet de l’acte I, lui donnant rendez-vous dans son cabinet, le soir, lui a été remis. Don César, le vrai, qui était revenu, a été arrêté. Don Salluste, cet être terrible qui joue des sentiments, est prêt à triompher. La Reine arrive, ne comprend pas le désarroi de Ruy Blas, qui lui mande de partir, de s’enfuir. Don Salluste surgit ; c’est la panique ! Il menace d’annoncer au Roi que la Reine a un amant ; toutefois, il ne révèle pas encore quel titre ce dernier porte… ! Pour Ruy Blas, il n’y a qu’une solution : tuer don Salluste, et tomber le masque. Je m’appelle Ruy Blas et je suis un laquais ! 
 
Le poison sur les lèvres, la honte dans le cœur, Ruy Blas s’effondre. La Reine, désemparée, ne sait plus que penser. Mais en définitive c’est l’amour qui triomphe, encore une fois dans la mort. Eros et thanatos, sublime et grotesque, tout se mêle encore ; c’est un drame romantique !
 
Je ne sais trop que dire, j’en ai déjà bien dit avec Hernani. Ruy Blas c’est grand aussi, bien ficelé forcément, l’amour y est immense et tragique, mais toutefois, cette pièce me semble moins riche qu’Hernani. Le héros est moins complexe (son masque lui est commandé par son maître, et non pas par un devoir d’honneur et de vengeance), les rebondissements moins nombreux (jamais il ne m’a semblé que la pièce pouvait s’arrêter) et c’est surtout l’amour qui fait agir Ruy Blas, alors qu’Hernani est une force qui va ! J’ai quelques difficultés à bien déterminer ce qui fait que j’ai préféré Hernani, mais je pense toutefois que sa complexité, tant au niveau de l’intrigue que dans ses références, me l’a fait préférer…
 
 

Jeudi 27 janvier 2011 à 0:13

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lageurredeTroienaurapaslieu.jpgLa guerre de Troie n’aura pas lieu ! C’est ce que clame Andromaque au début de la pièce. La paix, c’est aussi ce que veux Hector, ce qu’espère Hector. Pourtant c’est écrit ; la guerre de Troie aura lieu. Mais pendant deux actes, presque deux cent pages, on espère avec eux.
Hector revient de la guerre, il a vu la mort, il a vu la peine, la violence, la souffrance. Il ne veut pas revoir ça ; tout ce qu’il veut voir, c’est sa femme Andromaque et son fils, celui qui naîtra, si elle a lieu, avec la guerre. Alors il se bat, non plus sur un champ de bataille mais dans les consciences humaines, pour les faire réfléchir, peut-être fléchir. Il y en a marre de faire la guerre pour rien. C’est vrai, concrètement, pourquoi va-t-on faire la guerre ? Parce qu’un jeune homme fougueux et titillé par le désir a croisé la route d’une espèce de Vénus, nue sur une plage, qui prenait son bain, ou aguichait le marin, on ne sait pas. Quoi qu’il en soit il l’a enlevée, et emportée à Troie. Pauvre Ménélas, privée de cette beauté…
Parce qu’elle est belle Hélène, cela est certain. Elle est belle, harmonieuse, canon. Un canon de la beauté, une beauté qu’on peut élever avec Aristote au rang du Bien et du Vrai. Si Hélène est belle, et qu’on fait la guerre pour elle, alors c’est bien. Moui, c’est un peu jouer du syllogisme facile ça. Hélène est belle certes, mais l’amour ? On se bat pour elle alors qu’elle n’aime même pas Pâris ! Peut-être que Pâris l'aime, mais qu'aime-t-il réellement en elle, cet espèce de mysogine? Le seul couple qui en vaille la peine c’est Hector et Andromaque. Et pourtant…
Hélène, symbole du Beau, donc du Bien, donc du Vrai, est devenu l’étalon de mesure de toute la ville. La coudée d’Hélène, le pas d’Hélène, la voix d’Hélène, dit le géomètre ; le paysage et le reste, tout est à la mesure d’Hèlène. Hélène, Hélène, Hélène… Même les vieillards édentés en ont plein la bouche de cette Hélène, Hélène qu’on dit de Troie mais qui n’est rien d’autre qu’une étrangère, une plaie… Pourtant les sages, les vieillards, les poètes, tous bavent devant Hélène, Hélène qui sa pavane sur les remparts, Hélène qui rajuste sa sandale en dévoilant un morceau de fesse, parce qu’elle le vaut bien… Oui oui, une pin-up, c’est bien ça !
Mais ferait-on la guerre pour Claudia Schiffer ?! Il semble que dans l’Antiquité, ça a été possible… Pourtant tous ont essayé de la convaincre, Hélène. De la petite Polyxène, à Andromaque, en passant par Hector, et puis Cassandre, qui elle savait déjà tout. Nous aussi d’ailleurs. On savait que ça allait mal finir cette histoire. Néanmoins on y croit, on espère que ça ne va pas arriver, qu’Hélène va accepter de partir, qu’elle va avoir pitié, et arrêter de dire que tout l’indiffère. Parce qu’elle est fourbe Hélène. Sous ses aires de blonde, elle a souffert, elle est désabusée. Elle refuse la lutte. Alors forcément, on ouvre les portes, les portes de la guerre, à Ulysse et aux autres.
Bien sûr qu’il y a négociations. Mais alors que les choses pourraient s’arranger, deux stupides individus se tapent dessus une fois de trop, et le mensonge fuse. Ce n’est pas Hector qui a frappé le poète, le poète qui croasse, cet oiseau de malheur. On ouvre alors les portes, et on laisse chanter le poète grec.
Démokos le poète troyen laisse la parole à Homère, qui a laissé la parole à Giraudoux pour nous raconter, dans un registre burlesque sous-tendu par un ton tragique, ce qui a pu se passer à Troie, avant la guerre. Une pièce vraiment agréable, sans temps morts, drôle et pathétique à la fois. N’oublions pas que nous sommes dans les années 40, qu’il y a la guerre. Et la guerre pour quoi ? C’est bien la question que pose cette pièce…

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