Le Monde dans les Livres

Mercredi 5 janvier 2011 à 23:58

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Hernani.jpgHernani, Victor Hugo
Drame en cinq actes…
Cinq actes mais plusieurs mois, c’est le temps qu’il faut pour qu’Hernani aime, se batte, se tourmente, change d’avis moult fois, respecte sa parole, son honneur, et meure…
Hernani c’est l’homme dans toutes ses dimensions : le bandit de grand chemin, vivant dans les forêts, puis le duc dévoilé, (Jean d’Aragon de son vrai nom) aux titres aussi nombreux qu’Hernani a de lettres. Je vous dévoile beaucoup d’éléments déjà ; ne m’en veuillez pas… Je ne peux vous parler autrement de ce drame romantique, plus connu pour la bataille qu’il a suscitée que pour les batailles qui se déroulent entre ses pages.
Alors, pourquoi se bat-t-on dans Hernani ? D’abord parce qu’on est passionné, comme toujours. Passionné d’amour. Dona Sol est aimée de trois hommes : Hernani (qui l’eut cru !) le Roi don Carlos, et le Barbon (vous avez dit Molière ?), don Ruy Gomez. Donc forcément, quand on est trois à aimer la même femme, ça passe par l’épée (ou l'enlèvement... rusé?!). Heureusement, personne ne passe, ni ne trépasse…En tout cas pas comme ça. Et sinon, en plus de la passion amoureuse, il y a l’honneur, la gloire, la vengeance, ce qu’on se doit à soi-même et à son nom. L’honneur, toujours. Venger son père d’un affront ancien, voilà ce qui guide le bras d’Hernani, cette « force qui va ». Finalement, ce n’est pas le manquement à cet honneur filial qui le perdra ; mais là, je ne vous dévoilerai rien !
On se bat aussi pour la gloire, et pour ses titres. On se bat contre les autres mais aussi contre soi-même. Don Carlos vous le dira : si l'on est empereur, il faut être magnanime.
Il y a beaucoup de passions dans Hernani, des passions diverses qui s’enchaînent et s’entrecroisent, se frayant un chemin au milieu des coups de théâtre et de la pelote de nœuds. Les valses hésitantes, « aimez moi, venez avec moi », « oh non ne venez pas, ma vie est trop dure pour vous »… alternent avec les mots d’amour pétrarquisés ou bien connus Vous êtes mon lion superbe et généreux, Je vous aime… (III, 4)
Bref, c’est textuellement et dramatiquement grand Hernani. Et à cause de cette grandeur, de ce pilier de cathédrale (Hugo voulait faire de ce drame le point d’ancrage d’un édifice immense), on se bat. La question est alors : pourquoi se bat-t-on pour Hernani ?
Parce qu’Hernani c’est romantique, et que la liberté que revendique les romantiques, ça ne plaît pas aux classiques. Eux ils aiment les règles, les bienséances, la vraisemblance et la métrique. Rien de tout ça dans Hernani. Dès le deuxième vers, les escaliers se dérobent, le vers se casse la figure dans un superbe rejet :
 
Serait-ce déjà lui ? C’est bien à l’escalier
Dérobé.
 
Ahah quelle gageure ! Bafouer ainsi la règle de la métrique, le support incassable de l’édifice tragique ! Déjà les sourcils se froncent, on s’indigne, on hue. Et ça continue. On voit défiler des tableaux plus que des actes (ceux-ci portent des titres, a-t-on jamais vu du théâtre qui puisse être lu ?!), jamais dans les mêmes lieux, séparés par des mois… et les trois unités dans tout ça ?
Une femme aimante et courageuse, qui exprime ses sentiments (Je vous aime ! de Dona Sol !), c’est contraire à la bienséance ! Et les coups de théâtre et autres retournements de situation qui cascadent, ça ne va pas du tout, on ne respecte rien ! Un scandale !
 
Non, non, ça n’est pas un scandale, c’est juste romantique… un drame romantique… le papier souffre tout, comme dit Hugo ; il lui faut maintenant trouver un public. Un public qui accepte que la devise de la poésie soit la même que celle de la politique : TOLERANCE et LIBERTE. Hernani, c’est un drame, un poème tragique désarticulé, bariolé, et ça fait le même effet qu’un coup de pistolet au milieu d’un concert.
La poésie, support de la politique ? Outrage ! Et pourtant…
 
Finis les nobles vers, fini les actes où tout s’enchaîne, glissant vers une fin irrémédiable. A de nombreuses reprises on se dit que c’est fini, Hernani. Et pourtant ça n’est que l’acte III, que l’acte IV… Il reste encore des pages, il reste encore des mots. Il nous tient en haleine, le bon Victor Hugo !
 
Il nous tient en haleine, mais nous balise la route. On reconnaît des pièces, des auteurs. Il y a le Cid, il y a Cinna ; l’amour ou l’honneur, la clémence d’empereur. Il y a Molière, il y a Hugo ; le vieillard amoureux et l’Espagne, les tableaux ; la galerie de portraits, le héros, bandit vil puis duc sublime… presque le ver de terre amoureux d’une étoile… mais ça c’est dans Ruy Blas…
Bref, j’en passe, et des meilleurs (ça c’est dans Hernani )
Et à la fin on parle en vers, aussi... ^^
 
Une belle surprise. Je ne pensais pas apprécier autant un drame romantique, et en plus, de Victor Hugo (a priori stupides que j’ai sur cet auteur… mais ils tombent, ils tombent, peu à peu ! Conseillez moi d’ailleurs !)
Je m’en vais de ce pas lire Ruy Blas. Après la force qui va, voyons ce qu’Hugo nous réserve…

Vendredi 7 janvier 2011 à 21:54

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/RuyBlas.jpgRuy Blas, Victor Hugo
Après la rencontre d’Hernani, voilà que j’ai retrouvé Ruy Blas… Un vallet se faisant manipuler par son maître don Salluste, un banni qui veut se venger de la Reine d’Espagne, vil et lâche personnage (il a eu un enfant avec une des suivantes de la Reine…) ! Puisque Don César de Bazan, comte de Garofa, dit aussi Zafari quand il court les chemins, cousin de mauvaise vie (il peut parler lui aussi !) ne veut pas le venger, d’après vous, qui va être dupé ? Le malheureux valet !
Ce pauvre Ruy Blas, amoureux fou de qui ? je vous le donne en mille ! de la Reine d’Espagne elle-même. Enfin bref Ruy Blas, dont don Salluste a entendu les confidences à Zafari, est pris au piège de ce maître fourbe et industrieux. Il ne se doute de rien, écrit sous la dictée des lettres compromettantes, obéit sans ciller, puis viennent les mots fatals :
Et que m’ordonnez-vous, seigneur, présentement ?
 
De plaire à cette femme et d’être son amant.
 
Bonheur immense, mais peine terrible… un verre de terre peut-il être amoureux d’une étoile sans la compromette ? Toutefois il va la rencontrer, l’aimer, et même, se faire aimer. Dès qu’elle le voit, la Reine tombe sous le charme de… don César, conte de Garofa, sous les traits de Ruy Blas. Un véritable coup de foudre. Pendant six mois c’est la passion, silencieuse et dissimulée. Il devient son ministre, défend le peuple (« Bon appétit Messieurs ! »), et aime. Il est plus que le Roi, puisque la Reine l’aime. Mais forcément, un tel état des choses ne peut durer longtemps, et s’enchainent alors les coups de théâtre (on est chez Hugo tout de même, dans son Espagne !). Don Salluste survient, machiavélique et effrayant, bien décidé à se venger de cette femme qui l’a banni. Il menace Ruy Blas, fou d’amour pour sa Reine, de dévoiler à tous sa véritable identité. Un laquais… Si le Roi le savait, de Reine il n’y aurait plu…
Ruy Blas, allarmé, tente d’empêcher la Reine de le retrouver. Mais le fatal billet de l’acte I, lui donnant rendez-vous dans son cabinet, le soir, lui a été remis. Don César, le vrai, qui était revenu, a été arrêté. Don Salluste, cet être terrible qui joue des sentiments, est prêt à triompher. La Reine arrive, ne comprend pas le désarroi de Ruy Blas, qui lui mande de partir, de s’enfuir. Don Salluste surgit ; c’est la panique ! Il menace d’annoncer au Roi que la Reine a un amant ; toutefois, il ne révèle pas encore quel titre ce dernier porte… ! Pour Ruy Blas, il n’y a qu’une solution : tuer don Salluste, et tomber le masque. Je m’appelle Ruy Blas et je suis un laquais ! 
 
Le poison sur les lèvres, la honte dans le cœur, Ruy Blas s’effondre. La Reine, désemparée, ne sait plus que penser. Mais en définitive c’est l’amour qui triomphe, encore une fois dans la mort. Eros et thanatos, sublime et grotesque, tout se mêle encore ; c’est un drame romantique !
 
Je ne sais trop que dire, j’en ai déjà bien dit avec Hernani. Ruy Blas c’est grand aussi, bien ficelé forcément, l’amour y est immense et tragique, mais toutefois, cette pièce me semble moins riche qu’Hernani. Le héros est moins complexe (son masque lui est commandé par son maître, et non pas par un devoir d’honneur et de vengeance), les rebondissements moins nombreux (jamais il ne m’a semblé que la pièce pouvait s’arrêter) et c’est surtout l’amour qui fait agir Ruy Blas, alors qu’Hernani est une force qui va ! J’ai quelques difficultés à bien déterminer ce qui fait que j’ai préféré Hernani, mais je pense toutefois que sa complexité, tant au niveau de l’intrigue que dans ses références, me l’a fait préférer…
 
 

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