http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lavoluptedetre.jpgLa volupté d’être, Maurice Druon
Quelle drôle d’histoire que cette histoire de vieille dame qui revit son histoire chaque jour ! Nous sommes après la seconde guerre mondiale…
La contessa Lucrezia Sanziani habite un modeste hôtel romain, au second étage, entourée d’une starlet sans talent, d’un scénariste sans renom, et d’autres poudres aux yeux. Pourquoi un tel habitat pour une personne de son rang et d’un tel standing ? Je vous le donne en mille, la contessa est pauvre. Elle n’a plus le sous, elle peine à payer sa pension et surtout, elle habite les boîtes maintenant vides de ses souvenirs. Habillée de ses fripes d’antan, chaussée des talons escargot de la dernière décade, elle arpente sa chambre à la recherche d’un souvenir, de cet embrayeur qui la fera plonger dans les délices de la mémoire. Ce petit manège dure depuis un certain temps déjà quand une jeune fille, Carmela, devient sa nouvelle femme d’étage. Un étrange jeu de rôles se met alors en place : Lucrezia, qui confond tous ceux qu’elle croise avec ses amis d’autrefois, prend Carmela tantôt pour Jeanne, tantôt pour Carlotta, et même pour l’archevêque qui lui avait promis un caveau dans sa cathédrale. Carmela, d’abord étonnée, s’accommode finalement de la folie douce de la vieille femme et prend goût à ces images qu’elle évoque en elle. Lucrezia devient pour la jeune fille une sorte de conteuse, une Shéhérazade d’un temps révolu.
On le devine au fil des souvenirs, Lucrezia a aimé des hommes ; beaucoup d’hommes. En vérité, elle était une courtisane. Comme le précise Maurice Druon dans la préface de cette œuvre (qui clôture le roman-fleuve La fin des Hommes, soit dit en passant), la courtisane est à l’amour ce que la matrone est au ménage : une spécialiste. Les courtisanes, ce sont elles les vraies amoureuses. Rien à voir avec les prostituées d’ailleurs. Les courtisanes de sont pas vénales, ou si peu ; elles font l’amour par art ; et par plaisir. Elles offrent aux hommes cette volupté d’être que seule la chair et ses plaisirs peut offrir.
Lucrezia est malheureuse dans son hôtel ; elle dépérit peu à peu. Sa seule compagne est Carmela, qui vient souvent la voir, et écouter ses histoires. Il lui arrive de relire des lettres, de se pencher sur de vieux cartons, d’appeler des hommes qui sont morts maintenant. Elle rêve de son luxe et de ses atours passés. Elle se voit encore comme elle était : jeune, belle, pimpante ; aimante, et aimée.
Tandis que les soies, maniées d’une main légère, glissaient dans ses cheveux courts et blanchis, ce que la Sanziani distinguait dans la glace de l’armoire, ce n’était pas une vieille femme aux membres séchés, enveloppée de dentelles noires en lambeaux ; elle contemplait une jeune femme, éblouissante et nue, son peignoir rejeté sur le dossier du siège, et dont on lissait la longue chevelure couleur de comète. Elle voyait ses membres pleins, ses épaules glorieuses, ses seins superbes, son ventre modelé, onctueux, terminé par un triangle flamboyant.
Splendeur et misère des courtisanes… L’âge et le temps ont raison des plus belles.
Les souvenirs deviennent de plus en plus lointains ; les passions de plus en plus anciennes, de plus en plus violentes. Plus la Sanziani vieillit dans son corps, plus son esprit régresse. On apprend qu’elle a perdu un enfant ; qu’elle n’a aimé qu’un homme et épousé la richesse d’un autre. Elle tombe malade. A l’hospice elle revit sa première communion…
Une histoire originale, qui met en perspective vieillesse, mémoire (au fond, cette dame, elle a Eilzeimer !) et déchéance. Des corps, mais aussi des âmes, celles de ceux qui entourent la comtesse ou, justement, ne l’entourent plus. Seule Carmela l’écoute, l’admire, s’en inspire. La jeune fille va d’ailleurs devenir une sorte de nouvelle Sansiani ; pas dans le sens que vous pensez, non. Elle, elle va essayer de percer dans le cinéma !
Une lecture agréable, bien que certains passages soient un peu longs, d’autant qu’on se perd un peu au milieu des souvenirs de la vieille dame. Mais le livre étant relativement court (250 pages aux caractères pas trop tassés) on y prend plaisir, et on se laisse emporter par cette mise en abîme du conteur.

Ah oui je tenais également à ajouter que Maurice Druon, académicien décédé il y a peu, a vu sa place offerte à...devinez qui! Danièle Sallenave! ça s'est passé le 7 avril dernier.