Le Monde dans les Livres

Jeudi 17 juin 2010 à 19:40



http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/beatrix.jpgBéatrix, Balzac
J’ai attendu trop longtemps avant de parler de mon auteur de prédilection, celui que j’ai commencé à aimer il y a longtemps, celui qui a précédé Proust dans mon cœur de lectrice : ce cher et honoré de Balzac (admirez le jeu de mot !). Honte à moi, non seulement il a été relégué à la deuxième place, mais en plus cela fait longtemps que je n’ai pas ouvert un de ces romans. Pourtant j’ai très envie de vous parler de l’un d’eux, que j’ai découvert dans une librairie l’été dernier, et que j’ai dévoré sur un transat’ au soleil…
Résumé : Calyste du Guénic, jeune provincial sont la famille est établie en Bretagne, voit sa vie bouleversée lorsqu’arrive au domaine des Touches Félicité, dite Camille Maupin. Chaque jour il se rend de Guérande aux Touches, visiter cette initiatrice. Mais Calyste n’en est qu’aux prémisses de cette éducation sentimentale ; son jeune cœur est encore sensible à la moindre passion qui vient l’effleurer. Ainsi, quand arrive chez Félicité la brune, une des ses amies, la Marquise de Rochefide, le sang de Calyste ne fait qu’un tour, et sa passion avec.
« Les blondes, reprit-elle, ont sur nous autres brunes l’avantage d’une précieuse diversité : il y a cent manières d’être blonde, il n’y en a qu’un d’être brune. Les blondes sont plus femmes que nous, nous ressemblons trop aux hommes nous autres brunes françaises. Eh bien, dit-elle, n’allez-vous pas tomber amoureux de Béatrix sur le portrait que je vous en fait, absolument comme je ne sais quel prince des Mille et Un Jours ? […]
« Malgré son état de blonde, Béatrix n’a pas la finesse de sa couleur ; elle a de la sévérité dans les lignes, elle est élégante et dure ; elle a la figure d’un dessin sec, et l’on dirait que dans son âme il y a des ardeurs méridionales. C’est un ange qui flambe et se dessèche. Enfin ses yeux ont soif. »
Voici le portrait que fait Camille de cette rivale, contre laquelle elle perdra la partie et finira au couvent. Béatrix quant à elle, séductrice et femme fatale, ne succombe pas immédiatement aux avances de Calyste. Celui-ci, désespéré de ce manque d’attention, profite d’une ballade pour la pousser dans un précipice…  
Si depuis ce jour Béatrix aime Calyste, ce n’est pas pour autant qu’elle renonce aux devoirs que lui impose la société. Elle refuse de renoncer à sa passion pour le musicien Conti, et repousse les brûlantes tentatives du jeune homme. Celui-ci découvre alors, comme toujours dans les romans balzaciens, la corruption et l’égoïsme de la capitale. Il épouse par convenance une jeune femme de bonne famille, Sabine, qui lui rappelle Béatrix mais qui n’est pas elle. Jusqu’au bout on se demande si elle finira par devenir sa maîtresse… Pour le savoir, je vous conseille vivement de lire ce roman, un des plus agréables que j’ai lu de cet auteur. Il y a de nombreux dialogues, des lettres et finalement, assez peu de descriptions par rapports à l’habitude.
Les thèmes abordés – la femme, la province, la passion amoureuse- sont des topoï romanesques, mais ils sont traités ici avec une telle précision et une telle élégance qu’il ne faudrait pas passer à côté. « A toutes les époques, les passions sont les mêmes. »
Georges Sand a inspiré le personnage de Félicité, la brune ; Marie d’Agoult celui de Béatrix. Cette dernière participe de l’ange et du démon. Chez Balzac, la femme est Fleur, Ange et Fille d’Eve. Elle est belle, mystérieuse, mais aussi séductrice et tentatrice. Béatrix est une sorte de Célimène moderne, qui excelle dans l’art de la comédie. On peut trouver étonnant qu’elle tombe amoureuse de Calyste après que celui-ci l’ait poussé dans un précipice… peut-être est-ce un goût pour la danger qui a provoqué cela chez elle ; ou bien le jeune homme a-t-il ainsi revêtu à ses yeux une dimension téméraire que ne lui permettait pas son costume de novice inexpérimenté en matière d’amour… Comme dans la Duchesse de Langeais, il apparaît dans ce roman que les femmes s’attachent à ce qui les fait souffrir...
Le personnage de Calyste est de ce fait assez archétypal, mais également complexe : jeune provincial poursuivant son éducation sentimentale à la ville, il a quelque chose de Lucien de Rubempré et de Rastignac, puisqu’il réussit en épousant une femme pour sa dot. Mais cette dernière action le rend lâche... Tout ceci me donne envie de relire le roman pour élucider toutes ces questions. Mais si quelques uns l’ont lu, tous les commentaires seront les bienvenus pour rafraîchir ma mémoire et éclairer ma lanterne.
Une dernière petite chose : ce roman développe le thème de la condition féminine au XIXème siècle. Trois femmes principales se partagent l’amour de Calyste dans ce roman : Félicité, femme de lettres piquante de quarante ans – si trente ans est le sommet poétique de la vie, quarante est l’âge du renoncement -, Béatrix la blonde, marquise expérimentée, et Sabine, la jeune fille de la bourgeoisie bretonne. Trois contraintes, illustrées ici, pèsent alors sur les femmes : l’âge, l’environnement et le statut social. La vie d’une femme se résume à l’aspiration à l’amour, le mariage, et la quête du bonheur. Malheureusement, les mariages conduisent souvent à des déceptions, et les hommes vont se consoler dans les bras d’autres femmes. L’adultère est souvent l’unique récompense du mariage. Sabine en sera-t-elle le triste exemple ? Sera-t-elle pour autant heureuse ? A vous de voir…
 Il me semble que l’on retrouve ces dimensions dans les romans de Jane Austen, où la question du mariage est prégnante. Mais je laisse les spécialistes (et je sais qu’il y en a de nombreux(ses) parmi les rédactrices de blogs livresques ! ) disserter sur cette remarque.

une ultime (promis!) petite et dernière chose : je trouve la couverture de cette nouvelle édition de poche absolument magnifique! Donc je n'ai pas hésité à la conserver dans mon article dans cette imposante dimension :)

Mardi 22 juin 2010 à 22:50

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lecousinpons2.jpgLe Cousin Pons, Balzac
Deux vieux Casse-Noisettes, une tenancière avide, un homme de loi malhonnête et usurpateur, et tout un panel de parisiens tous plus égoïstes les uns que les autres. Voilà présentés les acteurs de cette tragédie parisienne, volet masculin des Parents Pauvres. Pons, compositeur de musique passé de mode et maintenant amateur d’art célibataire, expert en bricabracologie, possède une importante collection d’objets d’art et de tableaux que tout son entourage lui envie. Non pas par amour de l’art ; mais pour son prix. Vivant avec son ami Schmuck, un allemand naïf à l’accent amusant, parangon de sincérité, le malheureux vieil homme est devenu un parasite, chassé petit à petit des maisons dans lesquelles il vient quémander à dîner. La chambre qu’ils occupent tous deux est la propriété de Madame Cibot, portière qui, lorsqu’elle apprend la valeur de la collection de Pons, use de tous les stratagèmes pour spolier le malheureux vieil homme. Mais Pons  souhaite tout donner à Schmuck, et le binôme est le seul exemple de sincérité dans ce roman noir, dans lequel on ne serait pas surpris de voir apparaître Harpagon. Parce qu’au fond, même si Balzac fait ici la satire de la société parisienne avide et mesquine, ce roman aux scènes parfois théâtrales revêt de temps à autres une dimension comique, qui peut tendre vers le drame : on sourit lorsqu’on entend Schmuck parler, on rit des échecs de machinations de la Cibot, on est touché par l’amitié profonde qui unit les deux hommes. La force de l’amitié trouve son illustration la plus noble et la plus poignante avec ce duo masculin. Tel un Don Quichotte de l’art, accompagné de son fidèle Sancho, Pons tente de déjouer les plans de la Cibot et de ses parents (la Présidente par exemple) alors que Schmuck reste aveugle à tous ces traquenards, cette convoitise malsaine et destructrice, qui finira par causer la mort des deux bonshommes.
Un sympathique roman de Balzac, plus tragique que La Cousine Bette. L’amitié entre les deux hommes est des plus touchantes, et Pons, qui inspire horreur et terreur autour de lui, s’avère un personnage qu'on pourrait presque dire amoureux, en tout cas passionné, mais malheureusement mis au banc de la société. Aux yeux de ses parents et de l’affreuse Cibot, douce-amère, machiavélique, il doit apparaître comme un sac d’or surveillé par son Cerbère, Schmuck. Quel piètre gardien fait-il, ceci-dit, quand on connaît sa naïveté. Mais son amitié est grande, et cet allemand devient éclatant lorsque, alors que tout est fini pour Pons et qu’il est question du partage de l’héritage, on lui demande s’il est le père, le frère, le fils du défunt, il répond, avec son accent incomparable : Che zuis dout cela, et plis… che zuis son ami !
Pour Pons il ferait n’importe quoi, Che tonnerais pien tes chausses pir l’amisser, l’annui le cagne, dit-il au début du roman, avec cet accent qui me fait mourir de rire, et rappelle la talent de Balzac pour retranscrire fidèlement les dialectes de certains personnages – quand on l’a rencontré une fois, personne n’oublie le parler alsacien de ce bon gros Nucingen ! Jusqu’au bout il suit fidèlement son vieil et unique ami : il me zemble que che m’envonce dans la dombe afec toi, lui dit-il à son chevet. Un roman noir, je l’ai dit, mais une belle illustration de la force de l’amitié par ces Roméo et Juliette modernes, ce couple de célibataires qui vient agrandir le panthéon des personnages types qui voient le jour dans la littérature du XIXème siècle.

Petite anecdote pour la forme! Je tiens beaucoup à ce livre, que j'avais acheté avec quelques autres (dont Splendeurs et Misères des Courtisanes que j'avais dévoré) au Château de Saché (il y a le tempon dessus, avec un beau Balzac bedonnant!), ce fameux château dans les pays de Loire où Balzac allait se ressourcer (le propriétaire étant un de ses amis). Là bas il écrivait beaucoup (on peut voir le pupitre sur lequel il passait ses nuits à noircir des pages); la salle à manger de ce petit château a inspiré la descritpion de la tapisserie de la pension Vauquet, et la vallée que l'on peut apercevoir de la fenêtre de la salle qui est devenu salle de musée n'est autre que celle de Lys... So romantic!
Bref, je garde un souvenir mémorable de cette visite, et invite tous les amoureux de Balzac à s'y rendre. Mon plus beau souvenir de visites des châteaux de la Loire (même la magnificience de Chambord ne peut à mes yeux égaler le charme de ce petit fief de la littérature!)

Mardi 22 mars 2011 à 0:33

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/LepereGoriot.jpgLe Père Goriot, Honoré de Balzac
Il était à Paris une pension bourgeoise que tout le monde connaît ; c’est la maison Vauquer. La tenancière Madame Vauquer, vieille femme rabougrie, qui sent le renfermé, le moisi, le rance, l’avarice et la spéculation, contient en elle l'harmonie un peu gluante du décor ; je dirais même qu'elle est, respire et vit la pension. Relation d’implication entre elles deux ; vous n’imagineriez pas l’une sans l’autre. Deux vieilles biques. Je vous laisse en goûter l’odeur… surtout celle de la salle à manger…
Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il faudrait appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements ; elle a le goût d’une salle où l’on a dîné ; elle pue le service, l’office, l’hospice.
Ça donne envie n’est-ce pas ? Mais dès lors qu’on a mis un pied dans cette pension, on se rend compte qu’il va s’en passer, des choses ! Elle abrite en effets les personnages les plus bigarrés, divers et étonnants que Paris puisse rencontrer. Des étudiants, des vieilles filles, des vermicelliers, d’anciens forçats (incognito), un peintre, un médecin en herbe, et j’en passe. Et chacun porte un nom bien caractéristique, amusant et significatif. Poiret pour l’un, Michauneau pour l’autre, Taillefer et Couture, pour le rire onomastique. Et au milieu de ces pensionnaires, il y a Rastignac. Rastignac, Eugène pour les intimes, c’est l’ambitieux balzacien de base. Il fonctionne à l’énergie, à la volonté, à la force de l’ambition. Il mène sa vie d’une main de maître, et sans fausse note. Un héros. Il y arrive ; pas tout seul certes, mais il y arrive, et dans le monde, arrive. Parti du Marais, il atteint peu à peu les salonsdu faubourg Saint-Germain. Et ce sans renoncer, ou presque, à son côté sentimental. Du moins jusqu’à la mort du Père Goriot…
Tiens donc, oui, le Père Goriot ! On l’oublierait presque celui-là ! Pourtant c’est bien de son histoire dont il est question dans ce roman. On l’omet parfois au profit de l' importance de l'oeuvre en tant que roman d’apprentissage, et pourtant il est là, et bien là, à chaque page ou presque. C’est lui qui permet à tout ce qui arrive d’arriver, au fond.
M. Goriot, ancien vermicellier, avait fait fortune dans la farine (avant de s’y faire rouler, mauvais jeu de mot relatif vous verrez !). Ayant perdu sa femme, il s’est retrouvé seul avec ses deux filles, Anastasie et Delphine. Désireux de les faire parvenir dans le grand monde, il les a chacune bourgeoisement mariées (l’une au banquier Nucingen et l’autre au conte de Restaud) et leur a distillé, sous par sous, sa fortune. Résultat, il s’est peu à peu privé de tout, vidé de tout ; une mise à mort par don de soi. Une figure Christique. Et la farine dans tout ça ? Ses filles l’y ont roulé, et pas qu’un peu. Abandonné à son agonie, c’est bien Rastignac qui lui fut le plus fidèle. Un vrai fils de substitution. On pourrait gloser longtemps sur ce personnage, qui a fait couler beaucoup d'encre, et à Balzac d'abord. Une vraie figure christique avec un coup de folie, parce que sinon, ça n'est pas drôle! Un petit père minable doublé d'une figure paternelle remarquable.
Nous disions père pour Eugène... Et bien oui, en quelque sorte! puisque grâce au Père Goriot, il a pu se rapprocher de Madame de Nucingen, et se faire une place dans le grand monde au bras de cette belle, riche et influente maîtresse. Certes il est aidé en cela par ses liens de parentés avec Madame de Bauséant, grande amie de la Duchesse de Langeais soit dit en passant, qui dès ce roman évoque ses velléités moniales, et ses peines de cœur avec son capitaine. Comme quoi, tout se recoupe, et c’est là qu’on mesure l’importance du Père Goriot dans la Comédie Humaine. Le retour des personnages, belle invention tout de même, et grand plaisir de lecteur !
Et puis il y a Vautrin. Ah Vautrin, Jacques Colin, Trompe-la-Mort… Qui sont-ils me direz-vous ? Le même, messieurs-dames ! C’est lui le forçat en question ! Ce bonhomme étrange qui parle bien, a lu, est cultivé, et surtout connaît le fonctionnement de la machinerie du monde. Il conseille Rastignac, lui promet monts et merveilles, femmes, argent, prospérité, renommée… Il souhaiterait faire fortune en Amérique ; planter du tabac. Il incite Eugène à oublier tout principe ; à se laisser aller à la vanité, l’avarice, l’égoïsme, clés d’un arrivisme réussi. Rastignac s’en méfie ; et à juste titre. De la poudre, une fausse apoplexie, une claque sur l’épaule et zou, démasqué est notre homme. Sous les favoris et le masque honnête se trouve un rouquin sanguinaire, avide de monnaie et de billets. Un vrai rapia. Je pense qu’au fond, Madame Vauquer l’aimait vraiment bien.
Un foisonnement, je vous le disais bien. C’est rempli à ras bord ; et pourtant c’est génial. Balzac et la pléthore ; Balzac et l’énergie ; Balzac et l’embompoint joli, dans les textes surtout. Copieux mais essentiel. Chaque page est comme un nutriment indispensable à la compréhension du génie balzacien. Génie de l’écriture (cf passage sur l’odeur… !), de l’intrigue, de la construction d’un monde. En parallèle des salons, il construit tout l’univers de la Comédie Humaine, lorgnant de sa chambrette les expansions du monde. Il explore Paris, ses bas fonds et son luxe, le bagne et les appartements où brillent vermeils et dorures. Une bigarrure chatoyante ; la panoplie du succès. Et pas une ride… (sauf Madame Vauquer !)
 

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