Le Monde dans les Livres

Lundi 31 mai 2010 à 11:49

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Mrs Dalloway,  Virginia Woolf
   C’est la vie d’une femme de la haute société britannique dont Virginia Woolf nous raconte l’histoire ; ou plutôt la journée. Une journée ensoleillée de juin 1923. Ce roman se déroule sur quelques heures, du lever de Clarissa Dalloway à la réception qu’elle donnera chez elle dans la soirée ; il est sous le signe de la continuité. Toutefois, on ne suit pas uniquement les pérégrinations dans la ville et les pensées de cette femme, qui nous offre sa perception du monde. Plusieurs points de vue se croisent dans ce roman à la troisième personne, dont celui de Peter Walsh, l’ancien amoureux de Clarissa revenu des Indes, et celui de Septimus Smith, un homme à l‘esprit à jamais ravagé par la guerre. Le monde vu par ses yeux paraît fou, déconstruit, et contraste avec limage poétique que nous en offre Mrs Dalloway. Clarissa ne fait que croiser Septimus, mais cet homme à la destiné tragique est une des faces de l’héroïne éponyme.
   Le personnage de Clarissa Dalloway est à la fois simple et complexe. Riche aristocrate vivant dans le centre de Londres, à Westminster, environné du pouvoir, du Parlement, de Buckingham Palace et des écoles des élites, Clarissa a fait le choix d’épouser Richard Dalloway ; probablement un mariage de raison comme il s’en faisait tant. Elle aurait pu rester un personnage creux et stéréotypé, une « marquise sorti[e] à cinq heure » (comme raillait Valéry)pour acheter des fleurs pour sa réception. Mais son monologue intérieur, que l’auteur nous rapporte à la troisième personne, confère de l’épaisseur à son personnage. On est surpris d’apprendre quel fut son passé, quels peuvent être ses douleurs et ses regrets. C’est une femme sensible, un brin romantique, qui aime marcher dans Londres et parcourir la ville en autobus. Tout ceci fait de ce roman une œuvre poétique, agrémentée d’une réflexion philosophique sur la vie, aux effluves romantique et néo-platoniste. Tout est connecté dans l’univers de Clarissa, qui est le point focal du roman. 
   Mon avis : J’ai pris plaisir à la lecture de ce roman fortement chargé en poésie. Toutefois, il est parfois difficile de distinguer les divers points de vue, bien que le changement de focalisation soit perceptible par la typographie, et le changement de style. La lecture en anglais ne facilitait pas la tâche, mais je parvenais toutefois à percevoir ce que le texte pouvait avoir de poétique. De nombreux termes m’étaient inconnus, mais cela ne m’a pas empêchée de goûter la fraîcheur et la beauté de cette œuvre unique en son genre (ou sui generis, pour faire genre !).
   Je recommande vivement la lecture de cette œuvre magnifique, que je m’empresserai de relire en français quand l’envie m’en prendra, et que j’aurai récupéré l’exemplaire français. Une de mes bonnes surprises de l’année!
   Un petit extrait de l’incipit, pour vous donner l’eau à la bouche !
Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself.
   For lucy had her work cut out for her. The doors would be taken off their hinges; Rumpelmayer’s men were coming. And then, thought Clarissa Dalloway, what a morning – fresh as if issued to children on a beach.
    What a lark ! What a plunge ! For so it had always seemed to her when, with a little squeak of hinges, which she could hear now, she had burst open the French windows and plunged at Bourton into the open air. How fresh, how calm, stiller than this of course, the air was in the early morning; like the flap of a wave; in the kiss of a wave; chill and sharp and yet (for a girl of eighteen as she then was) solemn, feeling as she did, standing there at the open window, that something awful was about to happen; looking at the flowers, at the trees with the smoke winding off them and the rooks rising, falling; standing, looking, until Peter Walsh said, “Musing among the vegetables? – was that it?-“ I prefer men to cauliflowers” – was that it? He must have said it at breakfast one morning when she had gone out on to the terrace – Peter Walsh.
 

Lundi 7 juin 2010 à 22:32

 A Rebours, Huysmans

                               
         http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/huysmans.jpg                                                                                   Subitement, les hallucinations de l’odorat se montrèrent.
   Sa chambre embauma la frangipane ; il vérifia si un flacon ne traînait pas, débouché ; il n’y avait point de flacon dans la pièce ; il passa dans son cabinet de travail, dans sa salle à manger : l’odeur persista.
Il sonna son domestique : - Vous ne sentez rien, dit-il ? L’autre renifla une prise d’air et déclara ne respirer aucune fleur : le doute ne pouvait exister ; la névrose revenait, une fois de plus, sous l’apparence d’une nouvelle illusion des sens.
 
   La dernière phrase tombe comme un couperet ; Des Esseintes est névrosé. Dandy fin de siècle, efféminé, dernier membre d’une lignée délétère, cet esthète décide d’abandonner la vie mondaine pour se reclure dans sa Thébaïde, une maison dans la banlieue de Fontenay aux Roses, se coupant ainsi de cet univers bourgeois qu’il honnit tant. Il va faire de sa maison un monde à sa mesure, et à l’image de son intériorité. Dans une esthétique décadente, selon laquelle l’art est supérieur à la nature, notre esthète va créer un univers totalement artificiel, prenant des bains de mer dans une baignoire à remous, installant un aquarium avec des poissons automates, ou encore une chambre constituée de matériaux luxueux reconstituant l’atmosphère d’une cellule monacale. Pour parfaire cette décoration, il commande une tortue à la carapace ornée de pierreries pour sublimer son tapis et, comble de l’excès, des fleurs naturelles imitant des fleurs fausses. Notre héros du solipsisme devient alors spectateur de lui-même et de ce musée personnel dans lequel tout entre en correspondances ; il perd tout appétit, se complait dans la contemplation des tableaux de la Salomé, et laisse la névrose s’emparer de lui. Telle la tortue sous sa masse de pierreries, Des Esseintes, dans sa Thébaïde, dépérit. Même ses livres, sa bibliothèque, ses ouvrages rares et reliés dont le point focal est Baudelaire, finissent par l’ennuyer…
 
   Un peu d'histoire littéraire... : Pastiche naturaliste, ce roman consacre la rupture entre Huysmans et Zola. Plus qu’une étude de cas ou qu’une tranche de vie, A Rebours est selon moi l’étude d’un cas littéraire. Huysmans s’amuse avec cet être de papier, mélange de dandy à la Baudelaire et de héros zolien, et l’observe alors qu’il tente d’évoluer sous sa cloche de verre. Dans ce roman il ne se passe rien, la description tient lieu d’action, et l’art remplace la nature. Il ne s’agit pas de l’étude de « la nature vue à travers un tempérament » à la manière de Zola, mais bien de l’art vu à travers les yeux d’un héros névrosé, victime de l’artifice. Nous sommes en présence d’un roman expérimental sur l’art comme milieu hostile, sur le beau trompeur, à l’image de la fleur castratrice qui provoque le cauchemar de Des Esseintes.
 
   Les valeurs sont inversées, et cette inversion fait de ce roman l’œuvre qui pourrait avoir marqué le passage du naturalisme au symbolisme, des romans réalistes à l’ère romanesque du début du XXème siècle. Le roman et le personnage sont ici en crise. On touche du doigt ce que sera le Nouveau Roman avec ce personnage vide, simple décor. Dans A Rebours, le discours indirect libre a également une grande place, ce qui laisse présager l’émergence du flux de conscience.
 
   J’ai une affection particulière pour ce roman, qui selon moins est le point de cristallisation de tout ce qui s’est fait en matière de roman jusqu’à la fin du XIXème siècle. Puis toute cette matière qui tient lieu du pastiche explose pour consacrer la naissance de quelque chose de neuf. Huysmans, peut-être plus que Gide, est peut-être le père de la nouvelle tradition romanesque du XIXème siècle.
 

Jeudi 10 juin 2010 à 22:43


L'Ennui, Alberto Moravia
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Moravialennui.jpgLa sensation de l’ennui naît en moi, […], de l’impression d’absurdité d’une réalité insuffisante, c’est à dire incapable de me persuader de sa propre existence effective. Il peut m’arriver par exemple de regarder un verre avec une certaine attention. Tant que je me dis que ce verre est un récipient de cristal ou de métal fabriqué pour contenir un liquide et le porter aux lèvres sans qu’il se répande, c'est-à-dire tant que je suis en mesure de me représenter ce verre avec conviction, il me semblera avoir avec lui un rapport quelconque, suffisant pour me faire croire à son existence et, par extension, à la mienne également. Mais faites que le verre se décompose et perde sa consistance de la façon que j’imagine, ou bien qu’il se présente à mes yeux comme quelque chose d’étranger, avec lequel je n’ai aucun rapport, en un mot s’il m’apparaît un objet absurde, alors de cette absurdité jaillira l’ennui, lequel est en fin de compte le fait de l’incommunicabilité et de l’incapacité d’en sortir.
 
   Dès le prologue, Dino, héros de ce roman et victime de l’Ennui, nous présente ce sentiment qui l’assaille sans cesse. Il ne s’agit pas pour lui de l’ennui qui touche tout homme dès qu’il est désœuvré, -contre lequel il existe le remède du divertissement- mais d’une forme d’ennui qui lui est toute particulière : un sentiment de l’absurdité du monde qui l’entoure dès que celui-ci cesse d’avoir un intérêt ou un sens pour lui.
   Imaginez dès lors notre homme de trente ans, sans famille à part sa mère – une riche aristocrate dont il déteste le mode de vie-, sans amis, sans travail. Tout de même pas sans loisirs me direz-vous ?  Mais même cela échappe à Dino : il est un peintre qui ne peint plus. Sa seule occupation est de regarder les jeunes filles qui défilent chez son voisin Balestieri, le vieux peintre amateur de nus. Le spectacle ne manque pas de variété, jusqu’au jour où le jeune homme se rend compte que la même jeune fille se présente chaque jour à l’atelier du peintre. Celle-ci semble toute jeune, presque une enfant ; jusqu’au jour où, suite à la mort du vieux voisin dans des conditions suspectes, elle se montre à Dino dans toute sa splendeur et son mystère. Cécilia est une femme-enfant mais également une femme fatale, qui fait tourner la tête des hommes. En sa présence, le jeune homme ressent d’abord de l’ennui, puis se rend compte que quelque chose, chez Cécilia, lui échappe.
Après avoir pensé un instant à la rejoindre, je ralentis le pas et la suivis ; je venais de m’apercevoir brusquement que jamais elle ne m’était apparue aussi réelle que maintenant où j’avais l’intention de me séparer d’elle ; je voulais jouir de cette réalité et en même temps comprendre pourquoi elle se révélait maintenant précisément. Je la regardais donc, avec attention, et j’eus l’impression de la voir pour la première fois de ma vie, dans un air aussi neuf que celui du premier jour de la Création. Par je ne sais quel miracle, les particularités de sa personne paraissaient plus visibles que d’ordinaire, visibles pour ainsi dire, en elles-mêmes, c'est-à-dire visibles de toute façon, même si je ne les avais ni regardées, ni observées : la masse brune, ondulée et légère de ses cheveux, plus semblable à la toison embrouillée et sauvage d’un pubis qu’à une chevelure peignée ; les mouvements de son cou que l’on n’apercevait pas puisqu’il était caché, mais qu’on devinait à la fois flexible et gracieux ; la souplesse du long tricot vert, souple et duveteux, autour de son buste que je savais nu, avec sa poitrine pleine et tendue dont les pointes délicates étaient exposées au frottement de la laine rude ; la jupe noire, courte et étroite, dans laquelle, à chaque pas, se dessinait, avec une évidence émouvante et balancée, la rotondité des hanches ; son corps entier, en somme, paraissait attirer et pour ainsi dire engloutir mes regards avec la même avidité qu’un terre aride absorbe la pluie.
   Cette réalité et ce rapport qu’il entretient avec elle – qui lui semble être de l’amour- vient du fait qu’elle ne lui inspire plus d’ennui. Mystérieuse et insaisissable, Cécilia est devenue « réelle ». Alarmé par ce sentiment qui s’empare tout à coup de lui, Dino cherche tous les moyens de rendre à la jeune fille son caractère ennuyeux. Il souffre de ne pouvoir la posséder totalement, et devient malade de jalousie.
On peut tout prévoir, sauf le sentiment que pourra vous inspirer ce qu’on a prévu. Par exemple, il est possible de prévoir que de sous un rocher, un serpent va sortir d’un trou ; mais il est difficile de prévoir la qualité et l’intensité de la peur que provoquera en nous la vue du reptile. J’avais mille fois imaginé la sortie de Cécilia de la maison de l’acteur, seule ou avec lui ; mais je n’avais pas prévu les sentiments que j’éprouverais en la voyant sortir de cette porte, encadrée de marbre noir, la main dans la main de Luciani. Aussi fus-je presque étonnée, à la vue de Cécilia et de l’acteur immobiles (pour l’éternité, eût-on dit) sur le seuil de la porte, d’éprouver un sentiment abominable, comparable à un évanouissement. Je souffrais horriblement et en même temps m’étonnais de souffrir autant et d’une manière si nouvelle, alors que j’étais préparé par de si exactes prévisions. Je sentais l’image de ces deux êtres se graver dans ma mémoire d’une façon indélébile ; et j’éprouvais une douleur brûlante comme si cette image eût été un fer rougi au feu et ma mémoire une chaire sensible qui se tordait sous l’empreinte.
    Mais n’est-ce pas le désespoir ce cet homme face à la vie qui lui fait désirer l’ennui plus que l’amour ? Si l’amour charnel le fait souffrir et ne lui suffit pas, peut-être apprendra-t-il, en frôlant la mort, à aimer « sans plus ».
   Mon avis : Ce roman est extrêmement prenant ; Dino analyse ses moindres pensées et réactions concernant Cécilia, au cours de cette période où il ne fait rien d’autre que de coucher avec elle, l’espionner et s’interroger sur leurs rapports. Le personnage de Cécilia semble aussi vide que celui de Dino est plein ; plein de pensées et d’analyses, de réflexions et d’incertitudes, mais surtout de souffrance.  Les sentiments y sont décrits avec une grande justesse, et il est étonnant de voir à quel point leur progression semble logique. C’est une véritable analyse d’âme que nous offre Moravia : l’âme d’un jeune homme insatisfait par la vie, que tout ennuie, et qui prend peur quand un idéal semble donner un sens à son existence. Son combat contre ce nouveau sentiment qui s’empare de lui - et qu’il nomme lui-même l’amour-, a quelque chose de pathétique et de touchant. On ne peut s’empêcher de le trouver un peu ridicule, mais également de compatir à sa souffrance.
   J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman, sur lequel je suis tombée par hasard chez le bouquiniste –chère bouquinerie !- et dont le titre m’a intriguée. Certaines scènes et de nombreux dialogues sont rapportés de manière très juste et vivante, ce qui rend la lecture dynamique et très agréable. Le titre de ce roman est trompeur (on s'en serait douté!), dans la mesure où il inspire tout, sauf de l'ennui! 
   Comme je le disais, on ne s’ennuie pas un seul instant en lisant cette oeuvre; ni au sens de Dino, ni dans le sens commun. Le livre ne devient jamais un objet absurde, car il y a toujours une part de mystère : la réaction de Cécilia aux multiples tentatives de Dino pour la saisir. 
    Ce roman allie savamment analyse, complexité de l’être et charge symbolique. Dino incarne la préoccupation majeure de Moravia : le sort insupportable des hommes de notre temps privés du soutien d'un idéal, quel qu'il soit. 
   Je compte lire d’autres œuvres de cet auteur : je me suis d’ailleurs empressée d’aller chez le bouquiniste du coin ce matin pour en acheter un autre. Face à un choix important de romans de Moravia, j’ai opté pour Les Ambitions Déçues, titre qui n’est pas sans rappeler un fameux Balzac. Pastiche ? Seule une lecture prochaine me le dira… !

   Je souhaitais juste ajouter que je trouve la couverture de cette édition ancienne(1979...) du Livre de Poche très jolie, et tout à fait dans l'esprit du roman. Les couvertures modernes (jetez un oeil à tout hasard sur Amazone!) illustrent trop la dimension sexuelle, qui selon moi ne fait pas l'essentiel de l'oeuvre.

Lundi 14 juin 2010 à 21:09

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lolstein.jpgLe ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras
Un fiancé ; un bal ; deux femmes. L’une est jeune, belle, innocente ; l’autre est mère. Imaginez la souffrance de la première si le fiancé en question est foudroyé à la vue de la femme mûre…
Terrifiant n’est-ce pas ? C’est pourtant ce qui arrive à Lola Stein. Dans le casino de Town Beach, personne sauf Tatiana ne se rend compte de la tragédie dont est victime la jeune fille, adossée au bar. Elle non plus d’ailleurs… Elle regarde d’un air attendri ce couple qui danse, ce couple qui n’est pas le sien. Pourtant c’est bien Michaël Richardson qui est sur la piste dans les bras de cette femme…
Cet état extatique dure jusqu’à ce que la lumière se rallume, que la réalité surgisse, et avec elle son lot de souffrances. Lol prend conscience de ce qui va devenir le malheur de sa vie, la raison de ses marches sans fin à travers la ville, la source de sa rencontre avec Jacques Hold.
Ce dernier est le narrateur de l’histoire, ou plutôt l’archéologue qui reconstitue la mosaïque de l’histoire de Lol, cette femme pleine de mystère, doucement folle, amoureuse et malheureuse. On ne sait si ce qu’il dit est vrai. Il connaît Lol depuis 15 ans lorsqu’il raconte cette histoire ; il l’aime, et la passion peut faire naître de bien belles chimères. Cependant on le suit, on le croit, et l’on découvre une Lol passionnée, en éveil dans ses champs de seigle, qui ne veut pas qu’on renonce au monde pour elle.
Avec Jacques elle va revenir sur les lieux de son drame, rejouer la scène du bal et peut-être, ainsi, exorciser son mal…
“We’ve known each other so briefly. At first we are astonished. Then we discover our current memory, our current memory, our marvelous, recent memory of this morning, we move into each other’s arms, let me hold her tight, we stay this way, not saying a word, there being nothing to say until, looking toward that section of the beach where the swimmers are and which Lol, because of the position of her head on my shoulder, cannot see, there is some commotion, a crowd gathering around something I cannot see, perhaps a dead dog.”
Ah oui, une dernière chose : pourquoi cet extrait est-il en anglais me direz-vous?! Eh bien voilà encore une des bonnes surprises que réservent les bouquinistes : j’avais entendu parler de ce roman il y a peu, et l’histoire de cette jeune fille qui perd son fiancé à la suite d’un bal – Princesse de Clèves moderne- m’avait intriguée. Je n’avais lu de Duras que l’Amant et le début d’ Un Barrage contre le Pacifique qui m’était tombé des mains je ne sais trop pourquoi –enquête à poursuivre… ! et étais étonnée qu’elle ait écrit une telle histoire. Je ne parvenais pas à le dénicher, et ayant trouvé ce jour là mes chers Mandarins, je suis montée au rayon littérature anglaise histoire d’accompagner une amie et de me faire plaisir aux yeux. Et au bout d’un moment, je suis tombée sur The Ravishing of Lol Stein, by M. Duras. Bien étonnée mais bien contente, je me suis empressée de m’en emparer, et l’ai dévoré…
Encore une bien jolie découverte, grâce au bouquiniste ! Et la lecture en anglais n’enlevait rien au charme de cette histoire ; même, cela lui en conférait un autre insoupçonné. Je pense toutefois que je lirai un autre roman de Duras (lequel me conseilleriez-vous ?) pour ne pas passer à côté de son style.
En résumé, une belle surprise, une belle lecture et un magnifiquement triste et énigmatique roman. Bref, un chef-d’œuvre de mon goût !
L'image de l'édition anglaise est d'ailleurs, selon moi, tout à fait représentative de la jeune fille énigmatiquement floue et insaisissable qu'est Lol....

Jeudi 17 juin 2010 à 19:40



http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/beatrix.jpgBéatrix, Balzac
J’ai attendu trop longtemps avant de parler de mon auteur de prédilection, celui que j’ai commencé à aimer il y a longtemps, celui qui a précédé Proust dans mon cœur de lectrice : ce cher et honoré de Balzac (admirez le jeu de mot !). Honte à moi, non seulement il a été relégué à la deuxième place, mais en plus cela fait longtemps que je n’ai pas ouvert un de ces romans. Pourtant j’ai très envie de vous parler de l’un d’eux, que j’ai découvert dans une librairie l’été dernier, et que j’ai dévoré sur un transat’ au soleil…
Résumé : Calyste du Guénic, jeune provincial sont la famille est établie en Bretagne, voit sa vie bouleversée lorsqu’arrive au domaine des Touches Félicité, dite Camille Maupin. Chaque jour il se rend de Guérande aux Touches, visiter cette initiatrice. Mais Calyste n’en est qu’aux prémisses de cette éducation sentimentale ; son jeune cœur est encore sensible à la moindre passion qui vient l’effleurer. Ainsi, quand arrive chez Félicité la brune, une des ses amies, la Marquise de Rochefide, le sang de Calyste ne fait qu’un tour, et sa passion avec.
« Les blondes, reprit-elle, ont sur nous autres brunes l’avantage d’une précieuse diversité : il y a cent manières d’être blonde, il n’y en a qu’un d’être brune. Les blondes sont plus femmes que nous, nous ressemblons trop aux hommes nous autres brunes françaises. Eh bien, dit-elle, n’allez-vous pas tomber amoureux de Béatrix sur le portrait que je vous en fait, absolument comme je ne sais quel prince des Mille et Un Jours ? […]
« Malgré son état de blonde, Béatrix n’a pas la finesse de sa couleur ; elle a de la sévérité dans les lignes, elle est élégante et dure ; elle a la figure d’un dessin sec, et l’on dirait que dans son âme il y a des ardeurs méridionales. C’est un ange qui flambe et se dessèche. Enfin ses yeux ont soif. »
Voici le portrait que fait Camille de cette rivale, contre laquelle elle perdra la partie et finira au couvent. Béatrix quant à elle, séductrice et femme fatale, ne succombe pas immédiatement aux avances de Calyste. Celui-ci, désespéré de ce manque d’attention, profite d’une ballade pour la pousser dans un précipice…  
Si depuis ce jour Béatrix aime Calyste, ce n’est pas pour autant qu’elle renonce aux devoirs que lui impose la société. Elle refuse de renoncer à sa passion pour le musicien Conti, et repousse les brûlantes tentatives du jeune homme. Celui-ci découvre alors, comme toujours dans les romans balzaciens, la corruption et l’égoïsme de la capitale. Il épouse par convenance une jeune femme de bonne famille, Sabine, qui lui rappelle Béatrix mais qui n’est pas elle. Jusqu’au bout on se demande si elle finira par devenir sa maîtresse… Pour le savoir, je vous conseille vivement de lire ce roman, un des plus agréables que j’ai lu de cet auteur. Il y a de nombreux dialogues, des lettres et finalement, assez peu de descriptions par rapports à l’habitude.
Les thèmes abordés – la femme, la province, la passion amoureuse- sont des topoï romanesques, mais ils sont traités ici avec une telle précision et une telle élégance qu’il ne faudrait pas passer à côté. « A toutes les époques, les passions sont les mêmes. »
Georges Sand a inspiré le personnage de Félicité, la brune ; Marie d’Agoult celui de Béatrix. Cette dernière participe de l’ange et du démon. Chez Balzac, la femme est Fleur, Ange et Fille d’Eve. Elle est belle, mystérieuse, mais aussi séductrice et tentatrice. Béatrix est une sorte de Célimène moderne, qui excelle dans l’art de la comédie. On peut trouver étonnant qu’elle tombe amoureuse de Calyste après que celui-ci l’ait poussé dans un précipice… peut-être est-ce un goût pour la danger qui a provoqué cela chez elle ; ou bien le jeune homme a-t-il ainsi revêtu à ses yeux une dimension téméraire que ne lui permettait pas son costume de novice inexpérimenté en matière d’amour… Comme dans la Duchesse de Langeais, il apparaît dans ce roman que les femmes s’attachent à ce qui les fait souffrir...
Le personnage de Calyste est de ce fait assez archétypal, mais également complexe : jeune provincial poursuivant son éducation sentimentale à la ville, il a quelque chose de Lucien de Rubempré et de Rastignac, puisqu’il réussit en épousant une femme pour sa dot. Mais cette dernière action le rend lâche... Tout ceci me donne envie de relire le roman pour élucider toutes ces questions. Mais si quelques uns l’ont lu, tous les commentaires seront les bienvenus pour rafraîchir ma mémoire et éclairer ma lanterne.
Une dernière petite chose : ce roman développe le thème de la condition féminine au XIXème siècle. Trois femmes principales se partagent l’amour de Calyste dans ce roman : Félicité, femme de lettres piquante de quarante ans – si trente ans est le sommet poétique de la vie, quarante est l’âge du renoncement -, Béatrix la blonde, marquise expérimentée, et Sabine, la jeune fille de la bourgeoisie bretonne. Trois contraintes, illustrées ici, pèsent alors sur les femmes : l’âge, l’environnement et le statut social. La vie d’une femme se résume à l’aspiration à l’amour, le mariage, et la quête du bonheur. Malheureusement, les mariages conduisent souvent à des déceptions, et les hommes vont se consoler dans les bras d’autres femmes. L’adultère est souvent l’unique récompense du mariage. Sabine en sera-t-elle le triste exemple ? Sera-t-elle pour autant heureuse ? A vous de voir…
 Il me semble que l’on retrouve ces dimensions dans les romans de Jane Austen, où la question du mariage est prégnante. Mais je laisse les spécialistes (et je sais qu’il y en a de nombreux(ses) parmi les rédactrices de blogs livresques ! ) disserter sur cette remarque.

une ultime (promis!) petite et dernière chose : je trouve la couverture de cette nouvelle édition de poche absolument magnifique! Donc je n'ai pas hésité à la conserver dans mon article dans cette imposante dimension :)

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