Le Monde dans les Livres

Jeudi 1er septembre 2011 à 21:28

 Chronique de lectures d’été

Il a un temps pour tout ; un temps pour le travail, un temps pour le repos, un temps pour les loisirs, un temps pour la lecture, un temps pour l’amitié, un temps pour la famille, un temps pour l’amour, un temps pour la remise en question. J’ai tout expérimenté cet été ; tout s’est enchaîné, enchevêtré, mêlé et croisé.

Il semble que je n’ai rien lu, et pourtant…

J’ai beaucoup lu cet été, lu parce que je me suis reposée, mais aussi parce que je me suis remise en question, et un peu parce que j’ai travaillé. Bref, il est temps, maintenant, de faire un petit rapport de ces lectures d’été…

 

Un très grand amour, Franz-Olivier Giesberg

L’amour, c’est quoi ? et surtout, un grand amour ? C’est cette expérience unique du très grand amour que nous décrit l’auteur avec beaucoup de discernement et d’autodérision, humour et recul obligent, puisque finalement, de cette expérience, il n’en reste que des miettes ; des miettes de souvenirs. Juliette, cette fille aux cheveux blonds qu’il a tant aimée, Juliette qu’il a rencontré à la fac, normal, trop ordinaire presque pour un très grand amour, Juliette qu’il va aimer, pour laquelle il abandonne sa famille, pour laquelle il aurait tout fait, parce que pour lui, elle est cet accroissement d’être que doit être l’amour et dont parle Spinoza. Mais entre eux il va il y avoir le cancer, les soins, le refus de l’ablation, parce que la virilité, c’est ce qui fait exister l’homme auprès de la femme. Alors on se sépare. Et le grand de l’amour alors ? Un très beau roman.

 

La solitude des nombres premiers, Paolo Giordano

Alice et Matthia sont deux jeunes un peu à part dans la société, un peu seuls, parce qu’ils le veulent mais aussi, peut-être, parce qu’ils ont quelque chose d’unique : ils s’apparentent à des nombres premiers, ces rares nombres premiers qui, plus ils augmentent, plus ils deviennent rares et éloignés les uns des autres. Il semble que le destin de ces personnages d’une insondable tristesse, qui essaient de maintenir la tête hors de l’eau mais n’y parviennent qu’avec peine, soit similaire à ces nombres, qui s’éloignent, s’éloignent, s’éloignent, pris par la vie. De l’infini dans du fini, des étoiles parcellaires dans un ciel sans limites. Un roman très sympathique, bien loin des préjugés que je pouvais avoir à son égard. Un de mes « coups de cœur », pour parler in.

 

La délicatesse, David Foenkinos

J’avoue, j’ai lu ce livre comme on regarde un film de fille : avec une frange de honte, mais beaucoup de plaisir. Pour se vider la tête rien de mieux ; pour rêver un peu aussi. C’est une histoire incroyable, un peu ridicule tellement elle est incroyable, un peu ridicule parce que c’est une histoire d’amour. Et que l’amour, c’est toujours un peu ridicule ; positivement ridicule. Bref, c’est l’histoire d’une veuve qui retrouve l’amour. Elle est encore jeune et belle, tristement belle ; un jour, sur un coup de tête, elle embrasse un insignifiant collègue (sic). Et là…   Bref, c’est un roman de fille, mais il a tout de même reçu un certain nombre de prix littéraires malgré tout, a été traduit dans une multitude de langue, et permet de passer un bon moment. Que demander de plus en vacances ?

Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld (cf chronique sur ce blog)

L’attrape-cœurs, J. D. Salinger

Holden Caulfield s’est fait renvoyer du lycée. Ce jour et le suivant vont alors marquer un tournant dans sa vie. Ces deux journées pas comme les autres nous sont racontées par la voix même du jeune garçon, voix de la rue, voix populaire, voix d’un type qui découvre le monde, les autres, les filles, la vie. Un garçon exceptionnellement sensible sous la gouaille, dont le rêve est d’empêcher les enfants de tomber de la falaise ; autrement dit, d’empêcher les enfants de grandir. Parce que l’enfance, c’est le meilleur de la vie.

http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2009/06/05/222-l-attrape-coeurs-de-jd-salinger

Thérèse Desqueyroux, François Mauriac (à venir sur ce blog)

L’espèce fabulatrice, Nancy Huston

Toute notre vie est constituée de fictions ; l’homme a conscience de sa mort, alors il invente des histoires, pour donner un sens à cette vie qui file. Nancy Huston nous le montre, en à peine 200 pages, jouant de l’essai et de l’imagination. Au centre : la littérature. Génial.

http://culturofil.net/2008/06/07/lespece-fabulatrice-de-nancy-huston/

Dans ces bras-là, Camille Laurens

Voilà le roman de Camille Laurens qui lui a valu les honneurs ; ceux des lycéens, mais aussi de Tom (cf blogroll). Dès que je l’ai vu, dans un rayon au ras du plancher, au premier étage de l’immense librairie de Banon, j’ai pensé que ça allait être génial. Et forcément, comme toujours, déception. Certes ce livre est un hymne à l’homme, autofictif, qui parle des amis, des amants, du père, de sexe, d’amour, de rencontres. Des thèmes masculins, virils, agréables, palpables ; mais la construction, l’enchaînement des chapitres, leur répétition… au risque d’en faire crier certains, j’ai trouvé cela un peu lassant… Un souvenir mitigé… Peut-être devrais-je m’y replonger ; à rebours, j’exprime très mal mon jugement.

Vies minuscules, Pierre Michon

Un livre extraordinaire. L’écriture retenue, complexe, longue, un peu lente, méditative, presque biblique, m’a déroutée. Je n’ai pas tout compris ; j’ai eu du mal à bien entendre cette voix presque prophétique. Un prophète du temps passé. A travers le récit de plusieurs vies minuscules, vies de paysans, de grands-parents, de vieillard illettré, d’enfant mort ; à travers la vie des petits, des faibles, des oubliés de la vie ; à travers eux, l’auteur se dit. Une hétérographie difractée ; miroir brisé dont il est le point central. Avancée chronologique camouflée sous les masques des petites gens, ce livre, à sa moitié, devient une illustration de l’errance du poète, ce poète que souhaite devenir Michon, ce titre de poète que lui refuse la page blanche. Poète à la Nerval, un peu fou, amoureux fou et désespéré, mais surtout Rimbaud, jeune Rimbaud errant à la recherche de la beauté. Rimbaud, ce double poétique qui hante Michon depuis l’enfance, comme on l’apprend ici. Genèse de Rimbaud le fils ? Pourquoi pas ! Un livre au ton complexe, sérieux, mais une illustration parfaite de l’errance poétique à travers les masques des petits et des grands.

La conversation amoureuse, Alice Ferney

On dit souvent le meilleur pour la fin. Dans ce cas, c’est vrai. L’histoire semble fort banale, surtout au long des cinquante premières pages : un homme a rendez-vous avec une femme ; ils se séduisent, se cherchent, se fuient. Désir, amour, passion ; énamoration. Rien de plus banal, du déjà vu, vu et revu. Mais le style surprend. Une sorte de monologue intérieur, à deux voix, voire trois : celle de l’homme, celle de la femme, et celle de l’auteur. Les paroles sont rapportées au discours indirect libre, les dialogues s’enchaînent sur la page sans leurs signes conventionnels, les pensées et les voix se croisent et s’expliquent les unes les autres. On comprend tout (ou presque) de l’amour, que ce soit dans la tête de la femme, ou dans celle de l’homme. Bon d’accord, c’est un peu cliché, l’homme qui désire, la femme qui pense ; mais finalement, chacun pense et désire, et ça donne quelque chose de sensuellement réflexif ; une manière unique de faire voir l’amour. Et puis, en parallèle, la vie de plusieurs couples nous est contée ; la vie de plusieurs couples lors de cette même soirée où Alice et Marc (l’homme et la femme en question) sont tout à leur rencart. Finalement tout le monde se retrouve, un peu comme Mrs Dalloway se retrouve à la fête à la fin de la journée. Tout le monde se croise avec ses peines, ses joies, ses amours, son divorce, ses enfants, ses crises et ses disputes. Les désirs eux aussi se croisent, et évoluent au fil du temps, comme l’illustre la seconde moitié du roman. Au restaurant, au téléphone, au lit ; au cours du reste de la vie. Un roman unique, dans un style jamais vu. Brillant, émouvant, scotchant.

 

 

 

 

 

 

Vendredi 2 septembre 2011 à 11:09

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 Le Montespan, Jean Teulé

Epouser sur un coup de foudre la plus belle femme du royaume, c’est bien ce qui a pu arriver de mieux à ce marquis déchu qu’est Montespan. En dehors d’elle, sa Françoise née Mortemart, pas grand-chose ne lui sourit. A la guerre il est mauvais, de dettes il est criblé, et par le roi reconnu il n’est plus. Mais il s’en fiche, il a Françoise. Belle comme une statue, douce comme une pièce de soie, drôle, piquante et émoustillante comme le seront les revues parisiennes, cette femme fait son bonheur, sa vie, sa joie. Jusqu’au jour où sa personne croise le regard du roi…

On ne peut rien lui refuser à celui-là, le Roi Soleil, un dieu descendu sur terre ; même pas sa femme. Au début il fait bon être l’époux d’une des favorites ; on a des prérogatives, des grades, des galons. Mais quand cette femme passe son temps à Versailles ou Saint-Germain et qu’elle revient grosse d’un autre à la maison, trop c’est trop, et ce bon vieux Louis-Henri devient accablé et fou de chagrin.

Cette Athénaïs qui fait fantasmer la cour et surtout le roi n’a plus grand-chose à voir avec la Françoise de ses rêves, avec l’amour de sa vie. Elle est devenue superficielle, exigeante, dépensière ; elle laisse sa petite fille mourir de chagrin, son fils devenir le duc d’Antin arrogant. Montespan, désespéré à un point hyperbolique, en vient à organiser l’enterrement de son amour et à obliger un de ses gens à défiler devant lui revêtu de la robe de mariée de Françoise. Un carnaval.

Carnaval tragique, mais tellement drôle ! Montespan est très attachant. Dans son chagrin, il n’en oublie pas l’amour, qui le fait vivre. Et cette passion inextinguible, liée à son caractère bon vivant et débonnaire, forment un détonnant coktail, cocasse et plein de rebondissements. Sujet peu traité, le cas de Montespan, en marge de la cour et pourtant fortement lié à elle (on comprend que, selon la loi de l’époque, étant l’époux d’Athénaïs, il est le père légitime des bâtards sur roi !), est irrésistiblement drôle et tragique à la fois. Le ton employé par l’auteur concourt également à faire naître le rire par le décalage, la force et l’imagination débordante de ce petit personnage qui n’hésite pas à provoquer le roi, et à installer des cornes de cerf sur son carrosse. Une vie cocasse, narrée avec une verve burlesque étonnante.

Les références historiques sont d’ailleurs très présentes et très sérieuses, puisqu’on retrouve sans peine des anecdotes à la Saint-Simon (dont Jean Teulé se fait sans doute le digne héritier !), des personnages historiques comme Lauzin, ou encore l’auteur lui-même, un certain Teulé, misérable noble, ruffian et faux monnayeur, auquel les marquis de la région versent une petite rente pour qu’il ne tombe pas trop bas dans la crapule, qui va aider Montespan à fuir en Espagne.

Tous les personnages de ce roman sont hauts en couleurs, du roi à la cuisinière en passant par les perruquiers et autres marchands. Le trait est cinglant, sans merci, burlesque jusqu’à plus soif, rabelaisien à ses heures, le bas grotesque et source de plaisirs à l’honneur. Un livre assez exceptionnel !

 

 

Vendredi 9 septembre 2011 à 23:29

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 Les chaussures italiennes, Henning Mankell

A 66 ans, on peut encore retrouver l’amour de sa vie, devenir père, demander pardon, pleurer, avoir peur, voyager, manquer de mourir sous la glace, et être un héros de roman. Fredrik Welin l’a fait en tout cas ; à soixante-six ans.

Pourtant le narrateur est un Robinson du froid. Il vit seul sur une île, avec son chien et son chat. Cliché d’ermitage ; il se fait de vieux os. Mais un jour son amour de jeunesse – dont la jeunesse n’est plus la caractéristique- vient lui rappeler son existence. Descendue d’on ne sait où accrochée à son déambulateur, Harriet vient. Celle qu'il a tant aimée vient, revient après tant d'années. Première visite depuis douze ans de solitude. Mais cette visite n'est pas sans motif : non pas seulement essayer de comprendre ce qui a pu passer par la tête de son ancien amant pour qu’il l’abandonne ainsi, quarante ans plus tôt, mais aussi rappeler certaines promesses, et certaines réalités.

A partir de cette ligne, je vais spoiler sévère, donc à ceux qui veulent savourer l’intrigue rebondissante de ce grand roman, je conseille d’arrêter ici leur lecture. Pour les autres…

La première découverte que fait Fredrik, c’est qu’il est père. Un ancien amour et un enfant qui surgissent alors, d’un coup, bourrasque au milieu de la vacuité. Il n’avait rien, et il a tout. Ou presque. Parce que l’histoire ne s’arrête pas là, ce serait trop facile –et trop niais. Une dizaine d’années plus tôt, notre narrateur a commis une faute, une grave faute, qui explique son retrait sur cette île suédoise loin de tout. Il a amputé le bras d’une femme ; le mauvais bras. Chirurgien de prestige, Welin a manqué de discernement, d’attention, de rigueur, et la vie d’une jeune femme, Agnès, en a été changée. Un ouragan ayant déboulé dans sa vie, il n’hésite pas – ou presque- à s’engouffrer dans les rafales et à rendre visite à sa victime. Celle-ci, contre toute attente, le reçoit aussi cordialement qu’il est possible, et lui fait rencontrer ses trois protégées, des jeunes filles perturbées, au lourd passé. L’une d’elle porte avec elle, sans cesse, un sabre de samouraï – c’est pour dire…

De la suite, je n’en dirai rien. Succession d’invraisemblances, de coups de théâtre, de rebondissements. On ne s’ennuie pas un seul instant, et tout, même l’épisode le plus imprévisible, tout s’enchaîne dans un seul et unique souffle. Un souffle symphonique, puisque l’auteur a intitulé ses chapitres « mouvements ». Cinq mouvements qui nous font traverser des paysages et des saisons, dans un rythme tantôt lent tantôt frénétique, en alternance avec les prompts départs du narrateur –il aime s’enfuir, partir, sans rien dire et aussi vite que l’éclair- et ses périodes de solitude.

Le narrateur est exceptionnel. Ce qui lui arrive en l’espace d’un an pourrait remplir une vie ; ces quelques mois concentrent plus d’émotions, d’évènements et de rencontres que ses vingt dernières années réunies. Et pourtant, il continue à fuir ; repartir, revenir ; un allegro alternant avec de lentes modulations ; de longues pauses au cours desquels il réfléchit le cours de sa vie, et l’infléchit. Pendant ce temps, le vieil italien continue à fabriquer ses chaussures…

Que de mystères, de rebondissements, de surprises et de palpitations ! Il en reste et pourtant, j’ai dévoilé une bonne partie de l’histoire. Bourré d’invraisemblances et de quelques clichés, ce roman est exceptionnel, parce que tenu par un héros tel que j’en ai rarement rencontré : un homme, avec ses failles, ses faiblesses, mais aussi son courage et sa volonté de vivre. Bref, sous le cliché, c’est vraiment génial !

Un avis hyper enthousiaste d'ailleurs : http://aliasnoukette.over-blog.com/article-les-chaussures-italiennes-henning-mankell-79870776-comments.html#anchorComment

 

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