Le Monde dans les Livres

Lundi 2 août 2010 à 23:22

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/zoneero.jpgZone Erogène, Philippe Djian
Je lis peu en ce moment ; je capte les joies des vacances, j’ai beaucoup à faire de ce côté-là, le plaisir de partager des moments d’oisiveté entre amis…
Mais j’ai embarqué ce roman dans le train, et l’ai lu, vite, très vite.
Mon article, je crois, sera lui aussi très rapide. Ce roman des débuts de Djian (tout de même postérieur à 37,2° le matin) se résume en peu de mots. L’histoire est celle d’un écrivain en pleine rédaction de son prochain roman. De ce roman on ne sait rien. Ce qu’on sait, c’est ce que l’écrivain fait quand il n’écrit pas. Et la vie d’un écrivain est bigrement épique ! Bières, femmes, embrouilles. Voilà en quoi cela se résume. C’est presque une autobiographie que nous propose Djian, une tranche de vie d’écrivain. La vie cachée du créateur. Ou comment on vit quand on écrit.
Comme par hasard, cet écrivain, c’est un homme des ennuis et des plaisirs qui s’appelle Philippe Djian.  Les amours de sa vie sont son roman, et les femmes. Ces amours sont jalouses les unes des autres, mais le roman reste une rivale sans pitié. Il y a également Nina, la plus belle de toutes ; mais elle aussi claque la porte, revient, repart. C’est dur de vivre avec un créateur buveur de bière, dont le meilleur ami est homo et se fait taper dessus. Il y a des jeunes, des rencontres fortuites, des bonnes et des moins aguichantes. Il y a la vie, ces moments de joie, d’incompréhensions, ces moments magiques où on ne maîtrise plus rien, où on voit de la poésie dans un grain de sable. Le monde est sans pitié et pourtant Djian nous révèle ce qu’il y a de puissant, d’émouvant, de drôle et de presque extraordinaire dans la vie et les évènements. C’est quand tout s’emballe que c’est bon.
Du sexe, de l’alcool, des excès. Du pur Djian. Une mise en abîme de son écriture, de sa vie ; de l’humour, pas mal d’autodérision. Et puis les thèmes habituels ; on se rend compte à quel point l’œuvre de cet écrivain est quelque chose qu’il a dans les tripes. Un style toujours magique, où l’ordinaire et le grivois côtoient les envolées lyriques et les associations de mots les plus poétiquement osées.
Il ne se passe rien d’exaltant dans ce livre, qui se boit, qui passe bien. Le style, cette recherche permanente de l’écrivain, laisse tout couler doucement, vers la pente finale, quand tout s’accélère. Un roman essentiel pour comprendre la manière d’écrire si particulière de cet auteur.
D’aucuns penseront que ce livre est à la limite du pornographique (rien que le titre est subversif…). Ils n’auraient pas tout à fait tord. Mais il nous plonge dans la vraie vie, la vie moderne ; on est loin de l’image balzacienne de l’écrivain. Djian est un héritier de la Beat-Generation. Ecrire est pour lui un besoin viscéral, un besoin et un plaisir comme les autres, comme manger, dormir et faire l’amour. Un roman émouvant de vérité, un style toujours percutant, admirable (j’ai conscience de drôlement prendre position en disant cela, mais j’aime ce style qui ose tous les mélanges, et qui pourtant ne fait pas de fausses notes.)
Une musique endiablée, une bonne bière qui fait voir les étoiles du ciel comme des lucioles. Un bon moment, mais pas le meilleur de Djian.
Je ne le conseille en aucun cas à ceux qui ne connaissent pas cet auteur, encore moins à ceux qui ont des a priori à son sujet. Ce serait le condamner. Mais pour ceux qui l’aiment, qui apprécient cette écriture qui grince, qui émet un son de vieille radio pourtant réglée sur une station de bonne musique, je le conseille. Djian des débuts, c’est ça. Djian et l’écriture aussi.

Vendredi 6 août 2010 à 12:03

 
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Carrere.jpgLa nuit d’avant la vague, je me rappelle qu’Hélène et moi avons parlé de nous séparer. Ce n’était pas compliqué : nous n’habitions pas sous le même toit, n’avions pas d’enfant ensemble , nous pouvions même envisager de rester amis ; pourtant c’était triste.
Au vue des premières lignes du roman, on pourrait penser que, comme à son ordinaire - selon ce que j’ai pu en lire en parcourant des articles sur Internet-, Emmanuel Carrère va se lancer dans un projet autocentré. Cependant, la vague, ce mot angoissant qui début le roman, laisse présager, peut-être, autre chose…
Et effectivement. Cette fois, ce n’est pas lui la victime, ce n’est pas lui le héros. Il n’est que le témoin de catastrophes qui se déroulent sous ses yeux, ou passent par ses oreilles.
En 2004, le monde est sous le choc du tsunami qui a ravagé l’Asie. Emmanuel Carrère est sur les lieux, et nous raconte la déchirure des hommes et des femmes qui ont vu périr leurs proches dans le raz de marée. Mais ce sont Delphine et Jérôme qui occupent le centre de cette première partie du roman. Delphine et Jérôme qui ont perdu leur petite Juliette, une petite blondinette en robe rouge.
Puis Hélène et le narrateur-auteur reviennent en France, où ils apprennent qu’une autre Juliette est sur le point de mourir. Il s’agit de la sœur d’Hélène, en phase terminale d’un cancer du sein, dont les métastases ont attaqué les poumons. S’ensuit le récit fragmenté de la vie de cette femme aux jambes paralysées, recueilli auprès de Patrice, son compagnon, et d’Etienne, un juge unijambiste, son collègue.
L’auteur s’est vu investir d’une mission, celui d’écrire l’histoire de ces êtres. Ainsi il narre avec une grande précision la rencontre entre Juliette et son mari, ses relations avec Etienne, sa vie de jeune juge dynamique malgré son handicap, et mère de trois petites filles. Il raconte surtout sa longue descente aux enfers, son compagnonnage avec la mort, omniprésente ; la manière dont elle organise la vie, après sa mort. Un grand amour émane de cette femme, qui cherche à tout prix à épargner ses proches. Ce qui compte, ce ne sont pas ceux qui partent, mais ceux qui restent.
Avec ce roman, l'auteur s'empare de sujets poignants, qui ont marqué et marquent chaque jour notre monde contemporain. Les victimes du tsunami ont été trop nombreuses, celles du cancer, encore plus. Et la perte d'un être cher peut quant à elle survenir à chaque instant...
Du bon : Avec ce roman, Emmanuel Carrère rompt avec son habitude de l’autofiction, et accepte la mission de rendre compte d’autres vies que la sienne. Le titre de ce roman est donc programmatif. Programmatif comme la douleur qu’entraîne la perte d’un être cher. Les pertes qui lui font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une mère pour ses enfants.
Ecrire un livre ne change rien, mais pour certains protagonistes, ça change beaucoup de choses. Leur expérience de la mort devient immortelle. Elle est gravée à jamais sur la page, et donc dans les mémoires. Une expérience parmi d’autres me direz-vous ? Oui, mais une expérience vue à travers les yeux d’un écrivain. Un témoignage remanié par un homme qui sait voir au-delà des apparences et établir des liens invisibles.
A travers l’écriture de ce roman, l’auteur a appris le bonheur. Il l’a appris à travers le malheur d’autrui, de la catastrophe qui vient bouleverser une vie. Après cela, il a envie d’aimer Hélène, pour toujours. Parce qu’il craint que quelque chose, un accident, une maladie ne la lui ravisse ; non pas parce qu’il pourrait se lasser de sa présence, désormais indispensable. Je préfère ce qui me rapproche des autres hommes que ce qui m’en distingue. Ecrire sur les autres a permis à l’auteur de prendre ce recul sur la vie que n’offre que l’expérience douloureuse. Avec lui, avec eux, ses héros, qui sont aussi ses amis, on comprend cette phrase de Céline : C’est peut-être ça que l’on cherche à travers la vie, rien que ça, la plus grande tristesse possible pour devenir soi-même avant de mourir.
 
Du métadiscours (discours sur ce qui sous-tend le texte, c'est à dire l'écriture, le roman, etc...) :
Ce roman est également l’occasion d’engager une réflexion sur l’écrivain, sur ce qui peut faire la matière d’un livre, sur comment parler de ce qui est étranger à soi. Comment parler de la douleur, de la souffrance, du chagrin des êtres qui nous entourent ? Comment mettre le réel en fiction ? Toutes ces questions sont soulevées par l’auteur dans ce roman à la fois très réaliste, détaillé, mais aussi émouvant, bouleversant, et métatextuel.  
 
Du moins bon (selon mon humble avis...) :
Tout cela est bien beau, plein de bons sentiments, de belles réflexions… Pourtant… Des choses m’ont gênée. Je ne peux nier que le style de l’auteur est bon, parfois très bon et poignant. Cependant, il me semble qu’un sujet aussi dur que le tsunami et l’agonie d’une jeune femme auraient mérité un traitement un peu différent. Un style peut-être plus elliptique, pour laisser entrevoir la douleur et la souffrance entre les lignes. Les blancs de la page, selon moi, parlent plus que bien des mots.
Et puis il y a des longueurs… Je l’avoue, j’ai sauté des pages. Je ne me suis pas embarrassée de tous ces passages centrés sur le droit, la dette, tous ces sujets que certes l’ont n’aborde que très rarement dans la littérature et qui sont très instructifs, mais auxquels je ne comprenais strictement rien. Je n’ai pas cherché longtemps à comprendre. En plus, il me semblait que cela n’apportait rien au roman. Que viennent faire les problèmes d’argent des entreprises dans un roman sur des vies bouleversées ? D’accord, l’endettement bouleverse des vies. Mais les héros n’étaient pas victime de cela ! Peut-être que l’auteur voulait montrer à quel point Etienne et Juliette étaient des juges géniaux. Comme dans Balzac, ces descriptions didactiques ne sont certainement pas sans significations. Bon, je vais cesser de chercher des réponses. Quoi qu’il en soit, ces longs passages ont un peu parasité ma lecture. Le style et le thème étaient trop en décalage avec le reste. A cause de cela, ce roman considéré come un chef d’œuvre me laisse l’image d’un patchwork mal raccordé, avec des tissus flamboyants et de vieilles étoffes rapiécées. Décevant quand on rencontre une telle beauté de style dès les premières lignes…
Bref, du beau, du grand, du brillant, de l’émotion, de la réflexion, mais une désagréable impression de collage… J’ai préféré écrire cet article que lire ce livre.
Un roman à lire, ainsi que d’autres romans écrits à peu près en même temps (Un roman russe surtout, que j’ai mais n’ai pas encore lu). Et rappelons-nous Pennac : le droit de sauter des pages.
 

Samedi 7 août 2010 à 14:44

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/jade.jpgLa grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt
On m’avait vivement conseillé ce roman, dont l’auteur a, selon ce que j’ai pu lire et entendre, fait parler d’elle avec un ouvrage des plus réussis (à ce qu’on dit, encore), La vie d’une autre. Je me suis laissée tenter, d’autant que la quatrième de couverture m’a fortement interpelée (dès qu’il s’agit de la lecture ou de l’écriture, je deviens avide…) et que je l’ai d’abord prêté à ma propre grand-mère, qui a adoré. Tout me prédisposait donc à apprécier ce livre…
Résumé : Mamoune, la grand-mère de Jade, quatre-vingt ans, vient de tomber dans sa cuisine. Faiblesse de personne âgée qui lui vaut l’inscription dans une maison de repos. Jade ne peut l’accepter et à trente ans, alors qu’elle vient de rompre avec son petit ami, elle décide d’enlever Mamoune et de l’installer chez elle, à Paris. Entre sa Savoie d’origine et la capitale, le choc ne sera finalement pas si rude pour cette grand-mère encore jeune dans sa tête. Il le sera davantage pour la jeune femme quand elle apprendra que sa Mamoune chérie n’est pas celle qu’elle croit. Sa vivacité d’esprit, elle la doit aux grands auteurs et à leurs brillantes pages. Alors que Mamoune est une grand-mère attentionnée qui sent la violette, Jeanne est une lectrice passionnée. Dissimulant les livres dans la couverture de sa vieille bible, elle lisait au nez de tous sans que personne ne s’en aperçoive. Quelle aubaine lorsque sa petite fille lui avoue avoir écrit un roman, refusé par les éditeurs ! Elle va pouvoir enfin rencontrer un véritable écrivain et lui venir en aide. S’ensuit donc le récit à deux voix (celle de Mamoune et d’un narrateur omniscient) de la cohabitation entre cette jeune femme et sa grand-mère, où alternent réflexion sur l’amour, la vieillesse, la famille, et autres thèmes bien plan-plan.[Mon avis :] Car ce roman est plan-plan, mielleux, sucré. L’intrigue est intéressante mais il me semble que l’auteur ne l’exploite pas à fond. Les choses tournent trop bien, happy end surfaite, sensiblerie niaise. Toutefois, les réflexions sur les statuts de lecteur et d’écrivain sont des plus intéressantes. Malgré une écriture trop souvent clichée, pleine d’images surfaites, vues et revues, certains passages méta-discursifs valent vraiment le coup.
Je me permets encore d’ajouter des éléments au tableau de ma déception. Selon moi, les personnages sont décevants. A trente ans, Jade paraît en avoir vingt. A quatre-vingt, la grand-mère semble en avoir cinquante quand elle nous livre ses réflexions sur la lecture. On ne croit pas à son personnage de savoyarde et de lectrice clandestine. Le contraste est trop explicitement établi. Et puis c’est vraiment bourré de sensiblerie.
Voilà, je crois avoir bien démonté ce roman que pourtant j’ai lu sans m’ennuyer. A chaque phrase je ne pouvais m’empêcher de penser : « Mais quelles images clichés, comme c’est niais, comme c’est visqueux et gluant » mais pourtant j’ai avancé, j’avais hâte de le terminer (la fin est un peu longue, le fameux épilogue qui m’a tout de même touchée est venu bien tard…).
Je conseillerai ce livre à ceux qui s’intéressent à l’écriture, la lecture, et qui sont sensibles à l’illustration de la vie d’un jeune auteur face à son manuscrit et aux maisons d’édition. Je le conseille surtout vivement aux mamies qui aiment lire et qui aiment leurs petits enfants. Bref, un roman pour les personnes d’un certain âge qui aiment à rêver que la romance est encore possible, pour les mamies comme la mienne qui seront touchées par cette histoire entre une grand-mère et sa petite fille, et enfin pour ceux et celles qui aimeraient devenir écrivain. On sent que l’auteur a mis beaucoup du sien dans ce roman, qui flirte avec l’autofiction (
mise en scène de soi déguisée dans un roman. Quasi-autobiographie dans laquelle les noms, les lieux, les dates ont été changés.)
Un article à l’image de ce roman finalement : du cliché, une organisation bateau, mais au sein des paragraphes, des remarques qui se veulent (dans mon cas) pertinentes, et qui sont, dans le roman, réellement intéressantes. J’ai ainsi retenu ce passage de la page 164 :
Ceux qui écrivent ont une façon si particulière de porter leurs yeux sur ce que nous ne saurions voir. […] cette façon se saisir la banalité et d’en rendre compte sous un angle insolite, cet art de tisser un lien entre des choses qui n’ont pas l’air d’en avoir. […]ces pages sont pleines, mais elles m’offrent une part dans laquelle peut courir ma propre pensée, l’histoire que je construis dans l’histoire.
Ah tout de même une toute dernière chose ! La couverture est très agréable en main, douce et soyeuse, et le format original. (Finalement, la couverture, sa couleur, sa texture (et son personnage qui n’a aucun rapport avec Jade qui est censée être blonde et détester son portable…) sont à l’image du livre… Suis-je vraiment impitoyable ?)

Lundi 9 août 2010 à 23:22

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/isabellegide-copie-1.jpg 
Isabelle, André Gide
Voilà un récit de Gide qui m’a tenue en haleine, et dont les pages ont filé sous mes doigts (d’autant qu’il n’en compte que 150). Alors qu’ils visitent un vieux château de nord de la France, Gide et Jammes prient leur ami Gérard Lacase de leur faire le récit de l’aventure insolite qu’il a vécue étant jeune et dont Quatrfourche fut le théâtre. Celui-ci s’exécute, et leur conte l’histoire de sa brève mais intense passion - fortement teintée de curiosité - pour une jeune femme; devinez qui ?
Isabelle.
Gérard était à l'époque un jeune sorbonnard à la recherche de documents pour alimenter sa thèse sur les serments de Bossuet. Pour ce faire, il se rend à Quartfourche, où réside Mr Floche et sa famille. Celui-ci a en sa possession un certain nombre de documents qui intéresseront fortement le jeune étudiant. Mais au terme d’une journée passée au château, dans cette campagne reculée coupée de tout, sans bruit et où tous les individus semblent déjà figés dans la mort – ce sentiment d’abandon et d’immobilité est d’ailleurs rendu avec finesse par l’écriture de Gide, qui ne s’embarrasse pas d’approfondissement psychologique- Gérard s’ennuie à mourir. Lui qui est avide de romanesque – il voudrait devenir écrivain-, ne trouve ici que pluie, angoisse et vieilles pierres (l’ambiance a quelque chose, selon moi, du roman gothique). Mais alors qu’il échafaude un plan pour retourner à Paris, le jeune Casimir, l’enfant de la maison qui l’a pris en affection, sort d’un tiroir un petit cadre représentant une femme dont Gérard, dès le premier regard, s’éprend…
Après 50 pages de mystère, voilà enfin que nous découvrons qui est la fameuse Isabelle du titre. Mais celle-ci nous réserve bien des surprises. Une silhouette à la peau d’ivoire entr’aperçue, une mystérieuse lettre passionnée dissimulée dans un recoin, un message des plus pressants…
Mon amour, voici ma dernière lettre… Vite ces quelques mots encore, car je sais que ce soir je ne pourrai plus rien te dire ; mes lèvres, près de toi, ne sauront plus trouver que des baisers.
Isabelle est à la lisière du bovarysme, et pourtant, elle se révèle une femme fatale vibrante et mystérieuse. C’est du moins ce que croit Gérard…
Un récit bref, dans lequel on peut peut-être voir une dimension symbolique – la passion née d’une œuvre d’art, Pygmalion revu et corrigé…- ou simplement fantastique, un récit de l’amour impossible et fantasmé. Mais Gide parvient à faire de cette banale histoire quelque chose de profondément beau, poétique, aux accents un peu surannés, au vocabulaire classique, presque archaïque. L’ensemble est formidablement bien écrit, chaque mot semble à sa place et, un peu comme dans une nouvelle, l’auteur ne s’embarrasse pas de l’inutile.
  Notons qu’il s’agit bien d’un récit dans le vocabulaire de Gide. La seule œuvre à laquelle il ait accordé l’appellation de roman étant Les Faux-Monnayeurs. La Symphonie Pastorale est elle aussi répertorié sous l’appellation récit ; je ne l’ai encore jamais lu d’ailleurs.
Une jolie découverte, que je conseille fortement.
Remarque : Je n’ai pas choisi d’illustrer cet article avec la couverture de mon ouvrage (un ancien Folio) mais avec une autre que je trouve beaucoup plus approchante de l’atmosphère que dégage ce roman…

Quelques liens :

Des passionnés de Gide parlent de ce récit ici, ici et ...

Jeudi 19 août 2010 à 1:10

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/bookofillusions.jpgThe Book of Illusions, Paul Auster

There was no moon in the sky that night. When I stepped out of the car and put my feet on the ground, I remember saying to myself : Alma is wearing red lipstick, the car is yellow, and there is no moon in the sky tonight. In the darkness behind the main house, I could dimly make out the contours of Hector’s trees _ great hulks of shadow stirring in the wind. […]
Eleven years later, I still wonder what would have happened if I had had stopped and turned around before we reached the door. What if, instead of putting my arm around Alma’s shoulder and walking strait toward the house, I had stopped for a moment, looked at the other part of the sky, and discovered a large round moon shinning down on us? Would it still be true to say that there was no moon in the sky that night? If I didn’t take the trouble to turn around and look behind me, then yes, it would still be true. If I never saw the moon, then the moon was never there.
 
Ce passage, situé au milieu du roman, en est l’esprit concentré en quelques lignes.
L’illusion est au centre du tout. Du titre, de l’histoire, des yeux du héros et du lecteur. Tout ce que nous voyons peut nous tromper. C’est à quoi sert le cinéma ; nous faire croire à des choses qui n’existent pas. Tout ce que nous ne voyons pas nous trompe aussi. Ainsi la lune n’existe pas parce que David Zimmer, le narrateur de cette histoire, ne la voit pas.
Hector Mann, le fameux acteur du cinéma muet, le Charlie Chaplin austérien, lui aussi a disparu. Personne ne sait ce qu’il est devenu. Evaporé alors que la bande son fait son apparition.
Les enfants et la femme de David ont également disparus. Une disparition en forme d’euphémisme, puisqu’ils sont morts dans un accident d’avion. Et Hector Mann va être celui qui va sauver David.
En effet, ce dernier, alors qu’il zappe devant la télé un soir d’alcool et de déprim’, reste en arrêt face à l’image de ce clown en moustache noir et blanc. Et là, son visage se fend de l’expression qui l’avait abandonné depuis six mois : un sourire. David a ri en regardant le film d’Hector Mann.
Dès lors, il se sent investi d’une mission : écrire un livre sur les films de Mann, et faire la lumière sur la vie obscure de cette star des projecteurs. Jusqu’au jour où il reçoit une lettre de la femme même de Mann, qui le presse de venir à son chevet…
 Les chapitres se succèdent alors, mêlant descriptions de films – on s’y croirait ! -, rencontres, tentatives pour renouer avec la vie, traductions de Chateaubriand, vie d’Hector Mann et finalement, une rencontre avec celui-ci. Tout ceci paraît bien anarchique, et pourtant, l’ensemble est lié. Cette histoire est comme un cercle, dont chaque point se fait face, comme en miroir. La vie d’Hector Mann est celle de tous et de personne. Celle de Zimmer, en certains points, lui ressemble. Celle de certains des personnages de ses films aussi. Il a presque fait de sa vie un film. David en fait même un livre. Tout comme Alma, celle qu’il ne connaît que huit jours mais qui le sauve de la mort, comme Hector avait sauvé Frieda.
Voilà ce que j’appelle un roman construit. Les chapitres, les vies se répondent. Et avec ça, un style particulièrement fluide, qui alterne passages simples et prolongations poétiques (ces simples arbres qui deviennent comme des ombres s’étirant dans le vent, cf supra).
Néanmoins, certains passages de descriptions de films (bien que très originaux et agréablement rendus grâce au style fluide d’Auster) sont un peu longs. Tout comme le récit de la vie d’Hector, dans lequel je me suis un peu embrouillée les pinceaux (mais peut-être n’ai-je pas été suffisamment attentive à la lecture de certains passages…shame on me !). Mais une fois que David a rencontré Alma puis Hector, tout s’enchaîne et s’enflamme – au sens propre, vous verrez !
Bilan : une lecture plaisante, avec quelques longueurs – nécessaires pourtant ! qui font de ce roman une œuvre complète, un machinerie bien huilée comme un tour d’illusionniste. On est emporté par cette histoire, dont la fin est certes un chouilla prévisible mais bon, on reste happé par la magie de l’illusion. Du grand Paul Auster, avec beaucoup de personnages, des histoires de vies fouillées, où rien n’est laissé au hasard. Une mise en abîme de l’illusion que laisse présager le titre. Un roman qui fait réfléchir…et rouvrir les cours sur la philosophie kantienne !
Ce roman est également l’occasion pour Auster de proposer une réflexion sur l’art, ses tenants et ses aboutissants, l’artiste, ses aspirations, l’importance de trouver un moyen de s’exprimer pour continuer à vivre ou survivre. Mais la question est : qui survit à qui ? L’œuvre d’art ou l’auteur ? Parfois, l’un semble disparaître avec l’autre ou, comme Chateaubriand, le livre sortir de la tombe alors que l’auteur y entre…
Et puis, un roman qui parle de cinéma, je trouve cela drôlement original… ! A bon entendeur…

 
Nb : Jacques Teissier compare ce roman avec l'un de ceux de Philippe Djian (que je n'ai pas lu...) ce qui n'est pas pour me déplaire!

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