La nuit d’avant la vague, je me rappelle qu’Hélène et moi avons parlé de nous séparer. Ce n’était pas compliqué : nous n’habitions pas sous le même toit, n’avions pas d’enfant ensemble , nous pouvions même envisager de rester amis ; pourtant c’était triste.
Au vue des premières lignes du roman, on pourrait penser que, comme à son ordinaire - selon ce que j’ai pu en lire en parcourant des articles sur Internet-, Emmanuel Carrère va se lancer dans un projet autocentré. Cependant, la vague, ce mot angoissant qui début le roman, laisse présager, peut-être, autre chose…
Et effectivement. Cette fois, ce n’est pas lui la victime, ce n’est pas lui le héros. Il n’est que le témoin de catastrophes qui se déroulent sous ses yeux, ou passent par ses oreilles.
En 2004, le monde est sous le choc du tsunami qui a ravagé l’Asie. Emmanuel Carrère est sur les lieux, et nous raconte la déchirure des hommes et des femmes qui ont vu périr leurs proches dans le raz de marée. Mais ce sont Delphine et Jérôme qui occupent le centre de cette première partie du roman. Delphine et Jérôme qui ont perdu leur petite Juliette, une petite blondinette en robe rouge.
Puis Hélène et le narrateur-auteur reviennent en France, où ils apprennent qu’une autre Juliette est sur le point de mourir. Il s’agit de la sœur d’Hélène, en phase terminale d’un cancer du sein, dont les métastases ont attaqué les poumons. S’ensuit le récit fragmenté de la vie de cette femme aux jambes paralysées, recueilli auprès de Patrice, son compagnon, et d’Etienne, un juge unijambiste, son collègue.
L’auteur s’est vu investir d’une mission, celui d’écrire l’histoire de ces êtres. Ainsi il narre avec une grande précision la rencontre entre Juliette et son mari, ses relations avec Etienne, sa vie de jeune juge dynamique malgré son handicap, et mère de trois petites filles. Il raconte surtout sa longue descente aux enfers, son compagnonnage avec la mort, omniprésente ; la manière dont elle organise la vie, après sa mort. Un grand amour émane de cette femme, qui cherche à tout prix à épargner ses proches. Ce qui compte, ce ne sont pas ceux qui partent, mais ceux qui restent.
Avec ce roman, l'auteur s'empare de sujets poignants, qui ont marqué et marquent chaque jour notre monde contemporain. Les victimes du tsunami ont été trop nombreuses, celles du cancer, encore plus. Et la perte d'un être cher peut quant à elle survenir à chaque instant...
Avec ce roman, l'auteur s'empare de sujets poignants, qui ont marqué et marquent chaque jour notre monde contemporain. Les victimes du tsunami ont été trop nombreuses, celles du cancer, encore plus. Et la perte d'un être cher peut quant à elle survenir à chaque instant...
Du bon : Avec ce roman, Emmanuel Carrère rompt avec son habitude de l’autofiction, et accepte la mission de rendre compte d’autres vies que la sienne. Le titre de ce roman est donc programmatif. Programmatif comme la douleur qu’entraîne la perte d’un être cher. Les pertes qui lui font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une mère pour ses enfants.
Ecrire un livre ne change rien, mais pour certains protagonistes, ça change beaucoup de choses. Leur expérience de la mort devient immortelle. Elle est gravée à jamais sur la page, et donc dans les mémoires. Une expérience parmi d’autres me direz-vous ? Oui, mais une expérience vue à travers les yeux d’un écrivain. Un témoignage remanié par un homme qui sait voir au-delà des apparences et établir des liens invisibles.
A travers l’écriture de ce roman, l’auteur a appris le bonheur. Il l’a appris à travers le malheur d’autrui, de la catastrophe qui vient bouleverser une vie. Après cela, il a envie d’aimer Hélène, pour toujours. Parce qu’il craint que quelque chose, un accident, une maladie ne la lui ravisse ; non pas parce qu’il pourrait se lasser de sa présence, désormais indispensable. Je préfère ce qui me rapproche des autres hommes que ce qui m’en distingue. Ecrire sur les autres a permis à l’auteur de prendre ce recul sur la vie que n’offre que l’expérience douloureuse. Avec lui, avec eux, ses héros, qui sont aussi ses amis, on comprend cette phrase de Céline : C’est peut-être ça que l’on cherche à travers la vie, rien que ça, la plus grande tristesse possible pour devenir soi-même avant de mourir.
Du métadiscours (discours sur ce qui sous-tend le texte, c'est à dire l'écriture, le roman, etc...) :
Ce roman est également l’occasion d’engager une réflexion sur l’écrivain, sur ce qui peut faire la matière d’un livre, sur comment parler de ce qui est étranger à soi. Comment parler de la douleur, de la souffrance, du chagrin des êtres qui nous entourent ? Comment mettre le réel en fiction ? Toutes ces questions sont soulevées par l’auteur dans ce roman à la fois très réaliste, détaillé, mais aussi émouvant, bouleversant, et métatextuel.
Ce roman est également l’occasion d’engager une réflexion sur l’écrivain, sur ce qui peut faire la matière d’un livre, sur comment parler de ce qui est étranger à soi. Comment parler de la douleur, de la souffrance, du chagrin des êtres qui nous entourent ? Comment mettre le réel en fiction ? Toutes ces questions sont soulevées par l’auteur dans ce roman à la fois très réaliste, détaillé, mais aussi émouvant, bouleversant, et métatextuel.
Du moins bon (selon mon humble avis...) :
Tout cela est bien beau, plein de bons sentiments, de belles réflexions… Pourtant… Des choses m’ont gênée. Je ne peux nier que le style de l’auteur est bon, parfois très bon et poignant. Cependant, il me semble qu’un sujet aussi dur que le tsunami et l’agonie d’une jeune femme auraient mérité un traitement un peu différent. Un style peut-être plus elliptique, pour laisser entrevoir la douleur et la souffrance entre les lignes. Les blancs de la page, selon moi, parlent plus que bien des mots.
Tout cela est bien beau, plein de bons sentiments, de belles réflexions… Pourtant… Des choses m’ont gênée. Je ne peux nier que le style de l’auteur est bon, parfois très bon et poignant. Cependant, il me semble qu’un sujet aussi dur que le tsunami et l’agonie d’une jeune femme auraient mérité un traitement un peu différent. Un style peut-être plus elliptique, pour laisser entrevoir la douleur et la souffrance entre les lignes. Les blancs de la page, selon moi, parlent plus que bien des mots.
Et puis il y a des longueurs… Je l’avoue, j’ai sauté des pages. Je ne me suis pas embarrassée de tous ces passages centrés sur le droit, la dette, tous ces sujets que certes l’ont n’aborde que très rarement dans la littérature et qui sont très instructifs, mais auxquels je ne comprenais strictement rien. Je n’ai pas cherché longtemps à comprendre. En plus, il me semblait que cela n’apportait rien au roman. Que viennent faire les problèmes d’argent des entreprises dans un roman sur des vies bouleversées ? D’accord, l’endettement bouleverse des vies. Mais les héros n’étaient pas victime de cela ! Peut-être que l’auteur voulait montrer à quel point Etienne et Juliette étaient des juges géniaux. Comme dans Balzac, ces descriptions didactiques ne sont certainement pas sans significations. Bon, je vais cesser de chercher des réponses. Quoi qu’il en soit, ces longs passages ont un peu parasité ma lecture. Le style et le thème étaient trop en décalage avec le reste. A cause de cela, ce roman considéré come un chef d’œuvre me laisse l’image d’un patchwork mal raccordé, avec des tissus flamboyants et de vieilles étoffes rapiécées. Décevant quand on rencontre une telle beauté de style dès les premières lignes…
Bref, du beau, du grand, du brillant, de l’émotion, de la réflexion, mais une désagréable impression de collage… J’ai préféré écrire cet article que lire ce livre.
Un roman à lire, ainsi que d’autres romans écrits à peu près en même temps (Un roman russe surtout, que j’ai mais n’ai pas encore lu). Et rappelons-nous Pennac : le droit de sauter des pages.