Le Monde dans les Livres

Samedi 16 avril 2011 à 11:35

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lamourromancamillelaurens.jpgL’Amour, roman, Camille Laurens
L’amour, l’amour… Un sentiment, un concept, un mot ? Une réalité, de la poudre aux yeux, de la fiction ? Le titre donne une orientation. Triste orientation… Mais c’est celle d’une femme qui a vécu, souffert ; écrit aussi ; et aimé, beaucoup. Un homme surtout, Julien, avec qui elle a eu un fils, Philippe, le Philippe du livre, et une fille, Alice. Pourtant ce n’est pas cette vie amoureuse qu’elle évoque, ou si peu. Les amours de jeunesse, les amants, Jacques, celui de la maturité, oui, ils y passent au sabre de l’écriture. Ou plutôt au plumeau. Parce que la manière dont elle évoque ses souvenirs n’est pas violente ; c’est plutôt doux, et un brin désenchanté…
Bref, si elle ne parle pas uniquement d’elle alors, sur quoi écrit-elle ? Camille Laurens est pourtant une pro de l’autofiction, une ardente défenseuse du Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous hugolien. Et bien elle ne nous déçoit pas, on a ce qu’on attend, un récit inspiré de sa vie, mais surtout de sa mythologie familiale. Mère, grand-mère, arrière grand-mère, toutes ces femmes qui ont aimé, désaimé, été déçues, délaissées, pourfendues. Les hommes sont des trompeurs, des inconstants, des obsédés sans cœur. Ils ne savent pas aimer, ou du moins comme les femmes le voudraient…
Et derrière tout ça, en toile de fond, en fil rouge, en trame de canevas, il y a La Rochefoucauld. Camille Laurens se raconte en train de l’écrire, de compulser biographie et maximes. Il dit des belles choses sur l’amour La Rochefoucauld, plein de jolies choses, pas niaises pourtant, poignantes souvent, très justes. Il tape dans le mile.
Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits ; tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.
En bref, on s’y attendait, ce livre parle d’amour. D’amour dans tous les sens : le vrai en vrai, qui tache et fait pleurer ; l’idéal, celui qu’on a rêvé, fantasmé, à l’adolescence mais aussi à tous les âges ; l’amour pratique, parce qu’il faut se marier, c’est la convenance. Et puis l’amour théorique, réflexif. Le tout et son contraire ; le grain de sel de chacun ; les points de vue multiples. Tout le monde a quelque chose à dire sur l’amour ; peut-être parce qu’au fond, comme le dit La Rochefoucauld, personne ne l’a jamais vu…
Ce pourrait être une définition de l’amour, celle de Flaubert : la curiosité. Etre, soudain, tellement curieux de quelqu’un, fou curieux. Connaître l’autre, co-naître, naître au monde avec lui, tel est l’unique objet. La phrase la plus éloignée de l’amour, ce ne serait pas « je te hais », mais « je ne veux pas le savoir ».
Un roman étonnant, passionnant ; j’ai adoré.
 

Jeudi 19 mai 2011 à 14:38

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/nitoinimoiLaurens.jpg
 Ni toi ni moi, Camille Laurens

L'ultra négation, la double négation; l'exclusion totale. Dès le titre on entre dans le roman, dans les phrases, dans un rythme. Un rythme scandé ici, binaire, équilibré ; le rythme de l’échec. Ce ne sera pas elle, ce ne sera pas lui ; ce ne sera ni l’amour, ni la haine. Ce ne sera ni l’un, ni l’autre ; juste l’indifférence.

A travers une trame narrative originale et inédite ce me semble (je n’ai jamais rien lu de semblable auparavant en tout cas), Camille Laurens nous parle de la déliquessence de l’amour. De la manière dont un homme et une femme qui s’aiment un temps peuvent se haïr puis s’ignorer plus tard. C’est très pessimiste ; presque philosophique. Une longue plainte élégiaque de la rupture et de l’abandon.

Glauque ; triste ; presque insupportable par moments. En filigrane de ce récit, Adolphe de Bienjamin Constant. Cet homme qui croit aimer et qui, dès lors qu’il possède l’objet de son désir, se rend compte qu’il ne l’aime pas. Pauvre Ellénore.  Et pauvre Hélène…

Voilà donc l’originalité de ce livre que j’ai lu par bribes, par à coups, prise par la vie et les études. Ce n’est pas un livre qui prend, c’est un livre qu’on goûte, qui dégoûte, qui émeut. L’écriture en est d’ailleurs assez agréable, un peu poétique ; enfin ça parle d’amour, mais en négatif. Bref, l’originalité réelle de ce livre, c’est donc Hélène, et le choix narratif. Hélène est en fait l’héroïne d’un film ; un film sur l’histoire d’amour de Camille et Arnaud. Et les mots qu’on a sous les yeux, ce sont les mails que l’auteur a envoyés à un réalisateur, pour élaborer le film en question. Dès lors fiction et expérience se mêlent, liées par des commentaires, les réflexions, les chagrins et les souvenirs de Camille concernant cette délicate et douloureuse histoire d’amour. Uniquement de la fiction en somme, puisque de toute façon, dès lors qu’on décrit, on déforme. Et puis Camille Laurens, c’est l’autofiction qu’elle pratique, en connaissance de cause, puisque dans tous les cas, dès lors qu’on écrit, on écrit un peu sur soi. Ici elle joue le jeu de la fiction à fond, lui faisant investir l’espace cinématographique. Les descriptions de scènes et plans séquences sont intéressants, et ouvrent un horizon nouveau à la littérature. C’est beau, vivant bien que très figé, on voit et on y croit.

Toutefois c’est un peu brouillon tout cela, un peu déroutant, un peu long, un peu agaçant. J’ai plus d’une fois cru que j’allais poser le livre là, d’autant que j’ai lu plusieurs critiques négatives à son propos. Mais j’ai finalement continué, j’ai lu jusqu’au bout, happée je crois par la langue, les réflexions et les références dont ce livre fourmille. Camile Laurens, c’est de la littérature en abîme et puissance dix, et moi j’aime.

 

 

Mardi 21 juin 2011 à 23:55

 Philippe, Camille Laurens

Un livre comme un parcours ; un petit livre pour un grand deuil ; un court roman pour écrire la douleur, l’incompréhension, la vie avec la mort.

Philippe est mort, il a vécu deux heures. Deux heures hors du ventre de sa mère. Deux heures pendant lesquelles elle l’a à peine vu, où elle a à peine pu être mère. Elle a surtout été la mère d’un enfant mort.

Il y a une chose infiniment plus douloureuse que de ne pas serrer dans ses bras un homme qu’on désire : c’est de bercer dans ses bras un bébé mort. Le corps ne comble rien ; le corps manque. Faire un livre, faire l’amour : effort vain d’abolir l’intervalle. Ecrire : mettre des mots dans un trou, colmater. Les mots ne comblent rien. Les mots manquent.

Ecrire pour essayer de figer tout ça. Figer ce souvenir de l’enfant mort. Ou bien écrire pour essayer de le laisser vivre, encore et à jamais.

Souffrir. Comprendre. Vivre. Ecrire. Quatre étapes du roman, quatre étapes de l’auteur vers une sorte de résilience de la douleur, de la perte, de la béance. En moins de cent pages, elle nous raconte son cauchemar, ce cauchemar du jour où Philippe, ce bébé gigantesque, magnifique, brillant, a été foudroyé. Elle nous raconte, dans ce petit roman, le jour où Philippe est né, et celui où Philippe est mort. Forcément c’est court, parce que ces jours, ce sont les mêmes. Si le roman est une tranche de vie, là c’est une miette. Une miette de vie. Un prénom, quelques photos et là, un livre. Un livre avec son titre, ses mots qui tentent de dire la souffrance, la béance.

Camille Laurens rend compte par ce livre de la douleur d’une mère trop tôt abandonnée, d’une mère que son enfant n’a jamais pu appeler ainsi, d’une mère dont la vie de mère n’a un jour duré que deux heures. Cette mère c’est elle, et tout au long des pages, on souffre avec elle.

Pourtant ça n’est pas un livre qui fait pleurer ; en tout cas moi je n’ai pas pleuré, mais j’ai été émue. Emue de la retenue que dégagent ces pages (paradoxal je sais), qui ne font pas étalage de souffrance, mais donnent chair à cette volonté de reconstruction qui se retrace par le parcours de la souffrance, de la compréhension, de la vie après et, pour elle, de l’écriture.

Pas de pathos hyperbolique, juste le cheminement d’un être foudroyé par la pire tragédie qui puisse être : donner la vie, et la perdre ; en un seul jour. Camille Laurens, de manière réfléchie et posée, nous livre son cœur et son esprit, ses sentiments et ses recherches. Ses recherches pour expliquer la mort de Philippe. Le dossier médical, les témoignages, tout. Il lui faut comprendre. Et nous, lecteurs, participons à cette compréhension salvatrice qui permet ensuite de vivre ; du moins d’essayer de vivre.  Elle, c’est l’écriture qui la sauve, et lui avec. 

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