Le Monde dans les Livres

Dimanche 7 novembre 2010 à 19:43

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/madamebovary.jpgMadame Bovary, par Vous savez bien qui...!
Voilà un des grands tourments que je peux rencontrer en publiant sur ce blog : parler des grandes œuvres. Tout a déjà été dit ; alors soit on se tait, soit on essaie d’être un peu original. Ou du moins on fait ce qu’on croit être original parce qu’on n'a pas assez de culture pour savoir que cela existe déjà. Bref, je ne savais pas comment commencer, mais finalement j’ai choisi de vous faire part d’un extrait de critique de Baudelaire, tout simplement intitulée « Madame Bovary, par Gustave Flaubert ». Le poète donne la parole au romancier, et je trouve qu’il y confère un côté incisif et direct assez étonnant. Peut-être est-ce réellement Flaubert qui a parlé ? En tout cas, voici ce que, selon Baudelaire, il aurait pu dire :
« Quel est le moyen le plus sûr de remuer toutes ces vieilles âmes ? Elles ignorent en réalité ce qu’elles aimeraient ; elles n’ont un goût positif que du grand ; la passion, naïve, ardente, l’abandon poétique les fait rougir et les blesse. – Soyons donc vulgaire dans le choix du sujet, puisque le choix d’un sujet trop grand est une impertinence pour le lecteur du XIXème siècle. Et aussi prenons bien garde à nous abandonner et à parler pour notre compte propre. Nous serons de glace en racontant des passions et des aventures où le commun du monde met ses chaleurs ; nous serrons, comme dit l’école, objectif et impersonnel.
« Et aussi, comme nos oreilles ont été harassées dans ces derniers temps par des bavardages d’école puérils, comme nous avons entendu parler d’un certain procédé littéraire appelé réalisme, -injure dégoûtante jetée à la face de tous les analystes, mot vague et élastique qui signifie pour le vulgaire, non pas une méthode nouvelle de création, mais une description minutieuse des accessoires – nous profiterons de la confusion des esprits et de l’ignorance universelle. Nous étendrons un style nerveux, pittoresque, subtil, exact, sur un canevas banal. Nous enfermerons les sentiments les plus chauds et les plus bouillants dans l’aventure la plus triviale. Les paroles les plus solennelles, les plus décisives, s’échapperont des bouches les plus sottes.

« Quel est le terrain de sottise, le milieu le plus stupide, le plus productif en absurdités, le plus abondant en imbéciles intolérants ?
« La province.

« Quels y sont les acteurs les plus insupportables ?
«  Les petites gens qui s’agitent dans de petites fonctions dont l’exercice fausse leurs idées.

« Quelle est la donnée la plus usée, la plus prostituée, l’orgue de Barbarie le plus éreinté ?

« L’Adultère

« Je n’ai pas besoin, s’est dit le poète, que mon héroïne soit une héroïne. Pourvu qu’elle soit suffisamment jolie, qu’elle ait des nerfs, de l’ambition, une aspiration irréfrénable vers un monde supérieur, elle sera intéressante. Le tour de force, d’ailleurs, sera plus noble, et notre pécheresse aura au moins ce mérite,- comparativement fort rare,- de se distinguer des fastueuses bavardes de l’époque qui nous a précédés.

«  Je n’ai pas besoin de me préoccuper du style, de l’arrangement pittoresque, de la description des milieux ; je possède toutes ces qualités à une puissance surabondante ; je marcherai appuyé sur l’analyse et la logique, et je prouverai ainsi que tous les sujets sont indifféremment bons ou mauvais, selon la manière dont ils sont traités, et que les plus vulgaires pourront devenir les meilleurs. »
Dès lors, Madame Bovary, - une gageure, une vraie gageure, un pari, comme toutes les œuvres d’art,- était créée.
 
Ainsi Madame Bovary se rapproche de ce roman sur rien qui serait l’aboutissement de la nouvelle modernité, de cet univers bourgeois dans lequel tout le monde se ressemble, qui ne propose plus les dissemblances, les singularités, qui font les « couleurs tranchées » que Balzac estime nécessaires pour le roman. Tout est plat, comme la conversation de Charbovari, tout n’est qu’ennui, comme la vie d’Emma.
Sans elle, finalement, le roman ne serait rien, il n’existerait pas, puisqu’on s’y ennuierait. Avec ses rêveries, issus de ces livres plus ou moins bons qu’elle lit – on peut penser aux keepsakes, en gros les Arlequins de l’époque- elle se constitue son capharnaüm d’images, de romances, lesquelles en définitives lui seront fatales – après avoir volé, comme on le sait, l’arsenic dans le capharnaüm de ce cher bourgeois d’Homais.
Parce que si on y réfléchissait, si on posait un regard neuf sur ce roman, qu’est ce qu’on pourrait en dire ? Et bien que c’est l’histoire d’une femme, qui épouse un médecin pleutre et incompétent, qui mène avec lui une vie des plus ennuyeuse à la campagne, et qui pour passer le temps lit des romans. Elle lit et un jour, elle rencontre un homme. Elle manque de tromper son mari, n’en fait rien, puis en trouve un autre. Voilà l’Adultère. Mais en attendant, avec ces romances qu’elles se crées, elle vit le roman de sa vie…
Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et réalisait la longue rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans le type d’amoureuse qu’elle avait tant envié.
Elle trompe son époux, finit par s’ennuyer avec ses amants, et par devenir une véritable séductrice. Ce qu’elle a appris dans les livres, elle le met à l’épreuve sur le terrain de l’expérience, et devient presque une experte de l’amour. Sauf que, de la même manière que son ancêtre masculin, Don Quichotte, elle est trop romanesque. Confondant vie et roman, elle lasse ses amants, et s’en lasse de même. En bonne bourgeoise finalement, elle dilapide sa fortune en babioles, contracte des dettes i remboursables, et se tue…
Une vie qu’elle veut trépidante, mais qui en définitive est des plus banales. Malgré ses idéaux auxquelles elle tente de ressembler, ces femmes vivant de grandes passions, toujours exaltées par l’amour, elle n’en reste pas moins une bourgeoise de province. C’est du moins ainsi que la voit Charles et les autres habitants de Yonville. Cette image de la femme cousant est récurrente, et réapparaît de manière un peu floutée, spectrale, dans les premières parties du roman. Ensuite Emma, cette femme un peu masculine – un fin duvet ourle sa lèvre supérieure, elle porte des talons, et surtout, surtout, c’est elle qui tend la cravache en  queue (nerf...) de bœuf à Charles ! ne me demandez pas qui porte la culotte… m’a fait plutôt penser à une balle de ping-pong, virevoltant – je pense à la scène de la calèche, des plus érotiques !-, allant d’un amant à un autre, lesquels, sans s’en rendre compte, se la renvoient en quelques services réalisés avec plus ou moins de grandeur et de maestria. Là où Rodolphe est la figure du goujat collectionneur par excellence, Léon m’a semblé être le romantique un peu fleur bleu –compagnon idéal pour Emma au début semble-t-il, et pourtant… Et puis à la fin, tout s’immobilise. On ne joue plus ; c’est tragique, elle meurt. Elle est immobile, hideuse. Elle se vide de toute sa substance romanesque, de même que toute cette encre dont elle s’est gavée s’échappe d’elle et la laisse morte. Peut-être le moment où elle vit un épisode éminemment romanesque. Parce qu’il ne me semble n’y avoir rien de banal dans le récit de cette mort, des plus épiques, dans lequel les évènements s’enchaînent de manière assez angoissante… mais pourtant, o combien ironique ! (C’est Flaubert tout de même !) Si quelqu’un s’amuse ici, c’est bien le romancier. Pourtant je pense qu’il était un peu tragique pour lui de faire mourir son héroïne…
Pendant ce temps, pendant que Flaubert se débarrasse de son héroïne, que devient celui dont l’attitude était des plus insignifiantes, autrement dit des plus anti-romanesque ? Et bien Charles se charge d’attributs qui font finalement de lui un héros, ou presque. Il devient romantique, nostalgique, prend soin de lui, s’occupe de sa fille, et meurt de la plus pathétique des manières – au sens noble du terme, s’entend. Certes il n’a jamais été un bon médecin, et cela va de mal en pi, puisqu’il reste impuissant face à sa femme agonisante. Mais contrairement à Homais, qui semble le grand vainqueur de ce roman –alors que c’est l’archétype du bourgeois !- Charles Bovary, ce pleutre sans cervelle, au ventre plus proéminent que l’esprit, s’attache la sympathie du lecteur…
Retournement de valeurs, jeu avec les conventions romanesques, bref, un grand et puissant roman, on ne saurait assez le dire !
J’espère avoir réussi à faire quelque chose qui semble un tant soit peu original à certains, et puis sinon tant pis, au moins j’aurais écris, et surtout, relu Madame Bovary !

Mercredi 10 novembre 2010 à 10:45

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/juliet.jpgLambeaux, Charles Juliet
Des morceaux de tissus en charpie ; un déchirement originel, un cri. Un lapsus : A trois mois, après mon suicide… Avec cet ouvrage, Charles Juliet plonge dans les abysses de ses origines, plonge dans la mine des mots à la conquête de ce qu’il est.
Toutefois, ce récit n’est pas authentiquement autobiographique. Certes l’auteur écrit pour se trouver ; mais ce qui motive l’écriture, c’est la reconstruction. Déchiré qu’il est, le texte, même s’il est parcellaire (esthétique du fragment!), lui aussi en lambeaux, permet de tisser quelque chose de neuf. Puisque tu ne t’aimes pas, il t’appartient de te transformer, de te recréer.
Cette reconquête de soi n’est pas sans exigences. Il s’agit pour lui de reconquérir cette part de lui-même qu’on lui a déchirée à trois mois, quand on l’a séparé de sa mère. Il est comme coupé en deux. Alors rien ne convenait mieux à cette recomposition de soi qu’un récit en deux parties : l’histoire de sa mère, ensuite la sienne.
Tout est bref, fragmentaire, silencieux et sacré. On ne sait rien de trop. Dans une économie pudique, dans une volonté de sacralité et d’exactitude du mot, Charles Juliet nous raconte, se raconte; il lui raconte ce qu’elle été,  il se raconte ce qui fait qu’il est. L’originalité de ce texte, c’est l’usage de cette deuxième personne du singulier. Etonnante, un peu oppressante au début. Il y a quelque chose d’envoûtant. Il s’adresse à sa mère, puis à lui-même, avec l’usage du vocatif. Il s’adresse aussi, beaucoup finalement, à nous. Nous lecteurs, avec qui il installe une intimité des plus grandes. Ce « tu » qu’il emploie rend cette irruption sans détours dans le passé de l’auteur et de sa mère brutale et émouvante. Elle nous atteint au plus profond de ce que nous sommes.
Même si notre vie n’a rien à voir avec la sienne, cette deuxième personne nous engage malgré nous. C’est à nous qu’il s’adresse, autant qu’à lui-même. 
Prêter à autrui les mots dont il a besoin pour avoir accès à lui-même et formuler éventuellement ce qu'il vit.
Il rend sa démarche universelle, sans pour autant avoir recours aux poncifs autobiographiques. Il y a quelque chose du « Tu ne tueras point » biblique, sans la dimension angoissante. Charles Juliet nous fait assister à ce face à face avec lui-même, sans que nous soyons concernés par ce dégoût et cette incompréhension qu’il s’inspire. Bref, une énonciation des plus particulières, qui rend le passé présent, et renforce la confiance entre l’auteur et le lecteur, dans un pacte autobiographique inexprimé.
Sa mère, cette femme qui a du renoncer aux études, qui a fondé une famille, pour finir dans un asile. A cause de lui. Le petit dernier. L’enfant de trop ; celui qui deviendra l’enfant de troupe de L’Année de l’éveil. Une femme déchirée elle aussi, à laquelle on a arraché l’amour. Cette femme qui, comme lui sur le bois, écrira sa souffrance sur les murs. Mais qui jettera ses cahiers dans l’eau ; au feu ; à la boue.
Deux faces d’une même médaille. Elle est l’ainée ; il est le petit dernier. Une boucle qui cherche son aboutissement… Lui aussi a un secret ; l’amour qu’il partage avec cette femme, la femme du colonel. Et puis ce besoin impérieux d’écrire. Toujours des questions qui tournent dans sa tête, tous ces mots qu’il rencontre et qu’elle ne pouvait voir. Pour elle, une existence aliénée. Pour lui, une liberté dont il craint de se saisir. Un mutisme s’impose à lui. Il ne sait pas comment dire les choses. Il peut rester des heures à sa table de travail, sans rien écrire. Parce qu’il a voué sa vie à l’écriture ; mais que les mots sont douloureux ! Il faut aller les chercher loin, profond. Et quand on les ramène, ils sont gris, mornes, insuffisants. De plus, pour lui qui au début ne connaissait rien, il a fallu creuser la terre, préparer les sillons, ensemencer. Grappiller les graines aussi. Il n’avait jamais rien lu, jamais rien connu de l’art et de la littérature. Le peu qu’il en avait appris à la caserne n’était pas suffisant. Il avait soif ; alors il s’abreuva…
Tu veux écrire. Tu veux écrire mais tu ignores tout ce que en quoi consiste l’écriture. De surcroît, tu n’as strictement aucune culture. Lorsque tu en prends conscience, tu es accablé et tu comprends que pendant des années, tu vas devoir faire des gammes et dévorer des centaines, peut-être des milliers de livres.
Un ton prophétique (terme imporpre il est vrai, puisqu'on parle du passé...), étrange mais efficace.  
Ce récit est aussi et surtout un tableau à l’eau forte du travail de l’écrivain. Presque une vanité. Ecrire, c’est souffrir ; rester des heures à la recherche d’un mot. La dure vie d’écrivain passée au scalpel. De ce métadiscours, de cette genèse douloureuse de l’œuvre, Charles Juliet ne nous cache rien. Après des heures de travail, parfois infructueux, son corps, son esprit sont en charpies. De ces charpies, de ces lambeaux d’être qui lui restent, il va constituer un texte ; une œuvre. Les tisser ensemble, par l’usage du mot juste, pour qu’à travers les blancs, on puisse recréer l’histoire.
Un texte dans lequel on est embarqué presque malgré soi. Un texte qui fait comprendre la douleur de vivre, la douleur d’écrire, mais finalement, plus que tout, ce que la littérature et les mots ont de salvateur.  

Pour continuer, un magnifique entretien avec Charles Juliet...
 

Jeudi 11 novembre 2010 à 22:48

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lacarteetleterritoire.jpgLa carte et le territoire, Michel Houellebecq
Les œuvres d’art naissent d’une intuition. C’est ce qu’affirme le premier artiste de cet œuvre, Jed Martin. C’est peut-être, probablement, ce que ressent aussi un Michel Houellebcq devant sa table d’écriture. C’est en tout cas un peu ça, cet appel, que j’ai ressenti aujourd’hui, journée où j’ai lu, d’un trait, La carte et le territoire (non non, je ne suis pas mégalo!). Je devais le lire pour en parler ici. Et c’est ce que je vais m’efforcer de faire, sans spoiler, si possible…
Jed Martin est un artiste dont la cotte monte en flèche. Après avoir débuté dans la photographie d’objets industriels, il lui vient l’idée lumineuse de photographier des cartes Michelin. Et là, c’est la consécration. Il rencontre tout à la fois la notoriété, une femme (magnifique, logique), l’argent, le showbiss, les galeries, le grand Paris –plus ou moins-artistique. Et puis Michel Houellebecq. Il a besoin de lui pour écrire la plaquette de son expo. Bizarre ce type tout de même ; très bizarre… Il adore la charcuterie, et vit reclus en Irlande, sans voir personne. Nous sommes en 2030, quelque chose du genre. Houellebecq vieillit. Jed Martin, lui, est au sommet, mais plane encore… Il ne se rend pas trop compte de ce qui lui arrive. Il crée, et puis voilà. Ils sont un peu semblables tous les deux finalement…
Cet artiste que Houellebecq (le vrai !) met en scène dans son roman, c’est peut-être finalement un peu lui-même. Un artiste qui commence par vouloir voir ce qu’il y a au-delà des choses, au-delà de ce que l’œil voit, ce qui fait l’architecture du territoire français. La carte importe plus que le territoire. Et cet auteur, Houellebcq, qui quand même a eu le prix Goncourt, et bien que nous montre-t-il ? Peut-être ce qui se cache derrière l’image de la France, les routes sous-terraines de ce qui fait rouler les wagons du pays. L’argent, l’alcool, mais surtout les magouilles. La modernité en somme. Et comment faire entrer la modernité dans un roman ? En juxtaposant. Il fait des collages Houellebecq. Des tas de digressions, sur des sujets souvent très hétéroclites. Il paraît même qu’il aurait plagié Wikipédia… Enfin bref, le monde est entré dans le roman. Et puis pas n’importe(s) quel(s) monde(s) : celui de l’art, d’abord, et puis la France profonde, le terroir, avec à côté le showbiss (les deux se conciliant en la personne de Jean-Pierre Pernault, qui nous invite à un réveillon chez lui, ahlàlà c’est sympa la vie d’artiste quand même !), et puis le crime, la mort, enfin…
Ça brille la vie d’artiste, on rencontre des jolies femmes et tout, mais à côté de ça, il y a la vie, la vraie, avec les ruptures, les parents malades (le père de Jed, en l’occurrence), la mort, le sexe (pas trop ici d’ailleurs…)
Un jour, Jed abandonne la photo et les cartes. Il va peindre. Peindre les gens et leurs métiers. Il s’intéresse à l’humain, après s’être intéressé à son milieu de vie, à son territoire. Son travail est davantage celui d’un ethnologue que d’un commentateur politique. N’est-ce pas ce que fait Houellebecq ? Dans ce roman, qu’on (la critique comme la doxa) trouve différent des autres (je ne peux trop me prononcer là-dessus, n’ayant lu pour l’instant que les Particules Elémentaires), l’auteur fait preuve d’humanité. Il est moins cynique, plus empathique. Ce roman est presque tragique. On suit le héros dans une longue déchéance, dont toutefois il ne semble pas souffrir. On pénètre dans les lieux de demain, peut-être aussi d’aujourd’hui, des lieux glauques souvent. La vie moderne, avec eros et thanatos, comme toujours.
 
Et Houellebecq qui fait mourir Houellebecq ! ça c’est étonnant ! Une troisième partie est entièrement consacrée à relater sa disparition (les fameux italiques, ironiques ?), une partie aux accents policiers d’ailleurs. C’est ce qui m’a frappée dans ce roman : le foisonnement. Logique me direz-vous, c’est un roman. Oui, mais quand même. Là, c’est assez énorme. Des juxtapositions on l’a dit, mais aussi une brève histoire d’amour (sans trop de sexe, ça reste en coulisses pour une fois), des digressions quasi balzaciennes, un héros quasi balzacien mais sans beaucoup d’énergie (Lucien de Rubempré, ou presque) – un héros qui finit par dialoguer avec son chauffe-eau, c’est pas si terrible que ça… , une épopée artistique, et puis une énigme quasi policière. Avec un prologue et un épilogue. Le tout dans une langue irréprochable, tantôt soutenue, phrases longues un peu charnues, tantôt cool et presque prosaïques, à la limite du discours indirect libre. Une langue et un contenu érudit aussi, qui mêlent littérature classique, nostalgies historiques, et célébrités du PAF. Une réflexion sur l’art qui côtoie le vin (de champagne avec ses paillettes, ou rouge, Chardonnais) et le saucisson. La modernité incarnée. Est-ce pour cela qu’il a obtenu le prix Goncourt ? Parce que le monde est entré dans son livre ? peut-être… En tout cas une chose est sûre : on est happé, et on n’en sort pas. Jusqu’à la fin, un peu pathétique quand même. Bref, au Goncourt ils n’ont pas tord : un grand roman !

Mais est-ce que j'ai aimé? Je l'ai lu très vite, ça c'est certain. Après j'ai préféré certains passages à d'autres, et ai été surprise, souvent dans le bon sens. Donc oui, j'ai aimé, pas adoré, mais apprécié, surtout qu'
esthétiquement, c'est assez extraordinaire!
 

Samedi 13 novembre 2010 à 12:02

Bon alors, une fois n'est pas coutume, je vais parler d'autre chose que des livres. Mais de quoi puis-je parler mis à part des livres? Je suis un peu butée dans mon genre... mais là je me suis dit que ce serait intéressant. Je vais parler de ceux qui font les livres; les auteurs.
Il s'agit de lister les quinze auteurs que l'on préfère (ça s'appelle le tag des quinze auteurs, ça me fait penser au club des quinze (enfin des cinq...!)). Le but serait de recenser les auteurs préférés de la biblioblogosphère (j'invente le mot, je ne sais pas si c'est cela...). Quinze c'est beaucoup...parce qu'il s'agit d'aimer vraiment quand même
Alors je me lance :

Marcel (Proust), parce qu'il me fait me souvenir
Aragon, parce ses romans sont d'une richesse fabuleuse et éclatante
Balzac, parce que c'est le grand auteur que j'ai le premier rencontré
Djian, parce qu'il est met de la poésie dans le trash
Modiano, parce que lu aussi, il me fait souvenir, et aussi ressentir
Simone (de Beauvoir), parce que son style et ses romans me plaisent
Nerval, parce que lui aussi, il plonge dans le souvenir
Flaubert, parce qu'il y a Salambô
Stendhal, parce qu'il avait du génie
Sartre, parce que j'aime l'idée de l'existentialisme
Rimbaud, parce qu'il est infernal
Racine, parce que c'est toujours grand
Laclos, parce qu'il y a les Liaisons Dangereuses
Philippe Roth, parce que j'aime l'univers américain
David Lodge, parce que j'ai passé de bons moments

Finalement, quinze, ça ne suffit pas...

Je vais quand même ajouter Charles Juliet, parce que je l'ai découvert il y a peu, que je vais le rencontrer, et que, je crois, je vais l'aimer.





Mardi 16 novembre 2010 à 19:07

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/unromanfrancais.jpgUn roman français, Frédéric Beigbeder
Longtemps, je me suis décrété que je l'aimais pas, Beigbeder. Pour qui, pour quoi ? Je ne sais pas trop… Souvenir d’enfance occulté ? peut-être… Enfin n’exagérons rien, quand j’étais petite, je ne crois pas qu’il écrivait beaucoup encore (je ne voudrais pas le vieillir outre mesure, je crois qu’il a la petite quarantaine (c’est même sûr en fait, cf incipit ! lequel je vous laisse consulter). Bref bref bref, Beigbeder n’était pas ma tasse de thé. Alors que je n’y avais même pas goûté. Mais un junki à la mode, un écrivain people, beurk, ça ne me disait rien. J’étais snob (à la mode sur les Nouveaux Chemins de la Connaissance cette semaine d’ailleurs :p)… je le suis toujours un peu d’ailleurs, élitiste littéraire que je suis… mais bon, une apnée dans les classiques n’est peut-être pas si mal.
Et puis il y a eu Djian. Carrère. (ouhlàlà des contemporains !! Attention, où vais-je mettre les pieds !)Et plus récemment Houellebecq. Et puis maman qui m’a dit « tu devrais lire un Roman Français ! » Mué, Beigbeder… « C’est son autobiographie ! » Ah, autobiographie… et puis jeu de titre avec celui de Carrère (russe, lui… le titre hein, pas Carrère…). Je me suis dit qu’il devait il y avoir quelque chose. Et puis détail tout bête : il est court (un peu plus de 200 pages (oui je vous l’ai dit, je suis snob, 200 pages c’est assez court !)). Donc voilà, une soirée, quelques petites heures de train…
Un junki, je le savais ! Il sniffe de la coke sur le capot d’une voiture, et avec un Poète, le snob !!! C’est de là que part tout son récit. Une faute sur la voie publique. La recherche des paradis artificiels, ça se termine en enfer. En enfer dans une vilaine boîte bien crade, où l’on devient claustrophobe, et du même coup, enfant. Quand on n’a rien d’autre à faire, on pense. Alors Frédéric le junki pense, et ce qui lui vient dans la tête, c’est son enfance. Cette enfance dont il dit ne pas se souvenir. « Je n’ai pas de souvenir d’enfance ». C’est pas un peu snob ça ?
Bien évidemment, vous le devinez, vous sentez ces pages sous vos doigts, ce n’est pas du vent, elles existent ! Et bien ses souvenirs c’est pareils, ces mots qui sont écrits ce sont eux, formés, informés, déformés probablement. Ecrire lui a permis, comme il l’espérait en fait, de se trouver. De comprendre pourquoi il pensait ne pas avoir de souvenirs.
J’ai horreur des règlements de compte familiaux, des autobiographies trop exhibitionnistes, des psychanalyses déguisées en livres et des lavages de linge sale en public. Mauriac, au début de ses Mémoires Intérieurs, nous donne une leçon de pudeur. S’adressant tendrement à sa famille, il se sacrifie : « Je ne parlerai pas de moi, pour ne pas me condamner à parler de vous. » Pourquoi n’ai-je pas moi aussi la force de rester coi ? Un peu de dignité est-elle possible quand on tente de savoir qui l’on est et d’où l’on vient ? Je pense que je vais devoir embarquer ici de nombreux proches […].
Il doit se souvenir pour vieillir.
Détective de moi-même, je reconstitue mon passé à partir des rares indices dont je dispose.
Finalement on est bien content qu’il ait réussi à se souvenir. Le récit de son enfance -plein d’auto-dérision, heureusement, manquerait plus qu’il soit complaisant le junki !- alterne avec celui de la fameuse garde à vue à l’origine de tout. L’embrayeur du souvenir, c’est de la coke sur un capot de voiture. Il y a pas un souci là ? Non, c’est juste la vie, et après, c’est de la littérature. En tout cas c’est un récit prenant, qu’on lit d’une traite (alors 200 pages, vous pensez !) parce que c’est vivant, drôle, réflexif et gentiment descriptif. Un peu tout en fait. C’est spontané. Ce récit, il l’a écrit dans sa cellule, dans sa tête (des fois c’est la même chose, pas là…).
Au début, il fait tout pour ne pas parler de lui. Il nous raconte ses grands-parents, ses parents, leurs rencontre par la fenêtre, le chemin Damour (non non ça n’est pas une fiction !)… Et puis fatalement, après l’amour viennent les pleurs…
Ceux du bébé évidemment ! Et puis le bébé grandit, et finalement… il est bien plaisant ce texte, parce qu’il ressuscite une époque de changements, les années 70, où le divorce de ses parents a fait qu’il a alterné entre richesse et aristocratie, et pauvreté de désargenté. Parfois il liste ce qu’il aimait, les joux-joux, les films, les bonbons, les livres (bien sûr !), la musique et les filles. Un adolescent comme les autres en fait.
J’ai acheté des Malabars jaunes à dix centimes l’unité au kiosque de la grande plage et léché mon bras pour me tatouer leurs décalcomanies sur le poignet. J’ai été ce petit garçon parfumé à l’eau de Cologne Bien-Etre, en culotte bavaroise, décoiffé dans le jardin de la Villa Navarre ou du château de Vancouvert, à Quinsac. En jean New Man de velours côtelé rouge vif, j’ai grimpé entre les hêtres en pente de la forêt d’Iraty, roulé dans les vallées moelleuses assorties à mes yeux et vomi mes macarons de chez Adam et le chocolat chaud de chez Dodin dans l’Aston Martin qui nous emmenait.
Une adolescence pleine de contrastes bariolés. Un carnaval. C’est plutôt sympa à lire. A vivre je ne sais pas…Avec un grand frère despotique, une mère insatisfaite et un père « aux Etats-Unis » (bien plutôt dans d’autres paradis mais chut, il faut pas le dire ! Argh, les secrets de famille… source des oublis, ou plutôt des occultations volontaires…), Frédéric ne sait pas trop où se mettre. Il saigne du nez sans cesse et sans raison, il est maigrichon, anémique, et il n’intéresse pas les filles. Pour se faire une idée du bonhomme, regardez la couverture, qu’il nous dit. Et oui, le petit angelot de la couverture, c’est lui à 9 ans. Il a une moue un peu effrayée mais bon…
Toutes les enfances ne sont peut-être pas des romans, mais la mienne en est un. Une fiction triste, une histoire d’amour ratée dont mon frère et moi sommes les fruits. Nous avons vécu un bonheur Canada Dry. C’est une vie qui a l’apparence du bonheur : Neuilly, les beaux quartiers de Paris, de grandes villas à Pau, la plage de Guéthary ou de Bali… ça ressemble au bonheur, on dirait du bonheur, mais ça n’est pas du bonheur. On devrait être heureux, on ne l’est pas. Alors on fait semblant.
Un angelot malheureux donc, qui, pour s’évader du monde, commence à lire des livres de science-fiction (les frères Bogdanov, ce sont les amis de Papa, alors vous pensez, on va à l’émission et tout !), Pif Gadget (normal), puis on nous conseille San Antonio…
En 1979, San Antonio m’a mené à Blondin, puis Blondin m’a conduit à Céline, et Céline à Rabelais, donc à tout l’univers.
Un joli parcours…
Depuis je n’ai cessé d’utiliser la lecture comme un moyen de faire disparaître le temps, et l’écriture comme un moyen de le retenir.
Pas mal pour un junki finalement… même si ça reste un peu snob. Mais écrire, c’est souvent snob… Et puis toutes ces considérations métadiscursives qui ponctuent l’œuvre, c’est pas mal ; intéressant. Fort en autobiographèmes et autres souvenirs. Mais cet oubli de tout ce qui précède les vingt ans, c’est étrange quand même… même si ça revient, avec l’écriture, et puis qu’on le réinvente, c’est étrange, pas commun… littérairement intéressant néanmoins !
Il a longtemps cru que l’on commençait à vivre dès lors qu’on se séparait de sa famille. Jusqu’à ce jour de janvier 2008. Alors il a dit bonjour au petit garçon qu’il était, et qu’il avait caché sous sa barbe. Mal taillée, la barbe. Et aujourd’hui, derrière sa fille, il se retrouve...
Il cite Proust (forcément, je le trouve moins snob là, même si c’est ultra snob de citer Proust !) : « Rien qu’un moment du passé ? Beaucoup plus peut-être ; quelque chose qui, commun à la fois au passé et au présent, est beaucoup plus essentiel qu’eux deux. » C’est vrai ça… (Proust a toujours raison de toute façon !) quand on entend un air, qu’on goûte ou sent quelque chose, il se passe ce petit phénomène qui s’appelle la réminiscence, et qui relie le passé avec le présent. Un pont d’or…
Toutes ses premières fois, il les revit avec elle. Comme quand elle goûte pour la première fois des Chamonix à l’orange. Ou encore quand elle fait de la balançoire et qu’elle s’écorche les genoux. Et les bonbons. Et le cinéma après-midi… Encore une farandole acidulée. C’est joli, niais, mais ça fait du bien.
Et puis l’épilogue, intéressant. On en aura appris des choses dans cette cellule qui sent le vomi et le sang séché ( si le sang séché sent quelque chose…), enfin bon, passons, en tout cas ce sont un peu les miasmes de l’enfance qui reviennent, alors peut-être que ça aide… pour se souvenir… Chacun sa madeleine !
Le temps envolé ne ressuscite pas, et l’on ne peut revivre une enfance enfouie. Et pourtant…
Ce qui est narré ici n’est pas forcément la réalité mais mon enfance telle que je l’ai perçue et reconstituée en tâtonnant. Chacun a des souvenirs différents. Cette enfance réinventée, ce passé recréé, c’est ma seule vérité désormais. Ce qui est écrit devenant vrai, ce roman raconte ma vie véritable, qui ne changera plus, et qu’à compter d’aujourd’hui je vais cesser d’oublier.
J’ai rangé ici mes souvenirs comme dans une armoire. Ils ne bougeront plus d’ici. Je ne les verrai plus autrement qu’avec ces mots, ces images, dans cet ordre ; je les ai fixés comme quand, petit, je jouais à Mako moulage, sculptant des personnages avec du plâtre à prise rapide.
(encore un souvenir qui revient… on ne peut plus l’arrêter !)
 
L’écriture peut servir de révélateur, au sens photographique du terme. C’est pour cela que j’aime l’autobiographie : il me semble qu’il y a, enfouie en nous, une aventure qui ne demande qu’à être découverte, et que si l’on arrive à l’extraire de soi, c’est l’histoire la plus étonnante jamais racontée.
« Un jour, mon père a rencontré ma mère, et puis je suis né, et j’ai vécu ma vie. » Waow, c’est un truc de maboul quand on y pense. Le reste du monde n’en a probablement rien à foutre, mais c’est notre conte de fées à nous. Certes, ma vie n’est pas plus intéressante que la vôtre, mais elle ne l’est pas moins. C’est juste une vie, et c’est la seule dont je dispose. Si ce livre a une chance sur un milliard de rendre éternels mon père, ma mère et mon frère, alors il méritait d’être écrit. C’est comme si je plantais dans ce bloc de papier une pancarte indiquant : « ICI, PLUS PERSONNE NE ME QUITTE ».
 
En fait, j’aime vraiment bien le ton décalé du junki snobinard…
 

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