Le Monde dans les Livres

Vendredi 2 juillet 2010 à 14:11

Encore un roman de Djian au titre comportant le préfixe "in" (lire "UN" dans le titre de l'article). Après ma lecture d'Incidences, qui m'a fait découvrir cet auteur que j'admire, après Impardonnables par lequel j'ai été conquise, voici Impuretés, deuxième titre à la dimension clairement déceptive.
 
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/impueretes.jpgImpuretés, Djian
 
Impureté, n.f : 1.Etat de ce qui est impur, souillé, altéré, pollué. 2.Ce qui salit, altère quelque chose. 3. Litt.ou vieilli. Acte impur, contraire à la chasteté. 4. Religieux. Souillure attachée à certains actes ou états
... la définition que propose le Petit Larousse Illustré.
 
Toutes les sortes d’impuretés se retrouvent dans le roman de Djian. Le lac à jamais symbole de la mort de Lisa. Les stigmates de la destruction que cet ouragan a provoqué dans la famille d' Evy, chez ses amis, dans son cœur. Les souillures du sexe dans un monde où tout le monde couche avec tout le monde, à tout âge. Tous ces actes indécents, avilissants, dégradants, contraires à la chasteté. Ajoutons à cela la drogue et l’alcool. Et puis la violence. Violence verbale, parfois physique. Les souffrances qu’on inflige à autrui mais également à soi. L’absence de communication entre Evy et ses parents. Ce deuil qui tarde, et est sans cesse alourdit, entaché, comme l’image de Lisa. 

 Seul le style semble échapper à la souillure. L’écriture est pure, magistrale. Les phrases sont incisives, tranchantes, profondes, comme d’habitude. Toutefois, elles sont le reflet du monde dans lequel évoluent ces starlettes de cinéma. Du papier glacé moucheté de taches. La beauté de l’art qui côtoie les excès de la drogue, du sexe et de l’alcool. Tout cela sent le souffre, et tout le monde souffre.  Le style mime la souillure de la plus pure des façons.
Quand il n’était pas question de photos, il s’agissait d’autre chose, de n’importe quoi, de tout ce qui leur passait par la tête et de tout ce qui leur tombait sous la main. Parfois, ils versaient une pelletée de verre dans leur pantalon. Ou ils tombaient des arbres. Ou ils se jetaient d’un pont. Ou ils saccageaient des tombes. Il n’y avait aucun frein à leur imagination, aucune limite.
Les enfants sont les premières victimes des affres de leurs parents. Victimes indirectes, puisque mal aimés, mal éduqués, livrés à eux-mêmes. Les élèves de Brillantmont sont tous à fourrer dans le même sac. Sur cette colline où poussent les maisons de milliardaires, dans ce lycée pour gosses de riches, tout paraît briller, reluire, mais si l’on gratte un peu, on découvre que chacun renferme un drame déchaînant des douleurs d’une puissance inimaginable.
André se demandait comment ce garçon parvenait à garder son équilibre mental dans un environnement pareil. Le fruit ne semblait pas encore gâté, mais une espèce de tempête rugissait autour de lui, qui pouvait le frapper et l’emporter à tout moment si l’on n’y prenait pas garde.
Néanmoins, en dépit de ce marasme vers lequel il est entraîné, malgré toutes ces souillures dont son corps et son esprit sont à jamais marqués, Evy va rêver d’amour. A 14 ans, il a tout vécu, tout, même ce qu’on n’imagine pas ; mais pas encore l’amour. Il rêve d'une relation pure... Mais la pureté, dans ce monde, est-elle encore envisageable?
Un roman très dur, le thème de la déchéance dans le luxe étant traité de manière percutante, poignante. Tout ce qui se passe est presque inimaginable. Du très grand Djian, même si la lecture reste difficile, puisque tout est noir, et tout va de mal en pis. On se demande quand est-ce que les souffrances prendront fin...
Bref résumé  : Evy a 14 ans ; son père et sa mère sont respectivement écrivain et actrice. Lui est un ancien junkie; elle une belle femme prête à tout. La naissance de deux enfants semble les avoir ramenés à la vie. Et puis survient la mort ; la mort de Lisa. Accident, overdose, suicide ou même le pire, meurtre ? Quoi qu’il en soit, la souffrance est là, gigantesque, titanesque et destructrice. Tout sombre à nouveau, tout se délie. La fratrie, la famille, tout s’est dissout; des impuretés dans un lac. Alors qu’ils auraient tellement besoin de cohésion, la souffrance des uns augmente celle des autres, dans une spirale sans fin…
Reprendre pied dans cette vie semblait parfois vraiment la chose la plus stupide à faire.
Du pur Djian. Un roman noir, cynique à souhait, ironique aussi (rien que la couverture...), ce qui peut prêter à rire, du moins sourire... Mais je n'ai pas souri, impossible. A chaque nouveau drame, mes yeux étaient exorbités. Des excès qui peuvent faire sourire, mais pas moi, pas aujourd'hui.
 Des suggestions, des coupures – dans tous les sens du terme-, un texte blessé qui demande la plus grande attention au lecteur, la plus grande acuité. Un narrateur inconnu, qui dit "je", mais n’est pas acteur du drame. Des thèmes chers à l’auteur : le sexe, la folie, la passion (37,2°), l’inceste (Incidences), les blessures de l’enfance. Dur… mais traités avec brio. On est ému, révolté, touché, offusqué. On ne comprend pas pourquoi le sort semble ainsi s’acharner. Très puissant. Une réalité sous les apparences qui fait froid dans le dos, mais des protagonistes dont on a du mal à se séparer. 

Et comme souvent, très souvent chez Djian (et c'est beaucoup pour ça que je l'apprécie tant), l'un des personnages est écrivain. Un écrivain dont la carrière décline et se brise en l'occurence. Pour le plaisir, un extrait d'un passage concernant l'écriture romanesque, qu'on sent autobiographique...
Il y avait tellement de choses à dire sur l’écriture, sur l’attention constante qu’il fallait porter au rythme, à la sonorité des mots, à toute cette cuisine qui se révélait un vrai travail de forçat mais constituait également la source du seul plaisir total qu’on trouvait à écrire. Il y avait tellement de trucs à raconter sur la difficulté à élaborer une simple phrase qui tienne debout et qui soit reconnaissable entre toutes et qui rende compte et qui traduise et qui accompagne et qui creuse et qui respire.

Et Djian parle d'Impuretés...
http://philippedjian.free.fr/critiques/impure/gall.htm

Jeudi 15 juillet 2010 à 23:52

 

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Desventscontraires.jpgDes vents contraires, Olivier Adam
Ici le temps changeait sans cesse, au sein d’une même journée on pouvait passer par tous les états possibles et rien ne s’installait jamais vraiment, on vivait sous un ciel instable et pour ma part j’avais toujours aimé cela, le monde semblait ne jamais devoir prendre de repos, tout vivait intensément, le ciel la mer avaient leurs coups de sang leurs accalmies, rien n’était jamais posé ni égal.
Paul Anderen, écrivain en stand-by, père de deux enfants, s’installe à Saint-Malo, la ville de son enfance,  pour tenter de refaire sa vie avec Clément et Manon, 9 et 5 ans. La brusque disparition de leur mère les a profondément ébranlés. Ecorchés vifs, les personnages d’Olivier Adam sont des marionnettes de la peine. A travers leurs actes, leurs silences, leur malheur se donne à lire. Pas besoin de grandes analyses psychologiques. L’errance dans les pièces vides, les endormissements impromptus, les cauchemars, les sourires volés, tout cela traduit mieux que les mots l’horreur quotidienne que vivent ces enfants privés de leur mère, que leur père tente de soutenir du mieux qu'il peut, tout en se démenant pour maintenir la tête hors de l'eau. Le sort de celui-ci, celui qui dit « je », n’est effectivement pas très rose. Il boit, vomit, travaille un peu, survit. Etrangement, il vient en aide à de nombreuses personnes, dont certaines semblent n’avoir que peu d’intérêt quant à l’intrigue générale ( la disparition de Sarah). C’est l’un des reproches que l’on peut faire à ce roman au style inimitable, dans lequel l’auteur évoque dans toute sa puissance la peine, la douleur, la solitude liée à l'absence et le malheur humain.
Paul et ses enfants sont balayés par ces vents contraires qui battent les plages de la côte. A tout moment leur vie peut basculer. Sarah reviendra-t-elle ? Qu’est-elle devenue ? Ils vivent dans une attente couverte, fébrile, une attente que l’on tait, mais qui pulse au fond du cœur de chacun, en silence. Jamais ils ne prennent de repos. Et pourtant ils tentent de vivre, de retrouver le goût de la vie, du bonheur, des plaisirs. Tels le flux et le reflux des vagues, les moments presque heureux alternent avec les bourrasques d’abattement. Le seul apaisement semble venir de la mer, de la plage, du ciel. Tableaux maritimes et moments de narration s’entrecroisent (ces derniers étant parfois un peu longs, mais on a noté l’importance de la narration des actes et des futilités du quotidien pour rendre compte de la douleur de l’absence). L’ensemble ponctué de souvenirs, de regrets d’une vie qui jamais plus ne sera comme avant…
La vie d’avant, la vie tranquille , la bonne vie, simple et modeste, petits bonheurs au jour le jour, la fatigue du boulot des enfants du temps qui passe mais c’était tout, faire des puzzles sur la tapis m’allonger près d’eux devant un dessin animé, embrasser Sarah dans le cou l’entendre prendre sa douche, une bière en été des cacahuètes sur la chaise longue près des hortensias, baiser dormir enlacés lire la tête sur son ventre, la regarder partir au matin et retrouver la maison silencieuse et calme.
On peut regretter les péripéties un peu inutiles, autant de longueurs à déplorer – la vie de tous ces personnages rencontrés dans l’habitacle d’une voiture d’auto-école n’a rien de palpitant, des noirceurs de plus pour montrer ô combien le monde est pourri, mais alors là, pourri… (too much is too much… !). Dommage parce que l’intrigue est bonne, simple, poignante, la douleur des personnages très bien rendue par les blancs laissés entre les actes, où d’autres auraient mis de la psychologie. Un style intéressant, une voix qui n’est pas sans m’évoquer les héros de Philippe Djian. Mais toutefois, certains points dans la construction d’ensemble laissent à mon goût un peu à désirer… Ce roman, qui aurait pu être un très bon roman, laisse un goût d’œuf pourri, comme cette odeur qui gâche un peu, parfois, la contemplation d’un paysage maritime.

 A lire : une très bonne critique de Télérama (non non je ne m'en suispas du tout inspirée ^^)

Lundi 2 août 2010 à 23:22

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/zoneero.jpgZone Erogène, Philippe Djian
Je lis peu en ce moment ; je capte les joies des vacances, j’ai beaucoup à faire de ce côté-là, le plaisir de partager des moments d’oisiveté entre amis…
Mais j’ai embarqué ce roman dans le train, et l’ai lu, vite, très vite.
Mon article, je crois, sera lui aussi très rapide. Ce roman des débuts de Djian (tout de même postérieur à 37,2° le matin) se résume en peu de mots. L’histoire est celle d’un écrivain en pleine rédaction de son prochain roman. De ce roman on ne sait rien. Ce qu’on sait, c’est ce que l’écrivain fait quand il n’écrit pas. Et la vie d’un écrivain est bigrement épique ! Bières, femmes, embrouilles. Voilà en quoi cela se résume. C’est presque une autobiographie que nous propose Djian, une tranche de vie d’écrivain. La vie cachée du créateur. Ou comment on vit quand on écrit.
Comme par hasard, cet écrivain, c’est un homme des ennuis et des plaisirs qui s’appelle Philippe Djian.  Les amours de sa vie sont son roman, et les femmes. Ces amours sont jalouses les unes des autres, mais le roman reste une rivale sans pitié. Il y a également Nina, la plus belle de toutes ; mais elle aussi claque la porte, revient, repart. C’est dur de vivre avec un créateur buveur de bière, dont le meilleur ami est homo et se fait taper dessus. Il y a des jeunes, des rencontres fortuites, des bonnes et des moins aguichantes. Il y a la vie, ces moments de joie, d’incompréhensions, ces moments magiques où on ne maîtrise plus rien, où on voit de la poésie dans un grain de sable. Le monde est sans pitié et pourtant Djian nous révèle ce qu’il y a de puissant, d’émouvant, de drôle et de presque extraordinaire dans la vie et les évènements. C’est quand tout s’emballe que c’est bon.
Du sexe, de l’alcool, des excès. Du pur Djian. Une mise en abîme de son écriture, de sa vie ; de l’humour, pas mal d’autodérision. Et puis les thèmes habituels ; on se rend compte à quel point l’œuvre de cet écrivain est quelque chose qu’il a dans les tripes. Un style toujours magique, où l’ordinaire et le grivois côtoient les envolées lyriques et les associations de mots les plus poétiquement osées.
Il ne se passe rien d’exaltant dans ce livre, qui se boit, qui passe bien. Le style, cette recherche permanente de l’écrivain, laisse tout couler doucement, vers la pente finale, quand tout s’accélère. Un roman essentiel pour comprendre la manière d’écrire si particulière de cet auteur.
D’aucuns penseront que ce livre est à la limite du pornographique (rien que le titre est subversif…). Ils n’auraient pas tout à fait tord. Mais il nous plonge dans la vraie vie, la vie moderne ; on est loin de l’image balzacienne de l’écrivain. Djian est un héritier de la Beat-Generation. Ecrire est pour lui un besoin viscéral, un besoin et un plaisir comme les autres, comme manger, dormir et faire l’amour. Un roman émouvant de vérité, un style toujours percutant, admirable (j’ai conscience de drôlement prendre position en disant cela, mais j’aime ce style qui ose tous les mélanges, et qui pourtant ne fait pas de fausses notes.)
Une musique endiablée, une bonne bière qui fait voir les étoiles du ciel comme des lucioles. Un bon moment, mais pas le meilleur de Djian.
Je ne le conseille en aucun cas à ceux qui ne connaissent pas cet auteur, encore moins à ceux qui ont des a priori à son sujet. Ce serait le condamner. Mais pour ceux qui l’aiment, qui apprécient cette écriture qui grince, qui émet un son de vieille radio pourtant réglée sur une station de bonne musique, je le conseille. Djian des débuts, c’est ça. Djian et l’écriture aussi.

Vendredi 6 août 2010 à 12:03

 
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Carrere.jpgLa nuit d’avant la vague, je me rappelle qu’Hélène et moi avons parlé de nous séparer. Ce n’était pas compliqué : nous n’habitions pas sous le même toit, n’avions pas d’enfant ensemble , nous pouvions même envisager de rester amis ; pourtant c’était triste.
Au vue des premières lignes du roman, on pourrait penser que, comme à son ordinaire - selon ce que j’ai pu en lire en parcourant des articles sur Internet-, Emmanuel Carrère va se lancer dans un projet autocentré. Cependant, la vague, ce mot angoissant qui début le roman, laisse présager, peut-être, autre chose…
Et effectivement. Cette fois, ce n’est pas lui la victime, ce n’est pas lui le héros. Il n’est que le témoin de catastrophes qui se déroulent sous ses yeux, ou passent par ses oreilles.
En 2004, le monde est sous le choc du tsunami qui a ravagé l’Asie. Emmanuel Carrère est sur les lieux, et nous raconte la déchirure des hommes et des femmes qui ont vu périr leurs proches dans le raz de marée. Mais ce sont Delphine et Jérôme qui occupent le centre de cette première partie du roman. Delphine et Jérôme qui ont perdu leur petite Juliette, une petite blondinette en robe rouge.
Puis Hélène et le narrateur-auteur reviennent en France, où ils apprennent qu’une autre Juliette est sur le point de mourir. Il s’agit de la sœur d’Hélène, en phase terminale d’un cancer du sein, dont les métastases ont attaqué les poumons. S’ensuit le récit fragmenté de la vie de cette femme aux jambes paralysées, recueilli auprès de Patrice, son compagnon, et d’Etienne, un juge unijambiste, son collègue.
L’auteur s’est vu investir d’une mission, celui d’écrire l’histoire de ces êtres. Ainsi il narre avec une grande précision la rencontre entre Juliette et son mari, ses relations avec Etienne, sa vie de jeune juge dynamique malgré son handicap, et mère de trois petites filles. Il raconte surtout sa longue descente aux enfers, son compagnonnage avec la mort, omniprésente ; la manière dont elle organise la vie, après sa mort. Un grand amour émane de cette femme, qui cherche à tout prix à épargner ses proches. Ce qui compte, ce ne sont pas ceux qui partent, mais ceux qui restent.
Avec ce roman, l'auteur s'empare de sujets poignants, qui ont marqué et marquent chaque jour notre monde contemporain. Les victimes du tsunami ont été trop nombreuses, celles du cancer, encore plus. Et la perte d'un être cher peut quant à elle survenir à chaque instant...
Du bon : Avec ce roman, Emmanuel Carrère rompt avec son habitude de l’autofiction, et accepte la mission de rendre compte d’autres vies que la sienne. Le titre de ce roman est donc programmatif. Programmatif comme la douleur qu’entraîne la perte d’un être cher. Les pertes qui lui font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une mère pour ses enfants.
Ecrire un livre ne change rien, mais pour certains protagonistes, ça change beaucoup de choses. Leur expérience de la mort devient immortelle. Elle est gravée à jamais sur la page, et donc dans les mémoires. Une expérience parmi d’autres me direz-vous ? Oui, mais une expérience vue à travers les yeux d’un écrivain. Un témoignage remanié par un homme qui sait voir au-delà des apparences et établir des liens invisibles.
A travers l’écriture de ce roman, l’auteur a appris le bonheur. Il l’a appris à travers le malheur d’autrui, de la catastrophe qui vient bouleverser une vie. Après cela, il a envie d’aimer Hélène, pour toujours. Parce qu’il craint que quelque chose, un accident, une maladie ne la lui ravisse ; non pas parce qu’il pourrait se lasser de sa présence, désormais indispensable. Je préfère ce qui me rapproche des autres hommes que ce qui m’en distingue. Ecrire sur les autres a permis à l’auteur de prendre ce recul sur la vie que n’offre que l’expérience douloureuse. Avec lui, avec eux, ses héros, qui sont aussi ses amis, on comprend cette phrase de Céline : C’est peut-être ça que l’on cherche à travers la vie, rien que ça, la plus grande tristesse possible pour devenir soi-même avant de mourir.
 
Du métadiscours (discours sur ce qui sous-tend le texte, c'est à dire l'écriture, le roman, etc...) :
Ce roman est également l’occasion d’engager une réflexion sur l’écrivain, sur ce qui peut faire la matière d’un livre, sur comment parler de ce qui est étranger à soi. Comment parler de la douleur, de la souffrance, du chagrin des êtres qui nous entourent ? Comment mettre le réel en fiction ? Toutes ces questions sont soulevées par l’auteur dans ce roman à la fois très réaliste, détaillé, mais aussi émouvant, bouleversant, et métatextuel.  
 
Du moins bon (selon mon humble avis...) :
Tout cela est bien beau, plein de bons sentiments, de belles réflexions… Pourtant… Des choses m’ont gênée. Je ne peux nier que le style de l’auteur est bon, parfois très bon et poignant. Cependant, il me semble qu’un sujet aussi dur que le tsunami et l’agonie d’une jeune femme auraient mérité un traitement un peu différent. Un style peut-être plus elliptique, pour laisser entrevoir la douleur et la souffrance entre les lignes. Les blancs de la page, selon moi, parlent plus que bien des mots.
Et puis il y a des longueurs… Je l’avoue, j’ai sauté des pages. Je ne me suis pas embarrassée de tous ces passages centrés sur le droit, la dette, tous ces sujets que certes l’ont n’aborde que très rarement dans la littérature et qui sont très instructifs, mais auxquels je ne comprenais strictement rien. Je n’ai pas cherché longtemps à comprendre. En plus, il me semblait que cela n’apportait rien au roman. Que viennent faire les problèmes d’argent des entreprises dans un roman sur des vies bouleversées ? D’accord, l’endettement bouleverse des vies. Mais les héros n’étaient pas victime de cela ! Peut-être que l’auteur voulait montrer à quel point Etienne et Juliette étaient des juges géniaux. Comme dans Balzac, ces descriptions didactiques ne sont certainement pas sans significations. Bon, je vais cesser de chercher des réponses. Quoi qu’il en soit, ces longs passages ont un peu parasité ma lecture. Le style et le thème étaient trop en décalage avec le reste. A cause de cela, ce roman considéré come un chef d’œuvre me laisse l’image d’un patchwork mal raccordé, avec des tissus flamboyants et de vieilles étoffes rapiécées. Décevant quand on rencontre une telle beauté de style dès les premières lignes…
Bref, du beau, du grand, du brillant, de l’émotion, de la réflexion, mais une désagréable impression de collage… J’ai préféré écrire cet article que lire ce livre.
Un roman à lire, ainsi que d’autres romans écrits à peu près en même temps (Un roman russe surtout, que j’ai mais n’ai pas encore lu). Et rappelons-nous Pennac : le droit de sauter des pages.
 

Samedi 7 août 2010 à 14:44

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/jade.jpgLa grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt
On m’avait vivement conseillé ce roman, dont l’auteur a, selon ce que j’ai pu lire et entendre, fait parler d’elle avec un ouvrage des plus réussis (à ce qu’on dit, encore), La vie d’une autre. Je me suis laissée tenter, d’autant que la quatrième de couverture m’a fortement interpelée (dès qu’il s’agit de la lecture ou de l’écriture, je deviens avide…) et que je l’ai d’abord prêté à ma propre grand-mère, qui a adoré. Tout me prédisposait donc à apprécier ce livre…
Résumé : Mamoune, la grand-mère de Jade, quatre-vingt ans, vient de tomber dans sa cuisine. Faiblesse de personne âgée qui lui vaut l’inscription dans une maison de repos. Jade ne peut l’accepter et à trente ans, alors qu’elle vient de rompre avec son petit ami, elle décide d’enlever Mamoune et de l’installer chez elle, à Paris. Entre sa Savoie d’origine et la capitale, le choc ne sera finalement pas si rude pour cette grand-mère encore jeune dans sa tête. Il le sera davantage pour la jeune femme quand elle apprendra que sa Mamoune chérie n’est pas celle qu’elle croit. Sa vivacité d’esprit, elle la doit aux grands auteurs et à leurs brillantes pages. Alors que Mamoune est une grand-mère attentionnée qui sent la violette, Jeanne est une lectrice passionnée. Dissimulant les livres dans la couverture de sa vieille bible, elle lisait au nez de tous sans que personne ne s’en aperçoive. Quelle aubaine lorsque sa petite fille lui avoue avoir écrit un roman, refusé par les éditeurs ! Elle va pouvoir enfin rencontrer un véritable écrivain et lui venir en aide. S’ensuit donc le récit à deux voix (celle de Mamoune et d’un narrateur omniscient) de la cohabitation entre cette jeune femme et sa grand-mère, où alternent réflexion sur l’amour, la vieillesse, la famille, et autres thèmes bien plan-plan.[Mon avis :] Car ce roman est plan-plan, mielleux, sucré. L’intrigue est intéressante mais il me semble que l’auteur ne l’exploite pas à fond. Les choses tournent trop bien, happy end surfaite, sensiblerie niaise. Toutefois, les réflexions sur les statuts de lecteur et d’écrivain sont des plus intéressantes. Malgré une écriture trop souvent clichée, pleine d’images surfaites, vues et revues, certains passages méta-discursifs valent vraiment le coup.
Je me permets encore d’ajouter des éléments au tableau de ma déception. Selon moi, les personnages sont décevants. A trente ans, Jade paraît en avoir vingt. A quatre-vingt, la grand-mère semble en avoir cinquante quand elle nous livre ses réflexions sur la lecture. On ne croit pas à son personnage de savoyarde et de lectrice clandestine. Le contraste est trop explicitement établi. Et puis c’est vraiment bourré de sensiblerie.
Voilà, je crois avoir bien démonté ce roman que pourtant j’ai lu sans m’ennuyer. A chaque phrase je ne pouvais m’empêcher de penser : « Mais quelles images clichés, comme c’est niais, comme c’est visqueux et gluant » mais pourtant j’ai avancé, j’avais hâte de le terminer (la fin est un peu longue, le fameux épilogue qui m’a tout de même touchée est venu bien tard…).
Je conseillerai ce livre à ceux qui s’intéressent à l’écriture, la lecture, et qui sont sensibles à l’illustration de la vie d’un jeune auteur face à son manuscrit et aux maisons d’édition. Je le conseille surtout vivement aux mamies qui aiment lire et qui aiment leurs petits enfants. Bref, un roman pour les personnes d’un certain âge qui aiment à rêver que la romance est encore possible, pour les mamies comme la mienne qui seront touchées par cette histoire entre une grand-mère et sa petite fille, et enfin pour ceux et celles qui aimeraient devenir écrivain. On sent que l’auteur a mis beaucoup du sien dans ce roman, qui flirte avec l’autofiction (
mise en scène de soi déguisée dans un roman. Quasi-autobiographie dans laquelle les noms, les lieux, les dates ont été changés.)
Un article à l’image de ce roman finalement : du cliché, une organisation bateau, mais au sein des paragraphes, des remarques qui se veulent (dans mon cas) pertinentes, et qui sont, dans le roman, réellement intéressantes. J’ai ainsi retenu ce passage de la page 164 :
Ceux qui écrivent ont une façon si particulière de porter leurs yeux sur ce que nous ne saurions voir. […] cette façon se saisir la banalité et d’en rendre compte sous un angle insolite, cet art de tisser un lien entre des choses qui n’ont pas l’air d’en avoir. […]ces pages sont pleines, mais elles m’offrent une part dans laquelle peut courir ma propre pensée, l’histoire que je construis dans l’histoire.
Ah tout de même une toute dernière chose ! La couverture est très agréable en main, douce et soyeuse, et le format original. (Finalement, la couverture, sa couleur, sa texture (et son personnage qui n’a aucun rapport avec Jade qui est censée être blonde et détester son portable…) sont à l’image du livre… Suis-je vraiment impitoyable ?)

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