Le Monde dans les Livres

Samedi 10 juillet 2010 à 0:09

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/LESMOTS.jpgLes Mots, Sartre
Poulou, c’est l’enfant névrosé, le comédien, l’enfant-objet né du regard de ses parents et des préjugés de sa classe. L’enfant auquel on donne Flaubert à lire à six ans, qu’on voue à l’écriture à neuf, qu’on choie, qu’on adule, que le milieu façonne à sa guise. Sans père, avec une mère qu’il considère comme une sœur, le jeune Jean-Paul ne connaît que la compagnie de son grand-père, de sa grand-mère (ces deux là qu'on appelle Karlémamie), de sa maman, et de ses livres. Livres d’où s’échappent les compagnons de son imaginaire, les Michel Strogoff de ses velléités héroïques, le sentiment que le destin de l’écrivain est de sauver l’humanité, et le livre un moyen de survivre dans le temps.
Mais ce retour sur l’enfance en diptyque, sur le lire et l’écrire, jaillissement du verbe, est purement ironique. En effet, comment un auteur qui écrit « je ne suis pas ce que je suis », qui estime que « l’existence précède l’essence », pourrait-il prétendre tirer un quelconque enseignement de cette enfance qui fut la sienne ? Sartre, à 50 ans, traite les épisodes de sa vie avec une élégance ironique et baroque. Tout est mouvant, rien n’est ordonné, épisodes et réflexions s’enchaînent, la frontière n’étant pas toujours palpable. On entend la voix du philosophe derrière les frasques de l’enfant. La sincérité des analyses côtoie les épisodes romancés, dans lesquels le jeune Jean-Paul n’est pas sans rappeler ces personnages de films muets des débuts du cinéma.
Dérision et humilité (Sartre n'est pas seulement pour moi l'arrogant que l'on croit, mais un homme qui souffre et a souffert...), c’est finalement ce qui émane de l’autobiographie sartrienne. Son enfance fut celle d’un petit garçon malheureux, à la recherche d’une identité, d’une destination dans le train de l’existence, d’une place dans ce monde où il n’existait que par le regard des autres ; que quelqu’un se dise « C’est Jean-Paul qui manque. » Cette recherche de soi est couplée avec une réflexion sur le statut de l’écrivain, le don, la vocation, les devoirs de l’homme de Lettres. Et c’est finalement pour se sauver lui-même que Sartre a écrit. Lui qui n’avait pas de don, aucun talent, aucun génie, ce que son grand-père lui faisait bien comprendre. Mais à l’époque, pour la bourgeoisie, ça « faisait bien » d’avoir un homme de Lettres dans la famille (professeur de lettres et écrivain du dimanche, parce que, tout de même, il faut manger… !)
C’est contre cette idéologie bourgeoise que Sartre s’insurge dans ce texte, où il ne pose jamais un regard attendri sur cet enfant qu’il était. Il ne cherche pas l’origine d’une vocation, et dépouille l’écriture de cette dimension divine qu’il pouvait lui avoir accordé. En définitive, être écrivain s’avère être un métier, un statut social comme un autre.
 L’erreur, qui est à l’origine de la névrose de Poulou – dont Sartre s’est débarrassé - , est d’avoir cru que les mots sont les choses même…
[…] pour avoir découvert le monde à travers le langage, je pris longtemps le langage pour le monde. Exister, c’était posséder une appellation contrôlée, quelque part sur les Tables Infinies du Verbe ; écrire c’était y graver des êtres neufs ou – ce fut ma plus tenace illusion- prendre les choses, vivantes, au piège des phrases : si je combinais les mots ingénieusement, l’objet s’empêtrait dans les signes, je le tenais.
 
Ce texte, sous ses aspects distanciés et ironiques, est parfois drôle, pittoresque – on imagine le jeune Jean-Paul allongé dans la bibliothèque, après avoir endossé le costume de grand prêtre des Livres, un roman ouvert devant lui, à sa droite un verre de grenadine, à sa gauche une tartine de confiture ; ou encore les premiers écrits (simples plagiats !) recopiés par Maman sur du papier glacé…- ; Sartre livre une image démythifiée de l’enfant et de la vocation, le tout couplé d’une réflexion sur le rôle de la littérature. Une autobiographie étonnante, déstabilisante, qui se joue des codes et raille la Bourgeoisie, doublée d’une illustration de la philosophie sartrienne. Loin d’être l’ouvrage de complaisance d’un homme à l’automne de sa vie, cette œuvre est presque l’aboutissement de la réflexion philosophique de Sartre sur l’existence, l’engagement et la littérature.
Autant dire que cette lecture n’est pas des plus aisées, je suis loin d’avoir tout saisi, et je pense qu’une re-relecture ne serait pas superflue ! Mais il est plaisant de rencontrer ce jeune enfant, simple jouet sous la plume de Sartre, comme il le fut sous l’influence des adultes. Poulou ce n’est plus Jean-Paul ; parce que quand il dit « moi », Sartre parle de « moi écrivant ».
Toutefois, Sartre peut-il vraiment être toujours aussi dur, aussi ironique avec l’enfant qu’il a été ? Ne prend-il tout de même pas un certain plaisir à évoquer ses souvenirs d’enfance ? A faire « ça », comme le dit Nathalie Sarraute ? Puisqu’il affirme à la fin, en opposition à la geste rousseauiste, d’être Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que veut n’importe qui, il ne peut selon moi être exempt de ce plaisir que l’on a tous à faire ressurgir dans notre mémoire les moments si précieux de notre enfance… (mais ceci n’est que puérile réflexion d’une lectrice nostalgique…)

Jeudi 15 juillet 2010 à 23:52

 

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Desventscontraires.jpgDes vents contraires, Olivier Adam
Ici le temps changeait sans cesse, au sein d’une même journée on pouvait passer par tous les états possibles et rien ne s’installait jamais vraiment, on vivait sous un ciel instable et pour ma part j’avais toujours aimé cela, le monde semblait ne jamais devoir prendre de repos, tout vivait intensément, le ciel la mer avaient leurs coups de sang leurs accalmies, rien n’était jamais posé ni égal.
Paul Anderen, écrivain en stand-by, père de deux enfants, s’installe à Saint-Malo, la ville de son enfance,  pour tenter de refaire sa vie avec Clément et Manon, 9 et 5 ans. La brusque disparition de leur mère les a profondément ébranlés. Ecorchés vifs, les personnages d’Olivier Adam sont des marionnettes de la peine. A travers leurs actes, leurs silences, leur malheur se donne à lire. Pas besoin de grandes analyses psychologiques. L’errance dans les pièces vides, les endormissements impromptus, les cauchemars, les sourires volés, tout cela traduit mieux que les mots l’horreur quotidienne que vivent ces enfants privés de leur mère, que leur père tente de soutenir du mieux qu'il peut, tout en se démenant pour maintenir la tête hors de l'eau. Le sort de celui-ci, celui qui dit « je », n’est effectivement pas très rose. Il boit, vomit, travaille un peu, survit. Etrangement, il vient en aide à de nombreuses personnes, dont certaines semblent n’avoir que peu d’intérêt quant à l’intrigue générale ( la disparition de Sarah). C’est l’un des reproches que l’on peut faire à ce roman au style inimitable, dans lequel l’auteur évoque dans toute sa puissance la peine, la douleur, la solitude liée à l'absence et le malheur humain.
Paul et ses enfants sont balayés par ces vents contraires qui battent les plages de la côte. A tout moment leur vie peut basculer. Sarah reviendra-t-elle ? Qu’est-elle devenue ? Ils vivent dans une attente couverte, fébrile, une attente que l’on tait, mais qui pulse au fond du cœur de chacun, en silence. Jamais ils ne prennent de repos. Et pourtant ils tentent de vivre, de retrouver le goût de la vie, du bonheur, des plaisirs. Tels le flux et le reflux des vagues, les moments presque heureux alternent avec les bourrasques d’abattement. Le seul apaisement semble venir de la mer, de la plage, du ciel. Tableaux maritimes et moments de narration s’entrecroisent (ces derniers étant parfois un peu longs, mais on a noté l’importance de la narration des actes et des futilités du quotidien pour rendre compte de la douleur de l’absence). L’ensemble ponctué de souvenirs, de regrets d’une vie qui jamais plus ne sera comme avant…
La vie d’avant, la vie tranquille , la bonne vie, simple et modeste, petits bonheurs au jour le jour, la fatigue du boulot des enfants du temps qui passe mais c’était tout, faire des puzzles sur la tapis m’allonger près d’eux devant un dessin animé, embrasser Sarah dans le cou l’entendre prendre sa douche, une bière en été des cacahuètes sur la chaise longue près des hortensias, baiser dormir enlacés lire la tête sur son ventre, la regarder partir au matin et retrouver la maison silencieuse et calme.
On peut regretter les péripéties un peu inutiles, autant de longueurs à déplorer – la vie de tous ces personnages rencontrés dans l’habitacle d’une voiture d’auto-école n’a rien de palpitant, des noirceurs de plus pour montrer ô combien le monde est pourri, mais alors là, pourri… (too much is too much… !). Dommage parce que l’intrigue est bonne, simple, poignante, la douleur des personnages très bien rendue par les blancs laissés entre les actes, où d’autres auraient mis de la psychologie. Un style intéressant, une voix qui n’est pas sans m’évoquer les héros de Philippe Djian. Mais toutefois, certains points dans la construction d’ensemble laissent à mon goût un peu à désirer… Ce roman, qui aurait pu être un très bon roman, laisse un goût d’œuf pourri, comme cette odeur qui gâche un peu, parfois, la contemplation d’un paysage maritime.

 A lire : une très bonne critique de Télérama (non non je ne m'en suispas du tout inspirée ^^)

Lundi 2 août 2010 à 23:22

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/zoneero.jpgZone Erogène, Philippe Djian
Je lis peu en ce moment ; je capte les joies des vacances, j’ai beaucoup à faire de ce côté-là, le plaisir de partager des moments d’oisiveté entre amis…
Mais j’ai embarqué ce roman dans le train, et l’ai lu, vite, très vite.
Mon article, je crois, sera lui aussi très rapide. Ce roman des débuts de Djian (tout de même postérieur à 37,2° le matin) se résume en peu de mots. L’histoire est celle d’un écrivain en pleine rédaction de son prochain roman. De ce roman on ne sait rien. Ce qu’on sait, c’est ce que l’écrivain fait quand il n’écrit pas. Et la vie d’un écrivain est bigrement épique ! Bières, femmes, embrouilles. Voilà en quoi cela se résume. C’est presque une autobiographie que nous propose Djian, une tranche de vie d’écrivain. La vie cachée du créateur. Ou comment on vit quand on écrit.
Comme par hasard, cet écrivain, c’est un homme des ennuis et des plaisirs qui s’appelle Philippe Djian.  Les amours de sa vie sont son roman, et les femmes. Ces amours sont jalouses les unes des autres, mais le roman reste une rivale sans pitié. Il y a également Nina, la plus belle de toutes ; mais elle aussi claque la porte, revient, repart. C’est dur de vivre avec un créateur buveur de bière, dont le meilleur ami est homo et se fait taper dessus. Il y a des jeunes, des rencontres fortuites, des bonnes et des moins aguichantes. Il y a la vie, ces moments de joie, d’incompréhensions, ces moments magiques où on ne maîtrise plus rien, où on voit de la poésie dans un grain de sable. Le monde est sans pitié et pourtant Djian nous révèle ce qu’il y a de puissant, d’émouvant, de drôle et de presque extraordinaire dans la vie et les évènements. C’est quand tout s’emballe que c’est bon.
Du sexe, de l’alcool, des excès. Du pur Djian. Une mise en abîme de son écriture, de sa vie ; de l’humour, pas mal d’autodérision. Et puis les thèmes habituels ; on se rend compte à quel point l’œuvre de cet écrivain est quelque chose qu’il a dans les tripes. Un style toujours magique, où l’ordinaire et le grivois côtoient les envolées lyriques et les associations de mots les plus poétiquement osées.
Il ne se passe rien d’exaltant dans ce livre, qui se boit, qui passe bien. Le style, cette recherche permanente de l’écrivain, laisse tout couler doucement, vers la pente finale, quand tout s’accélère. Un roman essentiel pour comprendre la manière d’écrire si particulière de cet auteur.
D’aucuns penseront que ce livre est à la limite du pornographique (rien que le titre est subversif…). Ils n’auraient pas tout à fait tord. Mais il nous plonge dans la vraie vie, la vie moderne ; on est loin de l’image balzacienne de l’écrivain. Djian est un héritier de la Beat-Generation. Ecrire est pour lui un besoin viscéral, un besoin et un plaisir comme les autres, comme manger, dormir et faire l’amour. Un roman émouvant de vérité, un style toujours percutant, admirable (j’ai conscience de drôlement prendre position en disant cela, mais j’aime ce style qui ose tous les mélanges, et qui pourtant ne fait pas de fausses notes.)
Une musique endiablée, une bonne bière qui fait voir les étoiles du ciel comme des lucioles. Un bon moment, mais pas le meilleur de Djian.
Je ne le conseille en aucun cas à ceux qui ne connaissent pas cet auteur, encore moins à ceux qui ont des a priori à son sujet. Ce serait le condamner. Mais pour ceux qui l’aiment, qui apprécient cette écriture qui grince, qui émet un son de vieille radio pourtant réglée sur une station de bonne musique, je le conseille. Djian des débuts, c’est ça. Djian et l’écriture aussi.

Vendredi 6 août 2010 à 12:03

 
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Carrere.jpgLa nuit d’avant la vague, je me rappelle qu’Hélène et moi avons parlé de nous séparer. Ce n’était pas compliqué : nous n’habitions pas sous le même toit, n’avions pas d’enfant ensemble , nous pouvions même envisager de rester amis ; pourtant c’était triste.
Au vue des premières lignes du roman, on pourrait penser que, comme à son ordinaire - selon ce que j’ai pu en lire en parcourant des articles sur Internet-, Emmanuel Carrère va se lancer dans un projet autocentré. Cependant, la vague, ce mot angoissant qui début le roman, laisse présager, peut-être, autre chose…
Et effectivement. Cette fois, ce n’est pas lui la victime, ce n’est pas lui le héros. Il n’est que le témoin de catastrophes qui se déroulent sous ses yeux, ou passent par ses oreilles.
En 2004, le monde est sous le choc du tsunami qui a ravagé l’Asie. Emmanuel Carrère est sur les lieux, et nous raconte la déchirure des hommes et des femmes qui ont vu périr leurs proches dans le raz de marée. Mais ce sont Delphine et Jérôme qui occupent le centre de cette première partie du roman. Delphine et Jérôme qui ont perdu leur petite Juliette, une petite blondinette en robe rouge.
Puis Hélène et le narrateur-auteur reviennent en France, où ils apprennent qu’une autre Juliette est sur le point de mourir. Il s’agit de la sœur d’Hélène, en phase terminale d’un cancer du sein, dont les métastases ont attaqué les poumons. S’ensuit le récit fragmenté de la vie de cette femme aux jambes paralysées, recueilli auprès de Patrice, son compagnon, et d’Etienne, un juge unijambiste, son collègue.
L’auteur s’est vu investir d’une mission, celui d’écrire l’histoire de ces êtres. Ainsi il narre avec une grande précision la rencontre entre Juliette et son mari, ses relations avec Etienne, sa vie de jeune juge dynamique malgré son handicap, et mère de trois petites filles. Il raconte surtout sa longue descente aux enfers, son compagnonnage avec la mort, omniprésente ; la manière dont elle organise la vie, après sa mort. Un grand amour émane de cette femme, qui cherche à tout prix à épargner ses proches. Ce qui compte, ce ne sont pas ceux qui partent, mais ceux qui restent.
Avec ce roman, l'auteur s'empare de sujets poignants, qui ont marqué et marquent chaque jour notre monde contemporain. Les victimes du tsunami ont été trop nombreuses, celles du cancer, encore plus. Et la perte d'un être cher peut quant à elle survenir à chaque instant...
Du bon : Avec ce roman, Emmanuel Carrère rompt avec son habitude de l’autofiction, et accepte la mission de rendre compte d’autres vies que la sienne. Le titre de ce roman est donc programmatif. Programmatif comme la douleur qu’entraîne la perte d’un être cher. Les pertes qui lui font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une mère pour ses enfants.
Ecrire un livre ne change rien, mais pour certains protagonistes, ça change beaucoup de choses. Leur expérience de la mort devient immortelle. Elle est gravée à jamais sur la page, et donc dans les mémoires. Une expérience parmi d’autres me direz-vous ? Oui, mais une expérience vue à travers les yeux d’un écrivain. Un témoignage remanié par un homme qui sait voir au-delà des apparences et établir des liens invisibles.
A travers l’écriture de ce roman, l’auteur a appris le bonheur. Il l’a appris à travers le malheur d’autrui, de la catastrophe qui vient bouleverser une vie. Après cela, il a envie d’aimer Hélène, pour toujours. Parce qu’il craint que quelque chose, un accident, une maladie ne la lui ravisse ; non pas parce qu’il pourrait se lasser de sa présence, désormais indispensable. Je préfère ce qui me rapproche des autres hommes que ce qui m’en distingue. Ecrire sur les autres a permis à l’auteur de prendre ce recul sur la vie que n’offre que l’expérience douloureuse. Avec lui, avec eux, ses héros, qui sont aussi ses amis, on comprend cette phrase de Céline : C’est peut-être ça que l’on cherche à travers la vie, rien que ça, la plus grande tristesse possible pour devenir soi-même avant de mourir.
 
Du métadiscours (discours sur ce qui sous-tend le texte, c'est à dire l'écriture, le roman, etc...) :
Ce roman est également l’occasion d’engager une réflexion sur l’écrivain, sur ce qui peut faire la matière d’un livre, sur comment parler de ce qui est étranger à soi. Comment parler de la douleur, de la souffrance, du chagrin des êtres qui nous entourent ? Comment mettre le réel en fiction ? Toutes ces questions sont soulevées par l’auteur dans ce roman à la fois très réaliste, détaillé, mais aussi émouvant, bouleversant, et métatextuel.  
 
Du moins bon (selon mon humble avis...) :
Tout cela est bien beau, plein de bons sentiments, de belles réflexions… Pourtant… Des choses m’ont gênée. Je ne peux nier que le style de l’auteur est bon, parfois très bon et poignant. Cependant, il me semble qu’un sujet aussi dur que le tsunami et l’agonie d’une jeune femme auraient mérité un traitement un peu différent. Un style peut-être plus elliptique, pour laisser entrevoir la douleur et la souffrance entre les lignes. Les blancs de la page, selon moi, parlent plus que bien des mots.
Et puis il y a des longueurs… Je l’avoue, j’ai sauté des pages. Je ne me suis pas embarrassée de tous ces passages centrés sur le droit, la dette, tous ces sujets que certes l’ont n’aborde que très rarement dans la littérature et qui sont très instructifs, mais auxquels je ne comprenais strictement rien. Je n’ai pas cherché longtemps à comprendre. En plus, il me semblait que cela n’apportait rien au roman. Que viennent faire les problèmes d’argent des entreprises dans un roman sur des vies bouleversées ? D’accord, l’endettement bouleverse des vies. Mais les héros n’étaient pas victime de cela ! Peut-être que l’auteur voulait montrer à quel point Etienne et Juliette étaient des juges géniaux. Comme dans Balzac, ces descriptions didactiques ne sont certainement pas sans significations. Bon, je vais cesser de chercher des réponses. Quoi qu’il en soit, ces longs passages ont un peu parasité ma lecture. Le style et le thème étaient trop en décalage avec le reste. A cause de cela, ce roman considéré come un chef d’œuvre me laisse l’image d’un patchwork mal raccordé, avec des tissus flamboyants et de vieilles étoffes rapiécées. Décevant quand on rencontre une telle beauté de style dès les premières lignes…
Bref, du beau, du grand, du brillant, de l’émotion, de la réflexion, mais une désagréable impression de collage… J’ai préféré écrire cet article que lire ce livre.
Un roman à lire, ainsi que d’autres romans écrits à peu près en même temps (Un roman russe surtout, que j’ai mais n’ai pas encore lu). Et rappelons-nous Pennac : le droit de sauter des pages.
 

Samedi 7 août 2010 à 14:44

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/jade.jpgLa grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt
On m’avait vivement conseillé ce roman, dont l’auteur a, selon ce que j’ai pu lire et entendre, fait parler d’elle avec un ouvrage des plus réussis (à ce qu’on dit, encore), La vie d’une autre. Je me suis laissée tenter, d’autant que la quatrième de couverture m’a fortement interpelée (dès qu’il s’agit de la lecture ou de l’écriture, je deviens avide…) et que je l’ai d’abord prêté à ma propre grand-mère, qui a adoré. Tout me prédisposait donc à apprécier ce livre…
Résumé : Mamoune, la grand-mère de Jade, quatre-vingt ans, vient de tomber dans sa cuisine. Faiblesse de personne âgée qui lui vaut l’inscription dans une maison de repos. Jade ne peut l’accepter et à trente ans, alors qu’elle vient de rompre avec son petit ami, elle décide d’enlever Mamoune et de l’installer chez elle, à Paris. Entre sa Savoie d’origine et la capitale, le choc ne sera finalement pas si rude pour cette grand-mère encore jeune dans sa tête. Il le sera davantage pour la jeune femme quand elle apprendra que sa Mamoune chérie n’est pas celle qu’elle croit. Sa vivacité d’esprit, elle la doit aux grands auteurs et à leurs brillantes pages. Alors que Mamoune est une grand-mère attentionnée qui sent la violette, Jeanne est une lectrice passionnée. Dissimulant les livres dans la couverture de sa vieille bible, elle lisait au nez de tous sans que personne ne s’en aperçoive. Quelle aubaine lorsque sa petite fille lui avoue avoir écrit un roman, refusé par les éditeurs ! Elle va pouvoir enfin rencontrer un véritable écrivain et lui venir en aide. S’ensuit donc le récit à deux voix (celle de Mamoune et d’un narrateur omniscient) de la cohabitation entre cette jeune femme et sa grand-mère, où alternent réflexion sur l’amour, la vieillesse, la famille, et autres thèmes bien plan-plan.[Mon avis :] Car ce roman est plan-plan, mielleux, sucré. L’intrigue est intéressante mais il me semble que l’auteur ne l’exploite pas à fond. Les choses tournent trop bien, happy end surfaite, sensiblerie niaise. Toutefois, les réflexions sur les statuts de lecteur et d’écrivain sont des plus intéressantes. Malgré une écriture trop souvent clichée, pleine d’images surfaites, vues et revues, certains passages méta-discursifs valent vraiment le coup.
Je me permets encore d’ajouter des éléments au tableau de ma déception. Selon moi, les personnages sont décevants. A trente ans, Jade paraît en avoir vingt. A quatre-vingt, la grand-mère semble en avoir cinquante quand elle nous livre ses réflexions sur la lecture. On ne croit pas à son personnage de savoyarde et de lectrice clandestine. Le contraste est trop explicitement établi. Et puis c’est vraiment bourré de sensiblerie.
Voilà, je crois avoir bien démonté ce roman que pourtant j’ai lu sans m’ennuyer. A chaque phrase je ne pouvais m’empêcher de penser : « Mais quelles images clichés, comme c’est niais, comme c’est visqueux et gluant » mais pourtant j’ai avancé, j’avais hâte de le terminer (la fin est un peu longue, le fameux épilogue qui m’a tout de même touchée est venu bien tard…).
Je conseillerai ce livre à ceux qui s’intéressent à l’écriture, la lecture, et qui sont sensibles à l’illustration de la vie d’un jeune auteur face à son manuscrit et aux maisons d’édition. Je le conseille surtout vivement aux mamies qui aiment lire et qui aiment leurs petits enfants. Bref, un roman pour les personnes d’un certain âge qui aiment à rêver que la romance est encore possible, pour les mamies comme la mienne qui seront touchées par cette histoire entre une grand-mère et sa petite fille, et enfin pour ceux et celles qui aimeraient devenir écrivain. On sent que l’auteur a mis beaucoup du sien dans ce roman, qui flirte avec l’autofiction (
mise en scène de soi déguisée dans un roman. Quasi-autobiographie dans laquelle les noms, les lieux, les dates ont été changés.)
Un article à l’image de ce roman finalement : du cliché, une organisation bateau, mais au sein des paragraphes, des remarques qui se veulent (dans mon cas) pertinentes, et qui sont, dans le roman, réellement intéressantes. J’ai ainsi retenu ce passage de la page 164 :
Ceux qui écrivent ont une façon si particulière de porter leurs yeux sur ce que nous ne saurions voir. […] cette façon se saisir la banalité et d’en rendre compte sous un angle insolite, cet art de tisser un lien entre des choses qui n’ont pas l’air d’en avoir. […]ces pages sont pleines, mais elles m’offrent une part dans laquelle peut courir ma propre pensée, l’histoire que je construis dans l’histoire.
Ah tout de même une toute dernière chose ! La couverture est très agréable en main, douce et soyeuse, et le format original. (Finalement, la couverture, sa couleur, sa texture (et son personnage qui n’a aucun rapport avec Jade qui est censée être blonde et détester son portable…) sont à l’image du livre… Suis-je vraiment impitoyable ?)

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