Le Satiricon, Pétrone
Cela faisait longtemps qu’il me narguait, dans ma bibliothèque, puis dans mes étagères… Je me disais, chaque fois « lis-le, lis-le, c’est un monument de la littérature, un ouvrage fondateur, inculte que tu es, vas-y, prends-le même s’il te fait peur ! ». Et alors il a atterri au pied de mon lit. Puis dans mes mains, et enfin sous mes yeux. En plus, j’étais dans une période de grandes interrogations sur l’histoire du roman, et j’avais lu dans une préface que c’était un des premiers romans qui ait été écrit, si ce n’est le premier… Donc je me lançais !
Déjà, première étrangeté : le récit est lacunaire. Il manque de nombreux passages, qui n’ont jamais été retrouvés. Des notes tentent de maintenir la cohérence du texte, mais on ne comprend pas tout. Les épisodes s’enchaînent sans beaucoup de liens. On comprend peu à peu qu’il s’agit de l’histoire d’Encolpe (le narrateur), un jeune romain amoureux du petit Giton, lui-même objet de convoitise de son ami Ascylte. S’ensuivent des histoires de séduction, de possession, de rivalités pour savoir qui recevra l’amour de ce jeune éphèbe. Le roman s’ouvre sur une critique des rhéteurs, et le passage le plus long (puisque le moins lacunaire) et le plus connu est le banquet chez Trimalcion, prétexte à de nombreux récits à tiroirs. S’y mêlent prose, vers, langage soutenu et grossier, à l’image de la foule du festin, lui-même à la limite du grotesque. Le titre de l’œuvre signifie d’ailleurs pot-pourri, mélange, et joue avec l’homophonie satire (moquerie) et satyre (le bouc lubrique). Mais c’est également un roman picaresque, puisque l’on suit les aventures du jeune homosexuel Encolpe, qui fait la rencontre de nombreux individus, dont le poète Eumolpe, avec lequel il s’enfuit sur un bateau, pour échapper à Ascylte qui cherche à enlever Giton, avant de faire naufrage sur une île. Le voyage est l’occasion pour les passagers de raconter des histoires, dont la célèbre fable de la Matrone d’Ephèse, qui m’a beaucoup fait rire. Un récit enlevé, varié, haut en couleurs, aux tons divers, satirique, comique ; la haute société romaine est scrutée et décrite avec beaucoup de dérision, et l’ensemble forme un texte certes lacunaire, mais les histoires racontées donnent le sourire. Pour ce qui est du statut de précurseur du roman qu’on confère à ce texte, je suis relativement d’accord, puisqu’on y retrouve le thème de la rivalité amoureuse, celui des voyages, et la dimension picaresque de l’œuvre font pencher dans ce sens. Mais cependant, ce texte a quelque chose de théâtral dans la présentation et l’enchaînement des répliques, de poétique aussi quand nous sont rapportés les poèmes d’Eumolpe, de philosophique (on retrouve évoquées certaines pensées épicuriennes) et de moraliste, puisque sous le rire se cache la satire (pas si cachée que ça finalement, cf le titre!). Un véritable pot-pourri, une œuvre riche, aux thèmes variés, avec des récits enchâssés et des personnages typés.
Je conseille ce roman à ceux qui veulent passer un bon moment, quitte à n’en lire que des extraits puisque de toute façon, c’est un texte lacunaire. J’avoue que j’ai eu du mal à tout lire d’une traite…
J’espère que mes remarques et mes interprétations ne sont pas un fatras de grosses bêtises… auquel cas, prévenez moi !