Zone Erogène, Philippe Djian
Je lis peu en ce moment ; je capte les joies des vacances, j’ai beaucoup à faire de ce côté-là, le plaisir de partager des moments d’oisiveté entre amis…
Mais j’ai embarqué ce roman dans le train, et l’ai lu, vite, très vite.
Mon article, je crois, sera lui aussi très rapide. Ce roman des débuts de Djian (tout de même postérieur à 37,2° le matin) se résume en peu de mots. L’histoire est celle d’un écrivain en pleine rédaction de son prochain roman. De ce roman on ne sait rien. Ce qu’on sait, c’est ce que l’écrivain fait quand il n’écrit pas. Et la vie d’un écrivain est bigrement épique ! Bières, femmes, embrouilles. Voilà en quoi cela se résume. C’est presque une autobiographie que nous propose Djian, une tranche de vie d’écrivain. La vie cachée du créateur. Ou comment on vit quand on écrit.
Comme par hasard, cet écrivain, c’est un homme des ennuis et des plaisirs qui s’appelle Philippe Djian. Les sont son roman, et les femmes. Ces amours sont jalouses les unes des autres, mais le roman reste une rivale sans pitié. Il y a également Nina, la plus belle de toutes ; mais elle aussi claque la porte, revient, repart. C’est dur de vivre avec un créateur buveur de bière, dont le meilleur ami est homo et se fait taper dessus. Il y a des jeunes, des rencontres fortuites, des bonnes et des moins aguichantes. Il y a amours de sa vie la vie, ces moments de joie, d’incompréhensions, ces moments magiques où on ne maîtrise plus rien, où on voit de la poésie dans un grain de sable. Le monde est sans pitié et pourtant Djian nous révèle ce qu’il y a de puissant, d’émouvant, de drôle et de presque extraordinaire dans la vie et les évènements. C’est quand tout s’emballe que c’est bon.
Du sexe, de l’alcool, des excès. Du pur Djian. Une mise en abîme de son écriture, de sa vie ; de l’humour, pas mal d’autodérision. Et puis les thèmes habituels ; on se rend compte à quel point l’œuvre de cet écrivain est quelque chose qu’il a dans les tripes. Un style toujours magique, où l’ordinaire et le grivois côtoient les envolées lyriques et les associations de mots les plus poétiquement osées.
Il ne se passe rien d’exaltant dans ce livre, qui se boit, qui passe bien. Le style, cette recherche permanente de l’écrivain, laisse tout couler doucement, vers la pente finale, quand tout s’accélère. Un roman essentiel pour comprendre la manière d’écrire si particulière de cet auteur.
D’aucuns penseront que ce livre est à la limite du pornographique (rien que le titre est subversif…). Ils n’auraient pas tout à fait tord. Mais il nous plonge dans la vraie vie, la vie moderne ; on est loin de l’image balzacienne de l’écrivain. Djian est un héritier de la Beat-Generation. Ecrire est pour lui un besoin viscéral, un besoin et un plaisir comme les autres, comme manger, dormir et faire l’amour. Un roman émouvant de vérité, un style toujours percutant, admirable (j’ai conscience de drôlement prendre position en disant cela, mais j’aime ce style qui ose tous les mélanges, et qui pourtant ne fait pas de fausses notes.)
Une musique endiablée, une bonne bière qui fait voir les étoiles du ciel comme des lucioles. Un bon moment, mais pas le meilleur de Djian.
Je ne le conseille en aucun cas à ceux qui ne connaissent pas cet auteur, encore moins à ceux qui ont des a priori à son sujet. Ce serait le condamner. Mais pour ceux qui l’aiment, qui apprécient cette écriture qui grince, qui émet un son de vieille radio pourtant réglée sur une station de bonne musique, je le conseille. Djian des débuts, c’est ça. Djian et l’écriture aussi.