L’insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera
Quatre personnages, deux hommes, deux femmes, des destins croisés, des rencontres, des passions, des ruptures. Tomas aime Tereza, mais aime aussi Sabina et d’autres femmes. Franz est marié mais aime Sabina. Tomas est un libertin ; Tereza est la grandeur d’âme incarnée. Sabina est une artiste qui s’efforce de dévoiler le réel qui se cache derrière l’artificialité du kitsch. Le monde n’est pas beau, et pourtant tout, dans les pays envahis par les Russes, semble agréable. Mais c’est la beauté qui dissimule la merde ; le kitsch est l’idéal esthétique de tous les hommes politiques, de tous les mouvements politiques.
Des thèmes, des diptyques : la légèreté et la pesanteur , la force et la faiblesse, l’irréel et le réel, le mensonge et la vérité, … Toutes ces notes reportées sur la partition de l’œuvre, ces multiples variations autour des mêmes thèmes, ces personnages porteurs d’une musique personnelle.
Les vies humaines sont composées comme une partition musicale. L’homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l’évènement fortuit en un motif qui va ensuite s’inscrire dans la partition de sa vie.
Les vies et leur musique se mêlent, et forment une œuvre où se côtoient romanesque et réflexion, dans une rencontre des contraires et des hasards qui font la beauté de la vie humaine.
Pour qu’un amour soit inoubliable, il faut que les hasards s’y rejoignent dès le premier instant, comme les oiseaux sur les épaules de Saint-François d’Assise.
La question initiale du roman, fil rouge de l’ensemble, est de savoir si la vie est cyclique ou linéaire. Si le concept de l’Eternel Retour de Nietzsche est mythe ou réalité. Si les motifs des partitions de nos vies sont leitmotive ou thèmes solitaires. Si, par conséquent, chaque instant de notre vie est un moment éphémère, ou bien chaque choix un fardeau que l’on crée pour toujours.
Le drame d’une vie peut toujours être exprimé par la métaphore de la pesanteur. On dit qu’un fardeau nous est tombé sur les épaules. On porte ce fardeau, on le supporte ou on ne le supporte pas, on lutte avec lui, on perd ou on gagne. Mais au juste, qu’était-il arrivé à Sabina ? Rien. Elle avait quitté un homme parce qu’elle voulait le quitter. L’avait-il poursuivie après cela ? Avait-il cherché à se venger ? Non. Son drame n’était pas le drame de la pesanteur, mais de la légèreté. Ce qui s’était abattu sur elle, ce n’était pas un fardeau, mais l’insoutenable légèreté de l’être.
Roman, essai, réflexion sur l’écriture ; poétique, musicale, fictionnelle, méta-discursive. Cette œuvre est tout à la fois.
Roman d’amour avant tout. Celui de Tomas, Tereza, et de leur chien Karénine. L’amour entre deux être, la beauté des sentiments.
Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. Depuis que Tomas avait fait la connaissance de Tereza, aucune femme n’avait le droit de laisser de marque, même la plus éphémère, dans cette zone de son cerveau.
Un roman sur l’écriture également.
[…] les personnages ne naissent pas d’un corps maternel comme naissent les être vivants, mais d’une situation, d’une phrase, d’une métaphore qui contient en germe une possibilité humaine fondamentale dont l’auteur s’imagine qu’elle n’a pas encore été découverte et qu’on n’en a encore rien dit d’essentiel.
Mais n’affirme-t-on pas qu’un auteur ne peut parler d’autre chose que de lui-même ?
[…]Les personnages de mes romans sont mes propres possibilités qui ne se sont pas réalisées. […] Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde. Mais il suffit. Revenons à Tomas.
Le tout mis en scène dans le cadre historique de l’invasion des pays de l’Est par l’armée russe.
Un roman qu’on ne peut résumer, dont on ne peut qu’apprécier la poésie, le chevauchement habile des idées et de la fiction, la beauté de la peinture des sentiments humains, qui paraissent si authentiques, et pourtant tellement uniques. Une lecture inoubliable, un livre qui m’a touchée au plus profond.
Une fois n’est pas coutume. J’ai trouvé le résumé de la quatrième de couverture tellement bien fait que je le recopie ici :
Plus que les autres romans de Kundera, celui-ci est un roman d’amour. Terez est jalouse. Sa jalousie, domptée le jour, se réveille la nuit, déguisée en rêves qui sont en fait des poèmes sur la mort. Sur son long chemin, la jeune femme est accompagnée de son mari, Tomas, mi-dom Juan, mi-Tristan, déchiré entre son amour pour elle et ses tentations libertines insurmontables.
Le destin de Sabina, une des maîtresses de Tomas, étend le tissu du roman au monde entier. Intelligente, asentimentale, elle quitte Franz, son grand amour genevois, et court après sa liberté, d’Europe en Amérique, pour ne trouver à la fin que l’insoutenable légèreté de l’être.
En effet, quelle qualité – de la gravité ou de la légèreté- correspond le mieux à la condition humaine ? et où s’arrête le sérieux pour céder la place au frivole, et réciproquement ? avec son art du paradoxe, Kundera pose ces questions à travers un texte composé à partir de quelques données simples mais qui s’enrichissent constamment de nouvelles nuances, dans un jeu de variations où s’unissent récit, rêve et réflexion, prose et poésie, histoire récente et ancienne. Jmais, peut-être, chez Kundera, la gravité et la désinvolture n’ont été unies comme dans ce texte. La mort elle-même a ici un visage double : celui d’une douce tristesse onirique et celui d’une cruelle farce noire.
Car ce roman est aussi une méditation sur la mort : celle des individus mais, en outre, celle, possible, de notre vieille Europe.
Remarque personnelle… : La mort du chien Karénine, préparée par ses maîtres pour qu’elle soit la plus belle, la plus douce possible, est peut-être une métaphore de la préparation du lecteur à la mort des personnages…