Isabelle, André Gide
Voilà un récit de Gide qui m’a tenue en haleine, et dont les pages ont filé sous mes doigts (d’autant qu’il n’en compte que 150). Alors qu’ils visitent un vieux château de nord de la France, Gide et Jammes prient leur ami Gérard Lacase de leur faire le récit de l’aventure insolite qu’il a vécue étant jeune et dont Quatrfourche fut le théâtre. Celui-ci s’exécute, et leur conte l’histoire de sa brève mais intense passion - fortement teintée de curiosité - pour une jeune femme; devinez qui ?
Isabelle.
Isabelle.
Gérard était à l'époque un jeune sorbonnard à la recherche de documents pour alimenter sa thèse sur les serments de Bossuet. Pour ce faire, il se rend à Quartfourche, où réside Mr Floche et sa famille. Celui-ci a en sa possession un certain nombre de documents qui intéresseront fortement le jeune étudiant. Mais au terme d’une journée passée au château, dans cette campagne reculée coupée de tout, sans bruit et où tous les individus semblent déjà figés dans la mort – ce sentiment d’abandon et d’immobilité est d’ailleurs rendu avec finesse par l’écriture de Gide, qui ne s’embarrasse pas d’approfondissement psychologique- Gérard s’ennuie à mourir. Lui qui est avide de romanesque – il voudrait devenir écrivain-, ne trouve ici que pluie, angoisse et vieilles pierres (l’ambiance a quelque chose, selon moi, du roman gothique). Mais alors qu’il échafaude un plan pour retourner à Paris, le jeune Casimir, l’enfant de la maison qui l’a pris en affection, sort d’un tiroir un petit cadre représentant une femme dont Gérard, dès le premier regard, s’éprend…
Après 50 pages de mystère, voilà enfin que nous découvrons qui est la fameuse Isabelle du titre. Mais celle-ci nous réserve bien des surprises. Une silhouette à la peau d’ivoire entr’aperçue, une mystérieuse lettre passionnée dissimulée dans un recoin, un message des plus pressants…
Mon amour, voici ma dernière lettre… Vite ces quelques mots encore, car je sais que ce soir je ne pourrai plus rien te dire ; mes lèvres, près de toi, ne sauront plus trouver que des baisers.
Isabelle est à la lisière du bovarysme, et pourtant, elle se révèle une femme fatale vibrante et mystérieuse. C’est du moins ce que croit Gérard…
Un récit bref, dans lequel on peut peut-être voir une dimension symbolique – la passion née d’une œuvre d’art, Pygmalion revu et corrigé…- ou simplement fantastique, un récit de l’amour impossible et fantasmé. Mais Gide parvient à faire de cette banale histoire quelque chose de profondément beau, poétique, aux accents un peu surannés, au vocabulaire classique, presque archaïque. L’ensemble est formidablement bien écrit, chaque mot semble à sa place et, un peu comme dans une nouvelle, l’auteur ne s’embarrasse pas de l’inutile.
Notons qu’il s’agit bien d’un récit dans le vocabulaire de Gide. La seule œuvre à laquelle il ait accordé l’appellation de roman étant Les Faux-Monnayeurs. La Symphonie Pastorale est elle aussi répertorié sous l’appellation récit ; je ne l’ai encore jamais lu d’ailleurs.
Une jolie découverte, que je conseille fortement.