La machine infernale, Jean Cocteau
Regarde spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel.
Cocteau, dès l’ouverture, nous prévient. Ça va aller très vite, toujours dans le même sens. Une machine infernale est en route, et elle ne s’arrêtera pas. Même si le ressort semble se dérouler avec lenteur, la vie est brève et le destin implacable. La pièce aussi est brève : quatre actes qui sont comme quatre pièces, qui sont chacune un palier, une gare d’arrêt dans cette ascension vers la fin. On pourrait presque les lire indépendamment les uns des autres ces actes en formes de micro-pièces, mais ce serait démonter la machine, et une machine démontée, ça n’avance plus… Or le plus plaisant est de savoir qu’on s’achemine vers une destination, l’ultime destination.
Une destination qui pourtant n'est pas la mort... Angoissant aussi n’est-ce pas ? Mais n’est-ce pas le ressort de toute tragédie ?
Une destination qui pourtant n'est pas la mort... Angoissant aussi n’est-ce pas ? Mais n’est-ce pas le ressort de toute tragédie ?
Cette voix qui clame la fatalité, dès l’ouverture de la pièce, (réminiscence du chœur antique ?) commence par poser cette sentence implacable : « Il tuera son père. Il épousera sa mère ». L’oracle a parlé. On sait que rien ne pourra y faire. Et surtout, on sait que ce qui va nous être montré, sur la scène (parce que oui, c’est du théâtre tout de même, il ne faudrait pas l’oublier !), c’est l’histoire d’Oedipe. Oedipe, celui à qui sa mère, ayant entendu cette parole fatale de la bouche de Tirésias, Oracle de Thèbes, avait troué les pieds (l’étymologie d’Œdipe est en effet « pieds enflés », en grec) avant de l’abandonner dans la montagne, au milieu des chèvres. Ces pieds qui à l’acte trois le trahissent ; presque… Parce que Jocaste n’en dit rien. Pendant la nuit de noces, morceau de paralittérature (ce passage essentiel de l’oracle ne nous est pas conté par les Antiques), Jocaste et Œdipe tombent de sommeil, cauchemardent, mais ne perçoivent pas leur parenté – que Cocteau, lui s’amuse à leur laisser sous-entendre. Toujours du visible et de l’invisible dans cette pièce, où se côtoient le crédule et l’incrédule, celui qui sait et celui qui ne sait pas. Ceux qui savent tout, qui conduisent la machine, ce sont les dieux. Mais au théâtre, le spectateur n’est-il pas lui aussi une sorte de dieu omniscient ? Surtout quand il s’agit de réactualiser un mythe… Le spectateur voit le fantôme du début, sur les remparts, alors que Jocaste n’entend même pas cette voix implorante avec laquelle son défunt mari Laïus l’appelle. Le spectateur connaît la réponse à l’énigme du Sphinx. Ce spectateur qui sait bien qu’à la fin, Œdipe, le bel Œdipe, finira les yeux crevés…
Fin tragique de ce héros, qui ne voit plus rien, qui ne peut plus rien, qui donc est comme mort...
La cité est sauvée, la peste est dissipée, mais le pharmakôn (le bouc émissaire si vous voulez) lui, a été immolé...
Fin tragique de ce héros, qui ne voit plus rien, qui ne peut plus rien, qui donc est comme mort...
La cité est sauvée, la peste est dissipée, mais le pharmakôn (le bouc émissaire si vous voulez) lui, a été immolé...
Réécriture d’un mythe… Oui, oui effectivement, Cocteau s’inspire largement de Sophocle. Mais il y a aussi du Shakespeare dans cette pièce. Et presque du Marivaux (le Sphinx tomberait volontiers dans les beaux bras musclés du jeune homme, comme Jocaste dans ceux du jeune soldat. Et les paroles à double sens, hein, le pouvoir des mots et du langage ! On pourrait croire à du marivaudage !) Et presque du Anouilh (oui, lui aussi réactualise les mythes antiques). Il réactualise, sans pour autant faire d’anachronismes. Les paroles sont simples, déniaisées, modernisées, parfois humoristiques. Elles mettent en place une atmosphère universelle, qui participe à cette philosophie de l’humain dont pourrait découler, quelque pessimiste qu’elle soit, la portée symbolique de la pièce : qui que nous soyons, nous sommes pris dans une machine infernale, qui nous rend aveugle à tout, nous abandonnant entre des mains invisibles qui font de nous des pantins. On n’est maître de rien, pas même de son destin. Et même pas besoin de se crever les yeux pour être aveugle et ingénu…
Dédramatiser la tragédie... Pas de grandes envolées lyriques, de grands monologues tragiques, mais des termes du quotidien, que cotoient parfois des consiédrations métaphysiques, politiques (le pouvoir est un grand thème de l'oeuvre!), ou encore de brefs récits... Il y a d'ailleurs l'histoire d'une matrone. Cela vous ferait-il penser à quelque chose? Le Satiricon pardi! Pétrone n'aurait-il pas également mis ici son grain de sel? Ou plutôt de raisin, banquet roman oblige...!
Attention attention cependant, pas de dédramatisation complète, parce qu'on est tout de même en plein drama, autrement dit en pleine action, et en plus, en plein drame familial. On rencontre d'ailleurs Antigone à la fin...
Dédramatiser la tragédie... Pas de grandes envolées lyriques, de grands monologues tragiques, mais des termes du quotidien, que cotoient parfois des consiédrations métaphysiques, politiques (le pouvoir est un grand thème de l'oeuvre!), ou encore de brefs récits... Il y a d'ailleurs l'histoire d'une matrone. Cela vous ferait-il penser à quelque chose? Le Satiricon pardi! Pétrone n'aurait-il pas également mis ici son grain de sel? Ou plutôt de raisin, banquet roman oblige...!
Attention attention cependant, pas de dédramatisation complète, parce qu'on est tout de même en plein drama, autrement dit en pleine action, et en plus, en plein drame familial. On rencontre d'ailleurs Antigone à la fin...
En résumé une machine infernale, avec un style d’enfer, poétique et accessible, des atmosphères variées, du mouvement, des pieds de nez, des doubles sens, du réel et de l’irréel, un monde aux multiples dimensions, bref, une grande œuvre… !