Le Monde dans les Livres

Samedi 5 février 2011 à 0:12

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Silegrainnemeurt.jpgSi le grain ne meurt, André Gide
Deux parties pour une autobiographie ; l’histoire d’un parcours, celui d’un homme mais aussi celui d’un écrivain. Il semble en effet qu’à mesure qu’il écrit, la pensée de l’auteur sur l’objet littéraire évolue en même temps que lui. Du moins que ce « lui » qu’il nous présente. In medias res, on entre dans l’intimité la plus grande : sous la table, avec ses « mauvaises habitudes ». découverte du plaisir juvénile, plaisir du souvenir mais mise à distance par l’écriture. Il faut se confesser.
Je sais de reste le tord que je me fais en racontant ceci et ce qui va suivre ; je ressens le parti qu’on en pourra tirer contre moi. Mais mon récit n’a raison d’être que véridique. Mettons que c’est par pénitence que je l’écris.
Et d’ajouter A cet âge innocent où l’on voudrait que toute l’âme ne soit que transparence, tendresse et pureté, je ne revois en moi qu’ombre, laideur, sournoiserie.
Portrait terrible… Et pourtant je n’ai souvenir de rien de cette sorte dans les épisodes que nous raconte Gide, de cette enfance choyée par une mère figure de Vierge, trop vite veuve, et qui fit tout pour que son fils reçoive le meilleur. Il nous parle tour à tour de ses bonnes, de ses cousines, de ses camarades d’école (l’école alsacienne, où il alternait passages éclairs et assiduité), ses professeurs de piano (nombreux !), et j’en passe…
J’écrirai mes souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner. Tout au plus puis-je les grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne se trompe pas souvent de place ; mais elle brouille les dates ; je suis perdu si je m’astreins à de la chronologie.
On l’aura compris, on va avoir affaire à un patchwork dans lequel les idées se succèdent les unes aux autres, dans un ordre des plus aléatoires, au gré des pensées et des associations d’idées, des digressions et d’autres artifices.
Souvent, je me suis persuadé que j’avais été contraint à l’œuvre d’art, parce que je ne pouvais réaliser que par elle l’accord de ces éléments trop divers, qui sinon fussent restés à se combattre, ou tout au moins à dialoguer en moi.
Vous voyez je ne mens pas, c’est l’auteur lui-même qui le dit : il compose une œuvre d’art ! Il affirme vouloir dire la vérité, faire pénitence. Mais dès les premiers mots il prend une distance. Rien que ce passé-simple de l’incipit, ce Je naquis le 22 novembre 1869, le place dans l’Histoire, mais aussi dans l’histoire, son histoire, l’histoire de sa vie. Il en devient un personnage. A chaque fois il nous raconte des épisodes divers de son enfance, cette histoire de canari tombé du ciel telle la flamme de l’esprit saint sur le front des apôtres, et qui s’avère être une serin, ou encore ses mauvaises habitudes qui s’infiltrent jusque dans la classe et lui valent quelques punitions. Ce n’est que bien tardivement qu’il nous parle de ses lectures et de la bibliothèque, poncif de toute autobiographie pourtant. Il dit avoir réservé ce moment… Pourtant rien de plus décevant que ces premières lectures dans la bibliothèque de papa : un recueil de Gautier dont maman nous interdit les passages trop grivois… Le pauvre, alors qu’il ne connaissait certains auteurs que par les livres de critique qu’il avait lus, il ne peut même pas avoir le plaisir de la lettre. D’accord la lettre c’est la chair, alors que l’esprit… Maman est protestante, ne l’oublions pas, alors la transsubstantiation, très peu pour elle !
Mais que peut-on raconter d’une lecture ? – C’est le fatal défaut de mon récit, aussi bien que de tous les mémoires ; on présente le plus apparent ; le plus important, sans contours, élude la prise. Jusqu’à présent je prenais plaisir à m’attarder aux menus faits ; mais voici que je nais à la vie.
Pourtant il ne renonce pas tout de suite à nous raconter ces menus faits ; il évoque ses amitiés artistiques, ses rencontres chez Mallarmé, ses soirées au cénacles, ses premières publications, brefs, les débuts de la vie d’un jeune artiste, mais le tout bien lapidaire, et surtout bien incomplet.
Roger Martin du Gard, à qui je donne à lire ces Mémoires, leur reproche de ne jamais dire assez, et de laisser le lecteur sur sa soif. Mon intention pourtant a toujours été de tout dire. Mais il est un degré dans la confidence que l’on ne peut dépasser sans artifice, sans se forcer ; et je cherche surtout le naturel. Sans doute un besoin de mon esprit m’amène, pour tracer plus purement chaque trait, à simplifier tout à l’excès ; on ne dessine pas sans choisir ; mais le plus gênant c’est de devoir présenter comme successifs des états de simultanéité confuse. Je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit. Les Mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman.
Et commence, quelques cent pages avant la fin, la seconde partie :
Les faits dont je dois à présent le récit, les mouvements de mon cœur et de ma pensée, je veux les présenter dans cette même lumière qui me les éclairait d’abord, et ne laisser point trop paraître le jugement que je portais sur eux par la suite. D’autant que ce jugement a plus d’une fois varié et que je regarde ma vie tour à tour d’un œil indulgent et sévère suivant qu’il fait plus ou moins clair au-dedans de moi.
On quitte le récit compassé, le tableau du petit garçon sage (presque religieux, connaissant la Bible sur le bout des doigts!), ces mémoires dont l’écriture classique m’a étonnée tant elle semblait soignée, presque artificielle, plutôt artificieuse à ce que j’en crois, pour rencontrer le jeune homme, l’écrivain, et ses tentations vers l’immoral…
Dans cette deuxième partie, Gide nous retrace ses voyages en Orient, au Maroc et en Afrique, plus largement. Des scènes qui ne sont pas sans faire écho à ses œuvres. Pour ma part j’ai reconnu avec plaisir le décor de L’immoraliste, et même ses principaux personnages. Gide le dit lui-même, c’est de là que lui est venue l’idée de l’ouvrage. Comme quoi Saint-Beuve n’avait pas tant tord que cela : la vie d’un écrivain peut éclairer son œuvre, et de manière prégnante. Ainsi toutes mes spéculations sur l’orientalisme à l’œuvre dans l’Immoraliste restent vaines spéculations au regard de l’explication biographique. Quoi que je sois fidèle à Proust ! Donc il faudrait nuancer. Le héros de L’immoraliste n’est pas Gide ! D’ailleurs il s’appelle Michel… Pour de plus amples informations : http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/immoraliste-andre-gide-3037452.html
L’écriture, dès lors, imite l’être : moins de retenue, plus de sensualité, plus de plaisir, et donc, peut-être, plus d’authenticité. Sa vie ressemble à ses romans ; elle devient presque un roman…
Une œuvre qui laisse à penser sur l’autobiographie. Mais pourtant elle n’est pas qu’un pensum ! J’ai pris beaucoup de plaisir à la lire. Même, j’ai adoré ce bouquin ! Il y a je ne sais quoi d’attachant dans le portrait non exhaustif et presque inexistant finalement, que Gide brosse de lui enfant. Tout est très fragmenté mais constitue une belle œuvre.
Par Lillyetseslivres le Lundi 7 février 2011 à 10:09
Tu donnes à chaque fois envie de se jeter sur Gide ! Je connaissais le titre de nom, mais j'ignorais qu'il s'agissait d'un récit autobiographique.
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