Les noces barbares, Yann Queffélec
Ludo est fou, sa mère aussi. Pas la même folie, mais pourtant… Lui est né d’un viol ; un triple viol. Elle l’enferme dans le grenier, pour ne pas voir ses yeux. Ses yeux verts. Ces yeux de violence, presque de haine. Elle est devenue folle parce qu’on lui a soufflé tour à tour la passion et la haine. Folle au point d’enfermer son fils au grenier sans lui parler, sans l’embrasser. De la folie maternelle.
A 13 ans Nicole rencontre un Américain, s’en éprend, projette de l’épouser, plus tard, quand la guerre sera finie. Belles promesses qui ne suffisent pas au garçon qui, avant de repartir, décide de s’amuser un peu avec cette jeune fille déjà nubile, et si jolie… Quand on a une telle opportunité, pourquoi ne pas y convier des amis ? Mon ton est cynique, terrible, grinçant, comme les quelques pages qui décrivent le viol. Un viol d’une violence presque insoutenable.
Suite à cette scène d’horreur, ellipse. Un grenier, un enfant. Un bâtard plutôt. Un vil crapaud pour ceux qui habitent en bas. Un enfant délaissé, privé d’amour, qui entend la mer mais ne la voit jamais, qui sent sa mère mais ne peut jamais l’embrasser. Ludovic est privé d’amour, et c’est terrible. Il devient fou, il sait à peine parler. Nanette, la cousine de sa mère, vient de temps en temps le voir ; elle lui apprend à lire, à compter ; un peu. Elle essaie de l’humaniser ; un peu. Il vit dans une armoire, se lave à peine, est habillé comme une fille.
Et puis un jour on lui demande de descendre en bas. Il ose à peine regarder les marches de l’escalier ; l’escalier du grenier. Ça lui rappelle quand on l’a monté là-haut. Discours indirect libre, en italique. On entend son angoisse ; son désespoir fou, ces mots qu’il répète, ces phrases, inlassable. En bas il y a un homme, et un petit garçon. un petit garçon normal, qui joue, qui rit, un peu crachou. C’est Micho et son fils Tatav. Ils viennent pour épouser Nicole. Enfin la jeune fille a tapé dans l’œil du mécano. Il est gentil le mécano, il veut bien accueillir Ludo chez lui, même s’il a le singe. Autrement dit, même s’il est dingo.
Commence une vie ailleurs que dans le grenier, ailleurs qu’au-dessus de la boulangerie des grands-parents maternels. Une vie presque normale, avec chambre, école, jeux. Tatav n’est pas le meilleur camarade qui soit, il est un peu méchant, et en plus scatophile. Il aime patauger dans la fausse et recueillir sa faune diverses et bigarrée. Un crachou. Mais attachant finalement.
Ludo pourtant, tout fou qu’il semble être, ne se fait pas à cette vie. Le plus fou n’est pas toujours celui qu’on croit, Micho semble l’avoir compris. Toutefois, poussé par Nicole, qui ne supporte pas de voir son fils auprès d’elle, ce fils aux yeux verts, il l’envoie chez sa cousine, dans une sorte d’asile catholique.
Commence alors une sorte de rêve angoissé pour Ludo, mais aussi pour le lecteur. Le lieu est presque fantastique. Il y a un nain qui fait la loi, une crèche remplie de moutons rangés les uns derrière les autres représentant les âmes des résidents (les « enfants » comme on les appelle, alors qu’ils sont vieux, très vieux, surtout dans leur tête…), un gros noir surnommé Doudou qui couche avec la cuisinière, une jeune fille à bec de lièvre, et d’autres dingo choutés aux calmants à longueur de temps. Une torpeur anxiogène et malsaine couvre le lieu, où sont scandées des prières. Ludo a du mal à se faire à cet environnement. Ses parents ne viennent jamais le voir, sauf Micho, de temps en temps. Il est seul. Il dessine des fresque psychédéliques sur les murs. C’est le seul moyen qu’il ait d’exprimer sa peine et son angoisse. Il n’est pas vraiment fou Ludo ; il est juste fou d’amour. Fou d’amour pour cette mère qui le rejette. Alors un jour, après moult tentatives pour la conquérir, en lui écrivant, lui disant qu’il souhaiterait la voir, il s’enfuit de l’asile, après y avoir mis le feu. Pas fou le gamin. Et il s’enfuit à la mer.
Seul, sans argent, il trouve refuge dans une épave sur la plage, et en fait son « niglou ». Il revient aux sources, aux origines, à ce giron jamais connu. Il n’a jamais été aimé Ludo ; jamais bercé, toujours violenté. Là, la mer et ses remous le bercent. Jusqu’au jour où on se préoccupe de lui, et de sa disparition. Un fou en liberté, ça fait peur…
Puis finalement, c’est dans la mer qu’il revoit sa mère, et célèbre leurs noces barbares…
Le livre s’ouvre et se ferme sur des noces, aussi barbares l’une que l’autre. Sauf que l’une est de passion, l’autre d’amour profond. Un roman poignant, captivant, déroutant parfois. Grâce au discours indirect libre on pénètre dans la conscience de Ludo, on assiste impuissant à son acharnement pour comprendre, pour aimer, pour satisfaire celle qui le hait ; ou peut-être le désire, image recomposée de l’amant déchu.
J'ai choisi de mettre l'affiche du film, plus parlante. Je ne l'ai pas encore vu par contre. On peut ajouter également que l'auteur a obtenu le Goncourt pour ce livre en 1985.