Roses à crédit, Elsa Triolet
Notre histoire commence à l’âge de pierre ; ceci n’est pas un abus de langage de ma part, même si elle se situe au milieu XXème siècle. En effet, la cabane où vivent Martine et sa famille, après la guerre, n’a rien à envier aux habitations des hommes de la préhistoire. Sordide, sale, répugnante ; les enfants et les rats pataugeant dans la même gamelle ; des draps froids, jamais changés ; et j’en passe… Martine en fait des syncopes de toute cette saleté, elle qui rêve de jolies toilettes et d’ongles manucurés. Mais un beau jour, Mam’ Donzert, la coiffeuse du coin, l’emmène avec elle et sa fille Cécile à Paris. Paris, la capitale de la beauté, du confort, de la propreté. Paris, en ces années glorieuses, patrie du plastique et du cosy-corner. Le lieu idéal pour Martine, cette jeune fille au physique de mannequin, à laquelle tout va. Parce que « Tout lui va à Martine ». Devenue manucure dans un salon huppé, elle n’a plus rien à voir avec Martine-perdue-dans-les-bois, comme on l’appelait là-bas. Et puis à Paris, elle a retrouvé Daniel. Ce garçon qu’elle a toujours aimé, sans qu’il le sache, sans qu’il la voie. Elle n’attendait que lui, et il est venu. Ils se sont croisés dans les rues parisiennes ; ce fut le début d’une passion. Comme Martine aimait Daniel ; comme Martine était belle ! Belle comme les roses que le jeune homme affectionne tant. Il a d’ailleurs une ambition : créer scientifiquement un hybride de rose, qui ait la fragrance d’une rose ancienne, et l’aspect d’une rose moderne. Mais Martine n’aime pas les roses. Elle n’aime que le nylon, le plastique, le rotin et les machines à laver. Elle n’a pas d’argent, mais elle achète tout à crédit. C’est bien le crédit, on peut acheter ce qu’on veut même quand on n’a pas d’argent… Mais un beau jour, les excès aussi, ça réserve des surprises… ! Tel un collant en nylon brillant dont une maille se brise, la belle vie impeccable de Martine va commencer à se filer. Les mailles s’effilochent une à une ; l’image sur papier glacé se ternit. Martine devient plus pauvre et plus laide que sa mère, elle qui avait tout, la beauté, le confort, le bonheur – pour un temps. Sa mère, elle, vivait dans une cabane sordide ; mais elle, toute sa vie a été comblée par l’amour des hommes. Alors que pour Martine, même les roses de Daniel étaient comme à crédit...
Une pie noire qui devient, pour un temps, une jolie hirondelle s’envolant vers la tour Eiffel, avant de tomber à ses pieds et de redevenir noire. Une pie attirée par tout ce qui brille. Voilà ce qu’est Martine, sa personne, sa vie.
[…]elle préférait le confort à ses bras. Dans le noir, Daniel se fâchait, vexé et triste… L’absence d’une salle de bains à la ferme décidait de leur vie commune. Elle était tout de même un peu folle, Martine. Se tuer de travail pour acheter un ensemble-cosy. Daniel avait beau être distrait, cet ensemble-là l’avait étonné plus que s’il avait trouvé dans l’appartement de Martine un de ces singes au derrière nu, comment les appelez-vous déjà ?
C’est avec un regard tendre et un peu moqueur que l’auteur nous fait la chronique de la vie de ce jeune couple des années 50, touché par la frénésie de la consommation. Les roses et le plastique, Nature et Culture, science et société de consommation ; tout oppose Daniel et Martine. Elsa Triolet n’est pas tendre avec cette jeune femme qui a connu la misère et qui n’aspirait qu’à une vie plus propre, plus aseptisée. L’exode rural dans tous ses excès ; un être sorti de son milieu et s’ébrouant parmi les démons du marketing. Une femme des cavernes devenant une Bourgeoise. Bourgeoise, avec toutes les acceptions péjoratives que peut revêtir le terme. Pauvre Martine… celle des livres illustrés de l’époque avait probablement plus de chance qu’elle…
Avec ce roman réaliste et pourtant poétique, Elsa Triolet met en scène une Emma Bovary moderne, en quête d’un bonheur qui s’avère illusoire. Pathétique mais touchant, ce roman, en plus de son caractère réaliste, a quelque chose du conte fantastique et merveilleux, et propose des récits enchâssés inspirés de contes pour enfants. Un livre comme un bonbon au papier coloré, une pomme d’amour recouverte de sucre Candy, mais que la société semble pourrir. Le ver était-il pourtant dans le fruit ?
Un roman fort sympathique, qui n’est pas sans rappeler, par certains côté, les livres de la Bibliothèque Rose, mais dont le thème et la morale sont des plus sérieux et engagés. Il s’agit pour Elsa Triolet de dénoncer la société de l’après-guerre. Par ailleurs, ce roman m’a permis de découvrir le style étonnement limpide de l’Elsa d’Aragon, cette femme russe maîtrisant si bien la belle langue de son époux. Un bonbon, vous dis-je…
J'oubliais de dire que Roses à Crédit était le premier volet d'un cycle intitulé L'Age de Nylon. Lesdeux autres romans, qui peuvent être lus séparément, s'intitulent L'Ame et Luna Park. Je voulais également ajouter que je n'ai pas réussi à trouver sur internet l'image de la couverture qui était celle de mon édition. Dommage, car elle avait un petit quelque chose de ces images de filles de couverture de magazines pour adolescentes des années 50-60. Une couverture comme une histoire dissimulant cette vérité bien dure que la couverture de l'édition la plus récente dévoile par la figure de l'icône brisée, ou de la rose piétinée...
De Mignonne allons voir si la rose... à Une charogne, il n'y a qu'un pas!
J'oubliais de dire que Roses à Crédit était le premier volet d'un cycle intitulé L'Age de Nylon. Lesdeux autres romans, qui peuvent être lus séparément, s'intitulent L'Ame et Luna Park. Je voulais également ajouter que je n'ai pas réussi à trouver sur internet l'image de la couverture qui était celle de mon édition. Dommage, car elle avait un petit quelque chose de ces images de filles de couverture de magazines pour adolescentes des années 50-60. Une couverture comme une histoire dissimulant cette vérité bien dure que la couverture de l'édition la plus récente dévoile par la figure de l'icône brisée, ou de la rose piétinée...
De Mignonne allons voir si la rose... à Une charogne, il n'y a qu'un pas!