Les caves du Vatican, André Gide
Un franc-maçon qui fait un songe et voit la Vierge ; son beau-frère écrivain qui a écrit le plus mauvais livre de sa carrière ; son autre beau-frère qui se fait manger par les puces, les punaises, les moustiques ; un nouveau frère qui apparaît et le pape qui disparaît. Assez, me dites-vous, on ne comprend rien à ce qu’il peut bien se passer dans ce livre, il y a trop de choses ! Et bien oui, c’est un peu le principe de cette sotie de Gide ; pas un roman, une sotie. Et une sotie fourre-tout, pot-pourri, ou presque. Des fils lancés, des personnages sitôt approchés, sitôt éloignés. On se croirait à la lisière des Faux-monnayeurs et pourtant, c’est toujours une sotie qu’on a dans les mains. Héritée du théâtre médiéval, la sotie mettait en scène des personnages de fous dans une satire allégorique. Cela signifie-t-il que nos personnages soient des fous ? On n’en est pas loin, c’est certain…
Examinons par exemple Anthime Armant-Dubois. Rien que son nom porte à rire. C’est donc lui le franc-maçon en question. Mais avant d’être franc-maçon, il est une sorte de médecin qui réalise des expériences douteuses et cruelles sur de malheureux rats, avant de se convertir subitement à la religion catholique… Etrange n’est-ce pas ? Il y aussi le clownesque Amédée Fleurissoire, qui a épousé Arnica, une des trois fleurs qui relient les hommes dans les fils de leur bouquet. Margueritte et Véronique, les femmes d’Anthime et de Julius sont en effet ses sœurs ; les trois bonhommes sont donc beaux-frères. Tout un programme ! Bref, Amédée se rend au Vatican pour éclaircir une sombre histoire de disparition du Pape (dont on ne saura pas grand-chose d’ailleurs…). Là-bas il trouvera amante, boutons, bêbettes en tous genres et sensualité à gogo, jusqu’au saut fatal. Des passages hilarants d’ailleurs, savoureux diraient d’autres, mais ce seraient cynique et vicieux que de l’affirmer ! Il rencontrera également Lafcadio, jeune homme mystérieux, le héros de la sotie s’il en est, auquel il arrive des aventures romanesques sans suite. D’ailleurs il cristallise le thème de la gratuité, récurrent dans ce livre. Il réalisé un acte gratuit, aussi gratuit que l’écriture de cette sotie en cinq parties d’ailleurs (théâtre, théâtre !), tombe amoureux alors que tout s’arrête, et nous laisse sur notre fin. C’est un peu la particularité de Gide ça ; laisser sur sa faim. Et pourtant, même si aucun fil ne se renoue ou presque, on prend un grand plaisir à le suivre dans ses virevoltantes échappées, au grès de ses envies. L’auteur s’adresse parfois au lecteur dans des métalepses amusantes le plus souvent, qui confèrent à l’ensemble une touche d’ironie palpable, presque excroissante, comme le bouton qui bourgeonne vilainement sur le menton d’Amédée.
Qu’est-ce qui est important, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est-ce qui est vrai et qu’est ce qui est faux ? Que faut-il croire, de qui faut-il se méfier ? Ce sont toutes ces questions qui sont traitées dans cette œuvre un peu hybride, dans cette satire (pot-pourri) où se croisent des thèmes comme l’anticléricalisme ou le crime gratuit. Une œuvre extra-ordinaire pour qui se prête au jeu, qui selon moi se rapproche davantage des Faux-Monnayeurs, seul « roman » de Gide, je le rappelle. C’est drôle, c’est frais, c’est bigarré ; ça n’est pas bigot, et les seules caves dont il est question sont peut-être celles où Gide est allé puiser sa folle et dyonisiaque inspiration !
Au passage, une très bonne critique http://www.guidelecture.com/critiquet.asp?titre=caves%20du%20Vatican%20(Les)
Au passage, une très bonne critique http://www.guidelecture.com/critiquet.asp?titre=caves%20du%20Vatican%20(Les)