La Chartreuse de Parme, II, Stendhal
Me voilà arrivée au terme de ce grand et épais classique (mais unique !), La Chartreuse de Parme. Je dois dire que j’ai été très agréablement surprise. Par-dessus le mythe d’œuvre épaisse, politique et pratiquement inabordable que je m’étais forgé par bribes saisies au hasard de mes études, s’est établie la véritable histoire de ces personnages dont le nom m’était familier mais que finalement, je ne connaissais pas.
Ma plus belle rencontre fut sans doute celle du Comte Mosca. Pourquoi lui me direz-vous ? Pourquoi ce personnage dont on entend parler comme étant tout au plus un instrument politique dans les mains du Prince, instrument tout court dans les mains de la Comtesse, et dont le monologue jaloux nous est rapporté dans la première partie ? Et bien j’avais beaucoup entendu parler de ce Mosca lors d’une conférence donnée par Gérard Gengembre (professeur merveilleux…), alors que je n’avais pas encore lu l’œuvre. Je m’étais alors figuré un personnage logé dans une tour, et faisant la pluie et le beau temps (confusion fâcheuse avec le général Fabio Conti, responsable de la Tour Farnèse), et cette situation aérienne avait sans doute contribué à filer la méprise d’un Mosca-moustique, celui qui pique et dérange. En définitive, rien de tout cela. Puisque finalement Mosca est indispensable. Au Prince, à la Comtesse, à Fabrice surtout. De plus il ne dérange personne, puisque ce sont les autres qui le dérangent. Lui aurait aimé partir vivre à la campagne avec la Sanseverina, loin de son rival inavoué, Fabrice. Mosca est au fond un homme profondément amoureux, de la femme la plus belle et la plus passionnée de la Cour, Gina ; mais aussi, au fond, amoureux de la politique. Il exerce son devoir avec brio, même si ses idéaux napoléoniens sont anéantis avec la chute de Bonaparte. Et à la fin, n’est-t-il pas le seul qui reste ? Mosca, ou la victoire du moustique ? Victoire en demi-teinte dirasi-je, puisque s’il parvient finalement à épouser Gina (âgé physiquement de trente ans, mais en ayant mentalement quarante, pied de nez à Balzac, pour qui trente ans est l’âge du mariage, auquel fait suite la quête du bonheur. Notons donc que c’est l’inverse chez Stendhal, puisque Gina se marie par dépit et meurt peu de temps après… Ceci est d’autant plus amusant que j’ai lu quelque part que Balzac aurait compris la Chartreuse de Parme complètement à l’envers…). Donc Mosca épouse Gina, en profite à peine puisqu’elle meurt, et se retrouve à régner en maître sur Parme, avec à ses côtés le Prince quasi fantoche, Ernest V. Bref, le grand vainqueur du roman, c’est peut-être lui…
Mais pourquoi n’en est-il pas le héros ? Et bien tout simplement parce qu’il n’est pas totalement sublime (il l’est tout de même un peu puisqu’il est prêt à renoncer à ses titres au nom de son amour pour la comtesse. Par conséquent pour lui, les privilèges de la naissance ne sont rien au regard de ce que l’on se doit à soi-même, l’honnêteté vis-à-vis de soi et des autres). Son âme est de marbre, mais son cœur est un chamallow ; il est un amoureux transi qui ne sait s’y prendre pour conquérir le cœur de celle qu’il aime.
Fabrice lui, est véritablement sublime, étymologiquement et littérairement parlant. D’abord il est celui qui s’élève (sublimis en latin, qui va en s’élevant). Le Fabrice qui se retrouve à la tour Farnèse pour avoir provoqué en duel un histrion n’a pas grand-chose à voir avec celui qui assistait sans trop savoir que faire à la bataille qui marqua la fin des Cent Jours, et avec eux du premier Empire. Quoi que… Puisque finalement, son emprisonnement a un motif un peu ridicule. La vraie raison en est plutôt la jalousie du Prince, fou amoureux (lui aussi !) de la Sanseverina. Et puis aussi l’étourderie et les véléités courtisanesques (ou aussi jalousie…) de Mosca. Dans tous les cas, les raisons de son emprisonnement sont un peu ridicules. Donc romanesques ? Peut-être, si l’on considère comme étant romanesque ce qui arrive comme par la volonté d’un dieu, d’une puissance supérieure (celle de l’auteur ?). Le vieux prêtre de son enfance, astrologue, ne lui avait-il pas promis un long séjour en prison ? Quoi qu’il en soit, Fabrice s’est élevé, il a appris, les femmes, les dangers, la ruse… et enfin l’amour ! C’est là que réside selon moi le grand bonheur de la lecture de ce roman : la cristallisation de l’amour ayant pour cadre une prison, et pour objet la fille du gouverneur de la forteresse, Clélia Conti elle-même ! Quittant un paradoxe (son incapacité à l’amour) Fabrice en endosse un autre : celui de se plaire à vivre en prison. Mélancoliques tous deux, entourés d’oiseaux, Clélia et Fabrice vont échanger des regards, des lettres écrites avec du charbon ou du chocolat (… !), des sonnets, des larmes, et enfin des baisers (plus encore à la fin, mais Stendhal revisite pour cela le mythe de Psychée, puisque Clélia, devenue Marquise pour plaire à son père, accablé de la honte d’avoir laissé échapper Fabrice de la Tour, a promis devant la sainte Vierge de ne pas voir Fabrice… A la fin elle meurt, punie pour son hybris de l’avoir entrevu à la lumière de la lampe qui lui permettait de soigner son fils malade ?...). Fabrice s’élève également vers les choses divines (ou presque, puisque l’objet de la quête qui le mènerait au bonheur n’est autre que Clélia…) en devenant un prédicateur hors-pair. Et à la fin, il monde, il monte encore, puisqu’il trouve, pour un an, refuge où ça ? A nul autre endroit que la Chartreuse de Parme !
Voilà donc l’explication de ce titre en apparence trompeur ! Ah là là quel farceur ce Stendhal ! Il a le don de bluffer. Dans le Rouge et le Noir, n’a-t-il pas dit que ce titre tenait à ce que si Julien était né plus tôt, il aurait endossé l’habit rouge du soldat, mais de par son âge, il n’avait endossé que la noire soutane ? Avec des énigmes pareilles, pas étonnant que ses romans soient réservés aux Happy Few !
L’élévation de Fabrice, en somme, est peut-être un peu burlesque. Je ne saurais me prononcer davantage à ce propos, puisque je ne prétends pas m’y connaître suffisamment pour proposer des arguments pertinents. Je laisse donc la parole à un très éclairant article sur le sublime dans La Chartreuse de Parme. Après lecture rapide de celui-ci, je peux dire que ce qui fait de Fabrice un personnage sublime vient du fait qu’il cherche sans cesse à s’élever non pas pour obtenir les honneurs (à la fin il montre à quel point il déteste tenir salon ou jouer au whist) mais pour coïncider avec lui-même, dans la simplicité. De même Clélia a une âme noble et sublime, incarnation même du naturel et de la simplicité, définition même du sublime stendhalien.
A noter enfin que le personnage qui atteint le paroxysme du sublime est peut-être Ferrante Palla, cet homme qui s’est trouvé (donc qui a achevé cette quête de soi, condition de la montée asymptotique vers le sublime (je synthétise ma lecture de l’article…)) dans l’art et la nature, qui a développé une passion (amour pour la Sanseverina), et a un objectif politique, renverser le tyran (il a en cela quelque chose du Lorenzzo de Musset).
A noter enfin que le personnage qui atteint le paroxysme du sublime est peut-être Ferrante Palla, cet homme qui s’est trouvé (donc qui a achevé cette quête de soi, condition de la montée asymptotique vers le sublime (je synthétise ma lecture de l’article…)) dans l’art et la nature, qui a développé une passion (amour pour la Sanseverina), et a un objectif politique, renverser le tyran (il a en cela quelque chose du Lorenzzo de Musset).
Une multitude de personnages, un foisonnement de références (historico-politiques que je n’ai pas cernées, romantiques (le Lac, le sublime des paysages, les réflexions face aux paysages), picarestes et italiennes (of course !), l’amour, la haine, le désir, la jalousie, la religion honnie, les symboles,…)
Un roman complet, extraordinaire, dont une bonne partie de la profondeur a du m’échapper du fait de ma mauvaise maîtrise de l’Histoire et des références historiques. Une très belle et longue lecture, une impression de retrouvailles transfigurées, peut-être même plutôt la découverte d’un joyau que je ne voulais, alors qu’il se trouvait sous mon nez… Je n’ai pas sauté de pages, j’ai saisi l’essentiel (les intrigues de cour me laissent un souvenir plus que confus, mais qu’importe) et vraiment, cette lecture est abordable, et même palpitante. Je la conseille à tous, peut-être même plus aux jeunes garçons, tourmentés par l’amour… Un roman pour les jeunes d’aujourd’hui, un roman qui donne sens.