Le Monde dans les Livres

Samedi 7 mai 2011 à 12:35

L’Inceste, Christine Angot
« La réalité et la fiction ; au milieu, un mur »
Ce qu’elle dit n’est ni vrai, ni faux ; elle ne raconte pas tout, pas plus qu’elle ne ment. Elle ne ment pas, elle dit, elle vit, elle écrit. Son écriture est un souffle, un ouragan qui dévaste, et dont les mots sont comme les objets inanimés qui restent, vautrés, ricanant, en vrac, en bordel. Un peu sales aussi. Pourtant c’est beau ; un champ de bataille d’où se dégage une puissance un peu envoutante. Au début on est surpris, on ne comprend pas trop dans quoi on nous embarque. Et puis, comme aux cahots d’un train, on s’habitue. On va même jusqu’à se laisser bercer. On prend plaisir à voir ces mots en vrac, ces mots sales qui reviennent, et qui à force de revenir, polis par la récurrence, deviennent beaux. Comme une tempête, l’écriture d’Angot dérange, effraie, détruit ; mais les éclairs, le vent, la nuit, cela reste un spectacle beau et grandiose. Terreur et pitié, sublime et effrayant ; tragique et dramatique, à l’image de la vie.
Ton écriture est tellement incroyable, intelligente, confuse, mais toujours lumineuse, accessible, directe, physique. On n’y comprend rien et on comprend tout. Elle est intime, personnelle, impudique, autobiographique, et universelle. Tu émeus sans les trucs, sans être émotive, tu fais réfléchir avec trois bouts de ficelle, un miracle de désorganisation logique. La liberté sans le chaos, l’ouverture sans la dérive.
Une écriture palpable, qui touche, qui émeut parce que c’est vrai, parce que ça ne semble pas construit, c’est une tempête sous un crâne, ça cogne, ça virevolte, ça revient comme un boumerang. Celui qui lui a dit cela, à Christine Angot, c’est Claude, son ancien mari, son miroir, celui qui lui permet de revenir à la réalité quand elle est en pleine crise d’hystérie.
Elle est folle Angot, elle le dit. La seule chose qui l’empêche de sombrer c’est l’écriture. Alors forcément l’écriture s’en ressent de cette folie, d’autant qu’elle se raconte. Bon, il serait peut-être temps que je vous parle moi aussi, que je vous raconte l’argument de ce livre.
C’est l’histoire d’une tranche de vie ; de trois mois d’expérience violente ; de trois mois de passion. Pendant trois mois, Christine Angot a aimé une femme. Marie-Christine. Elle vit cette passion follement, elle souffre, forcément, elle est presque violente, elle bousille la vie de cette femme qui l’aime, qui lui bousille la vie aussi, elles s’aiment mais elles se détruisent. La narratrice (puisqu’il faut bien le dire, on est dans une sorte d’autofiction, elle raconte les choses comme elles viennent à son esprit, comme elles passent à travers le filtre de sa mémoire et de sa folie, alors forcément c’est déformé, c’est vilain, déjà que le propos est vilain alors comment voulez-vous ; mais c’est beau, on s’habitue et on aime), bref la narratrice ne sait pas trop ce qui lui arrive, pourquoi elle appelle sans cesse, pourquoi elle souffre autant, pourquoi elle change d’avis sans cesse.
Au milieu de ce chaos organisé de l’hystérie et de l’homosexualité, il y a Léonore, sa fille, son or. Elle l’aime, la chérit, la désire presque. Cette petite fille, peut-être celle qu’elle était.
Pire que la violence, la souffrance, la folie, la paranoïa, il y a l’inceste, cette inceste-viol vécu avec son père, ce père qu’elle ne rencontre qu’à quatorze ans, mais qui la désire. Elle le désire peut-être aussi, on ne sait pas trop, alors on hésite : viol, ou inceste ? Certes il y a le titre, certes il y a la relation difficile avec Marie-Christine, cette sorte de volonté de nouer une relation phallique imaginaire avec sa mère, dont elle parle peu. Mais on ne sait pas, on hésite…
C’est complexe, c’est la psychée malade, c’est l’écriture qui bout, ce sont les mots qui blessent ; un sublime carnage.
Je vais essayer de vous choisir un passage. Ils sont tous beaux, tous équivalents, sauf au milieu du livre, quand elle semble reprendre pied, qu’on comprend quelque chose, que c’est moins fouillis, moins impétueux. J’aime cette impétuosité toutefois, chercher un sens où il n’y a que désordre. Au milieu il y a aussi des extraits d’un Dictionnaire de la Psychanalyse. Peut-être le mur en question, entre la réalité et la fiction : le réel psychanalytique. L’inconscient est peut-être cet entre-deux, qui existe mais qui fantasme, qui se base sur du réel mais qui crée des images.
J’ai été homosexuelle pendant trois mois. Plus exactement, trois mois, j’ai cru que j’y étais condamnée. J’étais réellement atteinte, je ne me faisais pas d’illusions. Le teste s’avérait positif. J’étais devenue attachée. Pas les premières fois. A force de regards. J’amorçais un processus, de faillite. Dans lequel je ne me reconnaissais pas. Ce n’était plus mon histoire. Ce n’était pas moi. Dès que je le voyais, le test donnait pourtant pareil. J’ai été homosexuelle, dès que je le voyais.
Une sorte de work-in-progress, une avancée de la pensée, hachée, découpée, syntaxe déconstruite. La folie pointe, derrière les points, les virgules, les blancs. Elle perd pied, elle n’est plus elle. Comme une validation de l’autofiction. Pas autobiographique, pas fictionnel ; la frontière. La frontière de l’inconscient ? Peut-être. Son écriture ressemble parfois à l’automatisme surréaliste. Peut-être est-ce ainsi qu’on touche au plus près la vérité.
  
Par trofimov le Samedi 7 mai 2011 à 20:31
Je n'ai jamais pu me laisser séduire par l'écriture de Angot. Je n'y trouve ni le rythme que Bouraoui ou Chloé Delaume donnent à leur écriture dans certains de leurs livres ( qui sont classés eux aussi dans l'autofiction ) ni l'âpreté qu'il y a dans toute l'oeuvre de Annie Ernaux.
Par sophie57 le Dimanche 8 mai 2011 à 18:28
je trouve ton billet très beau et bien écrit, mais j'ai lu 2 livres d'Angot, dont celui-ci, et je n'ai pas aimé du tout, ni le style, ni le fond...je crois qu'elle et moi on aura du mal à se rencontrer!
Par lemonde-dans-leslivres le Dimanche 8 mai 2011 à 20:51
Deux détracteurs d'Angot...ouhlà, je me pose des questions sur mes goûts littéraires! Je pense que j'aime son côté novateur qui n'a pas froid aux yeux en fait; parce que niveau contenu, fondamentalement, ça reste assez glauque. Une vie humaine...
@Trofimov : Je ne connais pas du tout les auteurs dont tu parles, et ça m'intrigue! Pourrais-tu me donner des titres ?
 

Et vous, qu'en pensez-vous?









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/trackback/3106835

 

<< ...Livres précédents | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Encore d'autres livres... >>

Créer un podcast