Et Nietzsche a pleuré, Irvin Yalom
Je viens enfin de terminer ce roman récemment sorti en poche, coup de tête et d’envie d’un après-midi de fringale littéraire. Cette première phrase ne présage rien de bon me direz-vous… et bien effectivement, j’ai été déçue par ce roman, et surtout déçue de l’avoir acheté… Je préfère posséder les livres qui m’ont passionnée, et celui-ci n’en fait pas partie. Pourtant, il y a de bonnes choses dans ce roman, des choses qui m’intéressent. La trame générale de l’histoire, cette rencontre d’un Nietzsche malade de désespoir et de solitude avec le docteur Breuer, éminent médecin viennois, le premier à avoir expérimenté « la cure par la parole », qui deviendra la psychanalyse une fois que son ami Freud l’aura théorisée, n’est nullement dénuée d’intérêt. On y retrouve les grands thèmes de la philosophie de Nietzsche – la volonté de puissance, l’amor fati (amour de l’instant présent et du destin), le rejet de toute transcendance,…-, des passages du Gai Savoir, d’Humain, trop Humain, et des références à Ainsi parlait Zarathoustra. Par ailleurs, moult épisodes d’analyse psychanalytique entre les deux hommes sont rapportés – les rôles seront un moment inversés, Breuer devenant le patient de Nietzsche, dans un combat sans fin pour le pouvoir, la suprématie, qui s’achève dans le consensus de l’amitié, la vie vécue intensément, cette volonté qui veut l’intensité, l’intensité d’une vie qui ne soit plus déchirée par des forces qui se mutilent entre elles (autrement dit, parvenir à lier raison et passions ; selon moi, c’est un peu ce que permet une cure psychanalytique…) (finalement, il est drôlement pensé ce bouquin !).
Lou Salomé, femme que Nietzsche a réellement aimée, vient trouver Breuer à Vienne pour lui demander de venir aider le philosophe (ce qui eût été impossible en réalité, car Lou Salomé était une femme bien trop fière pour cela !). Breuer était connu au sein de la communauté médicale de l’époque (1882), dont faisait partie le tombeur de ces dames, Arthur Schnitzler (oui oui, le même qui a écrit le très beau roman Mademoiselle Else !). Breuer est le premier à avoir traité une femme victime d’hystérie (la fameuse Anna O. du premier ouvrage de Freud, Etudes sur l’hystérie). Beaucoup de références à des faits réels, mais voilà où le bas blesse : tout est bien trop romancé à mon goût… L’auteur s’appesantit trop sur la vie du docteur, qui permet certes de faire des parallèles avec le malaise de Nietzsche, mais quand même, trop c’est trop… Et puis des femmes dont on pense qu’elles seront importantes, mais qu’on ne saisit jamais pleinement, qui n’existent qu’en tant que fantasmes (d’accord, c’est un roman de psychanalyse, mais bon…) De plus, le titre est un peu décevant… On doit attendre la fin pour voir apparaître des larmes dans les yeux de ce philosophe hurlant, dont les ouvrages sont comme un grand cri qui est venu réveiller la philosophie européenne. C’est même le docteur qui pleure avant lui… Néanmoins, cet ouvrage a l’intérêt de donner une image peut connue et plutôt inattendue de Nietzsche, qui apparaît comme un homme d’une grande douceur, poli, respectueux ; rien à voir avec la virulence de son œuvre.
Bref, un roman sur la philosophie et la psychanalyse qui est, à mon goût… trop romancé ! C’est le comble pour un roman… Mais je trouve que la narration manque de fluidité, que l’auteur s’appesantit trop sur certains détails, que le personnage de Breuer manque de profondeur même si l’on connaît ses pensées les plus intimes… Je ne me suis attachée à aucun personnage. Pourtant je pensais que j’aurais affaire à un livre qui me rappellerait le plaisir que j’avais eu à la lecture de La Part de l’Autre de Schmitt, roman dans lequel Hitler rencontre Freud. Mais finalement, rien à voir. C’est épais, les ficelles sont énormes, et pourtant, les idées philosophiques présentées sont des plus subtiles… Toutefois, il ne me fallait pas trop en attendre de la part d’un auteur qui écrit avant tout des livres de psychothérapie (Mensonge sur le divan, par exemple). Je suis dure ? Oui, c’est vrai… Parce que finalement, les idées philosophiques sont là ; mais je m’attendais à mieux...
En définitive, je conseille ce livre à ceux qui aiment Freud, Nietzsche, et s’intéressent à la genèse de la psychanalyse. Un roman facile d’accès, facile à lire, un peu long à mon goût, mais pouvant plaire à certains !
Un gros point positif, pour terminer sur une note moins dure… : Ce roman a néanmoins le grand mérite de m’avoir permis de me remettre en mémoire la philosophie de Nietzsche, que j’avais découverte grâce à Apprendre à Vivre de Luc Ferry (que j’ai adoré !) puis à des cours de philo.
Une dernière petite chose : ce livre a été élu Prix des Lecteurs, sélection 2010. Cette manière d’aborder la psychanalyse est, il est vrai, assez plaisante et divertissante. Ça n’est juste pas ce que je cherchais en ce moment ; que cet avis ne vous empêche pas, un jour, de lire ce roman !