Le Monde dans les Livres

Dimanche 5 décembre 2010 à 10:35

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Anneouquand.jpgAnne, ou quand prime le spirituel, Simone de Beauvoir
Le premier roman de Simone de Beauvoir. Non pas le premier a avoir été publié, parce qu’il a été refusé à l’origine par les éditeurs. Mais le premier à avoir été écrit. Je ne sais même pas si on peut parler de roman, puisque la forme de ce livre est assez originale. En cinq « nouvelles », l’auteur nous brosse le portrait de cinq femmes aux destins croisés, mais dont le point de départ est le même : la naissance dans une famille bourgeoise ou petite-bourgeoise, dans laquelle « prime le spirituel ». Autrement dit, une famille catholique bien pensante. Il y a Marcelle, la désenchantée, Chantal, qui cherche à s’installer, à profiter du bonheur que peut lui donner la vie – un peu niaisement des fois, j’ai trouvé…-, Anne, qui est victime de cette primauté du spirituel, ou encore Lisa, amoureuse, et enfin Marguerite, elle aussi déçue par la dévotion, même si elle fut de nature profane.
Autant de profils de femmes dont on peut, comme souvent chez Simone de Beauvoir, essayer de trouver les correspondances réelles. Ainsi Chantal c’est un peu Simone des débuts, jeune enseignante passionnée, adulée de certaines, et cherchant à l’être. Mais enfin, ce genre de lecture reste un peu abusif. Pas la peine de faire du Sainte-Beuve (la vie de l’auteur éclaire l’œuvre et blablabla). Cependant une chose est sûre : Anne, c’est Zaza, alias Elisabeth et vice-versa, l’amie d’enfance de l’auteur, morte d’on ne sait quoi, même si c’est probablement d’un excès de spiritualité. Je n’en dirai pas plus.
Du moins pas sur ce point ! Parce que sinon, j’ai un certain nombre de choses à évoquer à propos de ce livre, dont des déceptions. Je me suis ennuyée au début. J’ai trouvé les héroïnes des deux premières « nouvelles » trop bien pensantes, rangées, à la limite de la niaiserie et du ridicule. Donner sa vie pour les autres en prétendant ne rien attendre en retour (alors qu’en vérité ça n’est qu’hypocrisie…), trouver que le ciel est toujours bleu, que tout le monde est beau et gentil… Ahlàlà… Et puis vlan. Leur vie finit plus mal qu’elle n’a commencé. Elles se rendent compte qu’il y a quelque chose de pourri là-dessous… There is something rotten… ! Et c’est là qu’on se rend compte que la prose de Simone de Beauvoir, qui retranscrit les pensées de ses personnages selon divers modes, du monologue intérieur au journal intime, et concluant sur la première personne du singulier pour Marguerite (elle, je l’aime bien !), bref, que cette prose est en fait profondément ironique. Le discours indirect libre, délicat à discerner parfois, en témoigne. Toutefois, même sachant cela, je n’ai pu m’empêcher de m’ennuyer en débutant ma lecture. Quoi qu’ennuyer n’est peut-être pas le mot juste… Au contraire, je crois que j’ai été très stimulée, puisque je n’avais qu’une envie, leur donner un coup de pied aux fesses à ces jeunes filles bien pensantes, bien mises et bien dévouées. Et puis il y a eu la nouvelle centrale, Anne (d’où est extrait le titre de cette deuxième édition), et son énigme finale. Pourquoi, alors qu’elle aime Pascal, Anne meurt-elle ? Probablement parce que, quand prime le spirituel, c'est la folie et la mort qu'on rencontre...
Et à la fin, la bonne surprise : Marguerite. Une « nouvelle » à la première personne, sans trop de bons sentiments. Une jeune fille qui exploite sa liberté, alors que les autres font sans cesse preuve de mauvaise foi (je pense par exemple à Chantal qui se dit ouverte et à l’écoute, et qui s’avère incapable de venir en aide à une de ses « petites protégées » alors que cette dernière se trouve dans le plus grand embarras, gggrrr ! Tout ça pour finir bien rangée, mariée à un homme de bonne situation…). Marguerite avait pourtant tout pour être l’archétype de la jeune fille rangée étant jeune : dévote, bonne élève, cultivée, dévouée. Et puis tout à coup, tout se dégrade. Pourtant, elle ne perd pas totalement ses préjugés. Enfin, si elle déplace le centre de sa dévotion, si son nouveau matériau spirituel devient son paumé de poète d’ex beau-frère (ça semble compliqué, mais c’est là que c’est intéressant !) c’est pour se rendre compte que là aussi, tous pourris !
Toutes ces histoires finissent plutôt mal, ou de manière plate, affligeante. C’est la vie de toutes ces femmes excessivement « spirituelles » qui est affligeante en définitive. Elles se bercent d’illusions, engourdies qu’elles sont dans les préjugés de leur classe, n’usant qu’avec peine de leur liberté, au prix d’une rupture avec leur famille.
Tout au long de ma lecture j’ai eu envie de leur crier d’arrêter de se voiler la face, de reconnaître la boue dans laquelle elles vivent, de leur montrer qu’elles ne marchent pas sur le joli sentier de cailloux blancs qu’elles imaginent, mais en plein dans la flaque.
Je ne sais pas trop où en était Simone de Beauvoir dans sa réflexion à ce moment là. En tout cas, je pense (et surtout j’espère !) que ce livre est bien bourré d’ironie. J’apprécie trop cet auteur pour croire que mon ennui serait issu d’une certaine médiocrité. Non, en y réfléchissant, et en re-parcourant la préface de Danièle Sallenave, je suis convaincue : c’est une satire de ces criminels bourgeois bien pensant, ces « belles-âmes », menteuses, ridiculement dévotes et se vautrant dans la mauvaise foi. Bref, un récit qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête, sauter des lignes et tressaillir, de dégoût ou d’admiration. Parce que tout de même, j’aime la manière dont Simone de Beauvoir met en scène ses idées, et défend ce qui lui fait, à elle aussi, dresser les cheveux sur la tête.

Samedi 15 janvier 2011 à 22:50

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/ladouleur.jpgLa douleur, Marguerite Duras
Des feuillets dans un cahier ; un journal ; des mots, quelques dates. Elle ne sait trop d’où cela vient, quand est-ce qu’elle a pu l'écrire. Des mots au milieu de la douleur, qui sont passés inaperçus. Des mots qui sans doute, ont permis de continuer à avancer malgré le poids accablant de la douleur.
La douleur
… cette manière qu’a le titre de distinguer cet état de souffrance physique et morale est étonnante, déroutante, écrasante et presque éprouvante (j’allais dire douloureuse…). Le titre nous fait peine, peut-être même peur. On sait que ça va être dur ; qu’un auteur, qu’on suppose être Marguerite Duras, va nous parler de sa douleur. C’eut put être un essai ; ce n’en est pas un. Elle nous dit que c’est un journal ; je ne la crois pas. Pour moi, c’est une autofiction. Elle romance ce qu’elle a vécu, encore une fois. Rien que le titre, généralisant, sent le mentir-vrai, la fausse monnaie, la fiction. Pourtant il y a Robert L. Robert Antelme. Il est allé dans les camps ; il en est revenu. Il a souffert. La douleur physique et morale, là-bas ; mais aussi la douleur physique du rétablissement. Il y a Duras aussi qui a fait de la résistance. Dans ce livre elle se compromet, d’accord ; elle a résisté, c’est vrai. Elle est intervenue dans la vie publique et elle le dit ; elle écrit ce qui d’ordinaire reste de l’ordre de l’intime, du caché. Elle expose sa douleur avec impudeur.
Mais bon sang, de quelle douleur parle-t-elle alors, si ça n’est pas de celle de son mari fait prisonnier ? Elle parle de la douleur de l’attente, l’attente fébrile, l’attente auprès du téléphone, dans les bureaux, auprès des rescapés. L’attente d’une lettre, d’une voix, d’un nom prononcé. Il doit revenir mais elle ne le voit pas, n’en entend pas parler, ne comprend pas. Elle porte cette attente d’un être qu’elle voit mort, parfois, par flashs, cette attente qui l’accable, la vampirise, la laisse au bord de la folie. On se demande quand est-ce qu’elle a pu écrire ce journal. Elle aussi se le demande, dans la préface (ou bien la déclaration d’intention, qui se veut pacte de sincérité, mais l'incertitude, l’oubli hyperbolique sèment le doute, avec force…)
J’ai retrouvé ce journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.
Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit.
Je sais que je l’ai fait, que c’est moi qui l’ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l’endroit, la gare d’Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. […] Ce qui est évident, c’est que ce texte-là, il ne me semble pas pensable de l’avoir écrit pendant l’attente de Robert L.
Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m’épouvante quand je la relis. […] La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot « écrit » ne conviendrait pas. […] Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte.
 
Duras, dans ces pages, nous raconte les jours de la libération, quand les corps épuisés, vides et flottants sont ramenés dans la capitale. Cette douleur qu’elle lit sur les visages, elle la ressent aussi au fond d’elle-même. La douleur de l'attente mais aussi de la honte; la honte d'attendre un opposant politique. Peut-être qu’en décrivant sa douleur elle parle de celle des autres. En rendant compte de son histoire personnelle, sans toutefois s’appesantir –d’ailleurs, de cette douleur, elle en parle peu, très peu ; elle se laisse deviner, insidieuse, entre les mots, dans les blancs pourquoi pas, quand elle empêche d’écrire… bref en racontant l’attente, en rapportant les évènements, les menus faits, de cette écriture lapidaire qui dissèque, précise, laissant mots et phrases à vif, derrière lesquels tremblent la douleur, elle nous dit quelque chose de l’être humain. Derrière cette vérité prétendue, par la préface, par la précision des lieux et des dates, Duras veut peut-être nous faire croire à la Vérité. Cependant on sait qu’avec elle, et surtout en littérature, la vérité est impossible, surtout quand on parle de soi. Elle retrouve ici des traces laissées en elle par le passé, que le temps, sa mémoire, l’imaginaire et les mots ont transformé. Et de ces multiples éléments, véridiques ou mensongers, peu importe, émerge alors une vérité qui dépasse la description d’une histoire individuelle pour atteindre à l’universel.
Pour elle, l’histoire de nos vies, l’histoire de sa vie, n’existe pas. Le roman de sa vie, de nos vies, existe, oui, mais pas l’histoire. C’est dans la reprise des temps par l’imaginaire que le souffle est rendu à la vie.
On peut la croire quand elle dit qu’elle a retrouvé ces lignes, qu’elle n’y a pas touché, que la littérature n’y a rien ajouté; mais on peut aussi, je pense, ne pas la croire. Moi je ne la crois pas. D’autant qu’écrire, rien qu’écrire, ce comme elle le dit, a postériori et pas sur le vif, c’est transformer. Par l’imaginaire, le souvenir, le mensonge et le style. Des mots justes qui, je pense, s’approchent de la vérité sans jamais l’atteindre.
Et puis finalement, quelle importance ? Que l’histoire coïncide avec les données objectives, que l’on puisse accoler le passé historique et son fac-simile, quelle importance ? Qu’est ce qui importe vraiment, sinon les sensations, les émotions, les sentiments qui saturent le livre, qui le saturent autant que les corps qui reviennent sont vides de vie ? On s’en fiche que ce soit vrai ou pas ; ce qui compte, c’est le livre, ses mots et les images, souvent terribles, qu’il nous laisse. Terrible mais aussi follement émouvantes, flirtant avec l’espoir et l’abandon.
Un très beau témoignage, roman, épanchement, ce que vous voulez… Surtout la première partie ; celle qui raconte l’attente. La seconde lui est antérieure, chronologiquement. Encore un détour qui met la puce à l’oreille… Ou pas… De toute façon…
 J'ai oublié de dire que ce texte contient la description quasie organique du retour à la vie d'un déporté. Un témoignage(on pourrait encore discuter ce terme!) étonnant, rare et poignant.

Dimanche 16 janvier 2011 à 0:39

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/confessionDUnMasque.jpgMishima, Confession d’un masque
Dès son plus jeune âge, celui dont Yukio Mashima n’est pas le vrai nom se passionne pour des images d’hommes plus ou moins viriles, plus ou moins charismatiques, qui l’obsèdent. Un vidangeur (comme il dit, un collecteur d’excréments), un homme à cheval, un martyre, tout ce qui porte muscles, poils et sang, tout cela lui échauffe les sens, et titille en lui les émotions tragiques, la pitié magnifiée jusqu’à l’épuisement et le jaillissement sexuel. Tout ce qui est virile et tragique est marquant. Ainsi la représentation de Saint Sébastien, saint patron des homosexuels, le fascine et suscite en lui ses premiers désirs charnels.
Ceci, l’auteur nous le raconte, tout en pudeur. Il plonge en lui pour tenter de retracer son parcours, ce qui l’a fait advenir à ce qu’il est maintenant (ou ce qu’il croit être…). En effet, la métaphore du masque et du théâtre, qui lui est associée, sont fortement présentes dans cette autobiographie.
Chacun dit que la vie est une scène de théâtre, mais la plupart des gens ne semblent pas obsédés par cette idée, du moins pas autant que je le fus.
L’enfant malingre qu’il était, le petit être chétif toujours enrhumé sans que cela ne l’empêche de tomber amoureux d’un de ses camarades de classe, est obsédé par une chose : cette déviance, cette honte (il le dit) qu’il sent naître en lui, et qui le rend différent. Alors il se créé un masque : celui du jeune homme blasé par la gent féminine.
En réalité, les autres garçons n’éprouvaient pas, comme moi, le besoin de se comprendre eux-mêmes, ils pouvaient être naturels, alors qu’il me fallait jouer un rôle, ce qui exigeait un discernement et une attention considérable.
Il se sent différent mais sans cesse le dissimule, au point de tomber amoureux de la sœur d’un de ses camarades, Sonoko. Il tombe amoureux d’elle au point de ne plus savoir faire la différence entre l’artificiel et la naturel, la vérité et le mensonge, la passion feinte et la vraie. Il ne ressent aucun désir charnel envers les femmes, encore moins envers Sonoko, qui tombe amoureuse de lui. Entre volonté et désir son cœur balance, il ne sait que répondre quand on lui demande s’il est amoureux d’elle, et s’il serait d’accord pour l’épouser. Toujours cette tentation de la dissimulation qui l’assaille, l’obsède.
Finalement, il est comme tiraillé entre l’esprit et la chair. Il n’aime pas les beaux éphèbes intellectuels ; il aime les femmes parce qu’elles représentent pour lui la spiritualité. Il est déchiré, et son masque avec lui.
Confession parce qu’il nous livre ses désirs les plus noirs, ses fantasmes les plus inavouables, mais aussi peint au jour son masque, aussi grotesque soit-il. L’écriture qui parle du masque, de la feinte et de la dissimulation. On pourrait alors penser qu’on touche ici au plus haut degré de sincérité. Pourtant, si la première partie de l’ouvrage, pure confession et analyse de soi, semble des plus sincères puisque des plus confessante justement, la suite, lorsqu’il raconte ce qu’on peut appeler ses amours avec Sonoko, m’a semblé pur roman. On balance donc sans cesse, entre vérité et fiction, dissimulation et révélation, désirs et spiritualité, avouable et inavouable. N'est-ce pas un peu tout cela, un homme?
 Nulle part il ne dit que ce qu’il écrit est la vérité. Mais enfin, un écrivain qui écrit sur le masque qu’il se constituait, un masque un peu grotesque de don juan de bas étages, qui finalement dévoile tout en dissimulant, un masque qui se déchire sans jamais s’ajuster, en proie aux rencontres et aux désirs, bref, un écrivain qui écrit sur lui comme personnage de fiction sciemment révélé, n’est-ce pas la littérature au miroir ? Mishima était pour lui-même un personnage. Alors que fait l’écriture quand elle fait de ce personnage un vraie personnage de roman ? Cette surenchère de fiction ne finit-elle pas par, elle aussi, faire craquer le masque ?
On pourrait discuter longtemps… Enfin quoi qu’il en soit, il me semble que l’auteur met ici le doigt sur un point essentiel de la mascarade de la vie : chacun joue un rôle, qu’il maîtrise plus ou moins, et dont il a plus ou moins conscience.

PS : la photo de la couverture n'est pas très nette, mais c'est celle de mon édition et, en plus de m'avoir accompagnée tout au long de ma lecture, elle m'a semblée très pertinente dans la mesure où elle illustre bien le fait que le masque dissimule, ainsi que le fait qu'il se déchire, comme un rideau, un voile...

Lundi 28 mars 2011 à 0:07

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lescavesduVatican.jpgLes caves du Vatican, André Gide
Un franc-maçon qui fait un songe et voit la Vierge ; son beau-frère écrivain qui a écrit le plus mauvais livre de sa carrière ; son autre beau-frère qui se fait manger par les puces, les punaises, les moustiques ; un nouveau frère qui apparaît et le pape qui disparaît. Assez, me dites-vous, on ne comprend rien à ce qu’il peut bien se passer dans ce livre, il y a trop de choses ! Et bien oui, c’est un peu le principe de cette sotie de Gide ; pas un roman, une sotie. Et une sotie fourre-tout, pot-pourri, ou presque. Des fils lancés, des personnages sitôt approchés, sitôt éloignés. On se croirait à la lisière des Faux-monnayeurs et pourtant, c’est toujours une sotie qu’on a dans les mains. Héritée du théâtre médiéval, la sotie mettait en scène des personnages de fous dans une satire allégorique. Cela signifie-t-il que nos personnages soient des fous ? On n’en est pas loin, c’est certain…
Examinons par exemple Anthime Armant-Dubois. Rien que son nom porte à rire. C’est donc lui le franc-maçon en question. Mais avant d’être franc-maçon, il est une sorte de médecin qui réalise des expériences douteuses et cruelles sur de malheureux rats, avant de se convertir subitement à la religion catholique… Etrange n’est-ce pas ? Il y aussi le clownesque Amédée Fleurissoire, qui a épousé Arnica, une des trois fleurs qui relient les hommes dans les fils de leur bouquet. Margueritte et Véronique, les femmes d’Anthime et de Julius sont en effet ses sœurs ; les trois bonhommes sont donc beaux-frères. Tout un programme ! Bref, Amédée se rend au Vatican pour éclaircir une sombre histoire de disparition du Pape (dont on ne saura pas grand-chose d’ailleurs…). Là-bas il trouvera amante, boutons, bêbettes en tous genres et sensualité à gogo, jusqu’au saut fatal. Des passages hilarants d’ailleurs, savoureux diraient d’autres, mais ce seraient cynique et vicieux que de l’affirmer ! Il rencontrera également Lafcadio, jeune homme mystérieux, le héros de la sotie s’il en est, auquel il arrive des aventures romanesques sans suite. D’ailleurs il cristallise le thème de la gratuité, récurrent dans ce livre. Il réalisé un acte gratuit, aussi gratuit que l’écriture de cette sotie en cinq parties d’ailleurs (théâtre, théâtre !), tombe amoureux alors que tout s’arrête, et nous laisse sur notre fin. C’est un peu la particularité de Gide ça ; laisser sur sa faim. Et pourtant, même si aucun fil ne se renoue ou presque, on prend un grand plaisir à le suivre dans ses virevoltantes échappées, au grès de ses envies. L’auteur s’adresse parfois au lecteur dans des métalepses amusantes le plus souvent, qui confèrent à l’ensemble une touche d’ironie palpable, presque excroissante, comme le bouton qui bourgeonne vilainement sur le menton d’Amédée.
Qu’est-ce qui est important, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est-ce qui est vrai et qu’est ce qui est faux ? Que faut-il croire, de qui faut-il se méfier ? Ce sont toutes ces questions qui sont traitées dans cette œuvre un peu hybride, dans cette satire (pot-pourri) où se croisent des thèmes comme l’anticléricalisme ou le crime gratuit. Une œuvre extra-ordinaire pour qui se prête au jeu, qui selon moi se rapproche davantage des Faux-Monnayeurs, seul « roman » de Gide, je le rappelle. C’est drôle, c’est frais, c’est bigarré ; ça n’est pas bigot, et les seules caves dont il est question sont peut-être celles où Gide est allé puiser sa folle et dyonisiaque inspiration !

Au passage, une très bonne critique http://www.guidelecture.com/critiquet.asp?titre=caves%20du%20Vatican%20(Les)

Mercredi 13 avril 2011 à 18:09

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lavoluptedetre.jpgLa volupté d’être, Maurice Druon
Quelle drôle d’histoire que cette histoire de vieille dame qui revit son histoire chaque jour ! Nous sommes après la seconde guerre mondiale…
La contessa Lucrezia Sanziani habite un modeste hôtel romain, au second étage, entourée d’une starlet sans talent, d’un scénariste sans renom, et d’autres poudres aux yeux. Pourquoi un tel habitat pour une personne de son rang et d’un tel standing ? Je vous le donne en mille, la contessa est pauvre. Elle n’a plus le sous, elle peine à payer sa pension et surtout, elle habite les boîtes maintenant vides de ses souvenirs. Habillée de ses fripes d’antan, chaussée des talons escargot de la dernière décade, elle arpente sa chambre à la recherche d’un souvenir, de cet embrayeur qui la fera plonger dans les délices de la mémoire. Ce petit manège dure depuis un certain temps déjà quand une jeune fille, Carmela, devient sa nouvelle femme d’étage. Un étrange jeu de rôles se met alors en place : Lucrezia, qui confond tous ceux qu’elle croise avec ses amis d’autrefois, prend Carmela tantôt pour Jeanne, tantôt pour Carlotta, et même pour l’archevêque qui lui avait promis un caveau dans sa cathédrale. Carmela, d’abord étonnée, s’accommode finalement de la folie douce de la vieille femme et prend goût à ces images qu’elle évoque en elle. Lucrezia devient pour la jeune fille une sorte de conteuse, une Shéhérazade d’un temps révolu.
On le devine au fil des souvenirs, Lucrezia a aimé des hommes ; beaucoup d’hommes. En vérité, elle était une courtisane. Comme le précise Maurice Druon dans la préface de cette œuvre (qui clôture le roman-fleuve La fin des Hommes, soit dit en passant), la courtisane est à l’amour ce que la matrone est au ménage : une spécialiste. Les courtisanes, ce sont elles les vraies amoureuses. Rien à voir avec les prostituées d’ailleurs. Les courtisanes de sont pas vénales, ou si peu ; elles font l’amour par art ; et par plaisir. Elles offrent aux hommes cette volupté d’être que seule la chair et ses plaisirs peut offrir.
Lucrezia est malheureuse dans son hôtel ; elle dépérit peu à peu. Sa seule compagne est Carmela, qui vient souvent la voir, et écouter ses histoires. Il lui arrive de relire des lettres, de se pencher sur de vieux cartons, d’appeler des hommes qui sont morts maintenant. Elle rêve de son luxe et de ses atours passés. Elle se voit encore comme elle était : jeune, belle, pimpante ; aimante, et aimée.
Tandis que les soies, maniées d’une main légère, glissaient dans ses cheveux courts et blanchis, ce que la Sanziani distinguait dans la glace de l’armoire, ce n’était pas une vieille femme aux membres séchés, enveloppée de dentelles noires en lambeaux ; elle contemplait une jeune femme, éblouissante et nue, son peignoir rejeté sur le dossier du siège, et dont on lissait la longue chevelure couleur de comète. Elle voyait ses membres pleins, ses épaules glorieuses, ses seins superbes, son ventre modelé, onctueux, terminé par un triangle flamboyant.
Splendeur et misère des courtisanes… L’âge et le temps ont raison des plus belles.
Les souvenirs deviennent de plus en plus lointains ; les passions de plus en plus anciennes, de plus en plus violentes. Plus la Sanziani vieillit dans son corps, plus son esprit régresse. On apprend qu’elle a perdu un enfant ; qu’elle n’a aimé qu’un homme et épousé la richesse d’un autre. Elle tombe malade. A l’hospice elle revit sa première communion…
Une histoire originale, qui met en perspective vieillesse, mémoire (au fond, cette dame, elle a Eilzeimer !) et déchéance. Des corps, mais aussi des âmes, celles de ceux qui entourent la comtesse ou, justement, ne l’entourent plus. Seule Carmela l’écoute, l’admire, s’en inspire. La jeune fille va d’ailleurs devenir une sorte de nouvelle Sansiani ; pas dans le sens que vous pensez, non. Elle, elle va essayer de percer dans le cinéma !
Une lecture agréable, bien que certains passages soient un peu longs, d’autant qu’on se perd un peu au milieu des souvenirs de la vieille dame. Mais le livre étant relativement court (250 pages aux caractères pas trop tassés) on y prend plaisir, et on se laisse emporter par cette mise en abîme du conteur.

Ah oui je tenais également à ajouter que Maurice Druon, académicien décédé il y a peu, a vu sa place offerte à...devinez qui! Danièle Sallenave! ça s'est passé le 7 avril dernier.
 
 

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