Le Monde dans les Livres

Mercredi 15 juin 2011 à 23:47

 Le diable au corps, Raymond Radiguet
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" Ce petit roman d’amour n’est pas une confession, et surtout au moment où il semble davantage en être une. C’est un travers trop humain de ne croire qu’à la sincérité de celui qui s’accuse ; or, le roman exigeant un relief qui se trouve rarement dans la vie, il est naturel que ce soit justement une fausse autobiographie qui semble la plus vraie " (Les Nouvelles littéraires, 10 mars 1923).

Ceci n’est pas l’histoire de Raymond Radiguet; lui-même le dit. Et pourtant…

Ce jeune garçon qui s’éprend d’une jeune femme, Marthe, laquelle vient de se marier et a 3 ans de plus que lui, pourrait bien être la sienne. Raymond Radiguet n’a vécu que 20 ans. Vingt ans c’est peu, mais ça laisse le temps de vivre, et surtout de vivre une histoire d’amour. Même une véritable passion.

Ce court roman nous décrit toutes les dimensions de cette passion qui occupe les deux jeunes gens au point de leur faire oublier le reste, ou presque. Le narrateur est donc un jeune lycéen brillant, qui étudie peu mais réussit bien, curieux de tout et de la vie en particulier. Un jour on lui présente une jeune fille, fiancée à un soldat, et qui peint des aquarelles médiocres. N’empêche qu’il s’en éprend.

Quelques temps plus tard il la croise lors d’une promenade en ville, il passe la journée avec elle, choisit les meubles de sa future chambre à coucher, bref, s’immisce dans sa vie. Puis plus de nouvelles. Enfin, un jour, elle l’invite chez elle et là…

Rien que de bien ordinaire. Mais le tout est raconté avec beaucoup de finesse, et l’analyse du sentiment amoureux y est bien rendue.

Bien que mon amour me parût avoir atteint sa forme définitive, il était à l’état d’ébauche. Il faiblissait au moindre obstacle.

Donc, les folies que cette nuit-là firent nos âmes, nous fatiguèrent davantage que celles de notre chair. Les unes semblaient nous reposer des autres ; en réalité, elles nous achevaient. Les coqs, plus nombreux, chantaient. Ils avaient chanté toute la nuit. Je m’aperçus de ce mensonge poétique : les coqs chantent au lever du soleil. Ce n’était pas extraordinaire. Mon âme ignorait l’insomnie. Mais Marthe le remarqua aussi, avec tant de surprise, que ce ne pouvait être que la première fois. elle ne put comprendre la force avec laquelle je la serrai contre moi, car sa surprise me donnait la preuve qu’elle n’avait pas encore passé une nuit blanche avec Jacques.

Un beau passage mettant à l’honneur la figure du cop à l’âne (l’âne étant Jacques), où pourtant tout est logique, tout s’enchaîne et s’explique ; ce serait presque du flux de conscience. La passion et les aventures amoureuses à l’état brut. Il nous raconte tout, sans détails pourtant, synthétique quand il le faut, poète quand il le veut. Il nous raconte tout de cette grande passion d’un an, perturbée uniquement par les permissions de Jacques, ses lettres, et les parents de la jeune épouse. Le père du narrateur, étrangement, ne cherche pas tant que cela à le détourner de cet amour. Une empathie d’ancien épris ? Quoi qu’il en soit peu de choses, et finalement peu de gens, viennent compromettre cette passion qui s’abreuve de promenades et de journées passées au lit. Jusqu’au jour où Marthe tombe enceinte et où tout s’accélère…

Un court roman que j’ai beaucoup aimé (et dont pourtant je parle mal...). Pour un si jeune auteur, le style est vraiment agréable, la réflexion juste, le rendu fort proche du vrai. On s’y croirait ! Autant dire que je le conseille vivement. Ce bouquin a été adapté en film, mais je ne l’ai jamais vu encore. J’y penserai maintenant.

Une dernière petite chose : le titre provoque certaines attentes de lecture dont l’intensité s’avère être finalement atténuée. Certes avoir le diable au corps renvoie bien à l’enfance et à la jeunesse de ce narrateur qui connaît à 17 ans ce que certains hommes ne connaissent pas au cours de toute une vie. Cependant, pour un gamin, il n’est pas fou furieux, et gère la situation avec un certain pragmatisme, de manière assez posée et réfléchie. C’est surtout lors de leurs étreintes et dans le plus fort de sa passion qu’on peut dire que le jeune homme avait véritablement le diable au corps. A moins que cette manière assez mûre de prendre les choses ne soit due à ce style qui rend compte d’une introspection raisonnée et lucide. Parfois, souvent même, il avoue sa fougue et les relâches de sa jeunesse…

 

Mardi 28 juin 2011 à 21:44

 Aurélia, Nerval
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Voilà un petit ouvrage que j’ai lu avec plaisir, mais qui me laisse impuissante à le résumer. Je suis presque incapable de vous dire ce qu’il se passe dans Aurélia ; et je crois que c’est un peu normal. Le texte est un tissu de rêveries et de délires.

Nerval a perdu son amour ; Gérard a perdu Aurélia, celle qui est Jenny dans la vie réelle. Il l’a perdue et ne s’en remet pas. Dès lors, il sombre dans la folie. Mais une folie productive, une folie poétique, une de ces folies qui font voir des mirages, des monts et des merveilles. Bien que certains des songes de l’auteur soient forts angoissants, d’autres forment une véritable cosmogonie personnelle et innovante, liée à des thèmes qui lui sont chers. 

On retrouve une partie de l’univers de Nerval dans ce petit texte inspiré, presque enthousiaste, mais dans un sens plus apollinien que dionysiaque (c’est une histoire d’amour platonique, influencée par des lectures, trop de lectures d’amour, comme Pétrarque et sa Laure, ou Dante et Béatrix). La métempsychose (ou réincarnation, autrement dit la survie des âmes), le syncrétisme (mélange d’influences, qu’elles soient ici culturelles ou religieuses. On sent son penchant pour l’orient et les religions polythéistes), la femme fatale et inaccessible, l’amour des aïeux et des formes anciennes. Le tout sous couvert du rêve. Ce rêve qui se mêle à la réalité, comme l’indique le sous-titre de l’œuvre : Aurélia, ou le rêve et la vie.

Un soir il croise une étoile ; l’Etoile. Peut-être sa seule Etoile, cette étoile qui est morte, dans El Desdichado. Ma seule Etoile est morte… Nouvel Orphée, il se ballade dans la ville, attiré par cette étoile, qu’il souhaite rejoindre. Là se trouvent ceux qui l’attendent.

Ici a commencé pour moi ce que j’appellerais l’épanchement du songe dans la vie réelle. A dater de ce moment, tout prenait parfois un aspect double,- et cela, sans que le raisonnement manquât jamais de logique, sans que la mémoire perdît les plus légers détails de ce qui m’arrivait. Seulement mes actions, insensées en apparence, étaient soumises à ce qu’on appelle l’illusion, selon la raison humaine…

Pour lui ce n’est pas de la folie, mais de l’illusion. Toutefois, il semble que les deux se ressemblent. Quand on voit des mirages, quand on perçoit des choses que les autres ne voient pas, c’est qu’on est un peu fou. Ici, cependant, Nerval insiste bien sur la dimension rationnelle qui demeure face à cet état qu’il subit. Il garde la maîtrise, on en a la preuve : il écrit. C’est le rêve, épanouissement quotidien et ordinaire de la psyché humaine, qui prend le pouvoir de son esprit, mêlant réel et imaginaire, comme une autofiction mêle réel et invention littéraire. C’est peut-être un peu cela Aurélia : un mélange de vrai et de faux, de réalité et d’onirisme, aboutissant toutefois à quelque chose de bien réel, mais au-delà du reste : la poésie.

Pourtant, pourtant, ce n’est pas non plus un récit poétique Aurélia. Le genre est hybride, à la frontière. Nerval affectionne le genre hybride de toute façon, la chimère, le mélange. L’odelette, la chanson, la petite forme ; la prose aussi. Le sonnet reste la grande forme, mais les strophes bougent, les vers sont mobiles, on peut composer une chimère avec les Chimères. Il use et abuse des matériaux, comme dans la Bohême Galante et les Petits Châteaux de Bohème. Des poèmes se retrouvent, entiers ; des thèmes sont récurrents, repris sans cesse, en variation, parfois même identiques. Dans Sylvie, pareil, on retrouve des épisodes malheureux de femmes fatales. Bref, Nerval c’est un univers, un univers qui touche au mystique. Un univers dont le cercle n’est pas large mais qui s’élève. Qui s’élève vers les hauteurs mystérieuses de la religion et de l’onirisme.

Des tableaux se succèdent sous ses yeux, créant matière au délire poétique. Ils sont parfois de pures rêveries dont l’auteur se souvient, ou d’autres fois ce sont de véritables hallucinations. Il croit voir Aurélia, plusieurs fois ; à un autre moment, il sent un double de lui-même à ses côtés. Il lui arrive d’avoir peur ; peur de ces songes qui lui font croire à l’existence d’êtres disparus, ou d’êtres qui n’existent pas. Il rêve de monstres, de combats originels, et d’autres fantasmagories.

L’ensemble se ressent de l’esthétique romantique, du microcosme et du macrocosme, de l’interpénétration des énergies. Un romantisme un peu mystique et surtout, cosmique.

Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacles la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. Captif en ce moment sur la terre, je m’entretiens avec le chœur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs.

Il se sent une partie du grand Tout, et cherche à unifier ses parcelles éparses.

Mon rôle me semblait être de rétablir l’harmonie universelle par art cabalistique et de chercher une solution en évoquant les forces occultes des diverses religions.

Avec Nerval le poète s’installe dans le rôle du mage désenchanté (rien à voir avec Hugo de ce côté-là), qui s’efforce de lier les énergies entre elles afin de retrouver une harmonie perdue.

Un petit ouvrage étonnant, unique en son genre je crois, qui concentre la poésie de Nerval sous couvert d’onirisme et de prose. Sa poésie est bien tombée dans la prose, mais ça reste sublime. Du beau délire, un vrai kiff (au sens étymologique, donc arabe du terme). Un kiff pour le lecteur, mais pas tellement pour Nerval, qui finira par se suicider en 1855…

 

Vendredi 26 août 2011 à 21:06

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 Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld

Ce livre m’a semblé en forme d’équation ; comme s’il fallait chercher à chaque page, chaque chapitre, un indice pour la résoudre. Cette équation nous est donnée dès la préface : Les pages qui suivent sont des fragments de mémoire et de contemplation. Mémoire et faits ; recherche par la contemplation de ce qui fait la nature profonde d’un individu, la beauté d’un paysage, le charme d’un être. Lorsqu’on se laisse aller à la contemplation, il arrive souvent que la rêverie prenne le pas sur la réalité. Il en est de même dans la contemplation de ses propres souvenirs : la mémoire sélectionne des faits, des détails insignifiants, et leur insuffle la consistance d’évènements majeurs. Dès lors qu’on cherche à donner une signification aux choses, elles s’exacerbent et leur rapport avec le réel s’étiole à force d’épanchement. Mémoire et imagination vivent parfois sous le même toit.

Il va donc s’agir de comprendre en quoi cette autobiographie est une réinterprétation composite du passé, et ce à travers une réflexion sur la langue. Comment dire ce passé perdu, enfoui de l’enfance qui pourtant est si net, comment dire les années de guerre dont il ne reste qu’un magma difforme et effrayant, comment dire l’innommable alors que les mots ne suffisent pas ?

S’ajoute à la difficulté à dire avec des mots la difficulté à dire tout court ; dur combat entre mémoire et oubli, lutte sans merci entre sens et chaos. Or mettre fin au chaos n’est possible que grâce à la langue, et à la littérature. A elles deux, elles permettent de mettre en forme l’informe.

Toutefois ce livre, dont le titre donne à penser, n’est pas une autobiographie à proprement parler. Histoire d’une vie met en exergue la part de sélection, d’imagination, de fiction qui préside à tout récit, au caractère sélectif imparti à la création, aux choix qu’implique le récit d’une vie. Or la mémoire n’a pas tout retenu, la mémoire a pu oublier, la mémoire a souhaité oublié. Il faut donc que l’imagination recrée, utilise le matériau à sa disposition, ce matériau qui, chez notre auteur, est ancré dans sa chair. C’est comme si un autre esprit qui a vécu la guerre a sa place ; seul son corps se souvient […] les paumes des mains, le dos et les genoux se souviennent plus que la mémoire. Pour raconter la Shoa, il ne s’agit pas de rendre compte de faits précis ; il s’agit de faire parler les souvenirs de son corps, les perceptions, les sensations. Le palpable contre le factuel raisonné.

Dès lors qu’on s’en rapporte au corps et à ses perceptions, il est difficile de prétendre à l’ordre, à l’organisation, à un plan raisonné. Ainsi ce livre n’est pas un résumé, mais plutôt une tentative, un effort désespéré pour relier les différentes strates de ma vie à leur racine. Que le lecteur ne cherche pas dans ces pages une autobiographie structurée et précise. Ce sont différents lieux de vie qui se sont enchaînés les uns aux autres dans la mémoire, et convulsent encore. Une grande part est perdue, une autre a été dévorée par l’oubli. Ce qui restait semblait n’être rien, sur le moment, et pourtant, fragment après fragment, j’ai senti que ce n’étaient pas seulement les années qui les unissaient, mais aussi une forme de sens.

Il a attendu, au fond des caves silencieuses, dans lesquelles les mots n’avaient pas leur place, l’éruption. Eruption des souvenirs, de la parole enfin libérée, de la langue apte à rendre compte de tout cet innommable.

Ce livre est une réflexion sur le souvenir, la Shoa, la langue, l’indicible et sa nécessaire transmission. La phrase qui l’ouvre est une question : Où commence ma mémoire ? S’ensuivent quelques pages au présent de narration, scènes fortes et comme palpables, d’une précision étonnante et détonante pour qui lira la suite. Le passé est ici fort de sa présence. Le choix du présent permet de conférer à ses souvenirs une envergure de précision et de permanence. Souvenirs de séjours de vacances chez les grands parents, quand le temps avaient encore une signification, quand le passé et l’avenir se fondaient dans un présent rassurant. Les épisodes narrés tournent d’ailleurs autour des mots, de la langue. Les parents de l’auteur parlent allemand, ses grands-parents Yiddish. Dès son plus jeune âge, les mots ont recouvert une importance d’envergure pour Appelfled.

Par bribes nous sont ensuite contés des épisodes de la guerre, d’abord du ghetto, puis des déportations, des wagons, des peurs, des larmes, des camps, de la marche forcée. Mais ce sont seulement des bribes, des épisodes, de ces épisodes que la mémoire sélectionne et que l’imagination refonde. Bien entendu ce n’est pas l’essentiel. La fuite du camp, l’errance dans la forêt à 10 ans, tout ceci n’est que suggéré, dit à mots couverts, et même, à force d’espaces blancs. Ce n’est pas le plus important. Le plus important est la lutte qui suit les évènements, lutte entre mémoire et oubli.

Beaucoup, après la guerre, ont choisi de raconter. Les mots ont coulé, coulé, coulé d’abondance au point de se noyer les uns dans les autres et de perdre tout sens, s’ils en avaient. Le silence qui avait régné pendant la guerre et peu après était comme englouti par un océan de mots. Nous avons l’habitude d’entourer les grandes catastrophes de mots afin de nous en protéger. Appelfeld se fait donc critique envers mémoires, récits, témoignages et souvenirs divers souvent galvaudés, et qui pourtant ont pullulé au sortir de la guerre. Lui avait besoin de retrouver, à travers les méandres de sa mémoire et de ses sensations, sa légende intime, une poétique personnelle. La question de la langue s’est alors posée. Comment raconter alors que les mots ne viennent pas, et surtout qu’ils ne s’enchaînent pas ? Flots impétueux contre bégaiement. Il s’agissait de relier des chaînons, de trouver les bons mots ; en résumé, de trouver la bonne langue. Une langue qui permette de traduire les sensations, dès lors que les faits avaient sombré dans l’oubli. « Sans langue je suis semblable à une pierre. »

Sa langue maternelle est l’allemand. Mais l’allemand est la langue de l’ennemi, cet ennemi qui a tué sa mère. Sa mère et sa langue sont mortes en même temps. Il fallait donc en adopter une autre. Ce fut le Yiddish, puis l’hébreu. L’hébreu, cette langue ancienne et universelle, cette langue de la prière, qui permet de dialoguer avec Dieu. 

Jeudi 1er septembre 2011 à 21:28

 Chronique de lectures d’été

Il a un temps pour tout ; un temps pour le travail, un temps pour le repos, un temps pour les loisirs, un temps pour la lecture, un temps pour l’amitié, un temps pour la famille, un temps pour l’amour, un temps pour la remise en question. J’ai tout expérimenté cet été ; tout s’est enchaîné, enchevêtré, mêlé et croisé.

Il semble que je n’ai rien lu, et pourtant…

J’ai beaucoup lu cet été, lu parce que je me suis reposée, mais aussi parce que je me suis remise en question, et un peu parce que j’ai travaillé. Bref, il est temps, maintenant, de faire un petit rapport de ces lectures d’été…

 

Un très grand amour, Franz-Olivier Giesberg

L’amour, c’est quoi ? et surtout, un grand amour ? C’est cette expérience unique du très grand amour que nous décrit l’auteur avec beaucoup de discernement et d’autodérision, humour et recul obligent, puisque finalement, de cette expérience, il n’en reste que des miettes ; des miettes de souvenirs. Juliette, cette fille aux cheveux blonds qu’il a tant aimée, Juliette qu’il a rencontré à la fac, normal, trop ordinaire presque pour un très grand amour, Juliette qu’il va aimer, pour laquelle il abandonne sa famille, pour laquelle il aurait tout fait, parce que pour lui, elle est cet accroissement d’être que doit être l’amour et dont parle Spinoza. Mais entre eux il va il y avoir le cancer, les soins, le refus de l’ablation, parce que la virilité, c’est ce qui fait exister l’homme auprès de la femme. Alors on se sépare. Et le grand de l’amour alors ? Un très beau roman.

 

La solitude des nombres premiers, Paolo Giordano

Alice et Matthia sont deux jeunes un peu à part dans la société, un peu seuls, parce qu’ils le veulent mais aussi, peut-être, parce qu’ils ont quelque chose d’unique : ils s’apparentent à des nombres premiers, ces rares nombres premiers qui, plus ils augmentent, plus ils deviennent rares et éloignés les uns des autres. Il semble que le destin de ces personnages d’une insondable tristesse, qui essaient de maintenir la tête hors de l’eau mais n’y parviennent qu’avec peine, soit similaire à ces nombres, qui s’éloignent, s’éloignent, s’éloignent, pris par la vie. De l’infini dans du fini, des étoiles parcellaires dans un ciel sans limites. Un roman très sympathique, bien loin des préjugés que je pouvais avoir à son égard. Un de mes « coups de cœur », pour parler in.

 

La délicatesse, David Foenkinos

J’avoue, j’ai lu ce livre comme on regarde un film de fille : avec une frange de honte, mais beaucoup de plaisir. Pour se vider la tête rien de mieux ; pour rêver un peu aussi. C’est une histoire incroyable, un peu ridicule tellement elle est incroyable, un peu ridicule parce que c’est une histoire d’amour. Et que l’amour, c’est toujours un peu ridicule ; positivement ridicule. Bref, c’est l’histoire d’une veuve qui retrouve l’amour. Elle est encore jeune et belle, tristement belle ; un jour, sur un coup de tête, elle embrasse un insignifiant collègue (sic). Et là…   Bref, c’est un roman de fille, mais il a tout de même reçu un certain nombre de prix littéraires malgré tout, a été traduit dans une multitude de langue, et permet de passer un bon moment. Que demander de plus en vacances ?

Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld (cf chronique sur ce blog)

L’attrape-cœurs, J. D. Salinger

Holden Caulfield s’est fait renvoyer du lycée. Ce jour et le suivant vont alors marquer un tournant dans sa vie. Ces deux journées pas comme les autres nous sont racontées par la voix même du jeune garçon, voix de la rue, voix populaire, voix d’un type qui découvre le monde, les autres, les filles, la vie. Un garçon exceptionnellement sensible sous la gouaille, dont le rêve est d’empêcher les enfants de tomber de la falaise ; autrement dit, d’empêcher les enfants de grandir. Parce que l’enfance, c’est le meilleur de la vie.

http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2009/06/05/222-l-attrape-coeurs-de-jd-salinger

Thérèse Desqueyroux, François Mauriac (à venir sur ce blog)

L’espèce fabulatrice, Nancy Huston

Toute notre vie est constituée de fictions ; l’homme a conscience de sa mort, alors il invente des histoires, pour donner un sens à cette vie qui file. Nancy Huston nous le montre, en à peine 200 pages, jouant de l’essai et de l’imagination. Au centre : la littérature. Génial.

http://culturofil.net/2008/06/07/lespece-fabulatrice-de-nancy-huston/

Dans ces bras-là, Camille Laurens

Voilà le roman de Camille Laurens qui lui a valu les honneurs ; ceux des lycéens, mais aussi de Tom (cf blogroll). Dès que je l’ai vu, dans un rayon au ras du plancher, au premier étage de l’immense librairie de Banon, j’ai pensé que ça allait être génial. Et forcément, comme toujours, déception. Certes ce livre est un hymne à l’homme, autofictif, qui parle des amis, des amants, du père, de sexe, d’amour, de rencontres. Des thèmes masculins, virils, agréables, palpables ; mais la construction, l’enchaînement des chapitres, leur répétition… au risque d’en faire crier certains, j’ai trouvé cela un peu lassant… Un souvenir mitigé… Peut-être devrais-je m’y replonger ; à rebours, j’exprime très mal mon jugement.

Vies minuscules, Pierre Michon

Un livre extraordinaire. L’écriture retenue, complexe, longue, un peu lente, méditative, presque biblique, m’a déroutée. Je n’ai pas tout compris ; j’ai eu du mal à bien entendre cette voix presque prophétique. Un prophète du temps passé. A travers le récit de plusieurs vies minuscules, vies de paysans, de grands-parents, de vieillard illettré, d’enfant mort ; à travers la vie des petits, des faibles, des oubliés de la vie ; à travers eux, l’auteur se dit. Une hétérographie difractée ; miroir brisé dont il est le point central. Avancée chronologique camouflée sous les masques des petites gens, ce livre, à sa moitié, devient une illustration de l’errance du poète, ce poète que souhaite devenir Michon, ce titre de poète que lui refuse la page blanche. Poète à la Nerval, un peu fou, amoureux fou et désespéré, mais surtout Rimbaud, jeune Rimbaud errant à la recherche de la beauté. Rimbaud, ce double poétique qui hante Michon depuis l’enfance, comme on l’apprend ici. Genèse de Rimbaud le fils ? Pourquoi pas ! Un livre au ton complexe, sérieux, mais une illustration parfaite de l’errance poétique à travers les masques des petits et des grands.

La conversation amoureuse, Alice Ferney

On dit souvent le meilleur pour la fin. Dans ce cas, c’est vrai. L’histoire semble fort banale, surtout au long des cinquante premières pages : un homme a rendez-vous avec une femme ; ils se séduisent, se cherchent, se fuient. Désir, amour, passion ; énamoration. Rien de plus banal, du déjà vu, vu et revu. Mais le style surprend. Une sorte de monologue intérieur, à deux voix, voire trois : celle de l’homme, celle de la femme, et celle de l’auteur. Les paroles sont rapportées au discours indirect libre, les dialogues s’enchaînent sur la page sans leurs signes conventionnels, les pensées et les voix se croisent et s’expliquent les unes les autres. On comprend tout (ou presque) de l’amour, que ce soit dans la tête de la femme, ou dans celle de l’homme. Bon d’accord, c’est un peu cliché, l’homme qui désire, la femme qui pense ; mais finalement, chacun pense et désire, et ça donne quelque chose de sensuellement réflexif ; une manière unique de faire voir l’amour. Et puis, en parallèle, la vie de plusieurs couples nous est contée ; la vie de plusieurs couples lors de cette même soirée où Alice et Marc (l’homme et la femme en question) sont tout à leur rencart. Finalement tout le monde se retrouve, un peu comme Mrs Dalloway se retrouve à la fête à la fin de la journée. Tout le monde se croise avec ses peines, ses joies, ses amours, son divorce, ses enfants, ses crises et ses disputes. Les désirs eux aussi se croisent, et évoluent au fil du temps, comme l’illustre la seconde moitié du roman. Au restaurant, au téléphone, au lit ; au cours du reste de la vie. Un roman unique, dans un style jamais vu. Brillant, émouvant, scotchant.

 

 

 

 

 

 

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