Le Monde dans les Livres

Mardi 16 novembre 2010 à 19:07

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/unromanfrancais.jpgUn roman français, Frédéric Beigbeder
Longtemps, je me suis décrété que je l'aimais pas, Beigbeder. Pour qui, pour quoi ? Je ne sais pas trop… Souvenir d’enfance occulté ? peut-être… Enfin n’exagérons rien, quand j’étais petite, je ne crois pas qu’il écrivait beaucoup encore (je ne voudrais pas le vieillir outre mesure, je crois qu’il a la petite quarantaine (c’est même sûr en fait, cf incipit ! lequel je vous laisse consulter). Bref bref bref, Beigbeder n’était pas ma tasse de thé. Alors que je n’y avais même pas goûté. Mais un junki à la mode, un écrivain people, beurk, ça ne me disait rien. J’étais snob (à la mode sur les Nouveaux Chemins de la Connaissance cette semaine d’ailleurs :p)… je le suis toujours un peu d’ailleurs, élitiste littéraire que je suis… mais bon, une apnée dans les classiques n’est peut-être pas si mal.
Et puis il y a eu Djian. Carrère. (ouhlàlà des contemporains !! Attention, où vais-je mettre les pieds !)Et plus récemment Houellebecq. Et puis maman qui m’a dit « tu devrais lire un Roman Français ! » Mué, Beigbeder… « C’est son autobiographie ! » Ah, autobiographie… et puis jeu de titre avec celui de Carrère (russe, lui… le titre hein, pas Carrère…). Je me suis dit qu’il devait il y avoir quelque chose. Et puis détail tout bête : il est court (un peu plus de 200 pages (oui je vous l’ai dit, je suis snob, 200 pages c’est assez court !)). Donc voilà, une soirée, quelques petites heures de train…
Un junki, je le savais ! Il sniffe de la coke sur le capot d’une voiture, et avec un Poète, le snob !!! C’est de là que part tout son récit. Une faute sur la voie publique. La recherche des paradis artificiels, ça se termine en enfer. En enfer dans une vilaine boîte bien crade, où l’on devient claustrophobe, et du même coup, enfant. Quand on n’a rien d’autre à faire, on pense. Alors Frédéric le junki pense, et ce qui lui vient dans la tête, c’est son enfance. Cette enfance dont il dit ne pas se souvenir. « Je n’ai pas de souvenir d’enfance ». C’est pas un peu snob ça ?
Bien évidemment, vous le devinez, vous sentez ces pages sous vos doigts, ce n’est pas du vent, elles existent ! Et bien ses souvenirs c’est pareils, ces mots qui sont écrits ce sont eux, formés, informés, déformés probablement. Ecrire lui a permis, comme il l’espérait en fait, de se trouver. De comprendre pourquoi il pensait ne pas avoir de souvenirs.
J’ai horreur des règlements de compte familiaux, des autobiographies trop exhibitionnistes, des psychanalyses déguisées en livres et des lavages de linge sale en public. Mauriac, au début de ses Mémoires Intérieurs, nous donne une leçon de pudeur. S’adressant tendrement à sa famille, il se sacrifie : « Je ne parlerai pas de moi, pour ne pas me condamner à parler de vous. » Pourquoi n’ai-je pas moi aussi la force de rester coi ? Un peu de dignité est-elle possible quand on tente de savoir qui l’on est et d’où l’on vient ? Je pense que je vais devoir embarquer ici de nombreux proches […].
Il doit se souvenir pour vieillir.
Détective de moi-même, je reconstitue mon passé à partir des rares indices dont je dispose.
Finalement on est bien content qu’il ait réussi à se souvenir. Le récit de son enfance -plein d’auto-dérision, heureusement, manquerait plus qu’il soit complaisant le junki !- alterne avec celui de la fameuse garde à vue à l’origine de tout. L’embrayeur du souvenir, c’est de la coke sur un capot de voiture. Il y a pas un souci là ? Non, c’est juste la vie, et après, c’est de la littérature. En tout cas c’est un récit prenant, qu’on lit d’une traite (alors 200 pages, vous pensez !) parce que c’est vivant, drôle, réflexif et gentiment descriptif. Un peu tout en fait. C’est spontané. Ce récit, il l’a écrit dans sa cellule, dans sa tête (des fois c’est la même chose, pas là…).
Au début, il fait tout pour ne pas parler de lui. Il nous raconte ses grands-parents, ses parents, leurs rencontre par la fenêtre, le chemin Damour (non non ça n’est pas une fiction !)… Et puis fatalement, après l’amour viennent les pleurs…
Ceux du bébé évidemment ! Et puis le bébé grandit, et finalement… il est bien plaisant ce texte, parce qu’il ressuscite une époque de changements, les années 70, où le divorce de ses parents a fait qu’il a alterné entre richesse et aristocratie, et pauvreté de désargenté. Parfois il liste ce qu’il aimait, les joux-joux, les films, les bonbons, les livres (bien sûr !), la musique et les filles. Un adolescent comme les autres en fait.
J’ai acheté des Malabars jaunes à dix centimes l’unité au kiosque de la grande plage et léché mon bras pour me tatouer leurs décalcomanies sur le poignet. J’ai été ce petit garçon parfumé à l’eau de Cologne Bien-Etre, en culotte bavaroise, décoiffé dans le jardin de la Villa Navarre ou du château de Vancouvert, à Quinsac. En jean New Man de velours côtelé rouge vif, j’ai grimpé entre les hêtres en pente de la forêt d’Iraty, roulé dans les vallées moelleuses assorties à mes yeux et vomi mes macarons de chez Adam et le chocolat chaud de chez Dodin dans l’Aston Martin qui nous emmenait.
Une adolescence pleine de contrastes bariolés. Un carnaval. C’est plutôt sympa à lire. A vivre je ne sais pas…Avec un grand frère despotique, une mère insatisfaite et un père « aux Etats-Unis » (bien plutôt dans d’autres paradis mais chut, il faut pas le dire ! Argh, les secrets de famille… source des oublis, ou plutôt des occultations volontaires…), Frédéric ne sait pas trop où se mettre. Il saigne du nez sans cesse et sans raison, il est maigrichon, anémique, et il n’intéresse pas les filles. Pour se faire une idée du bonhomme, regardez la couverture, qu’il nous dit. Et oui, le petit angelot de la couverture, c’est lui à 9 ans. Il a une moue un peu effrayée mais bon…
Toutes les enfances ne sont peut-être pas des romans, mais la mienne en est un. Une fiction triste, une histoire d’amour ratée dont mon frère et moi sommes les fruits. Nous avons vécu un bonheur Canada Dry. C’est une vie qui a l’apparence du bonheur : Neuilly, les beaux quartiers de Paris, de grandes villas à Pau, la plage de Guéthary ou de Bali… ça ressemble au bonheur, on dirait du bonheur, mais ça n’est pas du bonheur. On devrait être heureux, on ne l’est pas. Alors on fait semblant.
Un angelot malheureux donc, qui, pour s’évader du monde, commence à lire des livres de science-fiction (les frères Bogdanov, ce sont les amis de Papa, alors vous pensez, on va à l’émission et tout !), Pif Gadget (normal), puis on nous conseille San Antonio…
En 1979, San Antonio m’a mené à Blondin, puis Blondin m’a conduit à Céline, et Céline à Rabelais, donc à tout l’univers.
Un joli parcours…
Depuis je n’ai cessé d’utiliser la lecture comme un moyen de faire disparaître le temps, et l’écriture comme un moyen de le retenir.
Pas mal pour un junki finalement… même si ça reste un peu snob. Mais écrire, c’est souvent snob… Et puis toutes ces considérations métadiscursives qui ponctuent l’œuvre, c’est pas mal ; intéressant. Fort en autobiographèmes et autres souvenirs. Mais cet oubli de tout ce qui précède les vingt ans, c’est étrange quand même… même si ça revient, avec l’écriture, et puis qu’on le réinvente, c’est étrange, pas commun… littérairement intéressant néanmoins !
Il a longtemps cru que l’on commençait à vivre dès lors qu’on se séparait de sa famille. Jusqu’à ce jour de janvier 2008. Alors il a dit bonjour au petit garçon qu’il était, et qu’il avait caché sous sa barbe. Mal taillée, la barbe. Et aujourd’hui, derrière sa fille, il se retrouve...
Il cite Proust (forcément, je le trouve moins snob là, même si c’est ultra snob de citer Proust !) : « Rien qu’un moment du passé ? Beaucoup plus peut-être ; quelque chose qui, commun à la fois au passé et au présent, est beaucoup plus essentiel qu’eux deux. » C’est vrai ça… (Proust a toujours raison de toute façon !) quand on entend un air, qu’on goûte ou sent quelque chose, il se passe ce petit phénomène qui s’appelle la réminiscence, et qui relie le passé avec le présent. Un pont d’or…
Toutes ses premières fois, il les revit avec elle. Comme quand elle goûte pour la première fois des Chamonix à l’orange. Ou encore quand elle fait de la balançoire et qu’elle s’écorche les genoux. Et les bonbons. Et le cinéma après-midi… Encore une farandole acidulée. C’est joli, niais, mais ça fait du bien.
Et puis l’épilogue, intéressant. On en aura appris des choses dans cette cellule qui sent le vomi et le sang séché ( si le sang séché sent quelque chose…), enfin bon, passons, en tout cas ce sont un peu les miasmes de l’enfance qui reviennent, alors peut-être que ça aide… pour se souvenir… Chacun sa madeleine !
Le temps envolé ne ressuscite pas, et l’on ne peut revivre une enfance enfouie. Et pourtant…
Ce qui est narré ici n’est pas forcément la réalité mais mon enfance telle que je l’ai perçue et reconstituée en tâtonnant. Chacun a des souvenirs différents. Cette enfance réinventée, ce passé recréé, c’est ma seule vérité désormais. Ce qui est écrit devenant vrai, ce roman raconte ma vie véritable, qui ne changera plus, et qu’à compter d’aujourd’hui je vais cesser d’oublier.
J’ai rangé ici mes souvenirs comme dans une armoire. Ils ne bougeront plus d’ici. Je ne les verrai plus autrement qu’avec ces mots, ces images, dans cet ordre ; je les ai fixés comme quand, petit, je jouais à Mako moulage, sculptant des personnages avec du plâtre à prise rapide.
(encore un souvenir qui revient… on ne peut plus l’arrêter !)
 
L’écriture peut servir de révélateur, au sens photographique du terme. C’est pour cela que j’aime l’autobiographie : il me semble qu’il y a, enfouie en nous, une aventure qui ne demande qu’à être découverte, et que si l’on arrive à l’extraire de soi, c’est l’histoire la plus étonnante jamais racontée.
« Un jour, mon père a rencontré ma mère, et puis je suis né, et j’ai vécu ma vie. » Waow, c’est un truc de maboul quand on y pense. Le reste du monde n’en a probablement rien à foutre, mais c’est notre conte de fées à nous. Certes, ma vie n’est pas plus intéressante que la vôtre, mais elle ne l’est pas moins. C’est juste une vie, et c’est la seule dont je dispose. Si ce livre a une chance sur un milliard de rendre éternels mon père, ma mère et mon frère, alors il méritait d’être écrit. C’est comme si je plantais dans ce bloc de papier une pancarte indiquant : « ICI, PLUS PERSONNE NE ME QUITTE ».
 
En fait, j’aime vraiment bien le ton décalé du junki snobinard…
 
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