Les petits chevaux de Tarquinia, Marguerite Duras
C’est beau… Voilà ce que je me suis dit en refermant ce livre. Un livre choral si je puis dire, un livre musical, un livre où on entend la mer et où tout se répète. Mais on ne s’en lasse pas. C’est beau et chaud comme l’atmosphère. La mer, la montagne, la baignade, la promenade ; en Italie. Ce sont les vacances et pourtant c’est triste. Pas pesant, mais triste. Une tristesse majestueuse, un peu racinienne.
On attend depuis le début quelque chose qui ne vient pas : quels mots Ludi a eu contre Sara pour qu’elle soit triste, ainsi ? Mais ne vous y méprenez pas : Ludi est son ami ; c’est Jacques son mari. Avec lui elle a eu cet enfant qu’elle aime tant et qui est là, silencieux mais présent, attachant, aimé, doré et chaud, ruisselant d’eau ou de sueur, ne réclament presque rien, juste de vivre dans cette chaleur, entouré de ces adultes. Un enfant comme chez Duras je crois, puisqu’il y a presque le même dans Moderato Cantabile. Un enfant calme qui joue, et qui n’est jamais bien loin de là où est sa maman. Toutefois Sara, comme la jeune femme de Moderato Cantabile, n’est pas seulement une mère ; elle est surtout une femme. Une femme dont s’éprend celui qu’on appelle l’homme, tout simplement, celui qui a un bateau, celui qui est libre et viril, sans attaches. Il a envie d’elle, et elle aussi, un peu. Pourtant leur passion n’aboutit pas, comme souvent chez Duras. Celui qu’elle adule, Sara, c’est son enfant.
Elle est un peu fatale Sara, un peu séductrice ; ce ne peut donc pas être elle la figure maritale de la vierge dans le livre. Pourtant il y en a une. Celle qui endosse le voile, c’est la vieille femme qui campe depuis trois jours dans la montagne ; les trois jours des quatre chapitres du roman. Elle reste dans la montagne, attendant de signer la déclaration de décès de son fils, mort en opération de déminage. La guerre, fatale même à rebours. Elle a ramassé les morceaux de son fils, les a mis dans une boîte à savon. Avec son mari, ils attendent dans la montagne. Le groupe des amis de Sara vient leur rendre visite. Ils sont accompagnés de douaniers aussi, dont l’un est l’amoureux de la bonne.
On se croirait presque dans du Ionesco. Il y a une bonne, deux couples, un enfant, un homme, et une femme dont on parle peu. Pourtant rien d’absurde, juste des silences, des paroles, et la vie.
Le thème de l’enfance est récurrent dans le roman, puisque les hommes en ont souvent le comportement. L’enfant de Sara est même plus sage et plus facile à vivre qu’eux. Et il y a des doubles : la bonne semble incarner la face sensuelle et aigre-rebelle de Sara. Les deux femmes se querellent souvent, mais jamais Sara ne peut se résoudre à la renvoyer. Elles sont liées l’une à l’autre par quelque chose qui dépasse l’entendement : l’amour indéfectible qu’elles vouent, l’une à la passion, l’autre à son enfant. A un moment donné elles semblent intervertir leurs envies, mais ce n’est que de courte durée. Sara se lasse vite de la passion que lui voue l’homme (un certain Jean, comme on l’apprend tardivement). Ce dernier est d’ailleurs lui aussi une sorte de double sensuel de Jacques. Il incarne ce que celui-ci n’offre pas à Sara : la passion amoureuse dont elle aurait besoin, parfois.
Dans ce roman il y a beaucoup de silences, beaucoup de calme, beaucoup de rêve. On agit peu, on rêve d’ailleurs, et pourtant on reste là où l’on est. On rêve aux petits chevaux de Tarquinia. Peut-être va-t-on aller les voir, en Amérique... On y pense en tout cas, c'est déjà ça.
L’atmosphère est chaude, mais pas suffocante. Le roman respire le quotidien ; le quotidien de l’amour, du rêve, de la vie telle qu’elle est quand on n’a rien à faire. Agréable mais lassante. On sent la lassitude derrière chaque page. Pourtant, sa lecture n’en est pas déprimante. J’aime le style de Duras je crois ; avec ses silences, ses lentes mouvances, son calme brillant. Beaucoup de dialogues, mais rien de trop. Des descriptions en forme de rêveries…
Alors elle les vit de dos tous les deux. L’un, elle le connaissait pour toujours. L’autre, non, elle ne le connaîtrait jamais davantage. L’autre était un homme qu’elle ne connaîtrait jamais davantage. L’autre devenait un homme qu’elle ne connaîtrait jamais. On ne peut pas faire toutes les vies ensemble, dit Ludi. Ces connaissances n’étaient pas compatibles. L’enfant, à côté d’elle, criait de plaisir. Seuls, le sillage d’un bateau et les premières vagues des embouchures intéressent les enfants. L’homme vira autour de la digue, très largement, puis subitement, à toute vitesse, il s’en alla vers la haute mer. Jacques, debout, n’eut pas l’air de s’étonner. La plage d’éloigna et avec elle, la masse verdoyante des champs de maïs au bord de la mer. Les choses en étaient restées au même point, en somme, avec cette différence que leur silence était maintenant violé.
Un style sublime, dans la retenue, la reprise, la recherche de la juste pensée, celle qui suit le déroulement logique de l’esprit, la correction, la répétition, la belle répétition… Et le réel qui s’impose, un réel un peu sublime, joli et contrasté, avec la mer et la campagne, les champs et l’onde marine. Et enfin, le silence…