Le Monde dans les Livres

Vendredi 27 mai 2011 à 0:06

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 Rhinocéros, Ionesco

Des hommes, des femmes, un café, un petit chat (écrasé le petit chat…) et des rhinocéros. Un ou deux, on ne sait pas trop, à deux cornes ou une, on n’a pas bien vu. La logique n’est pas le fort des personnages de la pièce de toute façon. C’est absurde, tout cela, et pas seulement le registre. Absurde, comique, et tragique d’ailleurs. Tout un panel de colorations.

Dans cette pièce en trois actes et cinq tableaux, tout est mêlé : la mascarade de la ménagerie et de la métamorphose, les personnages bornés, savants ou ridicules (les deux allant souvent de paire), le destin tragique et la réflexion sur l’homme. Dans la pièce, si vous ne la connaissiez pas déjà, il s’avère que tous les habitants de la ville se transforment en rhinocéros…étrange… angoissant… D’ailleurs toute la pièce est conçue comme une tragédie. Le premier tableau a lieu en extérieur, sur la terrasse d’un café. Le second dans un bureau, lieu du savoir. Et enfin le dernier, dans la chambre de Jean, Jean le propre sur lui, Jean le bien-pensant, le propret, bien rangé, averti et compassé. Les lieux se réduisent, comme les esprits. Celui de Jean est réduit à rien ; d’ailleurs il devient un rhinocéros. A contrario Béranger, son homologue crachou et pouilleux, se transforme peu à peu en homme raisonnable, voulant lutter pour sauver ses semblables de l’animalité et de la perte d’identité.

Une pièce dont j’entendais souvent parler, que je n’avais pas encore lue, et qui ne m’a pas déçue, dans le sens où je n’ai jamais été une inconditionnelle de ce genre de théâtre.

Ceci étant, le mélange des genres et des registres est des plus intéressants, et mené de main de maître !

 

Mardi 31 mai 2011 à 23:58

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 Sido, Colette

L’inverse eut pu être vrai ; Sido aurait pu écrire Colette ; ou plutôt Colette, le capitaine, aurait pu écrire Sido. Vraiment. Le père de Colette était effectivement écrivain ; enfin il a essayé. On a retrouvé des carnets, dont les pages étaient blanches. Un mirage d’écrivain.

Finalement c’est sa fille, Colette (Sidonie-Gabrielle de son vrai nom) qui est devenue écrivain, et qui a écrit cette autobiographie. Mais Sido, ça n’est pas la petite fille, ça n’est pas l’auteur ; c’est sa mère. Sido c’est le centre de la rose des vents, le centre des points cardinaux, le point focal de la famille, la prêtresse du jardin, l’âme de la famille ; et le sujet du livre.

Où est l’autobiographie alors ? Et bien à travers le portrait de Sido, cette femme remariée, qui a déjà deux enfants, les sauvages de la dernière partie, Colette se construit. Mais aussi à travers le portrait du Capitaine, son père. La petite Colette se dessine en creux, via une hétérographie poétique, où l’écriture transporte, charme, perd parfois. Un style qui m’a perdue, peut-être parce que je l’ai lu de manière décousu, alors qu’un tel livre, bien qu’il soit court, requiert une attention de tous les instants. Chaque détail compte, chaque fleur, chaque couleur. La ville, la province, les goûts, les aspirations des divers personnages s’opposent mais se rejoignent finalement, pour fonder la famille de Colette et, dans l’ombre, l’image de l’auteur. 

Je n'ai pas lu ce livre avec suffisamment d'attention... D'où l'évaporation des mots qui devaient en parler. Je le relirai. Et j'écrirai à nouveau. Je n'aime pas bâcler... J'ai tenté de restituer l'essentiel. 

Jeudi 9 juin 2011 à 14:51

 Les petits chevaux de Tarquinia, Marguerite Duras
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C’est beau… Voilà ce que je me suis dit en refermant ce livre. Un livre choral si je puis dire, un livre musical, un livre où on entend la mer et où tout se répète. Mais on ne s’en lasse pas. C’est beau et chaud comme l’atmosphère. La mer, la montagne, la baignade, la promenade ; en Italie. Ce sont les vacances et pourtant c’est triste. Pas pesant, mais triste. Une tristesse majestueuse, un peu racinienne.

On attend depuis le début quelque chose qui ne vient pas : quels mots Ludi a eu contre Sara pour qu’elle soit triste, ainsi ? Mais ne vous y méprenez pas : Ludi est son ami ; c’est Jacques son mari. Avec lui elle a eu cet enfant qu’elle aime tant et qui est là, silencieux mais présent, attachant, aimé, doré et chaud, ruisselant d’eau ou de sueur, ne réclament presque rien, juste de vivre dans cette chaleur, entouré de ces adultes. Un enfant comme chez Duras je crois, puisqu’il y a presque le même dans Moderato Cantabile. Un enfant calme qui joue, et qui n’est jamais bien loin de là où est sa maman. Toutefois Sara, comme la jeune femme de Moderato Cantabile, n’est pas seulement une mère ; elle est surtout une femme. Une femme dont s’éprend celui qu’on appelle l’homme, tout simplement, celui qui a un bateau, celui qui est libre et viril, sans attaches. Il a envie d’elle, et elle aussi, un peu. Pourtant leur passion n’aboutit pas, comme souvent chez Duras. Celui qu’elle adule, Sara, c’est son enfant.

Elle est un peu fatale Sara, un peu séductrice ; ce ne peut donc pas être elle la figure maritale de la vierge dans le livre. Pourtant il y en a une. Celle qui endosse le voile, c’est la vieille femme qui campe depuis trois jours dans la montagne ; les trois jours des quatre chapitres du roman. Elle reste dans la montagne, attendant de signer la déclaration de décès de son fils, mort en opération de déminage. La guerre, fatale même à rebours. Elle a ramassé les morceaux de son fils, les a mis dans une boîte à savon. Avec son mari, ils attendent dans la montagne. Le groupe des amis de Sara vient leur rendre visite. Ils sont accompagnés de douaniers aussi, dont l’un est l’amoureux de la bonne.

On se croirait presque dans du Ionesco. Il y a une bonne, deux couples, un enfant, un homme, et une femme dont on parle peu. Pourtant rien d’absurde, juste des silences, des paroles, et la vie.

 Le thème de l’enfance est récurrent dans le roman, puisque les hommes en ont souvent le comportement. L’enfant de Sara est même plus sage et plus facile à vivre qu’eux. Et il y a des doubles : la bonne semble incarner la face sensuelle et aigre-rebelle de Sara. Les deux femmes se querellent souvent, mais jamais Sara ne peut se résoudre à la renvoyer. Elles sont liées l’une à l’autre par quelque chose qui dépasse l’entendement : l’amour indéfectible qu’elles vouent, l’une à la passion, l’autre à son enfant. A un moment donné elles semblent intervertir leurs envies, mais ce n’est que de courte durée. Sara se lasse vite de la passion que lui voue l’homme (un certain Jean, comme on l’apprend tardivement). Ce dernier est d’ailleurs lui aussi une sorte de double sensuel de Jacques. Il incarne ce que celui-ci n’offre pas à Sara : la passion amoureuse dont elle aurait besoin, parfois.

Dans ce roman il y a beaucoup de silences, beaucoup de calme, beaucoup de rêve. On agit peu, on rêve d’ailleurs, et pourtant on reste là où l’on est. On rêve aux petits chevaux de Tarquinia. Peut-être va-t-on aller les voir, en Amérique... On y pense en tout cas, c'est déjà ça.

L’atmosphère est chaude, mais pas suffocante. Le roman respire le quotidien ; le quotidien de l’amour, du rêve, de la vie telle qu’elle est quand on n’a rien à faire. Agréable mais lassante. On sent la lassitude derrière chaque page. Pourtant, sa lecture n’en est pas déprimante. J’aime le style de Duras je crois ; avec ses silences, ses lentes mouvances, son calme brillant. Beaucoup de dialogues, mais rien de trop. Des descriptions en forme de rêveries…

Alors elle les vit de dos tous les deux. L’un, elle le connaissait pour toujours. L’autre, non, elle ne le connaîtrait jamais davantage. L’autre était un homme qu’elle ne connaîtrait jamais davantage. L’autre devenait un homme qu’elle ne connaîtrait jamais. On ne peut pas faire toutes les vies ensemble, dit Ludi. Ces connaissances n’étaient pas compatibles. L’enfant, à côté d’elle, criait de plaisir. Seuls, le sillage d’un bateau et les premières vagues des embouchures intéressent les enfants. L’homme vira autour de la digue, très largement, puis subitement, à toute vitesse, il s’en alla vers la haute mer. Jacques, debout, n’eut pas l’air de s’étonner. La plage d’éloigna et avec elle, la masse verdoyante des champs de maïs au bord de la mer. Les choses en étaient restées au même point, en somme, avec cette différence que leur silence était maintenant violé.

Un style sublime, dans la retenue, la reprise, la recherche de la juste pensée, celle qui suit le déroulement logique de l’esprit, la correction, la répétition, la belle répétition… Et le réel qui s’impose, un réel un peu sublime, joli et contrasté, avec la mer et la campagne, les champs et l’onde marine. Et enfin, le silence…

 

 

Lundi 13 juin 2011 à 14:46

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 L’autre sommeil, Julien Green

La mort du père, celle de la mère, le cousin Claude et l’admiration qu’il suscite, insondable et au bord du conscient. Voilà tout ce qui se passe dans ce roman à la première personne de Julien Green. Non, ça n’est pas une autobiographie, puisque le personnage qui dit «je » s’appelle Denis. Mais tout de même, je pense qu’on en est proche, dans le sens où, toujours, à travers l’écriture, transparaît la vision du monde et un peu de la vie d’un auteur.

C’est d’ailleurs ce qu’il dit a posteriori dans la préface (écrite à posteriori, mais située au début du livre et appelée préface...). Après tous les excès de la chair, les douleurs de la volupté, des plaisirs et des sens, Julien Green ressent le besoin de retrouver la sérénité et le calme ; pour cela, il se tourne vers son enfance. Mais au lieu de décrire son enfance au départ d’une promenade sur le pont de Paris, il invente l’enfance de Denis et de son cousin. Une enfance passionnée qui s’avère être le rêve littéraire d’une passion refoulée. Le tout sous couvert de la fiction.

J’avais besoin de souffrir en remplaçant ce qui fut par ce qui aurait put être et m’inventait une adolescence où Mark était présent avec moi. […] Quand le récit parut, quelques personnes crièrent à l’autobiographie. Je haussai les épaules. A part deux ou trois pages sur notre maison de campagne, presque rien dans cette histoire ne correspondait aux faits réels de ma jeunesse, mais comme tant de romanciers j’étais aveugle. Je faisais un tour de passe-passe dont j’étais le premier spectateur abusé. S’il n’y avait pas d’hallucination dans ce que l’écrivain nous raconte quand il peut inventer, il ne resterait plus beaucoup de poésie dans la littérature. Du plus profond de ses rêves surgit parfois le visage extasié de l’enfant torturé d’amour.

La réalité se trouve donc au-delà de la conscience, et parfois même au-delà du rêve. C’est d’ailleurs cette question du rêve qui est à plusieurs reprises soulevée dans le roman.

C'est une bizarrerie de mon esprit de ne croire à une chose que si je l'ai rêvée. Par croire, je n'entends pas seulement posséder une certitude, mais la retenir en soi de telle sorte que l'être s'en trouve modifié. Aussi, quelque insignifiante qu'elle soit, cette certitude vient toujours se mêler à mes pensées, mais il faut qu'elle pénètre en moi par la porte énéidienne qui livre passage aux songes véritables.

Les choses, les évènements, les êtres, ne prennent véritablement place dans nos vies qu’après avoir franchi la barrière de notre esprit et de nos rêves. On sent l’influence psychanalytique du XXème siècle derrière tout cela. Mais je ne peux m’empêcher d’y croire. Voilà un livre où j’ai découvert ce que longtemps je pressentais. Les mots sont écrits, l’expérience est rendue intelligible par la littérature. Seuls les mots d’un auteur auraient pu parvenir à rendre compte d’un tel phénomène. Comme dans les Pensées de Pascal (dont un extrait est cité en dédicace du livre), on peut aller jusqu’à penser que les moments de veille de nos vies sont pourraient être en quelque sorte un autre sommeil dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir.

Sinon ce court roman est surtout une introspection sur la morosité de la vie, des relations, de la solitude, le tout coloré d’une passion qu’on se refuse à voir. Encore une fois il est question d’homosexualité. Je ne sais pas ce qui fait que souvent, les écrivains préfèrent les hommes… peut-être le plaisir de la différence, et la passion de la souffrance (redondance… !)

 

Mercredi 15 juin 2011 à 23:47

 Le diable au corps, Raymond Radiguet
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" Ce petit roman d’amour n’est pas une confession, et surtout au moment où il semble davantage en être une. C’est un travers trop humain de ne croire qu’à la sincérité de celui qui s’accuse ; or, le roman exigeant un relief qui se trouve rarement dans la vie, il est naturel que ce soit justement une fausse autobiographie qui semble la plus vraie " (Les Nouvelles littéraires, 10 mars 1923).

Ceci n’est pas l’histoire de Raymond Radiguet; lui-même le dit. Et pourtant…

Ce jeune garçon qui s’éprend d’une jeune femme, Marthe, laquelle vient de se marier et a 3 ans de plus que lui, pourrait bien être la sienne. Raymond Radiguet n’a vécu que 20 ans. Vingt ans c’est peu, mais ça laisse le temps de vivre, et surtout de vivre une histoire d’amour. Même une véritable passion.

Ce court roman nous décrit toutes les dimensions de cette passion qui occupe les deux jeunes gens au point de leur faire oublier le reste, ou presque. Le narrateur est donc un jeune lycéen brillant, qui étudie peu mais réussit bien, curieux de tout et de la vie en particulier. Un jour on lui présente une jeune fille, fiancée à un soldat, et qui peint des aquarelles médiocres. N’empêche qu’il s’en éprend.

Quelques temps plus tard il la croise lors d’une promenade en ville, il passe la journée avec elle, choisit les meubles de sa future chambre à coucher, bref, s’immisce dans sa vie. Puis plus de nouvelles. Enfin, un jour, elle l’invite chez elle et là…

Rien que de bien ordinaire. Mais le tout est raconté avec beaucoup de finesse, et l’analyse du sentiment amoureux y est bien rendue.

Bien que mon amour me parût avoir atteint sa forme définitive, il était à l’état d’ébauche. Il faiblissait au moindre obstacle.

Donc, les folies que cette nuit-là firent nos âmes, nous fatiguèrent davantage que celles de notre chair. Les unes semblaient nous reposer des autres ; en réalité, elles nous achevaient. Les coqs, plus nombreux, chantaient. Ils avaient chanté toute la nuit. Je m’aperçus de ce mensonge poétique : les coqs chantent au lever du soleil. Ce n’était pas extraordinaire. Mon âme ignorait l’insomnie. Mais Marthe le remarqua aussi, avec tant de surprise, que ce ne pouvait être que la première fois. elle ne put comprendre la force avec laquelle je la serrai contre moi, car sa surprise me donnait la preuve qu’elle n’avait pas encore passé une nuit blanche avec Jacques.

Un beau passage mettant à l’honneur la figure du cop à l’âne (l’âne étant Jacques), où pourtant tout est logique, tout s’enchaîne et s’explique ; ce serait presque du flux de conscience. La passion et les aventures amoureuses à l’état brut. Il nous raconte tout, sans détails pourtant, synthétique quand il le faut, poète quand il le veut. Il nous raconte tout de cette grande passion d’un an, perturbée uniquement par les permissions de Jacques, ses lettres, et les parents de la jeune épouse. Le père du narrateur, étrangement, ne cherche pas tant que cela à le détourner de cet amour. Une empathie d’ancien épris ? Quoi qu’il en soit peu de choses, et finalement peu de gens, viennent compromettre cette passion qui s’abreuve de promenades et de journées passées au lit. Jusqu’au jour où Marthe tombe enceinte et où tout s’accélère…

Un court roman que j’ai beaucoup aimé (et dont pourtant je parle mal...). Pour un si jeune auteur, le style est vraiment agréable, la réflexion juste, le rendu fort proche du vrai. On s’y croirait ! Autant dire que je le conseille vivement. Ce bouquin a été adapté en film, mais je ne l’ai jamais vu encore. J’y penserai maintenant.

Une dernière petite chose : le titre provoque certaines attentes de lecture dont l’intensité s’avère être finalement atténuée. Certes avoir le diable au corps renvoie bien à l’enfance et à la jeunesse de ce narrateur qui connaît à 17 ans ce que certains hommes ne connaissent pas au cours de toute une vie. Cependant, pour un gamin, il n’est pas fou furieux, et gère la situation avec un certain pragmatisme, de manière assez posée et réfléchie. C’est surtout lors de leurs étreintes et dans le plus fort de sa passion qu’on peut dire que le jeune homme avait véritablement le diable au corps. A moins que cette manière assez mûre de prendre les choses ne soit due à ce style qui rend compte d’une introspection raisonnée et lucide. Parfois, souvent même, il avoue sa fougue et les relâches de sa jeunesse…

 

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