Le Monde dans les Livres

Lundi 4 juillet 2011 à 16:45

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 La Curée, Zola

« La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte » ; Phèdre aime donc son beau-fils, et c’est pas éthique. L’inceste est prohibée, refusée, honnie. Un peuple qui la tolère n’est pas digne de ce titre. Une société n’existe que quand l’inceste, lui, n’existe pas. Pourtant, dans le royaume de Thésée, comme dans celui de Saccard, l’inceste sévi, sans que le peuple en soit éradiqué.

Certes Renée n’est pas la mère de Maxime. Elle n’est que la jeune épouse de son père. Mais tout de même, la grande histoire des dieux et des déesses se reproduit à l’échelle humaine du tout Paris. Comme Phèdre tombée amoureuse de son beau-fils, Renée succombe au charme du jeune Maxime, un blondin efféminé et peu viril, mais plein de volupté et d’espièglerie.

Dans le Paris de Napoléon III, alors que tout change et se transforme, que les travaux s’organisent pour donner à la ville un ton de modernité (époque du baron Haussman), Aristide Saccard, venu de Plassant, cherche par tous les moyens à faire fortune (passion du gain hérité de sa mère). A l’origine, Saccard, ce n’est pas son vrai nom. En réalité, c’est un Rougon. Il est le frère d’Eugène, célèbre avoué de la capitale (et héros du roman éponyme, Son excellence Eugène Rougon). Pour se lancer dans la ville dorée sur laquelle pleuvent les louis d’or, ce vieux malin, après la mort de sa première femme, trouve une parade, grâce à sa sœur Léonie, instigatrice hors-pair : épouser la fille d’un riche bourgeois, engrossée à sa sortie du couvent par un homme qu’elle connaissait à peine, Renée. Grâce à la dot de cette dernière, il pourra lancer son trafic et se faire un nom dans la spéculation immobilière.

Grâce à l’argent de son mari, Renée va pouvoir mener un train de vie brillant, frivole, plein de dépenses diverses, de bals, de toilettes, de chichis et de chiffons. Elle s’étourdit au milieu de toutes ces frivolités offertes par la vie parisienne mais en réalité, elle s’ennuie. Elle s’ennuie à mourir dans cette ville où rien de neuf ne s’offre à elle, où elle connaît tout le monde et où tout le monde la connaît. Elle organise des dîners bien sages, des sorties au bois, des causeries à bailler. A trente ans, fleur de l’âge de la femme, elle a l’impression d’avoir tout vu. Cette femme un peu masculine, qui porte un binocle, un binocle d’homme, et a une face de garçon impertinent, ressent quelque chose comme du spleen et de l’engourdissement romantique. Elle regarde les paysages dans une attitude rêveuse et pensive qui  n’est pas selon moi sans rappeler un Lamartine. Elle s’ennuie… Et souhaiterait vivre quelque chose de fort, de grand, quelque chose qui lui fasse battre le cœur et lui échauffe les sangs.

Renée, fille d’honnêtes bourgeois, est victime du milieu dans lequel elle évolue et qui lui insuffle le besoin de s’engager dans de vertigineuses dépenses. Toutefois cela ne la désennuie pas ; elle cherche l’aventure. Elle va finalement la trouver dans les bras de Maxime, son beau-fils, un chérubin qui revient du pensionnat à l’âge de treize ans, et dont elle commence par s’occuper comme elle l’aurait fait d’une poupée. Elle va jusqu’à le déguiser en fille et le faire participer aux causeries qu’elle organise dans ses salons (Maxime a bien quelque chose du Chérubin de Beaumarchais que la comtesse déguise en femme pour qu’il se fasse passer pour elle, et qui d’ailleurs est amoureux de celle-ci, une femme mûre). Ce compagnonnage bon enfant continue jusqu’au jour où Renée réalise que ce petit garçon blondinet est devenu un séduisant jeune homme, auquel les jeunes aristocrates ne résistent guère. Dès lors les moments passés tous les deux deviennent des instants de séduction sensuels et gauches, jusqu’à ce que Maxime s’enhardisse à embrasser sa belle-mère. A partir de cet instant, rien ne fut plus pareil entre les deux jeunes gens (plus ou moins jeunes cependant !) : ce ne sont alors plus que cavalcades, rencontres sensuelles et étreintes voluptueuses dans les appartements de Renée, loin de tous soupçons de la part du père Saccard. Lui ne venait voir sa femme que pour régler des questions d’argent. Le thème de la sensualité est fortement présent dans ce roman, avec de nombreuses descriptions florales, petits paradis sauvages reconstitués, de serres moites et odorantes. Il y a d’ailleurs la description d’un lieu qui préfigure peut-être le Paradou de La Faute de l’Abbé Mouret : une espèce de serre ou de véranda installée sur le toit de la maison d’enfance de Renée, où celle-ci et sa sœur Christine allaient jouer et s’enivrer des rayons du soleil. Un lieu exceptionnel.

Dans cette maison morte, dans ce cloître, il y avait un nid chaud et vibrant, un trou de soleil et de gaieté, un coin d’adorable enfance, de grand air, de lumière large. Il fallait monter une foule de petits escaliers, filer le long de dix à douze corridors, redescendre, remonter encore, faire un véritable voyage, et l’on arrivait enfin à une vaste chambre, à une sorte de belvédère bâti sur le toit, derrière l’hôtel, au-dessus du quai de Béthune. Elle était en plein midi. La fenêtre s’ouvrait si grande, que le ciel, avec tous ses rayons, tout son air, tout son bleu, semblait y entrer. Perchée comme un pigeonnier, elle avait de longues caisses de fleurs, une immense volière, et pas un meuble. On avait simplement étalé une natte sur le carreau. C’était « chambre des enfants ».

Ce lieu a prédisposé Renée à la sensualité. Mais c’est avec Maxime, dans les appartements de son hôtel particulier, qu’elle en goûte les plus enivrants plaisirs, mêlant aux suavités florales la perversité du travestissement.

Ils eurent une nuit d’amour fou. Renée était l’homme, la volonté passionnée et agissante. Maxime subissait. Cet être neutre, blond et joli, frappé dès l’enfance dans sa virilité, devenait, aux bras curieux de la jeune femme, une grande fille, avec ses membres épilés, ses maigreurs gracieuses d’éphèbe romain. Il semblait né et grandi pour une perversion de la volupté. […] Et c’était surtout dans la serre que Renée était l’homme. La nuit ardente qu’ils y passèrent fut suivie de plusieurs autres. la serre aimait, brûlait avec eux. Dans l’air alourdi, dans la clarté blanchâtre de la lune, ils voyaient le monde étrange des plantes qui les entouraient se mouvoir confusément, échanger des étreintes. La peau d’ours noir tenait toute l’allée. A leurs pieds, le bassin fumait, plein d’un grouillement, d’un entrelacement épais de racines, tandis que l’étoile rose des Nymphéa s’ouvrait, à fleur d’eau, comme un corsage de vierge, et que les Tornélia laissaient pendre leurs broussailles, pareilles à des chevelures de néréides pâmées.

La nature domestiquée, les plantes grasses, orientales, aux parfums violents et aux couleurs exubérantes sont synonymes de sensualité, de volupté, de plaisirs charnels.

Les appétits ont également une place importante dans ce roman (comme toujours chez Zola). Dans le premier chapitre (incipit in medias res, on entre dans le feu de l’action, et l’origine des personnages ne nous est expliquée que plus tard, dans les chapitres suivants), on assiste à un dîner, mondain et fort policé. Les invités ne parlent qu’argent, bâtiments, spéculations, immobilier, travaux. Mais a la fin du roman, dans l’avant dernier chapitre, après le spectacle de théâtre mettant en scène Narcisse et Echo (Maxime est Narcisse, Renée Echo, bien entendu), les appétits se débrident, les aristocrates deviennent des chiens avides et affamés se jetant sur le buffet, telle une meute à laquelle on vient de donner les abats de la chasse : une curée. (curée vient du mot cor en Ancien Français, qui désigne le cœur. Le cœur et les poumons étaient les parties du cerf que l’on donnait aux chiens à l’issue de la chasse.) Renée est également comme donnée en pâture à son mari et à Maxime, et aux hommes en général. Un peu naïve et sensuelle, elle se laisse guider, souvent, par ses désirs.

Maxime, bien qu’il l’aime profondément, n’est pas passionné, et ne rechigne pas quand son père lui demande d’épouser Louise, une jeune fille de bonne famille, mariage qui sera profitable à ses affaires. L’ambition des hommes dans le roman est l’argent, l’or. Renée, elle, représente la chair. La chair qu’on aime, qu’on désire, ou qu’on dévore. Renée, prénom mixte, rime également avec « curée ». Zola avait d’ailleurs résumé son roman en ce groupe binaire : l’or et la chair.

Zola est dur avec le personnage de Renée. A la fin du roman, celle-ci, esseulée, meurt d’une méningite. Les derniers mots du romancier à son égard concernent ses dettes : La note de Worms (le couturier) se montait à deux-cent-cinquante-sept-mille francs. Pauvre femme… mise en pâture par tous les hommes… peut-être parce qu’elle leur ressemble…

Pour finir, la scène de première rencontre entre Maxime et Renée.

Un domestique venait de l’amener de la gare, et il était dans le grand salon, ravi par l’or de l’ameublement et du plafond, profondément heureux de ce luxe au milieu duquel il allait vivre, lorsque Renée, qui revenait de chez son tailleur, entra comme un coup de vent. Elle jeta son chapeau et le bournous blanc qu’elle avait mis sur ses épaules pour se protéger contre le froid déjà vif. Elle apparut à Maxime, stupéfait d’admiration, dans tout l’éclat de son merveilleux costume. L’enfant la crut déguisée. […] Quand Renée aperçut Maxime : - C’est le petit, n’est-ce pas ? demanda-t-elle au domestique, surprise de le voir aussi grand qu’elle. L’enfant la dévorait du regard. Cette dame si blanche de peau, dont on apercevait la poitrine dans l’entrebâillement d’une chemisette plissée, cette apparition brusque et charmante, avec sa coiffure haute, ses fines mains gantées, ses petites bottes d’homme dont les talons pointus s’enfonçaient dans le tapis, le ravissaient, lui semblaient la bonne fée de cet appartement tiède et doré.

« Ce fut comme une apparition », sans mauvais pastiche. La grâce d’une femme déguisée, un peu masculine, pleine de grâce et voluptueuse ; une apparition de chaire dans un carcan doré. Or et chair.

Un roman que j’ai vraiment aimé, et peut-être même plus que cela. Je crois même que je l’ai préféré à Nana, mon Zola favori. Exceptés les passages concernant la spéculation, c’est une fresque du Paris frivole et dépensier des plus colorée et vivante. Parfois, on aurait cru du Balzac. Bref, une très belle surprise. Toutefois, ce n’est peut-être pas le roman qui illustre le mieux la théorie de Zola, dans la mesure où le personnage principal, Renée, ne subit pas directement l’hérédité, n’étant pas une Rougon ou une Macquart. Elle, elle est une victime du milieu.

 

Vendredi 26 août 2011 à 21:06

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 Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld

Ce livre m’a semblé en forme d’équation ; comme s’il fallait chercher à chaque page, chaque chapitre, un indice pour la résoudre. Cette équation nous est donnée dès la préface : Les pages qui suivent sont des fragments de mémoire et de contemplation. Mémoire et faits ; recherche par la contemplation de ce qui fait la nature profonde d’un individu, la beauté d’un paysage, le charme d’un être. Lorsqu’on se laisse aller à la contemplation, il arrive souvent que la rêverie prenne le pas sur la réalité. Il en est de même dans la contemplation de ses propres souvenirs : la mémoire sélectionne des faits, des détails insignifiants, et leur insuffle la consistance d’évènements majeurs. Dès lors qu’on cherche à donner une signification aux choses, elles s’exacerbent et leur rapport avec le réel s’étiole à force d’épanchement. Mémoire et imagination vivent parfois sous le même toit.

Il va donc s’agir de comprendre en quoi cette autobiographie est une réinterprétation composite du passé, et ce à travers une réflexion sur la langue. Comment dire ce passé perdu, enfoui de l’enfance qui pourtant est si net, comment dire les années de guerre dont il ne reste qu’un magma difforme et effrayant, comment dire l’innommable alors que les mots ne suffisent pas ?

S’ajoute à la difficulté à dire avec des mots la difficulté à dire tout court ; dur combat entre mémoire et oubli, lutte sans merci entre sens et chaos. Or mettre fin au chaos n’est possible que grâce à la langue, et à la littérature. A elles deux, elles permettent de mettre en forme l’informe.

Toutefois ce livre, dont le titre donne à penser, n’est pas une autobiographie à proprement parler. Histoire d’une vie met en exergue la part de sélection, d’imagination, de fiction qui préside à tout récit, au caractère sélectif imparti à la création, aux choix qu’implique le récit d’une vie. Or la mémoire n’a pas tout retenu, la mémoire a pu oublier, la mémoire a souhaité oublié. Il faut donc que l’imagination recrée, utilise le matériau à sa disposition, ce matériau qui, chez notre auteur, est ancré dans sa chair. C’est comme si un autre esprit qui a vécu la guerre a sa place ; seul son corps se souvient […] les paumes des mains, le dos et les genoux se souviennent plus que la mémoire. Pour raconter la Shoa, il ne s’agit pas de rendre compte de faits précis ; il s’agit de faire parler les souvenirs de son corps, les perceptions, les sensations. Le palpable contre le factuel raisonné.

Dès lors qu’on s’en rapporte au corps et à ses perceptions, il est difficile de prétendre à l’ordre, à l’organisation, à un plan raisonné. Ainsi ce livre n’est pas un résumé, mais plutôt une tentative, un effort désespéré pour relier les différentes strates de ma vie à leur racine. Que le lecteur ne cherche pas dans ces pages une autobiographie structurée et précise. Ce sont différents lieux de vie qui se sont enchaînés les uns aux autres dans la mémoire, et convulsent encore. Une grande part est perdue, une autre a été dévorée par l’oubli. Ce qui restait semblait n’être rien, sur le moment, et pourtant, fragment après fragment, j’ai senti que ce n’étaient pas seulement les années qui les unissaient, mais aussi une forme de sens.

Il a attendu, au fond des caves silencieuses, dans lesquelles les mots n’avaient pas leur place, l’éruption. Eruption des souvenirs, de la parole enfin libérée, de la langue apte à rendre compte de tout cet innommable.

Ce livre est une réflexion sur le souvenir, la Shoa, la langue, l’indicible et sa nécessaire transmission. La phrase qui l’ouvre est une question : Où commence ma mémoire ? S’ensuivent quelques pages au présent de narration, scènes fortes et comme palpables, d’une précision étonnante et détonante pour qui lira la suite. Le passé est ici fort de sa présence. Le choix du présent permet de conférer à ses souvenirs une envergure de précision et de permanence. Souvenirs de séjours de vacances chez les grands parents, quand le temps avaient encore une signification, quand le passé et l’avenir se fondaient dans un présent rassurant. Les épisodes narrés tournent d’ailleurs autour des mots, de la langue. Les parents de l’auteur parlent allemand, ses grands-parents Yiddish. Dès son plus jeune âge, les mots ont recouvert une importance d’envergure pour Appelfled.

Par bribes nous sont ensuite contés des épisodes de la guerre, d’abord du ghetto, puis des déportations, des wagons, des peurs, des larmes, des camps, de la marche forcée. Mais ce sont seulement des bribes, des épisodes, de ces épisodes que la mémoire sélectionne et que l’imagination refonde. Bien entendu ce n’est pas l’essentiel. La fuite du camp, l’errance dans la forêt à 10 ans, tout ceci n’est que suggéré, dit à mots couverts, et même, à force d’espaces blancs. Ce n’est pas le plus important. Le plus important est la lutte qui suit les évènements, lutte entre mémoire et oubli.

Beaucoup, après la guerre, ont choisi de raconter. Les mots ont coulé, coulé, coulé d’abondance au point de se noyer les uns dans les autres et de perdre tout sens, s’ils en avaient. Le silence qui avait régné pendant la guerre et peu après était comme englouti par un océan de mots. Nous avons l’habitude d’entourer les grandes catastrophes de mots afin de nous en protéger. Appelfeld se fait donc critique envers mémoires, récits, témoignages et souvenirs divers souvent galvaudés, et qui pourtant ont pullulé au sortir de la guerre. Lui avait besoin de retrouver, à travers les méandres de sa mémoire et de ses sensations, sa légende intime, une poétique personnelle. La question de la langue s’est alors posée. Comment raconter alors que les mots ne viennent pas, et surtout qu’ils ne s’enchaînent pas ? Flots impétueux contre bégaiement. Il s’agissait de relier des chaînons, de trouver les bons mots ; en résumé, de trouver la bonne langue. Une langue qui permette de traduire les sensations, dès lors que les faits avaient sombré dans l’oubli. « Sans langue je suis semblable à une pierre. »

Sa langue maternelle est l’allemand. Mais l’allemand est la langue de l’ennemi, cet ennemi qui a tué sa mère. Sa mère et sa langue sont mortes en même temps. Il fallait donc en adopter une autre. Ce fut le Yiddish, puis l’hébreu. L’hébreu, cette langue ancienne et universelle, cette langue de la prière, qui permet de dialoguer avec Dieu. 

Jeudi 1er septembre 2011 à 21:28

 Chronique de lectures d’été

Il a un temps pour tout ; un temps pour le travail, un temps pour le repos, un temps pour les loisirs, un temps pour la lecture, un temps pour l’amitié, un temps pour la famille, un temps pour l’amour, un temps pour la remise en question. J’ai tout expérimenté cet été ; tout s’est enchaîné, enchevêtré, mêlé et croisé.

Il semble que je n’ai rien lu, et pourtant…

J’ai beaucoup lu cet été, lu parce que je me suis reposée, mais aussi parce que je me suis remise en question, et un peu parce que j’ai travaillé. Bref, il est temps, maintenant, de faire un petit rapport de ces lectures d’été…

 

Un très grand amour, Franz-Olivier Giesberg

L’amour, c’est quoi ? et surtout, un grand amour ? C’est cette expérience unique du très grand amour que nous décrit l’auteur avec beaucoup de discernement et d’autodérision, humour et recul obligent, puisque finalement, de cette expérience, il n’en reste que des miettes ; des miettes de souvenirs. Juliette, cette fille aux cheveux blonds qu’il a tant aimée, Juliette qu’il a rencontré à la fac, normal, trop ordinaire presque pour un très grand amour, Juliette qu’il va aimer, pour laquelle il abandonne sa famille, pour laquelle il aurait tout fait, parce que pour lui, elle est cet accroissement d’être que doit être l’amour et dont parle Spinoza. Mais entre eux il va il y avoir le cancer, les soins, le refus de l’ablation, parce que la virilité, c’est ce qui fait exister l’homme auprès de la femme. Alors on se sépare. Et le grand de l’amour alors ? Un très beau roman.

 

La solitude des nombres premiers, Paolo Giordano

Alice et Matthia sont deux jeunes un peu à part dans la société, un peu seuls, parce qu’ils le veulent mais aussi, peut-être, parce qu’ils ont quelque chose d’unique : ils s’apparentent à des nombres premiers, ces rares nombres premiers qui, plus ils augmentent, plus ils deviennent rares et éloignés les uns des autres. Il semble que le destin de ces personnages d’une insondable tristesse, qui essaient de maintenir la tête hors de l’eau mais n’y parviennent qu’avec peine, soit similaire à ces nombres, qui s’éloignent, s’éloignent, s’éloignent, pris par la vie. De l’infini dans du fini, des étoiles parcellaires dans un ciel sans limites. Un roman très sympathique, bien loin des préjugés que je pouvais avoir à son égard. Un de mes « coups de cœur », pour parler in.

 

La délicatesse, David Foenkinos

J’avoue, j’ai lu ce livre comme on regarde un film de fille : avec une frange de honte, mais beaucoup de plaisir. Pour se vider la tête rien de mieux ; pour rêver un peu aussi. C’est une histoire incroyable, un peu ridicule tellement elle est incroyable, un peu ridicule parce que c’est une histoire d’amour. Et que l’amour, c’est toujours un peu ridicule ; positivement ridicule. Bref, c’est l’histoire d’une veuve qui retrouve l’amour. Elle est encore jeune et belle, tristement belle ; un jour, sur un coup de tête, elle embrasse un insignifiant collègue (sic). Et là…   Bref, c’est un roman de fille, mais il a tout de même reçu un certain nombre de prix littéraires malgré tout, a été traduit dans une multitude de langue, et permet de passer un bon moment. Que demander de plus en vacances ?

Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld (cf chronique sur ce blog)

L’attrape-cœurs, J. D. Salinger

Holden Caulfield s’est fait renvoyer du lycée. Ce jour et le suivant vont alors marquer un tournant dans sa vie. Ces deux journées pas comme les autres nous sont racontées par la voix même du jeune garçon, voix de la rue, voix populaire, voix d’un type qui découvre le monde, les autres, les filles, la vie. Un garçon exceptionnellement sensible sous la gouaille, dont le rêve est d’empêcher les enfants de tomber de la falaise ; autrement dit, d’empêcher les enfants de grandir. Parce que l’enfance, c’est le meilleur de la vie.

http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2009/06/05/222-l-attrape-coeurs-de-jd-salinger

Thérèse Desqueyroux, François Mauriac (à venir sur ce blog)

L’espèce fabulatrice, Nancy Huston

Toute notre vie est constituée de fictions ; l’homme a conscience de sa mort, alors il invente des histoires, pour donner un sens à cette vie qui file. Nancy Huston nous le montre, en à peine 200 pages, jouant de l’essai et de l’imagination. Au centre : la littérature. Génial.

http://culturofil.net/2008/06/07/lespece-fabulatrice-de-nancy-huston/

Dans ces bras-là, Camille Laurens

Voilà le roman de Camille Laurens qui lui a valu les honneurs ; ceux des lycéens, mais aussi de Tom (cf blogroll). Dès que je l’ai vu, dans un rayon au ras du plancher, au premier étage de l’immense librairie de Banon, j’ai pensé que ça allait être génial. Et forcément, comme toujours, déception. Certes ce livre est un hymne à l’homme, autofictif, qui parle des amis, des amants, du père, de sexe, d’amour, de rencontres. Des thèmes masculins, virils, agréables, palpables ; mais la construction, l’enchaînement des chapitres, leur répétition… au risque d’en faire crier certains, j’ai trouvé cela un peu lassant… Un souvenir mitigé… Peut-être devrais-je m’y replonger ; à rebours, j’exprime très mal mon jugement.

Vies minuscules, Pierre Michon

Un livre extraordinaire. L’écriture retenue, complexe, longue, un peu lente, méditative, presque biblique, m’a déroutée. Je n’ai pas tout compris ; j’ai eu du mal à bien entendre cette voix presque prophétique. Un prophète du temps passé. A travers le récit de plusieurs vies minuscules, vies de paysans, de grands-parents, de vieillard illettré, d’enfant mort ; à travers la vie des petits, des faibles, des oubliés de la vie ; à travers eux, l’auteur se dit. Une hétérographie difractée ; miroir brisé dont il est le point central. Avancée chronologique camouflée sous les masques des petites gens, ce livre, à sa moitié, devient une illustration de l’errance du poète, ce poète que souhaite devenir Michon, ce titre de poète que lui refuse la page blanche. Poète à la Nerval, un peu fou, amoureux fou et désespéré, mais surtout Rimbaud, jeune Rimbaud errant à la recherche de la beauté. Rimbaud, ce double poétique qui hante Michon depuis l’enfance, comme on l’apprend ici. Genèse de Rimbaud le fils ? Pourquoi pas ! Un livre au ton complexe, sérieux, mais une illustration parfaite de l’errance poétique à travers les masques des petits et des grands.

La conversation amoureuse, Alice Ferney

On dit souvent le meilleur pour la fin. Dans ce cas, c’est vrai. L’histoire semble fort banale, surtout au long des cinquante premières pages : un homme a rendez-vous avec une femme ; ils se séduisent, se cherchent, se fuient. Désir, amour, passion ; énamoration. Rien de plus banal, du déjà vu, vu et revu. Mais le style surprend. Une sorte de monologue intérieur, à deux voix, voire trois : celle de l’homme, celle de la femme, et celle de l’auteur. Les paroles sont rapportées au discours indirect libre, les dialogues s’enchaînent sur la page sans leurs signes conventionnels, les pensées et les voix se croisent et s’expliquent les unes les autres. On comprend tout (ou presque) de l’amour, que ce soit dans la tête de la femme, ou dans celle de l’homme. Bon d’accord, c’est un peu cliché, l’homme qui désire, la femme qui pense ; mais finalement, chacun pense et désire, et ça donne quelque chose de sensuellement réflexif ; une manière unique de faire voir l’amour. Et puis, en parallèle, la vie de plusieurs couples nous est contée ; la vie de plusieurs couples lors de cette même soirée où Alice et Marc (l’homme et la femme en question) sont tout à leur rencart. Finalement tout le monde se retrouve, un peu comme Mrs Dalloway se retrouve à la fête à la fin de la journée. Tout le monde se croise avec ses peines, ses joies, ses amours, son divorce, ses enfants, ses crises et ses disputes. Les désirs eux aussi se croisent, et évoluent au fil du temps, comme l’illustre la seconde moitié du roman. Au restaurant, au téléphone, au lit ; au cours du reste de la vie. Un roman unique, dans un style jamais vu. Brillant, émouvant, scotchant.

 

 

 

 

 

 

Vendredi 2 septembre 2011 à 11:09

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 Le Montespan, Jean Teulé

Epouser sur un coup de foudre la plus belle femme du royaume, c’est bien ce qui a pu arriver de mieux à ce marquis déchu qu’est Montespan. En dehors d’elle, sa Françoise née Mortemart, pas grand-chose ne lui sourit. A la guerre il est mauvais, de dettes il est criblé, et par le roi reconnu il n’est plus. Mais il s’en fiche, il a Françoise. Belle comme une statue, douce comme une pièce de soie, drôle, piquante et émoustillante comme le seront les revues parisiennes, cette femme fait son bonheur, sa vie, sa joie. Jusqu’au jour où sa personne croise le regard du roi…

On ne peut rien lui refuser à celui-là, le Roi Soleil, un dieu descendu sur terre ; même pas sa femme. Au début il fait bon être l’époux d’une des favorites ; on a des prérogatives, des grades, des galons. Mais quand cette femme passe son temps à Versailles ou Saint-Germain et qu’elle revient grosse d’un autre à la maison, trop c’est trop, et ce bon vieux Louis-Henri devient accablé et fou de chagrin.

Cette Athénaïs qui fait fantasmer la cour et surtout le roi n’a plus grand-chose à voir avec la Françoise de ses rêves, avec l’amour de sa vie. Elle est devenue superficielle, exigeante, dépensière ; elle laisse sa petite fille mourir de chagrin, son fils devenir le duc d’Antin arrogant. Montespan, désespéré à un point hyperbolique, en vient à organiser l’enterrement de son amour et à obliger un de ses gens à défiler devant lui revêtu de la robe de mariée de Françoise. Un carnaval.

Carnaval tragique, mais tellement drôle ! Montespan est très attachant. Dans son chagrin, il n’en oublie pas l’amour, qui le fait vivre. Et cette passion inextinguible, liée à son caractère bon vivant et débonnaire, forment un détonnant coktail, cocasse et plein de rebondissements. Sujet peu traité, le cas de Montespan, en marge de la cour et pourtant fortement lié à elle (on comprend que, selon la loi de l’époque, étant l’époux d’Athénaïs, il est le père légitime des bâtards sur roi !), est irrésistiblement drôle et tragique à la fois. Le ton employé par l’auteur concourt également à faire naître le rire par le décalage, la force et l’imagination débordante de ce petit personnage qui n’hésite pas à provoquer le roi, et à installer des cornes de cerf sur son carrosse. Une vie cocasse, narrée avec une verve burlesque étonnante.

Les références historiques sont d’ailleurs très présentes et très sérieuses, puisqu’on retrouve sans peine des anecdotes à la Saint-Simon (dont Jean Teulé se fait sans doute le digne héritier !), des personnages historiques comme Lauzin, ou encore l’auteur lui-même, un certain Teulé, misérable noble, ruffian et faux monnayeur, auquel les marquis de la région versent une petite rente pour qu’il ne tombe pas trop bas dans la crapule, qui va aider Montespan à fuir en Espagne.

Tous les personnages de ce roman sont hauts en couleurs, du roi à la cuisinière en passant par les perruquiers et autres marchands. Le trait est cinglant, sans merci, burlesque jusqu’à plus soif, rabelaisien à ses heures, le bas grotesque et source de plaisirs à l’honneur. Un livre assez exceptionnel !

 

 

Vendredi 9 septembre 2011 à 23:29

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 Les chaussures italiennes, Henning Mankell

A 66 ans, on peut encore retrouver l’amour de sa vie, devenir père, demander pardon, pleurer, avoir peur, voyager, manquer de mourir sous la glace, et être un héros de roman. Fredrik Welin l’a fait en tout cas ; à soixante-six ans.

Pourtant le narrateur est un Robinson du froid. Il vit seul sur une île, avec son chien et son chat. Cliché d’ermitage ; il se fait de vieux os. Mais un jour son amour de jeunesse – dont la jeunesse n’est plus la caractéristique- vient lui rappeler son existence. Descendue d’on ne sait où accrochée à son déambulateur, Harriet vient. Celle qu'il a tant aimée vient, revient après tant d'années. Première visite depuis douze ans de solitude. Mais cette visite n'est pas sans motif : non pas seulement essayer de comprendre ce qui a pu passer par la tête de son ancien amant pour qu’il l’abandonne ainsi, quarante ans plus tôt, mais aussi rappeler certaines promesses, et certaines réalités.

A partir de cette ligne, je vais spoiler sévère, donc à ceux qui veulent savourer l’intrigue rebondissante de ce grand roman, je conseille d’arrêter ici leur lecture. Pour les autres…

La première découverte que fait Fredrik, c’est qu’il est père. Un ancien amour et un enfant qui surgissent alors, d’un coup, bourrasque au milieu de la vacuité. Il n’avait rien, et il a tout. Ou presque. Parce que l’histoire ne s’arrête pas là, ce serait trop facile –et trop niais. Une dizaine d’années plus tôt, notre narrateur a commis une faute, une grave faute, qui explique son retrait sur cette île suédoise loin de tout. Il a amputé le bras d’une femme ; le mauvais bras. Chirurgien de prestige, Welin a manqué de discernement, d’attention, de rigueur, et la vie d’une jeune femme, Agnès, en a été changée. Un ouragan ayant déboulé dans sa vie, il n’hésite pas – ou presque- à s’engouffrer dans les rafales et à rendre visite à sa victime. Celle-ci, contre toute attente, le reçoit aussi cordialement qu’il est possible, et lui fait rencontrer ses trois protégées, des jeunes filles perturbées, au lourd passé. L’une d’elle porte avec elle, sans cesse, un sabre de samouraï – c’est pour dire…

De la suite, je n’en dirai rien. Succession d’invraisemblances, de coups de théâtre, de rebondissements. On ne s’ennuie pas un seul instant, et tout, même l’épisode le plus imprévisible, tout s’enchaîne dans un seul et unique souffle. Un souffle symphonique, puisque l’auteur a intitulé ses chapitres « mouvements ». Cinq mouvements qui nous font traverser des paysages et des saisons, dans un rythme tantôt lent tantôt frénétique, en alternance avec les prompts départs du narrateur –il aime s’enfuir, partir, sans rien dire et aussi vite que l’éclair- et ses périodes de solitude.

Le narrateur est exceptionnel. Ce qui lui arrive en l’espace d’un an pourrait remplir une vie ; ces quelques mois concentrent plus d’émotions, d’évènements et de rencontres que ses vingt dernières années réunies. Et pourtant, il continue à fuir ; repartir, revenir ; un allegro alternant avec de lentes modulations ; de longues pauses au cours desquels il réfléchit le cours de sa vie, et l’infléchit. Pendant ce temps, le vieil italien continue à fabriquer ses chaussures…

Que de mystères, de rebondissements, de surprises et de palpitations ! Il en reste et pourtant, j’ai dévoilé une bonne partie de l’histoire. Bourré d’invraisemblances et de quelques clichés, ce roman est exceptionnel, parce que tenu par un héros tel que j’en ai rarement rencontré : un homme, avec ses failles, ses faiblesses, mais aussi son courage et sa volonté de vivre. Bref, sous le cliché, c’est vraiment génial !

Un avis hyper enthousiaste d'ailleurs : http://aliasnoukette.over-blog.com/article-les-chaussures-italiennes-henning-mankell-79870776-comments.html#anchorComment

 

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