Le Monde dans les Livres

Vendredi 27 août 2010 à 16:10

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/loeuvrezola.jpgL’Oeuvre, Emile Zola
Comme parler de L’œuvre de Zola sans trop en dire, sans trop « spoiler » comme on dit, sans trop commenter… ? Je vais tenter quelque chose, je ne sais encore quoi. Je vous dirai si je spoile trop…
Commençons par un bref résumé:  Claude Lantier, le fils de Gervaise (L’Assomoir) est peintre. Alors qu’il rentre chez lui par un soir d’orage,  il tombe nez à nez, sous un porche, avec une jeune fille. Il ne la voit pas mais l’entend et la sent, grelottante et tétanisée de peur. Il la fait monter chez lui, la fait coucher, fébrile, dans son lit. Lui dormira sur le divan. Au matin, alors que Claude se réveille après une nuit agitée, perturbé qu’il était par la présence de cette femme, il découvre une dans son lit une beauté telle qu’il n’en avait jamais vu
C’était une chair dorée, d’une finesse de soie, le printemps de la chair, deux petits seins rigides, gonflés de sève, où pointaient deux roses pâles. Elle avait passé le bras droit sous sa nuque, sa tête ensommeillée se renversait, sa poitrine confiante s’offrait, dans une adorable ligne d’abandon ; tandis que ses cheveux noirs, dénoués, la vêtaient encore d’un manteau sombre. […] C’était ça, tout à fait ça, la figure qu’il avait inutilement cherchée pour son tableau, et presque dans la pose. Un peu mince, un peu grêle d’enfance, mais si souple, d’une jeunesse si fraîche !
Une scène de rencontre originale, une histoire d’amour naissante. Voilà ce qui occupe la première partie du roman. Mais il y a aussi, et surtout, l’art. La peinture pour Claude, la littérature pour Sandoz, l’architecture pour Dubuche, la sculpture pour d’autres. Tous veulent entrer au Salon (le Salon Carré dans laquel étaient exposées chaque année, depuis le XVIIIème siècle, les oeuvres des peintres, sculpteurs et architectes choisies par le jury). Tous redoublent d’effort. Et tous les jeudis, ces artistes, dans une fraternité des arts, se retrouvent chez Sandoz. Qui ne reconnaîtrait pas Zola lui-même à travers ce personnage et ses discours ? Et les soirées de Médan dans ces dîners parisiens ? L’œuvre est un roman un peu à part dans le cycle des Rougon-Macquart. Zola y traite de questions de son temps, de l’art, du Salon, de l’hypocrisie et de la vénalité du jury.
L’ensemble de l’œuvre - fort bien construite, évidemment- fonctionne en dyptique, des miroirs dont le second est déformé, illustrant le déclin de cette jeunesse artistique et bouillante au début, qui peu à peu se fane. Et même quand certains voient leurs œuvres exposées au Salon, personne ne les saluent, le public reste froid…
Claude est victime de l’hérédité. Il peint jusqu’à l’épuisement, est incapable d’autre chose, même d’amour. Il s’obstine à peindre une figure de femme nue, rivale de la malheureuse Christine. Il sombre dans la folie, cherchant chaque année à exposer au Salon. Sa dernière ambition est une toile impressionniste immense représentant la Cité vu du pont des Saints-Pères. Une obstination qui le tue à petit feu…
Pressenti comme le chef de file de ce qu’ils appellent l’école du plein air, Claude s’obstine, mais son talent se gâte, il est incapable de produire des toiles comme celles de ses débuts, pourtant prometteurs. Héros Zolien, il est victime du temps, des gènes qui s’expriment, de l’hérédité fatale… Il ne produit rien d’assez bon pour figurer au Salon. Pourtant, lorsqu’il y retourne, une dizaine d’années plus tard, de nombreux tableaux de cette veine (naturelle et impressionniste) fleurissent et irradient sur les murs du Salon parisien. Il ne laisse rien signé de son nom, mais ses idées, cependant, auront été semées.
Ce roman est par ailleurs l’illustration des ambitions zoliennes. Celle de l’art reproduisant la nature, d’un cycle romanesque basé sur le positivisme, de la science salvatrice. Bref, un roman un peu idéologique, dont l’intrigue sombre peu à peu dans un marasme gluant, duquel les héros ne peuvent se tirer. C’est ce que je reprocherais à Zola : on ne peut jamais croire au bonheur de ses héros. Si dans la première partie l’idylle entre Claude et Christine est des plus adorables, on sait par avance qu’on ne peut y croire un seul instant. On sait que Claude est le fils de Gervaise, qu’il est victime de l’hérédité, et qu’il va sombrer dans la folie. Mais c'est la dure loi du naturalisme et du positivisme dans l'art...
 Autant dire que la seconde partie du roman est des plus noires, et n’est pas des plus agréables à lire, même si le style de Zola est toujours aussi beau et limpide. Alors que la première partie était celle de la naissance (de l’amour, du talent, de la peinture,…), la seconde est celle de la mort (de l’enfant débile de Claude et Christine, de leur passion, et d’autres…)
En bref : Une splendide fresque illustrant ce qu’était l’art au XIXème siècle, et la naissance d’un nouveau courant. Un roman qui se lit bien, des réflexions sur l’art des plus intéressantes, mais une histoire d’amour des plus tristes…
Un roman du cycle à lire avec d’autant plus d’intérêt qu’il est un métadiscours sur l’ensemble de l’œuvre de Zola.
Dernière petite chose : ce n’est pas sans sourire que l’on voit que le seul qui s’en sorte parmi tous ces artistes est bien sûr… le romancier ! Mais Zola n’a-t-il pas bien raison de se donner la part belle dans sa propre Œuvre ?
Par B0uille le Vendredi 27 août 2010 à 20:24
J'ai adoré ce livre, c'est le premier de Zola que j'ai lu, et c'est avec lui que j'ai décidé de lire tous les Rougon-Macquart =) J'avance, j'avance. je ne sais pas si tu as lu l'Education Sentimentale, mais si c'est le cas, tu ne trouves pas un parallèle avec la peinture des enfants morts ? Ca m'a frappé à la lecture
Par Paradoxale le Samedi 28 août 2010 à 16:16
Zola ! Nous avons pas mal de goûts en commun concernant la littérature. Je n'ai jamais lu l'Oeuvre, mais je compte bien lire tous les Rougon-Macquart un jour , même si, comme tu dis, on sait forcément que l'hérédité va tout faire basculer. Mais il me semble que dans Le bonheur des dames, il y a une fin plutôt heureuse, non ? Enfin, ca reste un fin à la Zola ^^ J'aime beaucoup l'anecdote de la fin ;)
Par Mot.PaSsant le Dimanche 29 août 2010 à 13:28
Ah, l'Oeuvre! Une poignante leçon d'art pur, à n'en pas douter. La trame narrative est affreusement banale, un vrai topos littéraire que je pensais - à tort, je le confesse - impossible à rénover depuis Poe. Mourir pour l'art? Allons donc! Il fallait bien tout le rayonnement et l'obstination zoliennes pour cette folie ^^

Je ne me souviens pas que la théorie de l'hérédité ait été si visible dans ce roman-ci (il est vrai que ça fait un moment que j'ai pas mis le nez dedans!). On a parfois bien l'impression que Claude a, au contraire, l'opportunité de transformer - par son seul talent - sa vie d'errance en destin, via cet incroyable catalyseur qu'est l'amour de l'art auquel rien ne le prédisposait. Un roman plus lucide en somme.
C'est en ce sens qu'il est un héros tragique, victime d'une sorte de fatalité, qui n'est pas celle du sang, mais celle d'un inusable carcan social. La malédiction des gènes ne s'incarne qu'à travers l'enfant mort, qui porte dans sa chair le fardeau de la stérilité (et qui rappelle celui de Frédéric dans l'Éducation sentimentale)... Cette théorie de l'hérédité est plus éclatante dans Thérèse Raquin, ou encore l'Assommoir...

Je trouve intéressant que Zola se soit brouillé à mort avec son grand ami Cézanne (dont il se serait inspiré pour le personnage de Claude) suite à la publication: il m'avait semblé discerner en Claude un amoureux fou, héroïque jusque dans sa noirceur, comme un beau fruit amer et infécond. Difficile d'imaginer une reconnaissance plus effrayante et plus belle!
Le bout du génie c'est bien la mort, parce que la peinture -comme la sculpture ou l'écriture- est une maîtresse tyrannique et cruelle; l'épopée de l'inspiration, comme tu le dis, assassine aussi sûrement qu'elle fait naître les chef-d'œuvres.

Un bien bel article encore une fois!<3

Elsa
Par lemonde-dans-leslivres le Dimanche 29 août 2010 à 15:36
Je trouve la frontière extrêment ténue entre la fatalité du sang et celle de la société. Certes, les tableaux de Claude sont refusés par le Salon. Mais aussi, sa folie grandie de plus en plus, et son amour infécond pour sa femme se meut en amour infécond de sa peinture. Il devient incapable de peindre, comme il l'a été d'enfanter. Sa peinture, tout comme son seul enfant, sont délétères. Je pense que la théorie de l'hérédité etst poussée ici à une extrêmité presque symbolique, puisqu'il s'agit d'une stérilité maladive dans l'art, qui vient avec le temps.
Mais je suis d'accord avec toi quand tu dis qu'il est un héros tragique : il sacrifie tout pour son amour, jusqu'à en mourir. Il est victime du fatum. En cela, je pense qu'il lui est impossible de s'en sortir. C'est bien ce qui me déplait chez Zola, cette grande machine en marche (mue par les gènes...) que rien ne semble pouvoir arrêter. Toujours, Claude veut mieux, il veut être exposé au Salon; toujours il retourne sur le pont pour voir sa Cité; sans cesse, il fait et refait sa femme nue... Mais dès qu'il approche du but, une main invisible le replace sur la route de l'échec qui brise...
Il est vrai que je ne pense pas que l'art soit contenu dans le patrimoine génétique. Mais c'est un peu comme si Zola avait appliqué sa théorie de l'hérédité à la création artistique et à l'amour de l'art, qui finalement devient comme une maladie. Toutefois on ne saurait réduire l'art ainsi, c'est pourquoi je parle d'extrêmité symbolique.
Par Mot.PaSsant le Dimanche 29 août 2010 à 16:38
Je suis tout à fait d'accord avec ce que tu dis sur l'hérédité. Elle est plus symbolique que symptomatique dans ce roman. La fragilité mentale de Claude est un héritage, dû au sceau maudit de la dynastie fondée par Adélaïde. La transposition de cette instabilité physiologique au monde (non moins instable!) inaugure le cercle fatal de l'"incréation" permanente, un poison qui a longtemps terrorisé la génération des romantiques.
J'ai toujours été fascinée par ce que tu nommes l'inébranlable mécanique zolienne, écrasante et sublime. Et cela ne m'empêche pas de penser que le "roman expérimental", "naturaliste" est une vaste connerie. J'irai même jusqu'à dire que par instant, la prose de Zola forme un contre-monde fantastique, qui enflamme toute velléité de réalisme. La femme nue, éternelle rivale de sa jeune compagne, est le miroir tordu d'un idéal perverti: elle a je crois un incroyable corps solaire, et des proportions monstrueuses (comme les sculptures de son bon ami). Nous sommes invités, à travers elle, hors des frontières de notre univers familier, que notre ami Zola avait pourtant sacralisées.

Cette femme rêvée est issue de la chair même du Destin.

Je comprends qu'on puisse être gêné par ce cortège d'êtres condamnés, au fil des romans... Alors il faut prendre l'auteur à son piège expérimental, et traquer les lambeaux d'espoir. Ils sont nombreux, fugitifs et lumineux. Le siècle de Zola n'est pas celui de l'espérance, ni celui de la liberté. C'est là ce qui nous heurte.


Je suis également tout à fait d'accord avec ce que tu dis sur la limite entre l'environnement et le sang. Elle est ténue... Parce que c'est finalement le corps social lui-même qui est malade.

=)
Par Jules Barbant D'Or-Et-Vieilli le Jeudi 9 septembre 2010 à 15:53
Je suis encore une fois assez bluffé par tes commentaires, ma chère demi-anglaise, qui sont, je me répète, frais tout en étant sérieux et complet, prouesse entre l'académisme et le billet d'humeur qui me plait énormement.

Tu connais ma réticense pour Zola, et pourtant ton article a finalement l'audace... de me le faire détester encore plus! Ce n'est pas du tout un reproche, au contraire ton article selon moi souligne bien les nerfs qui sous-tendent l'oeuvre de Zola, nerfs que "l'on aime ou que l'on aime pas", mais qui quant a moi me donne une franche nausée.

Un cycle romanesque illustrant le fatalisme des gènes, un déterminisme a la fois social et génétique des plus écoeurants, le tout dans une ambiance de positivisme, de foi ,absurde disons le clairement, en la science... On est pas loin de la frénologie, ce qui m'effraie complètement. Comme l'avait dit un ami commun "En lisant Zola, on comprend comment un homme de gauche construit le terrain du totalitarisme". La phrase est une provoque, elle n'en demeure pourtant qu'a moitié exagérée.

Si cette frayeur resté du domaine de l'idéologie, je pourrais sans doute en faire abstraction, mais cette croyance positiviste se ressent aussi bien souvent dans le style même de Zola, avec de longs et "savoureux" passages qui "sentent la fiche". Le positivisme conduit a écrire comme on calcule, au sens large du terme.

Tremplin qui me permet d'en venir ou je voulais en venir: une anecdote qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui selon moi illustre bien les dérives de l'écriture de Zola. Savais-tu que la description du "Bonheur des Dames", qui est en fit la description fidèle du Printemps, n'est qu'un vaste reponpage d'une fiche d'un étudiant en architecture décrivant cette si connue halles de Paris? Finalement, pour citer une prof du Louvre "Zola écrit comme un DEUG".

Très bon article qui me confirme donc ma haine de Zola, merci mille fois AC D-M-E :)! Je te promets un commentaire plus positif quand tu traiteras de Flaubert, Wilde ou D'Aurevilly, je le jure...
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