L’Oeuvre, Emile Zola
Comme parler de L’œuvre de Zola sans trop en dire, sans trop « spoiler » comme on dit, sans trop commenter… ? Je vais tenter quelque chose, je ne sais encore quoi. Je vous dirai si je spoile trop…
Commençons par un bref résumé: Claude Lantier, le fils de Gervaise (L’Assomoir) est peintre. Alors qu’il rentre chez lui par un soir d’orage, il tombe nez à nez, sous un porche, avec une jeune fille. Il ne la voit pas mais l’entend et la sent, grelottante et tétanisée de peur. Il la fait monter chez lui, la fait coucher, fébrile, dans son lit. Lui dormira sur le divan. Au matin, alors que Claude se réveille après une nuit agitée, perturbé qu’il était par la présence de cette femme, il découvre une dans son lit une beauté telle qu’il n’en avait jamais vu…
C’était une chair dorée, d’une finesse de soie, le printemps de la chair, deux petits seins rigides, gonflés de sève, où pointaient deux roses pâles. Elle avait passé le bras droit sous sa nuque, sa tête ensommeillée se renversait, sa poitrine confiante s’offrait, dans une adorable ligne d’abandon ; tandis que ses cheveux noirs, dénoués, la vêtaient encore d’un manteau sombre. […] C’était ça, tout à fait ça, la figure qu’il avait inutilement cherchée pour son tableau, et presque dans la pose. Un peu mince, un peu grêle d’enfance, mais si souple, d’une jeunesse si fraîche !
Une scène de rencontre originale, une histoire d’amour naissante. Voilà ce qui occupe la première partie du roman. Mais il y a aussi, et surtout, l’art. La peinture pour Claude, la littérature pour Sandoz, l’architecture pour Dubuche, la sculpture pour d’autres. Tous veulent entrer au Salon (le Salon Carré dans laquel étaient exposées chaque année, depuis le XVIIIème siècle, les oeuvres des peintres, sculpteurs et architectes choisies par le jury). Tous redoublent d’effort. Et tous les jeudis, ces artistes, dans une fraternité des arts, se retrouvent chez Sandoz. Qui ne reconnaîtrait pas Zola lui-même à travers ce personnage et ses discours ? Et les soirées de Médan dans ces dîners parisiens ? L’œuvre est un roman un peu à part dans le cycle des Rougon-Macquart. Zola y traite de questions de son temps, de l’art, du Salon, de l’hypocrisie et de la vénalité du jury.
L’ensemble de l’œuvre - fort bien construite, évidemment- fonctionne en dyptique, des miroirs dont le second est déformé, illustrant le déclin de cette jeunesse artistique et bouillante au début, qui peu à peu se fane. Et même quand certains voient leurs œuvres exposées au Salon, personne ne les saluent, le public reste froid…
Claude est victime de l’hérédité. Il peint jusqu’à l’épuisement, est incapable d’autre chose, même d’amour. Il s’obstine à peindre une figure de femme nue, rivale de la malheureuse Christine. Il sombre dans la folie, cherchant chaque année à exposer au Salon. Sa dernière ambition est une toile impressionniste immense représentant la Cité vu du pont des Saints-Pères. Une obstination qui le tue à petit feu…
Pressenti comme le chef de file de ce qu’ils appellent l’école du plein air, Claude s’obstine, mais son talent se gâte, il est incapable de produire des toiles comme celles de ses débuts, pourtant prometteurs. Héros Zolien, il est victime du temps, des gènes qui s’expriment, de l’hérédité fatale… Il ne produit rien d’assez bon pour figurer au Salon. Pourtant, lorsqu’il y retourne, une dizaine d’années plus tard, de nombreux tableaux de cette veine (naturelle et impressionniste) fleurissent et irradient sur les murs du Salon parisien. Il ne laisse rien signé de son nom, mais ses idées, cependant, auront été semées.
Ce roman est par ailleurs l’illustration des ambitions zoliennes. Celle de l’art reproduisant la nature, d’un cycle romanesque basé sur le positivisme, de la science salvatrice. Bref, un roman un peu idéologique, dont l’intrigue sombre peu à peu dans un marasme gluant, duquel les héros ne peuvent se tirer. C’est ce que je reprocherais à Zola : on ne peut jamais croire au bonheur de ses héros. Si dans la première partie l’idylle entre Claude et Christine est des plus adorables, on sait par avance qu’on ne peut y croire un seul instant. On sait que Claude est le fils de Gervaise, qu’il est victime de l’hérédité, et qu’il va sombrer dans la folie. Mais c'est la dure loi du naturalisme et du positivisme dans l'art...
Autant dire que la seconde partie du roman est des plus noires, et n’est pas des plus agréables à lire, même si le style de Zola est toujours aussi beau et limpide. Alors que la première partie était celle de la naissance (de l’amour, du talent, de la peinture,…), la seconde est celle de la mort (de l’enfant débile de Claude et Christine, de leur passion, et d’autres…)
Autant dire que la seconde partie du roman est des plus noires, et n’est pas des plus agréables à lire, même si le style de Zola est toujours aussi beau et limpide. Alors que la première partie était celle de la naissance (de l’amour, du talent, de la peinture,…), la seconde est celle de la mort (de l’enfant débile de Claude et Christine, de leur passion, et d’autres…)
En bref : Une splendide fresque illustrant ce qu’était l’art au XIXème siècle, et la naissance d’un nouveau courant. Un roman qui se lit bien, des réflexions sur l’art des plus intéressantes, mais une histoire d’amour des plus tristes…
Un roman du cycle à lire avec d’autant plus d’intérêt qu’il est un métadiscours sur l’ensemble de l’œuvre de Zola.
Dernière petite chose : ce n’est pas sans sourire que l’on voit que le seul qui s’en sorte parmi tous ces artistes est bien sûr… le romancier ! Mais Zola n’a-t-il pas bien raison de se donner la part belle dans sa propre Œuvre ?