Le Monde dans les Livres

Lundi 10 janvier 2011 à 14:05

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/lelivredemamere.jpgLe livre de ma mère, Albert Cohen
C’est important une maman ; c’est peut-être même le plus important. Albert Cohen l’a bien compris, même s’il n’avait pas saisi jusqu’à quel point. Avec ce livre, il remet les choses à leur place, un peu penaud, un peu confus,; mais l'écriture se charge du reste :  faire l’éloge de sa mère.
Cette mère aux petits doigts toujours en mouvement, à l’embonpoint mignon, admirative devant son fils qu’elle nourrit de bons petits plats et de pléthore de gâteaux. Une mère juive aussi, qui espère que son fils prie Dieu quand il faut, qui s’inquiète s’il n’est pas rentré à l’heure, et qui, même s’il n’est pas là, dépose une tranche du gâteau aux amandes de son anniversaire dans son assiette. Une mère aimante, une mère dévouée. Le matin elle place religieusement à côté de son verre une photo d’elle, pour que quand il se lève le fils unique se sente rassuré. Je pourrais énumérer encore toutes ces menues attentions, qui font de cette mère un trésor de dévouement.
Amour de ma mère, à nul autre pareil.
Cette phrase revient comme un leitmotiv, et illustre bien cette vérité : chaque mère est unique ; précieuse et unique.
Il l'aime cette maman qui parfois lui faisait honte, avec son accent, ses manières et son embonpoint, qui lui faisait honte lorsqu’elle appelait chez les duchesses pour savoir si son fils allait bientôt rentrer. Mais qui une fois rassurée, dévoilait des trésors de mémoire et d’histoires…
Ma bien aimée, je te présente à tous maintenant, fier de toi, fier de ton accent oriental, fier de tes fautes de français, follement fier de ton ignorance des grands usages. Un peu tardive cette fierté.
Un peu tardive certes, puisque maman est morte; mais un noble amour. Le contraire de Moeursauf. Aujourd’hui maman est morte, et Albert pleure. Il pleure cette mère qu’il n’a peut-être pas assez aimée, pas assez chérie. Toutefois le livre le lui rend bien ; sur le ton de la louange, il rend grâce à sa mère.
C’est selon moi le ton de la louange qu’emploie Albert Cohen, presque celui de la prière, avec des mots, des phrases qui reviennent, plus berçantes que lancinantes, mêlant anaphores, anadiploses (reprend au début d’une phrase le mot qui se trouve à la fin de la phrase précédente) et isolexismes (reprise de termes à partir d’une dérivation issue de la même base). Des figures de répétition de l’ordre de la confession. Plus qu’un livre, c’est un panégyrique, un éloge sans tache de la femme de sa vie. La femme de sa vie qu’il loue par ce chant de mort. Un bel hommage.
Toutefois, parler de l’autre n’empêche pas de parler de soi, au contraire. En creux, sous l’éloge, il y a Albert.
Pleurer sa mère c’est pleurer son enfance. L’homme veut son enfance, veut la ravoir, et s’il aime davantage sa mère à mesure qu’il avance en âge, c’est parce que sa mère, c’est son enfance. J’ai été un enfant, je ne le suis plus et je n’en reviens pas.
L’écrivain enfant, adolescent, jeune adulte, à travers les yeux de sa mère ; l’écrivain à sa table, peignant l’éloge de sa mère ; l’écrivain à sa table se recomposant une enfance. C’est un peu tout ça, dans les fumerolles de la prière, dans les répétitions de la louange. En écrivant cette autobiographie déguisée, l’auteur n’en dresse pas moins une icône de la mère et l’enfant.
Un livre-hommage donc, et un livre dur aussi ; le deuil, la mort, le jamais plus. Le tout sur ce ton un peu grandiloquent et emphatique qui m’a énormément plu. Ce style d’écriture à la limite du sacré suscite l’envie d’en découvrir plus sur Albert Cohen. En outre, ce livre à la mère a fait écho aux Lambeaux de Charles Juliet. Ici un hommage à la mère, figure idéalisée ; là lettre à la mère, figure inventée puisque jamais connue, ou trop vite partie. Le lien matriciel comme encre de la plume
 

Samedi 5 février 2011 à 0:12

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/Silegrainnemeurt.jpgSi le grain ne meurt, André Gide
Deux parties pour une autobiographie ; l’histoire d’un parcours, celui d’un homme mais aussi celui d’un écrivain. Il semble en effet qu’à mesure qu’il écrit, la pensée de l’auteur sur l’objet littéraire évolue en même temps que lui. Du moins que ce « lui » qu’il nous présente. In medias res, on entre dans l’intimité la plus grande : sous la table, avec ses « mauvaises habitudes ». découverte du plaisir juvénile, plaisir du souvenir mais mise à distance par l’écriture. Il faut se confesser.
Je sais de reste le tord que je me fais en racontant ceci et ce qui va suivre ; je ressens le parti qu’on en pourra tirer contre moi. Mais mon récit n’a raison d’être que véridique. Mettons que c’est par pénitence que je l’écris.
Et d’ajouter A cet âge innocent où l’on voudrait que toute l’âme ne soit que transparence, tendresse et pureté, je ne revois en moi qu’ombre, laideur, sournoiserie.
Portrait terrible… Et pourtant je n’ai souvenir de rien de cette sorte dans les épisodes que nous raconte Gide, de cette enfance choyée par une mère figure de Vierge, trop vite veuve, et qui fit tout pour que son fils reçoive le meilleur. Il nous parle tour à tour de ses bonnes, de ses cousines, de ses camarades d’école (l’école alsacienne, où il alternait passages éclairs et assiduité), ses professeurs de piano (nombreux !), et j’en passe…
J’écrirai mes souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner. Tout au plus puis-je les grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne se trompe pas souvent de place ; mais elle brouille les dates ; je suis perdu si je m’astreins à de la chronologie.
On l’aura compris, on va avoir affaire à un patchwork dans lequel les idées se succèdent les unes aux autres, dans un ordre des plus aléatoires, au gré des pensées et des associations d’idées, des digressions et d’autres artifices.
Souvent, je me suis persuadé que j’avais été contraint à l’œuvre d’art, parce que je ne pouvais réaliser que par elle l’accord de ces éléments trop divers, qui sinon fussent restés à se combattre, ou tout au moins à dialoguer en moi.
Vous voyez je ne mens pas, c’est l’auteur lui-même qui le dit : il compose une œuvre d’art ! Il affirme vouloir dire la vérité, faire pénitence. Mais dès les premiers mots il prend une distance. Rien que ce passé-simple de l’incipit, ce Je naquis le 22 novembre 1869, le place dans l’Histoire, mais aussi dans l’histoire, son histoire, l’histoire de sa vie. Il en devient un personnage. A chaque fois il nous raconte des épisodes divers de son enfance, cette histoire de canari tombé du ciel telle la flamme de l’esprit saint sur le front des apôtres, et qui s’avère être une serin, ou encore ses mauvaises habitudes qui s’infiltrent jusque dans la classe et lui valent quelques punitions. Ce n’est que bien tardivement qu’il nous parle de ses lectures et de la bibliothèque, poncif de toute autobiographie pourtant. Il dit avoir réservé ce moment… Pourtant rien de plus décevant que ces premières lectures dans la bibliothèque de papa : un recueil de Gautier dont maman nous interdit les passages trop grivois… Le pauvre, alors qu’il ne connaissait certains auteurs que par les livres de critique qu’il avait lus, il ne peut même pas avoir le plaisir de la lettre. D’accord la lettre c’est la chair, alors que l’esprit… Maman est protestante, ne l’oublions pas, alors la transsubstantiation, très peu pour elle !
Mais que peut-on raconter d’une lecture ? – C’est le fatal défaut de mon récit, aussi bien que de tous les mémoires ; on présente le plus apparent ; le plus important, sans contours, élude la prise. Jusqu’à présent je prenais plaisir à m’attarder aux menus faits ; mais voici que je nais à la vie.
Pourtant il ne renonce pas tout de suite à nous raconter ces menus faits ; il évoque ses amitiés artistiques, ses rencontres chez Mallarmé, ses soirées au cénacles, ses premières publications, brefs, les débuts de la vie d’un jeune artiste, mais le tout bien lapidaire, et surtout bien incomplet.
Roger Martin du Gard, à qui je donne à lire ces Mémoires, leur reproche de ne jamais dire assez, et de laisser le lecteur sur sa soif. Mon intention pourtant a toujours été de tout dire. Mais il est un degré dans la confidence que l’on ne peut dépasser sans artifice, sans se forcer ; et je cherche surtout le naturel. Sans doute un besoin de mon esprit m’amène, pour tracer plus purement chaque trait, à simplifier tout à l’excès ; on ne dessine pas sans choisir ; mais le plus gênant c’est de devoir présenter comme successifs des états de simultanéité confuse. Je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit. Les Mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman.
Et commence, quelques cent pages avant la fin, la seconde partie :
Les faits dont je dois à présent le récit, les mouvements de mon cœur et de ma pensée, je veux les présenter dans cette même lumière qui me les éclairait d’abord, et ne laisser point trop paraître le jugement que je portais sur eux par la suite. D’autant que ce jugement a plus d’une fois varié et que je regarde ma vie tour à tour d’un œil indulgent et sévère suivant qu’il fait plus ou moins clair au-dedans de moi.
On quitte le récit compassé, le tableau du petit garçon sage (presque religieux, connaissant la Bible sur le bout des doigts!), ces mémoires dont l’écriture classique m’a étonnée tant elle semblait soignée, presque artificielle, plutôt artificieuse à ce que j’en crois, pour rencontrer le jeune homme, l’écrivain, et ses tentations vers l’immoral…
Dans cette deuxième partie, Gide nous retrace ses voyages en Orient, au Maroc et en Afrique, plus largement. Des scènes qui ne sont pas sans faire écho à ses œuvres. Pour ma part j’ai reconnu avec plaisir le décor de L’immoraliste, et même ses principaux personnages. Gide le dit lui-même, c’est de là que lui est venue l’idée de l’ouvrage. Comme quoi Saint-Beuve n’avait pas tant tord que cela : la vie d’un écrivain peut éclairer son œuvre, et de manière prégnante. Ainsi toutes mes spéculations sur l’orientalisme à l’œuvre dans l’Immoraliste restent vaines spéculations au regard de l’explication biographique. Quoi que je sois fidèle à Proust ! Donc il faudrait nuancer. Le héros de L’immoraliste n’est pas Gide ! D’ailleurs il s’appelle Michel… Pour de plus amples informations : http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/immoraliste-andre-gide-3037452.html
L’écriture, dès lors, imite l’être : moins de retenue, plus de sensualité, plus de plaisir, et donc, peut-être, plus d’authenticité. Sa vie ressemble à ses romans ; elle devient presque un roman…
Une œuvre qui laisse à penser sur l’autobiographie. Mais pourtant elle n’est pas qu’un pensum ! J’ai pris beaucoup de plaisir à la lire. Même, j’ai adoré ce bouquin ! Il y a je ne sais quoi d’attachant dans le portrait non exhaustif et presque inexistant finalement, que Gide brosse de lui enfant. Tout est très fragmenté mais constitue une belle œuvre.

Mercredi 9 février 2011 à 0:02

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/pierreetjean.jpgPierre et Jean, Maupassant
Jean est blond, Pierre est brun. Le premier est calme, serein, alors que le second est sanguin. Ils n’ont rien en commun, et pourtant ils sont frères. Pierre et Jean. Dès le titre, il semble qu’ils avancent main dans la main. Dans la première scène du roman, ils rament ensemble ; mais on sent déjà qu’il y a des dissensus, des désaccords, des jalousies. Entre eux deux, dans cette barque qui vogue sur la mer dans le port du Havre, il y a leur mère, leur père et Madame Rosémilly, une jeune veuve. Bien entendu, elle n’attend que cela, se faire épouser par l’un d’eux. Mais lequel ?
On pourrait croire qu’ainsi continuera le roman ; sur un banal argument de roman sentimental, une jalousie entre frères qui convoitent la même femme. Mais j’ai envie de dire, dans ce cas, autant refermer le livre. Pourtant ce n’est surtout pas ce qu’il faut faire ici. Laissez-leur le temps de descendre de la barque, de rentrer chez eux, et d’écouter leur bonne. Les bonnes sont souvent porteuses d’un message qu’il est bon d’entendre, puisqu’il influera sur la suite de l’histoire…
Bon je cesse de vous faire languir, d’autant que tout le monde connaît Pierre et Jean (de près ou de loin, c’est certain !). Mais comme je les ai cotoyés de près au cours d’un voyage en train, je vais vous dévoiler ce qu’il va se passer pour eux. Oh pas tout bien sûr, ce serait gâcher le suspense. Néanmoins je préviens ici l’aimable lecteur que certains éléments vont être dévoilés, qui pourraient nuire à la surprise… Je vous aurais prévenus !
Alors voilà. Pierre et Jean rentrent chez eux, avec leurs parents, Madame Rosémilly et sans poissons (oui, il s’agissait d’aller à la péche). Maupassant plante le décor, une maison étroite, rue Belle-Normande (tout un programme !) Et voilà que Joséphine, la jeune bonne de dix-neuf ans, leur lance : « Il est v’nu un m’sieu trois fois. » Mais qui donc ?! « Un m’sieu d’chez l’notaire. »
Nous y voilà. Il va donc être question de gros sous… Attention, à partir de cet instant, une partie de l’intrigue va être dévoilée…
Le notaire vient rendre compte de la situation : « M. Maréchal est décédé. » M. Maréchal, ce vieil ami de la famille ! Et à qui lègue-t-il sa fortune ? Aux deux frères ? A la famille ? Et bien non. Au seul Jean, le blond.
A partir de cet instant tout bascule pour Pierre. La jalousie s’empare peu à peu de lui ; il commence à élever des soupçons à l’égard de son frère. Des soupçons qui restent très vagues au début, puis qui se dessinent, peu à peu. Pierre superpose les traits de son frère avec ceux, bien flous, du souvenir qu’il a gardé de ce Maréchal. Pour éclaircir ses soupçons, il demande à sa mère le portrait qu’elle a de cet homme (étrange ça aussi…) Et là, tout s’éclaire !
J’arrête là, je ne parlerai dorénavant que par suggestions. Pierre et Jean est donc le roman de la bâtardise, comme souvent dans les romans (c’est Marthe Robert qui le dit !). Sauf qu’ici, ce sera le fils légitime qui sera emporté par la mer (Pierre, médecin, s’engage à bord d’un paquebot). Le fils illégitime, naît de l’amour mais hors-mariage, restera profondément attaché à sa mère et même, épousera la jeune veuve (j’en dis davantage que je ne voulais…). Etrange tout cela... L’œuvre elle-même pose question, de part sa bâtardise. En effet, elle oscille entre roman et nouvelle. Nouvelle par sa brièveté et son thème, celui du secret à découvrir. Mais une fois découvert, ce secret ne provoque pas les désordres escomptés… On peut dès lors se poser des questions sur la nature de ce qui appartiendrait à la catégorie des courts romans.
Et puis il y a aussi ce qu’on connaît peut-être encore plus que le roman lui-même : sa préface. La préface de Pierre et Jean… Qui en fait n’en est pas vraiment une ; plutôt une étude sur le roman. Il nous y expose son point de vue sur l’art, l’artifice, la volonté des écrivains naturalistes et réalistes de « faire vrai », alors même que « la vérité dans la vie diffère de la vérité dans le livre ». Faire vrai consiste à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les retranscrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession. Il en conclut ainsi que les Naturalistes de talent devraient plutôt s’appeler des Illusionnistes.
Enfin bref, il dit beaucoup de choses dans cette préface, des choses très intéressantes, sur lesquelles il me faudra me replonger. Tiens, une transition parfaite pour la dernière chose que je voulais dire, idée que j’ai copiée au commentaire de l’œuvre que j’ai survolé rapidement. Pourquoi la plongée ? Tout simplement parce que Pierre et Jean se passe au bord de la mer, qu’ils passent du temps à pécher et que le motif aquatique est fortement présent. Limpidité de l’eau comme du langage utilisé ici, mais aussi miroir de la surface sur lequel l’œil regarde et où se réfléchit le monde, en passant par le fond de l’eau, jusqu’à brouiller la vue. Bref, l’illusion de la représentation finit par être brisée. On ne peut pas représenter le réel tel qu’il est…
Une œuvre plaisante, rapide à lire, où s’alternent les points de vue omniscients et la focalisation interne (toujours du point de vue de Pierre), et dont la richesse est encore insoupçonnée… Je lirai peut-être plus attentivement le commentaire, une autre fois. Bonne nuit !

Mercredi 2 mars 2011 à 21:18

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/voyageauboutdelanuit.jpgVoyage au bout de la nuit, Céline
Moi aussi j’y suis arrivée, au bout de la nuit.
La guerre, la traversée des Océans vers les Tropiques, la chaleur, la fièvre, les moustiques. Et puis New-York, les puces d’Elis Island, l’enfer du pipi et du caca, les hôtels, les bordels, le retour en France. Tout ça d’un coup, sans qu’on sache pourquoi. Des coups de tête, des pertes de conscience. Une page blanche et on est ailleurs. Et puis en France ça commence à devenir vraiment pesant. Avant aussi c’était la nuit, mais là on s’enfonce dans le tunnel. Un type malade, Bardamu, qui devient médecin ; on aura tout vu. Surtout qu’il laisse ses patients mourir la plupart du temps. Et puis après avoir été fou lui-même (la guerre ça vous passe dessus, soit sur le corps, soit sur le ciboulot…) il finit dans un asile pour fous.
Un voyage dans la nuit, et pas la plus belle.
Un voyage de miteux, dans une langue de miteux. Cette langue qui sent le graillon et la crasse, et qui percute. A chaque page on peut trouver un aphorisme ; et pourtant, c’est pas voulu. C’est juste le fameux langage populaire et oralisé dont on fait tant état à propos de Céline.
On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté.
J’avais une âme débraillée comme une braguette.
Voilà un micro échantillon. Le reste est pareil. Sublime de dégueu. Du bas ventre rabelaisien en veux-tu, en voilà ! Et puis du lapidaire avec ça, des phrases qui vous restent dans l’oreille, avec leurs images salaces. Pas toujours salaces ; assez vraies aussi. Ça a débuté comme ça.
Un long voyage pouilleux au milieu des déchets de l’humanité. Pas seulement organiques les déchets, mais aussi intellectuels. De la gerbe d’idées. Un monde pourri, putride, injuste et atroce. Jusqu’au Robinson qui tue la vieille Henrouille, en s’y prenant à deux fois le garçon. Il a presque perdu la vue, mais pas le nord. Et le pauvre Bébert, le petit garçon qu’on envoie se balader au cimetière, et qui en revient avec la coqueluche… Pour sûr qu’il voulait le garder, le cimetière.
Un adepte de la reprise du sujet en fin de phrase, le Céline. C’est ça sans doute qui donne son rythme si reconnaissable à son écriture.
Un long voyage. Et pourtant un petit article. On a tellement glosé sur Céline, qu’il me semble n’avoir rien à en dire. Je l’ai écouté parler à la radio. Il parle un peu comme il écrit. Etonnant. Il a dit qu’il n’était pas contre les Sémites, mais juste contre le fait qu’ils soient cause de la guerre. A voir. Je trouve quand même que lui refuser la commémoration, c’est dur. Parce que personne n’a jamais écrit comme lui ; et Proust l’a bien dit : le moi de l’écrivain et le moi de l’homme ne sont pas confondus.
Pourtant c’est sombre le voyage ; il devait avoir l’âme bien sombre le Louis-Ferdinand.

Jeudi 10 mars 2011 à 18:33

http://lemonde-dans-leslivres.cowblog.fr/images/UnevieGuydeMAUPASSANT.jpgUne vie, Maupassant
C’est long une vie ; c’est parfois gai, parfois triste ; et puis ça réserve des surprises.
Celles de Jeanne, l’héroïne de ce roman de Maupassant, sont plutôt mauvaises… La vie n’est pas tendre avec elle.
A peine sortie du couvent, elle tombe amoureuse de l’amour ; et puis il s’incarne. Alors tout va très vite. Vraiment très vite ; au point qu’elle passe à côté du bonheur tant rêvé. Julien, l’homme qu’elle épouse, s’avère être un obsédé sexuel, qui couche avec tout ce qui bouge (ou presque). Pauvre Jeanne, qui avait tant rêvé de grands désirs d’amour, de balades romantiques, de clairs de lune amoureux… En définitive elle n’a que son lit vide, sa mère obèse, la tante Lison et son papa. Son papa, le seul homme de sa vie. Si on y regarde de près, l'inceste est soupçonnable (tendancieux Guy !). Le seul qui l’accompagne, la comprenne, la défende. Tante Lison, elle, regarde les choses se passer, émue mais toujours silencieuse. L’auteur ne l’évoque que peu, il la raille et la rabaisse, et pourtant, Tante Lison, c’est la seule à qui il n’arrive pas de malheurs. Elle visite la vie, solitaire et froide, mais peut-être pas plus malheureuse que les autres. Enfin bon, l’auteur l’expédie quand même au fond de la tombe en une page, avec papa… Dur…
Et cet enfant que Jeanne a eu avec Julien, répondant au ridicule sobriquet de Poulet (Paul pour les intimes), quel ingrat ! Bon d’accord avec une mère pareille, possessive jusqu’à la suffocation, il n’y a pas de quoi se laisser aller la vampirisation. Mais quand même, pauvre Jeanne !
Hystérique, folle, névrosée, Jeanne n’est vraiment pas gâtée par la vie. On la traverse avec elle en se disant que, décidément, on n’aimerait pas avoir la même. Tous les jours se ressemblent, tout est toujours pareil ; la promenade de maman, la visite aux voisins (l’occasion pour le mari de prendre du bon temps), la visite de papa et maman, de temps en temps, quand on laisse le ménage à ses amours… Et cette bonne qui accouche en plein milieu de la chambre ! Toutefois, à la fin, elle revient Rosalie, elle revient et elle sert dignement sa maîtresse. Une bonne fille.
L’auteur, en plus, ne ménage pas son héroïne. On sent toute l’ironie dont il est capable pointer derrière certains mots, certaines phrases. Pas facile d’être l’héroïne de sa vie, encore moins de ce roman.
Ceci dit, il est formidable.
Et mon article est ridiculement court...

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